vendredi 18 janvier 2013

DJANGO UNCHAINED - Quentin Tarantino - 2013

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Qu'attend-t-on d'un film de Tarantino? Des scènes catapultées "cultes" instantanément? Une bande originale à te défriser une coupe afro? De l'humour, tantôt bon enfant, tantôt noir? De la violence tellement bien mise en scène que tu en viendrais presque à adorer voir des gars se faire zigouiller? Des dialogues incroyables, que tu te surprends à reprendre dans la vraie vie? Il y a tout ça dans le 8ème long métrage de Tarantino, "Django Unchained". Tout ça, mais rien de plus. Tout ce que l'on attend de lui en somme. Alors, c'est super chouette, mais c'est aussi un peu frustrant. Parce que l'envie qu'il aille encore plus loin dans ce qu'il propose est réellement présente, en tous cas chez moi.


Générique: un chain gang dans le désert sur une musique qui ne vous quittera plus: "Django" interprété par Rocky Roberts (un nom qui ne s'invente pas). Tu oublies la salle de cinéma hyper moderne dans laquelle tu te trouves et te voilà projeté dans les années 60: lettrage jaune pour le générique avec une typographie typique des westerns, c'est l'éclate totale! Tu t'y croirais et tu attends de voir apparaître le nom de Sergio Leone... seul celui d'Ennio Morricone apparaît, mais cela suffit à installer l'illusion. Sans rien savoir sur le film, tu sais que tu vas voir un western, et qui plus est, un western spaghetti! L'enfant qui dort (d'un sommeil très léger) en toi est fou de joie.


Le Dr King Schultz (charismatique Christoph Waltz) est un chasseur de primes. Il recherche les frères Brittle, morts ou vifs. Leurs têtes sont mises à prix. Un soir, il croise le chemin de deux vendeurs d'esclaves. Il en recherche un qui aurait travaillé sur le domaine où officiaient les deux frères et qui serait susceptible de les reconnaître. Un homme se manifeste: Django (Jamie Foxx). Schultz l'achète (à sa façon) et l'emmène avec lui.


Les deux hommes se respectent et  se lient d'amitié. De confidences en confidences, Schultz apprend que Django est marié, mais qu'il a été séparé de sa femme par son ancien maître. Elle s'appelle Broomhilda (en allemand: Brunhilde). Ce prénom, très symbolique dans la mythologie allemande (et nordique en général), réveille des sentiments romantiques chez Schultz, qui voit en Django un Siegfried prêt à tout pour sauver sa belle. Ensemble, ils vont aller chercher Broomhilda.

La référence à Brunhilde et Siegfried n'est pas anodine. D'une part, Django se positionne en héros romantique comme Siegfried chez Wagner par exemple et Broomhilda comme une guerrière (au vu de ce qu'elle subit, et le fait qu'elle reste en vie, il ne peut en être autrement). D'autre part, "Django Unchained" est un film-fleuve, à l'image de la Tétralogie de Wagner: 2 heures 45, quand même! De plus, l'oeuvre de Wagner se présente comme une allégorie philosophique sur la société et le pouvoir. Ce que fait également Tarantino, mais de façon nettement plus légère. La dénonciation du racisme est fortement présente, mais néanmoins très naïve: les blancs sont les méchants et les noirs, les gentils. Cette simplification à l'extrême des rapports interraciaux est malheureusement un peu maladroite. J'aurais souhaité un peu plus de substance, d'arguments. De plus, il y a une ou deux longueurs (notamment toute la visite des terres de Calvin Candie) qui auraient pu être quelque peu réduites. Le clin d'oeil au "Django" de Corbucci, en offrant un petit rôle à Franco Nero qui incarnait ce héros, est un pur régal (mesdames, vous noterez ce regard bleu acier...).


Cependant, cela ne freine en rien le caractère jouissif de ce film! Leonardo di Caprio qui incarne Calvin Candie, un propriétaire terrien ignoble, viscieux, précieux et insupportable, brille de talent. Di Caprio en vrai salaud, on en redemande! La bande originale est, comme à chaque fois, un bonheur pour les oreilles, décalée juste ce qu'il faut: Rocky Roberts, James Brown en version remixée, Johnny Cash, pour ne citer qu'eux, répondent à l'appel. De plus, il regorge de moments très drôles et de dialogues délicieux et finement ciselés.



Bref, Tarantino est là où on l'attend, avec toujours autant de beauté dans les scènes de violence et sa façon très particulière de refaire les décos intérieures... vous comprendrez quand vous aurez vu le film. Oui, parce que ce film, il ne faut pas le rater sur grand écran. Et faites-moi plaisir, allez le voir en version originale, parce que vraiment, c'est vachement mieux! Enjoy!



RECOMMANDATIONS

Deux films à voir absolument:

Le "Django" de Sergio Corbucci

 
"Sukiyaki Western Django" du japonais Takashi Miike. Un réalisateur provocateur et subversif. Vous y croiserez Tarantino.


