jeudi 29 mai 2014

LE DEMANTELEMENT - Sébastien Pilote - 2013


 
Toutes les personnes qui ont fréquenté la dernière édition du Festival international de films de Fribourg (FIFF) se souviennent de ce sublime film québécois. J’en ai croisé certaines ces dernières semaines et c’est un des films qui les a profondément marquées.

Comme déjà évoqué à l’époque du FIFF, je suis tombée en amour. C’est comme cela que l’on dit lorsque l’on tombe amoureux dans la Belle Province. Et c’est pour un cinéma que j’ai eu un coup de foudre, un coup de soleil, un coup d’amour, un coup de « je t’aime »… Ce cinéma, c’est celui de Sébastien Pilote ce talentueux cinéaste québécois né à Chicoutimi.

Le cinéma de Sébastien Pilote est un des plus tendres qu’il m’ait été donné de voir. Tendre, mais dur et réaliste aussi. Il dose savamment traits d’humour et moments de grâce. Pilote dresse, avec délicatesse, des portraits de monsieur-tout-le-monde. C’est le cas dans Le Vendeur, son précédent long métrage, et c’est également le cas dans le film qui nous occupe aujourd’hui : Le Démantèlement.

 
Sébastien Pilote se penche sur le destin d’un éleveur de moutons qui tient à flots, à bout de bras et sans compter ses heures de travail, le domaine agricole familial légué par son père. Les difficultés économiques poussent bon nombre de ses collègues à vendre leurs biens. Gaby, magistral et émouvant Gabriel Arcand, résiste. Mais il devra un jour lui aussi se poser la question du démantèlement de sa ferme. Bien que jusqu'ici il était d'avis qu'un tel bien se transmettait et non se vendait. La vie le met face à cette décision douloureuse.
 

Le cinéaste québécois met en avant les relations familiales fortes entre un père et ses filles, avec une tendresse qu’il m’est difficile de décrire ici avec des mots. Décrites avec tellement de tendresse, ces relations sont belles et complexes.Vous êtes régulièrement émus, qui plus est à des moments où vous ne vous y attendez pas. Parce que oui, le cinéma de Sébastien Pilote est honnête et sincère. Il ne joue pas avec nos sentiments. Il ne cherche pas, consciemment du moins, à nous tirer les larmes des yeux. Mais le fait est que les situations évoquées nous parlent. Nous avons toutes et tous, un élément de notre biographie qui nous saute à la gorge et au cœur à un moment ou un autre.

Les paysages quant à eux sont magnifiquement filmés. On sent un cinéaste proche de sa terre et respectueux de la nature. Ces grands espaces dépeuplés soulignent un peu plus la solitude et l’isolement que vit Gaby. Ses filles, qui vivent à 6 heures de route, ne prennent que rarement le temps de venir le voir. Il ne l’exprime pas clairement, mais cela lui pèse. Gaby ferait n’importe quoi pour les voir plus souvent. Pour pouvoir participer de manière plus active à leurs vies, en les soutenant dans leurs projets et en les encourageant. Son travail l’en empêche. Et c’est tout en retenue qu’il exprime son grand amour pour ses princesses.
 
 

Le cinéma québécois rayonne depuis une bonne vingtaine d’années avec notamment Denys Arcand – qui a oublié Le déclin de l’Empire américain, Jésus de Montréal  ou Les Invasions barbares ? - ou plus récemment Xavier Dolan, avec les sensibles (mais néanmoins durs) Les Amours imaginaires  , Laurence Anyways  ou encore l’inquiétant Tom à la Ferme. Il faut désormais ajouter à cette liste Sébastien Pilote dont le cinéma tout en subtilité et finesse n’a certainement pas fini de nous bouleverser.

A voir au REX à Fribourg. Courez, volez, téléportez-vous, mais faites en sorte d’y aller !
 
 

Et si vous n'arrivez vraiment pas à aller le voir en salle, sachez que Blaq Out vient de l’éditer en DVD.
 

ST/29 mai 2014

LES RENCONTRES D'APRES MINUIT - Yann Gonzalez - 2013


Mettez un peu de Cocteau dans un bol, ajoutez-y quelques grammes de Buñuel puis une pointe de Dario Argento. Pour l’emballage, une image volée à Robbe-Grillet (La Belle Captive). Vous obtenez Les Rencontres d’après Minuit  de Yann Gonzalez.

