mercredi 29 août 2012

L'INVITEE : Isabelle De Hertogh


Lorsque j'ai vu "Hasta la Vista" de Geoffrey Enthoven, j'ai tout de suite eu beaucoup d'affection pour le rôle de Claude tenu par Isabelle De Hertogh. J'ai eu envie de la contacter et de l'inviter sur mon blog. Isabelle a tout de suite accepté. Et quelle belle rencontre! Une femme pleine de vie, malicieuse, sensible, solaire et pleine d'humour. Au fur et à mesure des entretiens téléphoniques, la sensation de se connaître depuis de nombreuses années. Une jolie complicité. Je vous invite à découvrir une femme qui croit en sa bonne étoile...


Si l'on regarde votre parcours, on a l'impression que vous étiez presque exclusivement destinée à la scène: art dramatique, clown, mime, musique... Comment s'est passé votre première rencontre avec le cinéma?
Ma toute première rencontre c’était avec un film d’André Chandelle : « Les Hirondelles d’hiver », en 1999. Il y avait 2 rôles de bonnes sœurs : la « grosse sœur » et la « jolie sœur », pourtant ce n’est pas incompatible il me semble…  J’ai donc eu le rôle de la grosse sœur (rires)… Je n’avais pas grand-chose à dire. Quand j’ai goûté au cinéma, j’ai découvert quelque chose qui m’amenait à un réel retour à l’enfance, un réel plaisir du jeu. C’est l’expression de l’éphémère.  Il faut avoir tous les sens en éveils. Ce petit moment au cinéma a décuplé mes plaisirs !  J’étais en tenue de bonne sœur, on ne voyait pratiquement que mes yeux. Une personne de France 2  a remarqué mon regard. Je n’ai jamais passé avec insistance de très gros castings. C’est une succession de rencontres.  
Au départ j’étais plutôt théâtre. J’ai fait le Conservatoire royal de Bruxelles. Puis une succession de stages et de spectacles de clown ou de mime. J’ai aussi une formation en musique, chant, danse.
Mes parents étaient issus du milieu de la médecine. Mon papa est endocrinologue et maman, secrétaire médicale. Ils portaient un grand intérêt pour la culture. Pour toutes les cultures : peinture, sculpture, théâtre, opéra, musique.  Ils m’ont ouvert l’esprit sur beaucoup de choses. Ils ont tenté de me faire faire un métier sécurisant. Mais je voulais vraiment être comédienne.
Quand j’avais 4 ans,  je créais des mises en scènes et je réunissais toute la famille dans le salon pour 45 minutes voire 1 heure.  Mes frères devenaient dingues d’avoir une petite sœur aussi bavarde (rires). Je racontais beaucoup d’histoires et je m’amusais à parler toutes les langues. Et j’y croyais vraiment (rires)… Aux scouts aussi j’ai monté des spectacles. 
J’ai toujours été dans la création, dans l’écriture.  J’avais 1000 histoires à raconter tout le temps (rires)... J’ai d’ailleurs écrit un scénario en co-scénariste avec une amie. On peut sortir tellement d’émotions avec les mots, de belles, riches histoires.
J’ai fait beaucoup de spectacles avec toute une bande de copains du Conservatoire royal de Bruxelles (entre autres avec Virginie Hocq). Pendant plusieurs années on a monté des spectacles comme « Les Héros de notre Enfance » de Michel Tremblay, tout ça avant d’être engagés plus officiellement dans des théâtres.
J’ai eu beaucoup de chance. Je considérais que je n’avais pas un physique facile (et c’est aussi ce qu’on me disait au conservatoire)  et qu’il faudrait que j’attende un moment pour que cela démarre. C’est le désir et la curiosité qui ont créé les choses.  J’ai été clown dans les hôpitaux. Tout était bon pour raconter des histoires, pour avoir un public.
 
 
A vous entendre, on sent un réel amour du cinéma…
J’ai toujours adoré le cinéma. Quand je suis face à un film, j’entre dedans et je suis complètement envahie pour tout ce qu’il raconte. Je suis complètement nourrie par le film et je me fais littéralement avoir (rires).  Les émotions, que ce soit le rire ou la tristesse, me suivent plusieurs heures après la projection. Au cinéma, je suis comme une gamine : « Ouais, ça commence enfin ! »  (rires)…  Je ne suis pas en train de bouffer mes popcorns, je suis comme une gamine et j’attends que ça commence.
J’ai retrouvé cela chez Claude Lelouch,  qui a distribué « Hasta La Vista » : il parle du cinéma comme un spectateur amoureux, qui aime être pris par surprise par un film. Un homme généreux et curieux.

