dimanche 25 novembre 2012

L'INVITEE : Caroline Vié


Un petit bout de femme monté sur ressorts, doté d'une énergie qui ferait pâlir de jalousie un lapin Duracell, c'est un peu Caroline Vié: journaliste de cinéma reconnue, qui a longtemps participé à l'émission "Le Cercle" sur Canal +, membre de la commission de classification du CNC, auteure d'un premier roman et maman qui court les séances de parents d'élèves. Une femme rock'n'roll qui n'a pas la langue dans sa poche, qui bénéficie d'un humour ravageur et qui est bardée de tatouages : un totoro dessiné par Miyakazi, un gland dessiné par Peter de Seve, créateur de Scrat, et last but not least, un prochain double tatouage dessiné par Tim Burton himself... Cette originaire de Toulouse, qui a rejoint la Ville Lumière lorsqu'elle avait 4 ans, m'a accordé une heure. Une heure de bonheur, de rigolade, de discussion entre femmes aussi. Une "rencontre" qui m'a touchée, et qui au-delà de la passion commune du cinéma, m'a permis de découvrir que je partageais un autre point commun avec cette femme : le goût pour les "brioches"... En surveillant d'un oeil sa fille qui décorait "façon cascadeuse" le sapin de Noël, Caroline Vié a eu la gentillesse de répondre à mes questions.
 
 
 
 
Caroline, quel a été votre premier contact avec le cinéma?
 
 J'étais très jeune. Je devais avoir 5-6 ans lorsque j'ai vu "Astérix et Cléopâtre" au cinéma avec ma maman. Mais c'est "L’Inconnu du Nord-Express" qui a vraiment été le déclencheur de ma cinéphilie. J'ai tout de suite été fascinée par Hitchcock. Lorsque j'étais en 6ème, j'ai fait un exposé sur Alfred Hitchcock. Ma maman m'a laissée regarder le Ciné-Club qui passait en fin de soirée, m'a emmenée à la bibliothèque pour trouver le livre que Truffaut avait écrit sur Hitchcock.
J'ai dû voir "Psychose" à 10 ans... ça m'a terrorisée! Surtout la scène de la douche. Mais j'ai adoré. Je n'ai pas été traumatisée. Je ne pense pas que l'image soit dangereuse. Hitchcock a un sens du suspens extraordinaire et ses films possèdent plusieurs degrés de lecture. Gamin, on est fasciné par l'histoire et en grandissant on y ajoute un degré de lecture supplémentaire. Enfant, les films d'Hitchcock agissent un peu comme des contes. La mort d'Hitchcock  m'a attristée, j'aurais aimé le rencontrer.
 
 
 
 
 
"Vertigo" qui a ravi la place de "meilleur film du monde" à "Citizen Kane", vous en pensez quoi?
 
Je m'en fous! (rires) Ces classements ne veulent rien dire! C'est un débat de cinéphiles poussiéreux. J'aime autant "Vertigo" que "Citizen Kane", tous les deux ont leurs forces et leurs faiblesses. Et puis on peut aimer les pommes et les poires (rires), les pommes ne sont pas meilleures que les poires.
 
 
Vous avez été sollicitée pour voter pour l'élaboration de ce classement?
 
Je ne crois pas. Ou alors si je l'ai été, j'ai oublié. Ou alors j'ai supprimé le mail... (rires)
Je suis tellement souvent sollicitée pour plein de votes vous savez...
 
 
Vous avez commencé par écrire dans des fanzines. Quelle était votre motivation? Vous vouliez déjà faire du journalisme?
 
Oui! J'avais surtout envie de faire des rencontres plus que des analyses de films. J'avais 17 ans, je parlais anglais et j'ai donc pu écrire pour Ciné-Zine Zone parce qu'ils cherchaient des gens qui parlaient anglais. C'est une histoire de rencontres. Cependant, je pense que ce que j'écrivais à l'époque ne devait pas être très passionnant (rires) C'est un homme, Pierre Charles, qui m'a mis le pied à l'étrier.
Vers 1984, j'ai ensuite écrit pour "L’Ecran Fantastique". Et je me souviens avoir pu voir Richard Burton avant qu'il ne meurt. C'était pour le film "1984".  Actuellement, j'écris majoritairement pour le quotidien "20 Minutes".

 
Qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'écrire un roman?
 
J'avais envie de savoir si j'étais capable de sortir du carcan journalistique. Une envie de plus de liberté. Cela a pris du temps. Du moment où j'ai rencontré "Brioche" à sa publication, cela a pris une petite dizaine d'années. "Brioche" existe vraiment.
 