Loin, très loin, d’être un « fous-y tout » de cinéaste cinéphile, Les Rencontres d’après Minuit  est un film très personnel qui mélange avec grâce et dureté, sexe, mort, mélancolie et poésie.

Ali et Matthias, accompagnés par leur gouvernante travestie Udo, attendent dans leur appartement fantôme, leurs invités. Dans la nuit, La Chienne, l’Etalon, l’Adolescent et la Star doivent les rejoindre. Au programme : une orgie. Les invités arrivent les uns après les autres, incarnant chacun un stéréotype qui volera en éclat à l’évocation d’un souvenir, à la réminiscence d’un rêve ou lorsque la mort s’invitera.

 
 
Alors même que dans les premières minutes on peut craindre un film trop intellectuel, trop mental – les dialogues, certes crus, sont très littéraires, et chaque personnage possède sa propre déclamation – Gonzalez nous capte et nous entraîne dans une fantasmagorie envoûtante et émouvante. Il nous invite à passer de l’autre côté du miroir, tel un Lewis Carroll du XXIème siècle.
 
 
Pris à témoin par Ali, qui nous interroge en fixant la caméra – et maintenant ? -  nous rejoignons cette étrange petite famille d’ « immortels » dans un voyage de sensualité et de tendresse. Brutal par moment, le récit nous bouleverse. Et nous sommes touchés par cette recherche d’amour et de reconnaissance constante. Le désir de chaque personnage de s’échapper du rôle que lui a imposé la vie est tellement fort qu’il transcende l’écran. Il nous vient alors à l’esprit cette réplique effrayante de vérité de La Belle Captive d’Alain Robbe-Grillet : « Voyez-vous cher monsieur, la plupart des gens que vous croisez dans la rue sont des morts ».
 
 
L’appartement dans lequel ils se rencontrent est aseptisé, ne laissant briller que quelques néons qui lui confèrent un style très années 80. D’apparence froide, il devient, grâce à ceux qui l’investissent, un cocon réconfortant, permettant à chacun de venir s’y réfugier et d’échapper ainsi à la dureté du monde qui l’entoure. L’horreur du monde actuel est évoquée avec la visite inattendue de deux policiers qui, l’espace de quelques instants, viennent inquiéter ces êtres si fragiles. Ces poupées de cristal qui se soignent au contact du groupe.

Porté par une troupe d’acteurs extraordinaires – Kate Moran, Niels Schneider, Nicolas Maury, Eric Cantona, Fabienne Babe, Alain-Fabien Delon, Julie Brémond et Béatrice Dalle- qui incarnent leurs personnages avec tellement de sensibilité qu'ils habiteront votre cœur à la fin du film, Les Rencontres d’après Minuit surprend autant qu’il envoûte.
 

Sous une apparente superficialité – décor en carton-pâte, soleil artificiel peint, néons -, une mise en scène empruntée au théâtre, de même que l’unité de temps et de lieu, Les Rencontres d’après Minuit insuffle une vague de sentiments justes, d’émotions vraies et cache en réalité une authenticité bouleversante.

Les corps se frôlent, se mélangent, les lèvres se dévorent. Subsiste au matin une sensation de béatitude, de douceur. Une confiance neuve qui naît dans l’aube orangée –bien réelle cette fois – du dernier plan du film qui nous laisse charmés et heureux d’avoir pu voir un film audacieux avec une véritable patte, qui plus est sublimé par une musique personnalisée, celle de M83. Yann Gonzalez brise tous les codes pour nous saisir à vif.
 
 

 

Disponible en DVD et Blu-ray chez Potemkine films.

ST/29 mai 2014

samedi 24 mai 2014

GRACE DE MONACO -Olivier Dahan - 2014


Il y a comme un sentiment de superficialité, de « vite fait sur le gaz », qui subsiste à la sortie de Grace de Monaco  d’Olivier Dahan, film qui a été projeté en ouverture du Festival de Cannes.

