Lorsque j'ai vu "Hasta la Vista" de Geoffrey Enthoven, j'ai tout de suite eu beaucoup d'affection pour le rôle de Claude tenu par Isabelle De Hertogh. J'ai eu envie de la contacter et de l'inviter sur mon blog. Isabelle a tout de suite accepté. Et quelle belle rencontre! Une femme pleine de vie, malicieuse, sensible, solaire et pleine d'humour. Au fur et à mesure des entretiens téléphoniques, la sensation de se connaître depuis de nombreuses années. Une jolie complicité. Je vous invite à découvrir une femme qui croit en sa bonne étoile...
Si l'on regarde votre parcours, on a l'impression que vous étiez presque exclusivement destinée à la scène: art dramatique, clown, mime, musique... Comment s'est passé votre première rencontre avec le cinéma?
Ma toute première rencontre c’était avec un film d’André Chandelle : « Les Hirondelles d’hiver », en 1999. Il y avait 2 rôles de bonnes sœurs : la « grosse sœur » et la « jolie sœur », pourtant ce n’est pas incompatible il me semble… J’ai donc eu le rôle de la grosse sœur (rires)… Je n’avais pas grand-chose à dire. Quand j’ai goûté au cinéma, j’ai découvert quelque chose qui m’amenait à un réel retour à l’enfance, un réel plaisir du jeu. C’est l’expression de l’éphémère. Il faut avoir tous les sens en éveils. Ce petit moment au cinéma a décuplé mes plaisirs ! J’étais en tenue de bonne sœur, on ne voyait pratiquement que mes yeux. Une personne de France 2 a remarqué mon regard. Je n’ai jamais passé avec insistance de très gros castings. C’est une succession de rencontres.
Au départ j’étais plutôt théâtre. J’ai fait le Conservatoire royal de Bruxelles. Puis une succession de stages et de spectacles de clown ou de mime. J’ai aussi une formation en musique, chant, danse.
Mes parents étaient issus du milieu de la médecine. Mon papa est endocrinologue et maman, secrétaire médicale. Ils portaient un grand intérêt pour la culture. Pour toutes les cultures : peinture, sculpture, théâtre, opéra, musique. Ils m’ont ouvert l’esprit sur beaucoup de choses. Ils ont tenté de me faire faire un métier sécurisant. Mais je voulais vraiment être comédienne.
Quand j’avais 4 ans, je créais des mises en scènes et je réunissais toute la famille dans le salon pour 45 minutes voire 1 heure. Mes frères devenaient dingues d’avoir une petite sœur aussi bavarde (rires). Je racontais beaucoup d’histoires et je m’amusais à parler toutes les langues. Et j’y croyais vraiment (rires)… Aux scouts aussi j’ai monté des spectacles.
J’ai toujours été dans la création, dans l’écriture. J’avais 1000 histoires à raconter tout le temps (rires)... J’ai d’ailleurs écrit un scénario en co-scénariste avec une amie. On peut sortir tellement d’émotions avec les mots, de belles, riches histoires.
J’ai fait beaucoup de spectacles avec toute une bande de copains du Conservatoire royal de Bruxelles (entre autres avec Virginie Hocq). Pendant plusieurs années on a monté des spectacles comme « Les Héros de notre Enfance » de Michel Tremblay, tout ça avant d’être engagés plus officiellement dans des théâtres.
J’ai eu beaucoup de chance. Je considérais que je n’avais pas un physique facile (et c’est aussi ce qu’on me disait au conservatoire) et qu’il faudrait que j’attende un moment pour que cela démarre. C’est le désir et la curiosité qui ont créé les choses. J’ai été clown dans les hôpitaux. Tout était bon pour raconter des histoires, pour avoir un public.