 Votre Cinécution

vendredi 11 janvier 2013

THE MASTER - Paul Thomas Anderson - 2012

On avait laissé Paul Thomas Anderson en 2007 sur l’inoubliable et sublimissime (et je pèse mes mots) "There will be Blood".  Certains disaient à l’époque que ce film était de l’acabit de "Citizen Kane", le film qui révolutionna le cinéma. Fallait oser ! Force est de constater que cela était justifié : d’une part Daniel Plainview, misanthrope, magnat du pétrole et de l’autre côté, Charles Foster Kane, magnat de la presse et mégalomane. Grandeurs et décadences, ascensions fulgurantes et chutes vertigineuses de deux géants. Certes Paul Thomas Anderson n’a pas révolutionné le cinéma comme a pu le faire Orson Welles, mais quel réalisateur de talent était là reconnu.
Ses premiers films, "Boogie Nights" et "Magnolia" étaient déjà des films incroyables et devenus cultes presque instantanément. Qui ne se souvient pas des discours du gourou du sexe (Tom Cruise) et de la pluie de crapauds dans "Magnolia" ou encore des grands moments disco et de Burt Reynolds réalisateur de films pornos dans "Boogie Nights"? Inoubliables ! Bref, pour tous ceux qui n’ont pas encore découvert l’univers de Paul Thomas Anderson, vous avez l’OBLIGATION de le faire dans les plus brefs délais! Vous passeriez à côté d’un des génies de notre époque.


"The Master" raconte la rencontre de deux hommes. Nous sommes en Californie, au début des années 50. Freddie (sombre et inquiétant Joaquin Phoenix) est un vétéran de la guerre du Pacifique. Après un séjour en hôpital psychiatrique à la fin de la guerre, il s'est réinséré comme photographe de surface commerciale. Freddie est en proie à plusieurs dépendances: l'alcool et le sexe. Ce corps voûté qu'il habite semble être trop petit pour contenir toute la rage qui est en lui. Il manque cruellement de repères et erre quasi en permanence. 



C'est lors d'un de ces soirs de perdition qu'il monte à bord d'un bateau qui est à quai. Il se réveille le lendemain matin dans une cabine, en pleine mer. Il est alors présenté à Lancaster Dodd (éblouissant Philip Seymour Hoffman). Dodd est à la tête d'une petite communauté qui place l'humain au-dessus de tout. Discipline, gestion des émotions: c'est ce qui différencie l'homme de l'animal selon les principes de La Cause, le mouvement philosophique qu'a créé Dodd. Lancaster Dodd est un homme charismatique, Freddie succombera rapidement aux promesses de celui qui se définit comme étant : "... un écrivain, un médecin, un physicien nucléaire, un philosophe théorique, mais avant tout, un homme.". 



Les deux hommes deviendront dépendants l'un de l'autre. Freddie boit les paroles de Dodd et ce dernier l'utilise comme cobaye pour affiner ses théories fantasques que même certains membres de la communauté remettront en cause, déclenchant chez Dodd des accès de colère aussi intenses que fulgurants.

"The Master" s'inspire librement de la naissance de la Scientologie au début des années 50. Lancaster Dodd n'est pas sans rappeler L. Ron Hubbard, père fondateur et auteur de "La Dianétique", cet ouvrage censé être un ouvrage de développement personnel. Hubbard, engagé durant la guerre du Pacifique, a constaté lors de son séjour en milieu hospitalier,  l'importance du mental sur la santé physique. C'est un des principes fondamentaux qu'enseigne Dodd à Freddie. Mais en toute sincérité, je crois que "The Master" est avant tout une histoire d'amitié, voire d'amour (homosexualité refoulée de Dodd?). Freddie et Dodd sont unis par un lien invisible (dont on ne connaîtra la nature exacte que dans les dernières minutes du film). Dodd est absolument convaincu qu'il peut soulager les douleurs physiques et mentales de Freddie. Au départ, et j'en suis persuadée, c'est un geste profondément humaniste et sincère. Il s'en suivra l'obsession de Dodd pour sa doctrine, en constante évolution, et sa soif de pouvoir et de contrôle (intensifiées par les propos de son épouse). Mais Dodd a aussi ses failles: il aime bien boire et être infidèle à son épouse (Amy Adams, dont la beauté froide n'est pas sans rappeler celle des grandes héroïnes hitchcockiennes). Cet état de fait donnera d'ailleurs lieu à une des scènes les plus malsaine, manipulatrice et déconcertante qu'il m'ait été donné de voir (pour celles et ceux qui ont vu le film, il s'agit de la scène de la salle de bain). 

Visuellement, c'est d'une beauté absolue (une obsession du plan parfait qui n'est pas sans rappeler Kubrick). Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix sont de presque tous les plans et le plus souvent filmés en gros plan. Ils sont tellement intenses qu'ils sont bouleversants et vous tirent les larmes. Les longues séances de "thérapie" (qui pour certains critiques s'étirent à l'infini) sont sublimes, car elles ont un sens. On y voit bien le processus d'endoctrinement, de lavage de cerveau et les tentatives de modification de la pensée et de la perception des choses que Dodd inflige à Freddie. Oui, infliger: pour Freddie, bien souvent, c'est très douloureux.