 
Mais rassurez-moi, vous ne l'avez jamais séquestré?
 
Justement, il est dans ma cave et c'est bientôt l'heure du repas (rires)...
 
 
Votre livre engendre beaucoup d'images dans l'imaginaire du lecteur. Vous avez pensé à la possibilité de le porter à l'écran?
 
Pas du tout! Je n'y ai même pas pensé en l'écrivant. D'ailleurs, je ne suis pas certaine que ce soit une histoire faite pour. J'avais envie de montrer que la beauté et le bonheur n'ont pas les mêmes caractéristiques pour tout le monde. C'est une passion impossible, ce n'est pas "Misery"!
L'héroïne aime vraiment "Brioche" et elle essaie de le convaincre, à sa manière certes, de l'aimer. Elle souffre terriblement, beaucoup plus que lui. Elle fout sa vie en l'air par amour pour lui. Écrire un scénario? Ce n'est pas mon truc. J'ai essayé, mais non. Je préfère le roman.
 
 
Vous vous sentez privilégiée dans votre métier de journaliste de cinéma?
 
Bien sûr. J'exerce un métier qui me plaît, que j'ai choisi, et je gagne correctement ma vie. C'est un luxe de nos jours. Malheureusement, je ne couvre que peu de festivals. Je travaille pour un quotidien et je suis maman, donc difficile de s'absenter sur une longue durée. C'est un métier où l'on voit beaucoup de merdes, beaucoup de mauvais films, ce qui permet d'apprécier encore plus les très beaux films lorsqu'ils arrivent. La différence lorsque l'on exerce ce métier, c'est que l'on ne choisit pas ce que l'on va voir... et je peux vous assurer que pour certains films, même le fait que ce soit gratuit, ça ne suffit pas! (rires)
 
 
Vous avez un genre de film que vous appréciez particulièrement?
 
J'ai des goûts éclectiques... mais disons que je préfère un petit polar bien fichu à une comédie romantique. J'ai beaucoup consommé de films d'horreur, mais ceux qui sortent ces dernières années sont relativement décevants. Sinon, je m'intéresse beaucoup à l'animation.
 
 
En parlant d'animation, c'est quoi cette identification à Scrat?
 
Scrat, c'est moi! C'est l'épitomé de l'obsession. Il fait plein de bêtises pour conserver son gland... et il ne le mange même pas! C'est tout moi ça... (rires) Tout le monde a son gland... (rires)
 
 
 
 
 
Vous vous lancez dans l'écriture de votre deuxième roman. De quoi parlera-t-il?
 
Il parlera de la maladie d'Alzheimer. Je suis un peu terrifiée d'ailleurs. J'espère faire aussi bien que "Brioche". J'essaie d'écrire ce que j'ai envie d'écrire, de la façon dont j'ai envie de le faire, avec mon style personnel. Il y aura certainement des allusions au cinéma, mais cela ne parlera pas de cinéma. Je vais parler de mon expérience personnelle avec la maladie d'Alzheimer. Si tout va bien, il devrait être prêt pour la rentrée littéraire 2014...
 
 
Merci Caroline Vié!
 
 

BRIOCHE

 
"Brioche", est le premier roman de Caroline Vié. C'est l'histoire d'une journaliste de cinéma qui un jour croise un acteur qui lui retourne le coeur. Il est commun, un peu grassouillet, n'a rien de particulièrement séduisant. Pourtant c'est lui et rien que lui qu'elle désire. Il ressemble à une brioche dorée... et la gourmandise de la journaliste n'a plus de limites. Edité aux Editions JC Lattès, ce roman est à lire d'urgence!
 
 
 
 

Propos recueillis par téléphone le 24 novembre 2012 / Cinécution

 

samedi 17 novembre 2012

AMOUR - Michael Haneke - 2012

 
Une odeur de mort s'échappe d'un appartement du Paris bourgeois. Les pompiers et la police forcent la porte d'entrée: c'est le début d'un flashback de près de 2 heures qui nous plonge dans l'intimité de Georges et Anne.
 
Théâtre des Champs-Elysées à Paris, des spectateurs attendent le début d'un récital de piano. Au milieu de ces gens, Georges et Anne, professeurs de piano à la retraite, sont venus applaudir un de leur ancien élève qui fait une brillante carrière de concertiste. Dès ce moment, on se rend compte de toute la tendresse qui lie ces deux êtres: complicité, gestes tendres, sourires, lumière dans les yeux.
Leur quotidien est fait de petites sorties (elles ne sont qu'évoquées), d'écoute de musique, de lecture, de discussions et de délicates attentions (ou seraient-ce des habitudes?). Même s'il est très pudique, leur amour se ressent très fortement. La douceur des sentiments et l'affection ont remplacé la folle passion de leurs 20 ans. Ils ont une fille, Eva, musicienne, qui vit à l'étranger et qui ne vient que peu les voir.
 
