« Mon nom
est Pierre Mignon. Je travaille depuis plus de dix ans en tant que cadre moyen
dans le service des ventes de mon entreprise, la Toys International Ltd. J’aspire
au poste de Directeur des ventes, afin que s’ouvrent pour moi les lourdes
portes de la Direction générale, le but suprême de toute ma vie. »
Pierre Mignon est né sous la plume de Christophe
Vauthey. Ce vaudois de naissance parcourt le monde depuis plus de 20 ans. Son
tour du monde, si l’on peut l’appeler ainsi, a débuté avec son engagement au
sein du Département fédéral des affaires étrangères en 1994. De Stuttgart à Moscou,
en passant par Bratislava, San Francisco, Los Angeles et depuis une dizaine de
jours Rio de Janeiro, Christophe Vauthey s’attèle à promouvoir la culture
suisse à l’étranger. Ce sémillant et fringant consul général adjoint, papa de
deux enfants adolescents, possède plusieurs talents et plusieurs passions.
Cinéphile dans l’âme, il a tout d’abord produit des films, avant d’écrire des
scénarios et finalement réaliser deux courts métrages. L’écriture ? C’est
depuis toujours. Mais ce n’est que récemment qu’il a trouvé le courage de
montrer ses écrits. Ecrire, pour lui, c’est une volonté de raconter des
histoires, de faire vivre des personnages. Son premier roman, Carnets noirs, sommeillait dans des
tiroirs depuis de nombreuses années. Et plusieurs romans sont, nous confie-t-il,
déjà écrits. Il est accro à l’écriture, et impatient de pouvoir faire découvrir encore
de nombreuses histoires.
Deux choses sont essentielles dans la vie de Mignon :
sa carrière et son sexe ! Ce « machin
qui gratte par grand froid et colle par grande chaleur ». On apprend à
le connaître, presque à l’aimer, malgré l’usage intempestif qu’en fait son propriétaire.
Comme nous sommes, durant tout le récit dans la tête de Pierre Mignon, nous le
croisons régulièrement cet appendice, source de réflexion intense pour ce cadre
moyen. Bref, nous sommes dans la tête d’un mec !
Ce monologue intérieur, cruel et cynique, est
jubilatoire. Il l’est parce que nous ne sommes pas les cibles des attaques de
ce Mignon. Et l’être humain est ainsi fait qu’il prend quelques fois plaisir à
voir d’autres se faire dégommer à sa place. Plongée en apnée dans le
libéralisme extrême.
L’écriture de Christophe Vauthey est fluide. Proche
du langage parlé, il donne encore plus de réalisme à cette folle histoire. Ne l’oublions
pas, nous suivons, page après page, les réflexions que se fait Pierre Mignon.Nous partageons ses yeux, ses goûts,
ses envies. Nous subissons ses contrariétés. Tout cela nous conduira-t-il à son ascension fulgurante ou à sa
chute brutale ? A vous de lire.
Christophe Vauthey |
Pourquoi avoir appelé votre personnage Pierre Mignon, alors qu’il ne l’est vraiment pas ?
Ça m’est venu comme cela, sans trop y penser !
J’aimais bien l’idée qu’un être aussi abject puisse répondre à un nom aussi
innocent. A un moment donné, il dit même : « Je n’ai de mignon que le
nom », comme pour s’en excuser.
Bien plus qu’ambitieux,
Pierre Mignon est arriviste et opportuniste. Pour avoir su si bien le croquer,
en avez-vous croisé beaucoup ?
Comme le dit si bien mon ami Carlos Leal dans sa
préface, on a tous en nous quelque chose de Mignon. Moi y compris ! Plus
qu’une personne que j’ai rencontré dans ma vie, j’ai essayé de faire de Mignon un
prototype du 21ème siècle où l’individualisme et l’égocentrisme
règnent en roi. Je pense qu’au bout du compte, Mignon est devenu tel qu’il est
parce qu’il souffre profondément de solitude. C’est marrant de constater que l’on
vit dans une époque où malgré les réseaux sociaux, et la multiplication d’amis
virtuels, les gens sont de plus en plus seuls. Mignon n’est donc pas un cas
isolé.
Une fabrique de jouets… pas vraiment le genre d’entreprise où l’on s’imagine croiser un tel individu. Est-ce pour nous montrer que des Pierre Mignon, il en pousse à chaque coin de rue ?
Là aussi, je voulais véhiculer un cliché du monde
globalisé dans lequel nous vivons, J’aimais l’idée que le décor de cette fable
moderne soit une multinationale dont le siège est en Occident et qui fasse des
bénéfices colossaux en vendant des jouets fabriqués dans un pays du tiers-monde.
Après pourquoi les jouets ? Peut-être comme une métaphore de ce que vivent
les cadres de la Toys qui ont finalement un comportement enfantin dans l’adversité.
Rocky, Rambo
III, une allusion (pas très flatteuse) aux films de Godard, le cinéphile que
vous êtes a-t-il dû se faire violence pour ne pas faire plus de références ?
Il est clair que j’aurais pu faire des références
cinématographiques à chaque page, car moi, je suis cinéphile. Par contre, je ne
suis pas sûr que notre ami Mignon le soit, lui. Je pense que Pierre Mignon ne s’est
pas rendu au cinéma depuis belle lurette. En plus d’un refus viscéral de se mêler
à ses semblables, je pense qu’il ne supporterait pas la compagnie des mangeurs
de popcorn et qu’il pourrait tuer pour ça. Moi, parfois, je suis à deux doigts
de le faire.
Sans
dévoiler la fin de votre roman, pourquoi ne pas vous être arrêté à la fin du « je » ?
Ah, la fin… Elle a donné beaucoup matière à
discussion. Après ce final où tout s’emballe, je voulais que l’on sache ce qu’il
advient de tous les protagonistes et bien sûr de Mignon. Pour cela, il fallait
que le narrateur prenne le dessus. De toute façon, durant tout le reste du
livre, le moi/je de Mignon est permanent.
Déjà de
nouveaux projets en tête ?
Rayon littérature, j’ai déjà quelques romans
terminés et continue de travailler sur quelques autres récits. Pour le cinéma,
je travaille sur un documentaire qui sera terminé à l’automne 2014 et espère
vivement pouvoir trouver un projet à réaliser au Brésil. Je me laisse porter au
gré de mes inspirations et de mes envies. Je suis aussi très heureux et excité
par les deux projets musicaux dans lesquels je suis impliqué à Los Angeles.
Vous n’avez pas fini d’entendre parler de moi.
On se réjouit de la suite, Christophe!
Carnets noirs, Christophe Vauthey - éd. Xénia, 2014
ST / 13 avril 2014