Cela fait 5-6 ans que Grace Kelly est devenue Son altesse sérénissime la princesse Grace de Monaco. Elle a déjà donné naissance à Caroline et à Albert. Elle a abandonné sa carrière d’actrice, pourtant couronnée de succès et récompensée par un Oscar pour son rôle de Georgie Elgin dans The Country Girl de George Seaton en 1954. Ses journées sont longues au Palais, et Rainier, son prince charmant, est occupé par des soucis diplomatiques. C’est alors qu’Hitchcock, avec qui elle a déjà tourné trois films, lui propose le rôle de Marnie dans Pas de Printemps pour Marnie. Un rôle écrit pour elle. Dans un premier temps elle accepte, puis déclinera l’offre. Ce sera finalement Tipi Hedren qui interprétera Marnie. Grace, qui ne maîtrise ni la langue de Molière, ni le protocole lié à son rang, se retrouve régulièrement en fâcheuse posture, du moins c’est ainsi que nous la montre Dahan. Son élégance, sa détermination à entrer dans le rôle qui sera celui de toute une vie, princesse, feront de Grace de Monaco une personnalité au rayonnement mondial et un atout de taille et de charme pour la principauté.

Olivier Dahan, dont c’est le deuxième biopic, hésite en permanence. Il hésite sur ses cadrages, sur son style. Les lumières sont confuses : tantôt l’image est baignée de lumière et on a l’impression que tout cela n’est pas réel ou alors c’est sombre et on croit à un mauvais thriller politique. On navigue entre un cinéma très arty – les gros plans décadrés de Nicole Kidman lors de son entretien intime avec Tuck, le curé de Monaco – et les réminiscences d’un cinéma hitchcockien, notamment le passage où Grace dévale les routes de Monaco. Tout cela crée la confusion. Dahan essaie de faire passer le prince Rainier (Tim Roth à côté de la plaque) pour un être aussi charismatique que JFK. En vain. Les personnages secondaires – La Callas, Aristote Onassis, Hitchcock – sont pathétiques. Totalement désincarnés.
 

Je n’ai pas compris les intentions de Dahan. Est-ce de la fascination pour le mythe Kelly ? Ou une volonté d’écorcher le conte de fée ? Si, et je cite le film « dans un palais aussi grand il arrive que l’on se perde de vue », dans un film comme celui-là aussi. On perd tout de vue.

Quant à Nicole Kidman, bien que ses traits, trop scalpelisés à mon goût, soient aussi fins que ceux de Grace Kelly, malgré son port de reine, malgré sa silhouette, malgré sa blondeur vénitienne, il lui manque une chose élémentaire : la chaleur qui se dégageait du regard de Grace. Une personnalité enveloppante, spontanée et chaleureuse. Tout cela est trop lisse… trop faussement parfait, trop artificiel. Et le talent de l’actrice australienne se noie dans l’incertitude de son réalisateur.
 
 

Dommage… En se concentrant sur une période diplomatiquement délicate pour Monaco, et un épisode décisif de la vie d’une femme, Dahan aurait pu faire ressortir de façon pertinente, et nettement moins machiste, les enjeux et les décisions fondamentales auxquels Grace Kelly a dû faire face le jour où elle a débarqué du paquebot Constitution pour épouser son  charming prince .
 
 

 

ST/ 24 mai 2014

RECYCLING LILY - Pierre Monnard - 2014


Typisch d’Schwiiz ! Typiquement la Suisse ! Qui d’autre que nous pour créer un poste d’inspecteur des déchets, de shérif du PET, d’ayatollah du sac poubelle non-conforme ? Tout un inventaire de règles pour gérer l’élimination de nos déchets en bonne et due forme. La personne responsable de veiller à la bonne application de toutes ces règles, c’est lui : Hansjörg « Jöggi » Stähli, vieux garçon d’une quarantaine d’années, qui prend son rôle très à cœur.

Son quotidien est rôdé : patrouille de contrôle dans les rues de sa petite ville, remise à l’ordre des contrevenants, et surtout, interventions d’urgence lorsqu’un sac poubelle ou un quelconque déchet n’est pas mis dans la poubelle ou le container adéquat. Dans son bureau, une multitude de classeurs répertoriant les délits d’un certain Teddy. Des canards en plastique, des détritus de toutes sortes jonchent les abords des forêts ou les jardins collectifs urbains. Teddy sévit partout, régulièrement et à toute heure. Il faut le démasquer.