 
Un matin, lors du petit-déjeuner, le regard d'Anne se perd dans le vide et elle ne répond plus à Georges. C'est la première petite attaque cérébrale. On sent la détresse de Georges face à cet événement alors qu'Anne revient à elle, et qu'il devient agressif croyant à une plaisanterie de mauvais goût. C'est simplement sa façon d'exprimer sa peur de la perdre. Anne subit une intervention qui malheureusement laissera des séquelles: elle se retrouve en fauteuil roulant, paralysée du côté droit.
 
Les gestes de tous les jours deviennent dès lors plus complexes. Anne a besoin de Georges pour se lever, faire sa toilette, pour aller aux toilettes, pour lui couper la nourriture. Anne subit de nouvelles attaques et son état se péjore. Elle restera cependant à la maison, Georges le lui a promis.
 
 
 
 
Michael Haneke, avec "Amour", nous torture une nouvelle fois. Ce film nous arrache le coeur et nous met face à nos pires souvenirs ou à nos pires craintes: perdre nos proches, nos parents, l'être aimé. Rien que d'y penser cela nous déchire les entrailles. Ce sont des douleurs physiques et psychiques que chacun de nous endure dans sa vie.
 
Il nous montre aussi cet amour inconditionnel que se porte Georges et Anne. Un amour fait de respect, de tendresse, d'attentions. Ils ont été amants, ils sont aujourd'hui compagnons. Chacun dans son corps porte les signes de la vieillesse: les membres perdent de leur souplesse, les gestes deviennent hésitants, les mains tremblent légèrement, les forces diminuent. Mais la promesse qu'ils se sont faite il y a plusieurs décennies est toujours d'actualité: "Jusqu'à ce que la mort nous sépare"
Lorsque la maladie s'invite dans cette vie de retraités relativement sereine, il faut du courage à celui qui reste valide. Georges prend ses responsabilités et tient ses promesses quitte à s'épuiser. Il aide son "Anne chérie". Lors des moments où Georges doit aider Anne à se lever, il doit s'approcher d'elle, coller ses genoux au siens et la prendre dans ses bras alors qu'elle enroule son bras valide autour de son cou. On imagine aisément, vu la pudeur des gestes du début du film, que leurs corps ne se sont plus retrouvés si proches depuis un certains temps. C'est profondément poignant.
 
 
 
 
Jean-Louis Trintignant est bouleversant. Son regard est magnifiquement mis en valeur : tantôt doux, protecteur, inquiet, puis soudainement il devient terriblement grave. Emmanuelle Riva quant à elle incarne une Anne qui saura rester digne jusqu'au bout.
 
Mon seul regret, le personnage d'Eva incarné par Isabelle Huppert. Il est totalement dispensable. Si cette fille unique n'avait existé qu'au travers de conversations téléphoniques, cela aurait été suffisant.
 
Pas une once de voyeurisme, malgré la dureté des images. C'est la vie. La réalité dans tout ce qu'elle peut avoir de cruel. Il n'y a pas de musique au générique de début et il n'y en a pas au générique de fin, comme si avant l'amour il n'y avait rien et comme si après la mort, il n'y avait rien non plus. Vous serez sans nul doute profondément bouleversés par ce film et par la musique de Schubert, particulièrement ses Impromptus pour piano. Et là, c'est un coup de génie que d'utiliser Schubert: le plus pur, le plus simple, le plus "straight to the fucking point" des compositeurs de la période romantique. Palme d'or du dernier Festival de Cannes,  "Amour" est un chef d'oeuvre.
 
 
 
Votre Cinécution

KAMA SUTRA - Mira Nair - 1996


Maya et Tara sont deux jeunes filles qui grandissent côte à côte. Une chose les différencie cependant : Tara est une princesse et Maya sa servante. Cela ne les empêche pas de prendre des cours de danse traditionnelle ensemble. Elles sont les meilleures amies du monde et sont inséparables.
En grandissant , la beauté de Maya devient remarquable, elle fait de l'ombre à la jeune princesse Tara qui est promise au prince régnant du royaume voisin, Raj Singh. Un prince opiomane, machiste, possédant un harem impressionnant. Lorsque, lors de la présentation de l'épouse à son futur mari, le prince ne remarque que Maya, Tara ne le supporte pas : elle lui crache à la figure et lui ordonne de rejoindre sa chambre, la renvoyant à son statut de servante.
Alors que les différents rituels qui précèdent le mariage ont cours, Raj se retrouve seul avec Maya et lui fait l'amour. Maya qui jusqu'à maintenant avait toujours porté les vieux saris de Tara lui a pris quelque chose qui lui appartient pour la vie : le corps de son mari. La famille de Tara répudie Maya. La rivalité entre les deux femmes est dès lors le centre l'intrigue.