A vous entendre, on sent un réel amour du cinéma…
J’ai toujours adoré le cinéma. Quand je suis face à un film, j’entre dedans et je suis complètement envahie pour tout ce qu’il raconte. Je suis complètement nourrie par le film et je me fais littéralement avoir (rires). Les émotions, que ce soit le rire ou la tristesse, me suivent plusieurs heures après la projection. Au cinéma, je suis comme une gamine : « Ouais, ça commence enfin ! » (rires)… Je ne suis pas en train de bouffer mes popcorns, je suis comme une gamine et j’attends que ça commence.
J’ai retrouvé cela chez Claude Lelouch, qui a distribué « Hasta La Vista » : il parle du cinéma comme un spectateur amoureux, qui aime être pris par surprise par un film. Un homme généreux et curieux.
Vous avez des souvenirs d’enfance liés au cinéma ?
Chaplin est ses « Temps Modernes » et « Feux de la Rampe », j’adore ! « La grande Vadrouille » aussi ! J’ai tellement d’affection pour Bourvil. J’aime le duo qu’il formait avec de Funès.
Sinon, plus tard, « Labyrinth » avec David Bowie. Un film étrange qui m’a marqué. Une histoire féérique et fantastique. La trilogie du « Seigneur des Anneaux », je craque complètement ! « Brazil » est un film qui m’a marqué profondément. Je ne l’ai pas vu toute jeune, mais il m’a marquée. Je l’ai revu 10 fois je pense. « Itinéraire d’un enfant gâté », un film qui m’a vraiment parlé.
Mes films fétiches : « Misery » et « Dolores Claiborne ». Kathy Bates est vraiment une référence pour moi. Ce genre de film, c’est extraordinaire. Un huis-clos qui se rapproche terriblement du théâtre. La caméra vient te chercher et prendre des choses dont tu n’es absolument pas consciente. Quand je vois un film comme « Misery », je pense très fort au théâtre.
Je suis aussi de la génération du « Grand Bleu ». J’en ai dansé des slows sur la musique du « Grand Bleu » ! On rêvait de danser dans les bras de Jean-Marc Barr (rires)... Un film que j’ai adoré aussi, c’est « Le Nom de la Rose ». Jean-Jacques Annaud laisse le temps aux acteurs et à l’histoire d’avancer.
Quant à Woody Allen, jouer sous sa direction fait partie de mes rêves.
Et Almodovar, un de mes réalisateurs préférés. Je ne peux pas passer à côté de lui. « Tout sur ma Mère » est un de mes films préférés. Almodovar parle des femmes avec une telle vérité, comme s’il allait voir au fond de notre âme. Ça bouscule. J’aime ce côté cynique. C’est un peu dur, ça secoue un peu les gens, on avale moins facilement. C’est coloré et pimenté, comme devrait être la vie.
Sinon, je suis amoureuse de tellement de réalisateurs et d’acteurs, qu’ils soient vivants ou morts ! Mais Javier Bardem, là, je ne me contrôle plus (éclats de rire)…
Il y a quelque chose de surprenant avec les comédiens ou les réalisateurs belges, c'est que vous osez presque tout! Comment expliquez-vous qu'un film belge se reconnaisse à des kilomètres? Y-a-t-il une approche du cinéma typiquement belge?
En Belgique, on se pose moins de questions inutiles. J’ai l’impression que l’on a plus tendance à se dire : « Allez hop, on y va ! ».
Il y a tant de choses à prendre dans notre culture, dans notre différence, pour autant que l’on soit capable d’en sourire, d’en rire ou d’aller en chercher l’émotion.
Dans certains autres pays, la France par exemple, les choses sont parfois trop « lissées ». Les acteurs sont peut-être dans un travail un peu plus « conventionnel ». Peut-être cela manque un peu de folie. Racontons de belles histoires et puis c’est tout ! C’est vrai que l’on ose plus. Le culot, le fait d’aller au bout de ce que tu as envie de faire, c’est une qualité. Parfois, il faut juste que l’acteur soit bien accompagné et que les acteurs ne se maintiennent pas dans leur registre habituel. C’est la combinaison de toutes ces choses. Et il y a aussi énormément de très bons scénaristes en Belgique.