Après enquête, il s’avère que Teddy est une jeune fille livrée à elle-même, Emma (la malicieuse Luna Dutli). Sa maman, Lily (Johanna Bantzer), travaille dans un fast-food, le Lucky Burger. Stähli (Bruno Cathomas) y va tous les jours pour consommer un thé avec deux crèmes, mais surtout pour voir Lily, dont il est secrètement amoureux. Stähli, décide de couvrir les agissements d’Emma. Il découvrira alors que Lily est atteinte d’une pathologique particulière : elle accumule, collectionne tout ce qui lui tombe sous la main. La comédie tourne alors au drame sociétal.

Recycling Lily ne se contente pas de véhiculer quelques clichés liés à nos mœurs, il va plus loin, mettant en avant le ridicule de certains. Toutes les maisons sont mauves. Vous savez, ce mauve années 80-90 que l’on aurait dû interdire ? Les jardins sont au carré, les rues  si propres que l'on pourrait lécher les trottoirs. La ville concourt d’ailleurs pour obtenir un prix de l’Office fédéral de l’environnement. Le maire, complètement psychotique est obnubilé par cet événement.
 
 

La vie même de « Jöggi » est atteinte de routine chronique. Une maladie terrible. Il vit encore avec sa maman, totalement accroc à Derrick et aux bâtonnets au kirsch qu’elle suce à longueur de journée. Tous les soirs, le même rituel : plateau télé, généralement un émincé de bœuf et purée de pommes de terre avec le petit lac de sauce – vous avez souri, parce que je sais que vous le faites aussi ! – un petit verre de rouge. Les assiettes posées avec précision sur de petits napperons en crochet blancs, fraîchement et méticuleusement amidonnés. L’amour qu’il porte à Lily va révolutionner son quotidien. En dire plus vous gâcherait le plaisir, croyez-moi !

Les personnages secondaires, à l’image du voisin « welsch » incarné par Claude Blanc, ou encore le tenancier-biker de la buvette préférée de « Jöggi », sont délicieux. Et je peux vous assurer que comprendre le suisse-allemand est un réel atout pour apprécier toutes les nuances de ce film haut en couleurs, filmé avec folie, poésie et talent par Pierre Monnard.
 
 

Oui, on rit beaucoup, de tous ces personnages caricaturaux, de ces petites manies de perfectionnistes aussi réputées que les coucous ou le chocolat ! Mais surtout, et c’est là la force de ce film, on est terriblement attendri par la relation qui lie Hansjörg à la petite Emma et à sa maman. Une merveille de tendresse ! Ce que l’on en retient, et qui nous poursuivra certainement, c’est qu’édicter quelques règles qui facilitent la vie communautaire, c’est bien. Ne pas s’y plier de temps en temps et s’en extraire, c’est mieux. Les appliquer à la lettre nous prive de choses élémentaires, comme l’inattendu ou la spontanéité. Et nous fait immanquablement passer à côté de l’essentiel : la vie.
 
 

ST / 23 mai 2014

vendredi 23 mai 2014

MAPS TO THE STARS - David Cronenberg - 2014


Si on vous dit : Maps to the Stars ? A quoi cela vous fait-il penser ? Immanquablement à ces cartes distribuées aux touristes et qui montrent les lieux et villas de vos stars préférées lorsque vous décidez de faire un tour du côté de Los Angeles. Un peu de rêve à portée d’appareil photo. Une grille derrière laquelle vit telle ou telle célébrité. Cronenberg nous invite derrière cette grille… et même plus que cela. Il propose une plongée dans l’intime des stars et dans l’univers impitoyable d' Hollywood. Mais il ne vous donne pas les cartes pour vous y retrouver.