Lors du rituel d'ablutions dans les eaux du Gange, Maya fait la connaissance de Jay Kumar. Jay est sculpteur à la cour du roi et les deux ne tardent pas à devenir amants. Comme elle ne sait où loger, il la présente à Rasa Devi : une magnifique femme qui fut, dans sa jeunesse, la première courtisane du roi. Elle initiera Maya aux mystères du Kama Sutra, cet art ancestral de l'amour. Au-delà de l'acte sexuel en lui-même, le Kama Sutra est l'art de la jouissance, pour les deux partenaires. Rasa inculque également à Maya que la femme a, tout autant que l'homme, le droit de désirer. Maya, après son initiation, est accueillie comme première courtisane à la Cour. Elle retrouve Tara et Raj Singh. La lutte, entre les deux amies d'enfance devenues rivales, se jouera sur un terrain sensuel...



Mira Nair, dans ce sublime film initiatique, ne se contente pas de nous livrer un mode d'emploi du Kama Sutra, ni de nous en exprimer les vertus bénéfiques pour notre vie sexuelle, elle met en lumière une femme en avance sur son temps. En effet, Maya, bien qu'issue d'une caste modeste, se refuse à toute servitude et prend sa vie en main comme elle l'entend. C'est une femme libre avant l'heure et qui use, et abuse, de ses charmes, pour arriver à ses fins. Mais c'est également une femme de caractère qui tient tête au roi. Ce film est une apologie du pouvoir sexuel de la femme. La femme n'y est pourtant pas décrite comme un objet sexuel, ou lorsqu'elle l'est, c'est uniquement dans le but de dénoncer cet état de fait.



Avec un titre aussi sulfureux, vous imaginez bien que la sexualité, la sensualité et l'érotisme sont présents. Cependant, ce n'est pas le propos prinicipal du film. L'histoire, universelle et peu originale (elle peut-être transposée à n'importe quelle époque et dans n'importe quel milieu), trouve sa force dans les personnages principaux et notamment dans celui de Maya. Une femme qui entend bien utiliser son corps comme elle le souhaite.



Mira Nair jette, dans ses films "Kama Sutra" ou "Monsoon Wedding", un regard fasciné et fascinant sur les traditions de son pays. Toutefois, elle ne se laisse pas aveuglée par la beauté des rituels, mais y pose également un oeil critique, en s'interrogeant sur la place réelle des femmes dans la société indienne. Dans sa filmographie, et plus spécifiquement dans "Salaam Bombay!"elle n'hésite pas à montrer une image plus méconnue de l'Inde, en l'occurrence le destin des enfants des rues souvent entraînés dans des réseaux de prostitution.



Mira Nair, une cinéaste engagée? Probablement. Même si "Kama Sutra" dépeint une Inde idéalisée (saris aux couleurs vives, palais magnifiques, temples superbes, philosophie...) il n'en est pas moins un film féministe engagé, mais également un film qui offre un éclairage sur le système des castes au travers de la sexualité comme l'a fait, quelques années plus tard, Ashutosh Gowariker et son film "Lagaan" qui expliquait ce système au travers d'un match de cricket. Entre le cricket et le Kama Sutra, je vous laisse choisir ... Même si j'adore ces deux films, moi, j'ai fait mon choix...




Votre Cinécution





vendredi 16 novembre 2012

JAGTEN - Thomas Vinterberg - 2012


 
 

Alors que nous sommes mi-novembre, que la saison de la chasse culinaire, cuisine chaleureuse et gourmande accompagnée de son train de fruits de saison, se termine gentiment, Thomas Vinterberg déboule sur les écrans de Suisse romande et nous sert sa propre conception du fameux menu automnal. Quatorze ans après "Festen", et quelques films qui n'ont suscité que peu d'enthousiasme, "Jagten", littéralement "La Chasse", nous offre des retrouvailles glaçantes, qui n'ont rien de la douceur d'un marron glacé, avec le réalisateur danois. Chaque bon cuisinier sait que pour faire une délicieuse sauce d'accompagnement pour le gibier, il faut, cela est indispensable, mettre du sang dans la sauce. Force est de constater que Vinterberg est un excellent cuisinier et qu'il connaît la recette de la sauce "Grand Veneur" pour accompagner le civet de chevreuil. Sauf que dans "Jagten", le sang ne coule pas visiblement : c'est d'une hémorragie interne dont il s'agit. Un mal insidieux qui va faire saigner un homme dans le plus profond de sa chair: une rumeur.
 