Mais quand on voit un film comme « Little Miss Sunshine », c’est un univers un peu fou où tout est permis. Il n’y a donc pas qu’en Belgique que cela est possible.
Quelle relation avez-vous avec votre image ? Dans « Hasta la Vista » par exemple, vous n’avez pas vraiment été ménagée…
J’adore me transformer pour un rôle, et m’enlaidir fait partie du jeu. Dans le personnage de Claude, cela m’apparaissait important. Que les gens se posent la question si je me lave les cheveux tous les jours ou pas (rires)… c’est jouissif de jouer comme cela. C’est la différence et l’extraordinaire qui sont jouissifs, pas ce qui est conventionnel. L’évolution du personnage de Claude s’ouvre progressivement à la vie et s’ouvre à l’amour, redécouvre son corps. Au départ, elle se cache dans un corps qui est aride.
A chaque fin de projection d’ « Hasta la Vista », c’était un vrai plaisir d’arriver sur scène. Les gens découvraient qui j’étais vraiment, plutôt femme au quotidien. De voir la tête des gens, c’était un vrai bonheur.
Esthétiquement parlant, quand on voit Brel, il n’avait pas peur du « ridicule » : sa façon de rouler ses « r », de se déformer la mâchoire, c’est fabuleux !
«Hasta la Vista » est un film « particulier », qui aborde un sujet tabou (ndlr : la sexualité tarifée pour personne en situation de handicap). Qu’est-ce qui vous a fait accepter le rôle de Claude ?
Quand j’ai lu le scénario pour la première fois, j’étais sur une aire de parking. Yolande Moreau, qui devait interpréter le rôle de Claude n’a pas pu le faire et je devais prendre une décision rapidement.
J’ai ri, j’ai pleuré, j’ai ri et j’ai repleuré. Le scénario est riche, relevé et dynamique. Tu es pris aux tripes et tout à coup tu éclates de rire. Dans le drame tu peux aussi rire. Comme dit Geoffrey Enthoven : « C’est la confiture qui fait passer le propos » et du coup, on ne tombe pas dans le mélo.
Geoffrey Enthoven voulait que l’on oublie le handicap et le scénario est très bien écrit dans ce sens : ce sont juste trois mecs qui ont envie de vivre leur vie de mecs. Le fait d’avoir ri et pleuré tous ensemble, cela remet les choses à leur place. Ce sont des hommes et des femmes qui ont des désirs, des fantasmes, des frustrations.
Ce film m’a permis de créer des amitiés avec des personnes en situation de handicap qui sont très militantes. Je décide de défendre un sujet, mais je ne veux pas m’étendre politiquement sur le sujet, car je suis d’abord une actrice, mais je sais que ma voix peut aider pour certaines choses et je m’engage à faire ce que je peux. C’est un grand mot, mais si je peux aider, je le ferai. Je veux m’engager humainement, mais pas politiquement. Je ne suis pas convaincue que la politique fera avancer beaucoup de choses, mais l’humain oui. Je crois fondamentalement en l’humain.
Quels sont vos projets ?
J’ai beaucoup de chance, Claude Lelouch m’a proposé de tourner dans son prochain long métrage. Je ne sais pas encore dans lequel, ce sera pour 2013. C’est une grande aventure. Je suis impatiente, heureuse et émue. C’est un grand rêve qui se réalise. Il l’a annoncé lors d’une avant-première d’ « Hasta la Vista ». Je suis très émue.
Sinon, un long métrage que j’ai écrit. Cela parle de l’identité. Je cherche des producteurs pour le moment.
Et je viens d’être nominée dans la catégorie « second rôle » au Festival du film d’Ostende. Je suis heureuse, « Hasta la vista » a ouvert de belles portes et c’est magnifique. Je connais tellement d’acteurs autour de moi qui ont moins de chance, parce que c’est souvent des histoires de rencontres, de bons moments. La bonne étoile est là… et j’ai encore vu une étoile filante hier soir…
Merci Isabelle De Hertogh !
Propos recueillis par téléphone entre la mi-juillet et le 29 août 2012 / Cinécution