Ce sont donc trois histoires parallèles. Celle de Havana Segrand (incroyable Julianne Moore), actrice has been qui court après tout ce qu’elle n’est plus : jeune et convoitée. Elle couche à peu près avec tout ce qu' Hollywood compte comme producteurs afin de décrocher un rôle tenu jadis par sa mère. Mère avec laquelle elle entretient, bien qu’elle soit morte dans un incendie, une relation compliquée. Complètement névrosée, Havana s’offre les services d’un gourou à la mode : le Docteur Sanford Weiss (John Cusack). Qui n’a de Docteur que le titre. Une espèce de charlatan des temps modernes, qui réussit à imposer sa vision du monde basée sur le pardon et des touchers rectaux comme méthodes de développement personnel. Il vit dans une grande maison, entièrement vitrée, avec sa femme et son fils, Benjie, qui à 13 ans est déjà une vedette capricieuse.

Le liant à ces trois vies se nomme Agatha (talentueuse Mia Wasikowska). Elle est la fille de Weiss, la sœur de Benjie et la nouvelle assistante de Havana. Elle sort d’un long séjour en clinique où elle a soigné sa pyromanie. 


 
Cronenberg nous montre qu’en fait, preuve à l’appui avec ces trois histoires qui s’entremêlent, qu’Hollywood est un tout petit monde. Que tout le monde se connaît, s’aime lorsqu’il le faut et se déteste cordialement le reste du temps. L’inceste qu’aurait subi Havana, ainsi que la relation entre le Docteur Weiss et sa femme (ils sont frère et sœur) représente ce microcosme. A être tellement petit et hermétique, ce petit « monde-qui-fait-rêver » fini  inévitablement à « frayer parmi ». Ce qui, selon Cronenberg, expliquerait le côté attardé et difforme des productions des grands studios hollywoodiens…  C’est cruel. Mais la cruauté est une aptitude humaine innée, de même que l’hypocrisie, dixit Mister Cronenberg toujours. Son film est en lice pour la Palme d'Or qui sera décernée samedi soir sur la Croisette... ça fait un peu mise en abîme, non?


Et de la cruauté, Maps to the Stars en regorge. De Havana qui a la capacité de se réjouir de la mort d’un enfant à Benjie qui trouve que le lymphome non Hodgkinien (une sorte de cancer) est moins vendeur que le SIDA, on ne peut que confirmer que la cruauté est bel et bien humaine. Ou encore Agatha qui est priée par Havana de bien vouloir ne pas avoir ses règles sur ses meubles qui valent une fortune… Notez que Havana et Benjie seront rattrapés par les fantômes de leur passé. Des réminiscences âpres de leur manque d’humanité.  


Cronenberg est lui-même très corrosif. Régulièrement les noms de diverses célébrités hollywoodiennes connues pour leurs frasques sont mentionnés… Il n’a pas dû se faire que des amis.

Le réalisateur de La Mouche ou plus récemment de Cosmopolis démontre qu’il n’a pas perdu de mordant et nous livre un film une nouvelle fois percutant. Les décors sont sobres et graphiques, l’atmosphère, bien que nettement moins hermétique que celle de Cosmopolis, toujours aussi bavarde. Vous devez rester concentrés… mais vous rirez beaucoup à cette représentation sans concession d’un univers où votre liberté est conditionnée par votre succès et votre immortalité assurée par les images qui subsisteront de vous .

« Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté »
Paul Eluard

On pense irrémédiablement à de grands films qui ont fait l’histoire du cinéma : Sunset Boulevard de Billy Wilder ou encore What happened to Baby Jane  de Robert Aldrich. Le personnage de Julianne Moore m’a fait penser à Bette Davis (Baby Jane) : jalouse, aigrie, cruelle, folle, mais totalement désespérée. Mais également Benji, avec son statut d’enfant star qui à 13 ans sort de cure de désintox… mais comme il le dit lui-même : « Je suis arrivé à 13 ans. C’est déjà pas mal. »

Cronenberg creuse l'âme humaine, une nouvelle fois. Alright Mister Cronenberg, we are ready for our close-ups !
 
ST/ 22.05.2014

mercredi 21 mai 2014

WELCOME TO NEW YORK - Abel Ferrara - 2014


 
 
Quelle ne fut pas ma surprise hier soir, toute occupée à voir quelles étaient les nouveautés video on demand  que me proposait mon opérateur, de découvrir que Welcome to New York, le film annoncé comme sulfureux d’Abel Ferrara, projeté en marge du Festival de Cannes samedi dernier, figurait déjà dans les highlights.

