Pour bien comprendre les lignes qui
vont suivre, je suis obligée de faire un retour en arrière de deux ans. En 2012,
je ne connaissais que le nom de Mohammad Rasoulof. Je n’avais jamais vu aucun
de ses films. Invité comme juré au FIFF, l’occasion était donnée aux
festivaliers de découvrir Goodbye. C’est probablement un des films les plus marquants
de ma vie de cinéphile. Il m’a poursuivie de longues semaines et sa seule
évocation m’émeut encore aujourd’hui. Rasoulof était présent au FIFF cette
année-là. Il m’aura fallu toute la durée du festival pour oser aller lui
parler, parce que dès que je commençais à parler de Goodbye, je
fondais en larmes. Et cela n’a pas manqué lorsque j’ai commencé à le remercier.
Aidée par un traducteur, je tentais de faire passer à quel point son film m’avait
bouleversée. A quel point j’avais de l’admiration pour les cinéastes iraniens,
non seulement parce que la majorité de leur films sont d’une beauté
renversante, mais surtout parce que ce sont, à chaque fois des films courageux.
Et Goodbye est un film courageux. Une magnifique,
tragique et bouleversante histoire de femme. A court de mots et saisie par l’émotion,
je n’arrivais plus à m’exprimer. Rasoulof m’a alors ouvert ses bras et m’a
serrée. Un moment intense. Rien que de me le remémorer, et de le retranscrire
ici, les larmes me montent aux yeux. Ce moment restera à jamais inoubliable, parce
que profondément empreint d’humanité.
Goodbye |
Alors hier, lorsque j’ai vu Manuscripts don’t burn,
son dernier film, je n’ai pensé qu’à ce moment-là. Et cela m’a rendue
profondément triste. Rasoulof est le seul cinéaste d’une sélection qui réunit
46 nations à être retenu par les autorités de son pays. Il est privé de son
passeport depuis octobre dernier. Alors même qu’une bribe d’espoir renaissait
avec l’accession au pouvoir d’Hassan Rohani qui était présenté comme le seul candidat
modéré de la campagne présidentielle iranienne de 2013.
Manuscripts don’t burn
parle de la censure, de tentative d’assassinat d’intellectuels par l’Etat
afin de les réduire au silence. Alors oui, c’est une nouvelle fois un film
courageux. Rasoulof est radical dans son propos. Pas de concession et pas de tabou.
Pour nous occidentaux, la liberté de penser est un acquis et on oublie trop
souvent que ce n’est pas le cas partout sur le globe et pas si loin de nous
finalement. Programmer ce genre de film dans un festival, c’est un devoir d’information.
Aller les voir, c’est exprimer sa solidarité avec celles et ceux qui ont le
courage de s’opposer à l’intolérable. Alors, lorsque certains disent que le
cinéma n’est qu’un divertissement, j’ai envie de grimper les murs !
Manuscripts don't burn |
Une nouvelle fois, grâce à la
programmation du FIFF, on constate que le cinéma est bien plus que ça. Il se
fait le miroir de la société. Outre les messages politiques qui peuvent émaner
de certaines œuvres, ce sont aussi des photographies sans concession de
différents dysfonctionnements sociétaux. Le sexisme, l’homophobie, l’intolérance,
l’irrespect, l’isolement, la surconsommation, la religion, le profit avant l’humain.
Même si ces sujets ne sont pas toujours abordés de manière frontale, il n’en
reste pas moins que ces démarches sont initiatrices de réflexions. Et magie, tout
cela ne freine en rien la démarche artistique : bon nombre de ces films
sont, esthétiquement parlant, supérieurs à la majorité des blockbusters !
Il y a encore deux projections de Manuscripts don’t burn, allez-y !
A une époque où le « chacun
pour soi » prévaut, il est bon de se souvenir que ce qui est acquis chez
nous occidentaux – bien qu’il y ait encore beaucoup à faire – ne l’est pas
partout, même dans ce qui fait le fondement des droits humains. Encore une fois
je le redis, sortez des sentiers battus. Osez vous confronter à ce que vous ne
connaissez pas. Allez voir des films dont les réalisateurs vous sont inconnus,
dont les médias ne parlent pas, ou moins. Soyez curieux. Et pas seulement
durant le FIFF, toute l’année ! Vous en ressortirez grandis. Promis, juré.
Et sinon, aujourd’hui, Patrick Chesnais
était de passage à Fribourg pour défendre le film de Samuel Rondière : La Braconne. Un
très joli premier film qui n’a malheureusement pas trouvé de distributeur en
Suisse. Quel dommage ! Mais quelle chance d’avoir pu le voir hier soir.
Danny prend sous son aile Driss, un jeune gars des banlieues. Il va le forcer à
apprendre à lire et à conduire, mais va également lui enseigner les bases et
les ficelles de la petite arnaque artisanale. Driss va également dire au revoir
à son insouciance. Quelques répliques peuvent aisément devenir cultes ! Un
jeune cinéaste à suivre et à ne pas perdre de vue. Patrick Chesnais s’est, à la
fin de la projection, livré à un Q & A plein d’humour et de tendresse. Un
joli moment.
La Braconne |
Demain, je vais une nouvelle fois
me confronter à Wang Bing. L’an passé, après la projection de Three Sisters, j’avais
ressenti le besoin urgent de me doucher. Impatiente de voir quel besoin urgent
je vais devoir assouvir après la projection de `Til Madness do us part…
ST / 1er avril 2014
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