Vous avez des souvenirs d’enfance liés au cinéma ?
Chaplin est ses « Temps Modernes » et « Feux de la Rampe », j’adore ! « La grande Vadrouille » aussi ! J’ai tellement d’affection pour Bourvil. J’aime le duo qu’il formait avec de Funès.
Sinon, plus tard, « Labyrinth » avec David Bowie. Un film étrange qui m’a marqué. Une histoire féérique et fantastique.  La trilogie du « Seigneur des Anneaux », je craque complètement ! « Brazil » est un film qui m’a marqué profondément. Je ne l’ai pas vu toute jeune, mais il  m’a marquée.  Je l’ai revu 10 fois je pense. « Itinéraire d’un enfant gâté », un film qui m’a vraiment parlé.
Mes films fétiches : « Misery » et « Dolores Claiborne ». Kathy Bates est vraiment une référence pour moi. Ce genre de film, c’est extraordinaire. Un huis-clos qui se rapproche terriblement du théâtre. La caméra vient te chercher et prendre des choses dont tu n’es absolument pas consciente. Quand je vois un film comme « Misery », je pense très fort au théâtre.
Je suis aussi de la génération du « Grand Bleu ». J’en ai dansé des slows sur la musique du « Grand Bleu » ! On rêvait de danser dans les bras de Jean-Marc Barr (rires)... Un film que j’ai adoré aussi, c’est « Le Nom de la Rose ». Jean-Jacques Annaud laisse le temps aux acteurs et à l’histoire d’avancer.
Quant à Woody Allen,  jouer sous sa direction fait partie de mes rêves.
Et Almodovar, un de mes réalisateurs préférés. Je ne peux pas passer à côté de lui. « Tout sur ma Mère » est un de mes films préférés. Almodovar  parle des femmes avec une telle vérité, comme s’il allait voir au fond de notre âme. Ça bouscule. J’aime ce côté cynique. C’est un peu dur,  ça secoue un peu les gens, on avale moins facilement. C’est coloré et pimenté, comme devrait être la vie.
Sinon, je suis amoureuse de tellement de réalisateurs et d’acteurs, qu’ils soient vivants ou morts ! Mais Javier Bardem, là, je ne me contrôle plus (éclats de rire)…
Il y a quelque chose de surprenant avec les comédiens ou les réalisateurs belges, c'est que vous osez presque tout! Comment expliquez-vous qu'un film belge se reconnaisse à des kilomètres? Y-a-t-il une approche du cinéma typiquement belge?
En Belgique, on se pose moins de questions inutiles. J’ai l’impression que l’on a plus tendance à se dire : « Allez hop, on y va ! ».
 Il y a tant de choses à prendre dans notre culture, dans notre différence, pour autant que l’on soit capable d’en sourire, d’en rire ou d’aller en chercher l’émotion.
Dans certains autres pays, la France par exemple, les choses sont parfois trop « lissées ». Les acteurs sont peut-être dans un travail un peu plus « conventionnel ». Peut-être cela manque un peu de folie. Racontons de belles histoires et puis c’est tout !  C’est vrai que l’on ose plus.  Le culot, le fait d’aller au bout de ce que tu as envie de faire, c’est une qualité. Parfois, il faut juste que l’acteur soit bien accompagné et que les acteurs ne se maintiennent pas dans leur registre habituel.  C’est la combinaison de toutes ces choses.  Et il y a aussi énormément de très bons scénaristes en Belgique.
Mais quand on voit un film comme « Little Miss Sunshine », c’est un univers un peu fou où tout est permis. Il n’y a donc pas qu’en Belgique que cela est possible.
Quelle relation avez-vous avec votre image ? Dans « Hasta la Vista » par exemple, vous n’avez  pas vraiment été ménagée…
J’adore me transformer pour un rôle, et m’enlaidir fait partie du jeu. Dans le personnage de Claude, cela m’apparaissait important. Que les gens se posent la question si je me lave les cheveux tous les jours ou pas  (rires)… c’est jouissif de jouer comme cela. C’est la différence et l’extraordinaire qui sont jouissifs, pas ce qui est conventionnel. L’évolution du personnage de Claude s’ouvre progressivement à la vie et s’ouvre à l’amour, redécouvre son corps. Au départ, elle se cache dans un corps qui est aride.
A chaque fin de projection d’ « Hasta la Vista », c’était un vrai plaisir d’arriver sur scène. Les gens découvraient qui j’étais vraiment, plutôt femme au quotidien. De voir la tête des gens, c’était un vrai bonheur.
Esthétiquement parlant, quand on voit Brel, il n’avait pas peur du « ridicule » : sa façon de rouler ses « r », de se déformer la mâchoire, c’est fabuleux !
«Hasta la Vista » est un film « particulier », qui aborde un sujet tabou (ndlr : la sexualité tarifée pour personne en situation de handicap). Qu’est-ce qui vous a fait accepter le rôle de Claude ?
Quand j’ai lu le scénario pour la première fois, j’étais sur une aire de parking. Yolande Moreau, qui devait interpréter le rôle de Claude n’a pas pu le faire et je devais prendre une décision rapidement.
J’ai ri, j’ai pleuré, j’ai ri et j’ai repleuré. Le scénario est riche, relevé et dynamique. Tu es pris aux tripes et tout à coup tu éclates de rire. Dans le drame tu peux aussi rire. Comme dit Geoffrey Enthoven : « C’est la confiture qui fait passer le propos » et du coup, on ne tombe pas dans le mélo.
Geoffrey Enthoven voulait que l’on oublie le handicap et le scénario est très bien écrit dans ce sens : ce sont juste trois mecs qui ont envie de vivre leur vie de mecs. Le fait d’avoir ri et pleuré tous ensemble, cela remet les choses à leur place. Ce sont des hommes et des femmes qui ont des désirs, des fantasmes, des frustrations.  
Ce film m’a permis de créer des amitiés avec des personnes en situation de handicap qui sont très militantes. Je décide de défendre un sujet, mais je ne veux pas m’étendre politiquement sur le sujet, car je suis d’abord une actrice, mais je sais que ma voix peut aider pour certaines choses et je m’engage à faire ce que je peux. C’est un grand mot, mais si je peux aider, je le ferai. Je veux m’engager humainement, mais pas politiquement. Je ne suis pas convaincue que la politique fera avancer beaucoup de choses, mais l’humain oui. Je crois fondamentalement en l’humain.
 