C'est un film hypnotisant, dur et cruel, qui est sublimé par la musique envoûtante de Jonny Greenwood (un subtil mélange d'influences de Debussy et de Schoenberg). Paul Thomas Anderson signe là un chef-d’œuvre qui l'installe définitivement dans son statut de génie. Ne perdez pas une minute: foncez-y!





RECOMMANDATION

Paul Thomas Anderson s'est fortement inspiré d'un documentaire bouleversant que John Huston avait tourné en 1946 pour le compte de l'armée américaine: "Let there be Light". Je vous invite vivement à le visionner.



Votre Cinécution

jeudi 3 janvier 2013

SIGHTSEERS - Ben Wheatley - 2013



Et si l'on commençait l'année avec une bonne dose de deuxième degré et d'humour.... noir? Ben Wheatley, qui m'avait traumatisée avec son désormais incontournable et terrifiant "Kill List" et qui m'avait provoqué, durant le Festival del Film Locarno 2012, des cauchemars dans le bus VW, revient en force avec cette comédie pour le moins atypique. Amateurs de comédies romantiques à l'eau de rose, passez votre chemin! "Sightseers" ou "Touristes" en français, est un film pour sales gosses mal élevés... et j'adore ça!

Bon, maintenant que le cadre est posé, rentrons dans le vif du sujet: du sexe, une caravane, des musées, des meurtres... en gros, c'est ce que vous trouverez dans ce film. Ah oui, il y aussi l'amour! L'amour entre Chris et Tina. Tina tout d'abord, 35 ans, "vieille fille" qui habite encore chez maman. Sa mère est possessive, envahissante et adepte du chantage affectif. Tout pour que sa fille soit équilibrée en somme. Puis Chris.  Fin de la trentaine, officiellement au chômage, mais officieusement en congé sabbatique pour écrire un livre. Son rêve? Emmener Tina, avec qui il forme un couple depuis trois mois, en camping car, à la découverte des merveilles que proposent l'Angleterre soit : le Musée du Tram de Crich, le Musée du crayon de Keswick, des sites mésolithiques et finalement le viaduc de Ribblehead.



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Après d'âpres négociations avec la mère de Tina, nos deux amoureux prennent la route. Chris a préparé une feuille de route détaillée, avec des cases à cocher lorsque les musées, sites et autres campings auront été visités, fréquentés. Tout est bien cadré. Ce qui n'était pas prévu au programme, c'est ce touriste qui, tout à fait consciemment, laisse tomber le papier de sa glace et ne le ramasse pas. Chris le lui fait remarquer. Le touriste s'en fiche et lui adresse un doigt d'honneur. Chris ne réagit pas, mais continue à s'énerver au café avec Tina. Ce sera le hasard qui se chargera de laver l'affront fait à Chris, lui qui n'a qu'un souhait : être craint et respecté. C'est le début des ennuis... et celui d'une cavale qui va se terminer au viaduc de Ribblehead.

Entraînés dans une espèce de folie à deux, les deux amoureux iront trop loin, beaucoup trop loin.



Comme évoqué plus haut, l'humour est noir, très noir, et le second degré, légion. Je me suis surprise à éclater de rire sur des horreurs, limite je me sentais coupable de rire... mais quel régal! Franchement outranciers, frôlant les limites, les dépassant même quelques fois, Ben Wheatley, Steve Oram et Alice Lowe, qui ont signé le scénario, sont géniaux! Steve Oram et Alice Lowe ont créé leurs personnages (Chris et Tina) en leur inculquant une certaine fragilité et un second degré assez délicieux. Ils y vont franchement, sans aucune retenue. Ils n'hésitent jamais et vont régulièrement trop loin... si loin que je demande même si quelque chose pourraient les arrêter. Étonnamment, je me suis attachée à eux.

Ben Wheatley flirte un peu avec le film social à l'anglaise, mais coupe court à tout amalgame que pourrait faire un cinéphile en y insufflant de la misanthropie, de la brutalité et des scènes de très mauvais goût. Ceci a la faculté de nous bousculer, et c'est génial!



Ce réalisateur de 42 ans est un farouche indépendant Il creuse son propre chemin avec un style désormais reconnaissable et tout cela est très excitant. Il réussit également à intégrer la musique dans ses films, de façon surprenante, à l'image des chansons qui illustrent l'amour de Tina et Chris : "Tainted Love" de Soft Cell et "The Power of Love" de Frankie Goes to Hollywood. Il nous prend un peu à contre-pied. Ce gars est fascinant et je me demande jusqu'où il sera capable d'aller. Une certitude cependant, j'ai hâte de découvrir son prochain film. Parce que oui, Ben Wheatley, on adule ou on abhorre. Avec un cinéma aussi intense, on ne peut faire dans la demie-mesure... et moi, j'adule!


Votre Cinécution



RECOMMANDATION:

Si vous ne le connaissez pas, je vous invite vivement à découvrir ce film de Leonard Kastle, qui peut faire écho à celui de Ben Wheatley... et qui est aussi vraiment bien!