Curieuse, je le suis et je le resterai toujours. Ni une ni deux, je lance le visionnement. Mes attentes, d’ordinaire moindres voire inexistantes, sont pour le coup, très grandes. Alors, ai-je vécu une expérience cinématographique inoubliable ? Ai-je été bousculée ? Choquée ? Outrée ? Dégoûtée et déçue sont les deux seuls adjectifs qui me viennent à l’esprit.

 
D’entrée, et chose pour le moins surprenante, Depardieu s’explique : « J’ai accepté de jouer ce personnage parce que je le déteste. Je hais les hommes politiques!»… sauf un certain président russe serait-on tenté d’ajouter, mais c’est une autre histoire.

 
Gérard Depardieu incarne donc Devereaux, directeur d’une « grande institution mondiale ». Un obsédé sexuel, un sex addict comme on dit aujourd’hui, qui se rapproche plus de l’ogre et de la bête que de l’humain... Entre deux fellations joyeusement offertes par des call-girls dans son bureau - demoiselles dont il offre aussi les services à ses visiteurs- voyeurisme, triolisme, puis partouzes géantes agrémentées de crème et d’un cocktail à base de Viagra, de whisky et de glace - oui, la glace, c’est important- Depardieu éructe, parle fort, baise - faire l’amour serait par trop fleur-bleue - respire difficilement. On en vient à craindre qu’il ne claque au plan suivant… En réalité, ce ne sont que les fesses et les seins de ses partenaires sexuelles qui claquent. Du mauvais, très mauvais porno. Puis vient ce fameux jour où pris d’une nième pulsion sexuelle, de bon matin, il s’en prend à la femme de chambre. La pipe de trop. A partir de là, la vie sexuelle de Devereaux devient publique. C’est la chute.


 

Ça vous rappelle vaguement quelqu’un ? Oui, et ce n’est un secret pour personne, Welcome to New York s’inspire de faits réels, ceux de l’affaire DSK. Dominique Strauss-Kahn, ex-directeur du FMI, ex-futur-candidat-potentiel- président-de-France, ex-monsieur Anne Sinclair. Mais comme il est de bon ton de le spécifier, bien qu’inspirés de faits réels, les noms des personnages, ainsi que les événements sont pure fiction et toute ressemblance serait purement fortuite… etc… etc… Je ne vous fais pas un dessin. Ça tombe bien, je ne suis pas douée.

S’agissant de la mise en scène ou de la direction d’acteurs, elles sont inexistantes. Jacqueline Bisset –dont je garde en mémoire l’élégance, l’humour, lors de son passage sur la Piazza Grande l’été dernier- n’est vraiment pas mise en valeur dans le rôle de Simone - Anne Sinclair - face au personnage Depardieu. Leurs scènes communes, dialogues intimes d’un couple, sont d’une pauvreté linguistique affligeante. Tout comme l’entier du film en fait. Tout n’est que grossièretés et vulgarités. Les scènes donnent l’impression d’être toutes improvisées… La vie réelle, aussi inattendue et maladroite qu’elle puisse être, est bien plus créative que Ferrara. Et avouons-le, même celui qui a suivi l’affaire DSK de loin, de très loin même, en sait plus que celui ou celle qui visionnera Welcome to New York, tant le scénario est vide, proche du néant.

Pour citer Depardieu, dans un de ses vrais rôles : « On est pas bien là, à la fraîche, décontractés du gland ? » Ben non… et on souhaiterait que le gland de Devereaux soit justement un peu plus décontracté, et pas seulement dans la scène de fouille intégrale. Un film que l’on peut envoyer valser sans regret. A oublier très vite... Et visionnons à nouveau Bad Lieutenant, pour se rappeler pourquoi et comment on aime Ferrara.
 
 

 

ST/ 21.05.2014

lundi 5 mai 2014

HER - Spike Jonze - 2014




 
De Spike Jonze, j’aimais deux choses : Being John Malkovich qu’il a réalisé en 1999 et Synedoche New-York qu’il a produit en 2008 (surtout parce le regretté Philip Seymour Hoffman y interprète Caden Cotard). Sinon, les Jackass I, II, et XXVIII  (y en a-t-il vraiment eu 28 ? NON ! et heureusement !) et autres débilités, n’ont trouvé que peu d’indulgence à mes yeux.