 
Quels sont vos projets ?
J’ai beaucoup de chance, Claude Lelouch m’a proposé de tourner dans son prochain long métrage. Je ne sais pas encore dans lequel, ce sera pour 2013. C’est une grande aventure. Je suis impatiente, heureuse et émue. C’est un grand rêve qui se réalise. Il l’a annoncé lors d’une avant-première d’ « Hasta la Vista ». Je suis très émue.
Sinon, un long métrage que j’ai écrit. Cela parle de l’identité. Je cherche des producteurs pour le moment.
Et je viens d’être nominée dans la catégorie « second rôle » au Festival du film d’Ostende. Je suis heureuse, « Hasta la vista » a ouvert de belles portes et c’est magnifique. Je connais tellement d’acteurs autour de moi qui ont moins de chance, parce que c’est souvent des histoires de rencontres, de bons moments. La bonne étoile est là… et j’ai encore vu une étoile filante hier soir…



Merci Isabelle De Hertogh !

Propos recueillis par téléphone entre la mi-juillet et le 29 août 2012 / Cinécution

lundi 27 août 2012

CITIZEN KANE VS VERTIGO

Au début du mois d'août: cataclysme! Le British Film Institute, par le biais de son magazine Sight and Sound, publiait sa liste des 250 meilleurs films. Ce sondage, effectué tous les 10 ans, auprès de différents critiques, journalistes, diffuseurs du monde entier, a révélé pour cette nouvelle édition, une énorme surprise: "Citizen Kane" d'Orson Welles qui trônait en chef-d'oeuvre incontesté depuis 50 ans a été "battu" par "Vertigo" d'Alfred Hitchcock!
En ce qui me concerne, ce furent là les prémices de la fin du monde annoncée par les Mayas pour décembre de cette année...


Passé le premier choc (oui, ceux qui me connaissent ou qui lisent ce blog, savent pertinemment que "Citizen Kane" c'est LE film!!), et la nouvelle plus ou moins bien digérée, voici le moment de mettre mon grain de sel dans ce choix pour le moins étonnant, lorsque l'on sait qu'il y a un avant et un après "Citizen Kane".
J'avais aussi dit que je ne parlerais jamais de "Citizen Kane", tant ce film est exceptionnel, tant sur le fond que sur la forme, qu'il est pour moi inattaquable, et qu'à part dire qu'il faut absolument le voir, et qu'il change à tout jamais la façon de regarder des films, je ne pourrais rien en dire, ou alors on m'en voudrait d'en dire autant! Donc, comme le veut l'adage :"Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis": Xanadu, here I am!



"Citizen Kane, le géant fragile" pour reprendre les termes de François Truffaut, est sorti aux États-Unis en 1941. Orson Welles n'était pas un inconnu, c'était même plutôt une célébrité outre-atlantique, notamment grâce à l'adaptation radiophonique de "La Guerre des Mondes" de H.G. Wells (!). Il a aussi monté un "Jules César" de Shakespeare sur Broadway qui fit sensation, notamment par la dimension fasciste qu'il donna au personnage de Jules César. Bref, Welles est d'ores et déjà considéré comme un génie par les journaux corporatifs hollywoodiens qui lorsqu'ils n'entendent rien de lui, font leurs titres avec ces mots: "Silence, un génie travaille".