Mais alors pourquoi suis-je allée voir HER ? Pour Joaquin Phoenix, voyons ! Oui, quelques fois mon côté midinette se réveille et la perspective de passer presque deux heures en compagnie du beau, et si merveilleusement imparfait Joaquin, ne me laisse pas de marbre.

 
 
Dans un futur proche, Theodore (Joaquin Phoenix) vit des moments difficiles. Il vient de se séparer de sa femme et la procédure de divorce ne s’annonce pas très joyeuse. Le quotidien de Theodore consiste à rédiger des lettres à l’allure manuscrite pour des gens qui ne savent plus écrire par eux-mêmes. C’est le genre de chose qui, pour moi, grande amatrice d’échanges épistolaires, est un véritable crève-cœur. Theodore relève ses mails, repousse les rendez-vous avec ses amis – quand il ne les annule pas – et joue à un jeu holographique vulgaire et grossier, le soir chez lui. Palpitant...

Un jour, Theodore découvre un nouveau logiciel d’exploitation qui, une fois qu’il a récolté un minimum d’informations, propose une voix qui gère tout le poste et qui est censée vous correspondre. Courriels, appels, rendez-vous, tout. Cette voix (celle de la troublante Scarlett Johansson) le réveille aussi le matin et lui souhaite une bonne journée. Le reste du temps, Samantha, c’est son nom, discute, rigole et joue un peu au psy avec Theodore. Son humour et sa « personnalité », créés sur mesure, font des miracles. Theodore retrouve goût à la vie petit à petit. Et aussi étrange que cela puisse paraître, cette intelligence artificielle est capable d’éprouver des sentiments. De séances de sexe virtuelles en gros fous rires, Samantha et Theodore tombent amoureux. Oui, c’est étrange, mais on y croit.
 
 

Bien plus qu’une bluette perdue dans le paysage des comédies romantiques, HER est une représentation de notre façon de communiquer, de tomber amoureux. L’abondance des réseaux sociaux, des sites de rencontres, l’immédiateté avec laquelle s’installe l’intimité virtuelle entre deux correspondants parlent certainement à bon nombre d’entre nous. Cette pseudo aisance instantanée contraste avec la difficulté qu’ont les gens à exprimer leurs émotions et l’obligation pour eux de passer par un tiers (en l’occurrence Theodore) pour souhaiter un joyeux anniversaire de mariage, pour déclarer leur flamme ou simplement remercier les personnes qui partagent leurs vies. C’est le paradoxe de notre époque : nous n’avons jamais eu autant de moyens de communication et nous n’avons jamais été aussi seuls.

Au-delà de ce premier degré d’analyse, plus évident, on peut aisément considérer cette relation entre Theodore et Samantha comme une métaphore du processus de deuil. En effet, Theodore qui vient de se séparer de sa femme doit faire le deuil de la vie à deux et réapprendre à vivre seul. Chacun de nous a déjà vécu ces moments où la solitude pèse, mais où, pour rien au monde, on ne souhaite « remettre le couvert ». Pour se sentir vivant, on collectionne les conquêtes (Theodore a plusieurs rendez-vous), on cherche à plaire et à faire l’amour. Theodore le dit clairement à un moment. Il voulait que cette femme rencontrée un soir, le « baise », pour « combler ce petit trou dans le cœur ». La relation avec Samantha a l’avantage de ne nécessiter aucun engagement. Il sait qu’il peut plaire. Il reprend confiance en lui et en l’avenir. A la fin du processus, au moment où il est prêt à redémarrer une relation, les béquilles s’envolent… Theodore peut jouir à nouveau de la vie. Seul.
 
 

HER est un film touchant, qui nous parle certainement à tous. Malgré qu’il se passe dans le futur, les effets spéciaux sont minimes et l’on peut sans autre se projeter dans cette société finalement pas si éloignée de la nôtre. Tout est assez plausible et on y croit aisément. Regardez nos smartphones : il ne leur manque que la parole ! Un film rempli de charme et non dénué de fraîcheur.

 
 
 
 
ST/ le 5 mai 2014