Toujours selon François Truffaut, ce film est "...total : psychologique, social, poétique, dramatique, comique, baroque. "Citizen Kane" est tout à la fois une démonstration de la volonté de puissance et une dérision de la volonté de puissance, un hymne à la jeunesse et une méditation sur la vieillesse, un essai sur la vanité de toute ambition humaine en même temps qu'un poème sur la décrépitude et, derrière tout cela, une réflexion sur la solitude des êtres exceptionnels, génies ou monstres, monstrueux génies"...  ou encore: "Contrairement au débutant craintif qui s'efforce de tourner un bon film qui lui permettra de s'immiscer dans l'industrie, Orson Welles, à cause de sa réputation considérable, était contraint de tourner LE film, celui qui les résumerait tous et préfigurerait ceux à venir, eh bien, mon Dieu, nous voyons bien aujourd'hui que ce pari délirant a été tenu". Tout est dit!




Première innovation: la caméra subjective. Welles utilise la caméra presque comme un personnage et qui de part sa position, donne son opinion sur une scène. A ce propos d'ailleurs, il a inversé le "pouvoir" de la plongée et de la contre-plongée, déstabilisant totalement le spectateur, mais donnant également un regard plus distant et plus critique sur les scènes. Et on sait dès le départ, que la caméra va être notre propre regard, dès l'instant où elle transgresse le "no trepassing" accroché au portail de Xanadu. Oui, nous devenons voyeurs...

Deuxième innovation: les profondeurs de champs. Non pas qu'il ait été le premier à utiliser les profondeurs de champs, mais leur longueur et leur utilisation systématique sont autant d'innovations. Pas un plan sans profondeur. Et tous les degrés de plan sont nets. Ce qui donne un aspect incroyable à l'image.

Troisième innovation: les effets spéciaux et les trucages sont remarquables pour l'époque. Les décors et les toiles peintes, l'utilisation des diapositives pour figurer des fonds. Effets spéciaux qui sont l'oeuvre de l'extraordinaire Vernon L. Walker. Les flashbacks sont aussi incroyables, par le fait qu'ils sont chronologiques. Ce qui n'est d'ordinaire pas le cas.

Et cette bande-son incroyable, enivrante, complète et dense. Superposition de dialogues qui donne le tournis...mais qui est probablement "une des plus inventives de l'histoire du cinéma" dixit Truffaut, encore!

Je ne suis pas une spécialiste, je suis juste une passionnée, mais ce film, même si l'on ne possède que peu ou pas de connaissances cinématographiques est une évidence. Il est révolutionnaire!



Dans "Vertigo", qui date de 1958, Hitchcock utilise également la caméra subjective (merci qui?). Bien sûr il y a aussi son lot d'innovations, notamment le travelling compensé utilisé dans la scène de la cage d'escaliers pour donner un sentiment d'angoisse et pour refléter le sentiment de vertige ressenti par le personnage de James Stewart. Les effets spéciaux sont aussi présents, et cela de manière ostensible... et la musique de Bernard Herrmann est incroyable.



Je ne vais pas descendre "Vertigo", un film que j'adore et que je considère, comme plein d'autres gens, comme un film à voir absolument. Mais rendons à Orson ce qui est à Orson!

Nick James, le rédacteur en chef de Sight and Sound a réagi de la façon suivante: "Je me souviens que j'espérais au dernier classement que "Citizen Kane" soit battu mais que ça n'arrivait jamais. Cette fois, je suis ravi!". Il a même esquissé une tentative d'explication en disant que les gens devenaient plus sensibles aux films personnels qui peuvent faire écho à leur propre vie. Quand on sait que Hitchcock a confié lors d'une interview à François Truffaut (oui, toujours lui... oui, je l'aime!) que le personnage de James Stewart était nécrophile... je souhaite ardemment que cela n'ait que peu d'écho dans les vies de ceux qui sont "plus sensibles aux films personnels"...



Rendez-vous pris dans 10 ans donc pour découvrir si "Vertigo" saura conserver sa première place. En ce qui me concerne: Orson for ever and ever! Et Alfred, on dit: Merci Orson!



PS: citer François Truffaut était une obligation, au-delà de mon admiration pour cet homme, car il a rendu un vibrant hommage à Welles dans "La Nuit américaine" et un non moins grand hommage à Hitchcock avec son livre-entretien "Le Cinéma selon Alfred Hitchcock", le fameux "Hitchbook".


Votre Cinécution