 


Le film débute sur une scène pleine de testostérone, de clichés sur le danois moyen : grand, baraqué, un peu bedonnant, barbu, buveur-chasseur, et friand de baignade tout nu dans les eaux gelées d'une rivière. Le danois moyen se réunit en meute virile, entonne des chansons à boire, et considère que l'obtention du permis de chasse est un rituel de passage pour un ado afin de devenir un mec, un vrai, un pur, un dur!
 
 
 
Au milieu de tous ces joyeux chasseurs, un homme se détache : Lucas (le bouleversant Mads Mikkelsen!). Lucas a la quarantaine et vient de retrouver du travail après un divorce difficile qui le prive de la présence régulière de son fils Marcus. Il aime son travail d'éducateur dans une école maternelle. Sa complicité avec les enfants est douce et magique. Hormis les différends qui l'opposent à son ex-femme, la vie de Lucas retrouve une certaine sérénité.
 
Arrive alors ce fameux jour, où Klara (la surprenante et toute jeune Annika Wedderkopp), la fille du meilleur ami de Lucas et élève dans sa classe, lui fabrique un coeur, le lui offre, et l'embrasse même sur la bouche alors que Lucas joue au mort parce que les enfants lui ont sauté dessus. Lucas redonne le coeur bricolé à la petite Klara et lui explique qu'elle ne doit pas embrasser les adultes sur la bouche. Vexée, la petite fille fait l'amalgame entre des images pornographiques que son frère aîné lui a montré et le rejet dont elle vient de faire l'objet. Elle se confie à la directrice de l'école, Grethe (que l'on devine aisément vieille fille...). Cette dernière convoquera Lucas et lui suggérera dans un premier temps, quelques "jours de vacances". La rumeur enfle (notamment "grâce" à Grethe qui scande à qui veut bien l'entendre: "Moi je crois les enfants, ils ne mentent pas."), les propos se déforment, des dépliants expliquant les "symptômes de l'abus sexuel" sont distribués aux parents d'élèves... La chasse à l'homme débute : Lucas devient l'homme à abattre.
 
 
 
Vinterberg se pose en critique d'une société bien pensante, la même au Danemark qu'ailleurs, celle-là même qui pense qu'il vaut mieux  anticiper, accuser à tort, que passer à côté de quelque chose. On avisera plus tard. Lucas n'a pas droit à la présomption d'innocence. D'emblée, les questions du psychologue à Klara sont fermées et suggèrent même l'éjaculation dont n'a jamais parlé l'enfant. Les adultes sont également montrés du doigt: lorsque la fillette se rétracte, sa mère lui dit :"Non, cela est arrivé." Lucas est un pédophile et personne dans le village n'envisage que cela puisse être autrement.
L'ascension de la violence, quelle soit verbale ou physique envers Lucas (et son fils) est fulgurante. Le seul élément rationnel que nous montre Vinterberg, c'est l'arrestation de Lucas, sinon ce ne sont qu'à des réactions viscérales auxquelles nous assistons. Le film devient dès lors insoutenable. On peine à trouver une position sur notre fauteuil, à respirer... On est mal à l'aise. On oscille entre larmes et frissons d'horreur. Et si finalement toutes ces "accusations" étaient réelles? Et si Vinterberg avait volontairement occulté les éléments qui prouvent la pédophilie de Lucas? On fait des suppositions, on observe les personnages, les regards qu'ils se lancent, les attitudes... on soupçonne tout le monde...
 
 
 
"Jagten" est oppressant, poignant, dérangeant, mais visuellement superbe! Lorsque Vinterberg est calme et posé, ses plans sont d'une grande beauté et d'une finesse impressionnante. Le final est magistral... mais comme dirait Voltaire (et mon ami Gabriel qui m'a soufflé cette phrase, et qui accessoirement était assis deux rangées derrière moi) : "Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose"...
 
 
 
 
Votre Cinécution
 
 
 
 

jeudi 1 novembre 2012

GUMMO - Harmony Korine - 1997

« Gummo » : un OFNI.  Comprenez par-là, un objet filmé non-identifié. 
Sorti en 1997, le film d’Harmony Korine (à qui l’on doit le scénario de l’incroyable et controversé «  Kids » de Larry Clark) est inclassable. Il navigue entre le documentaire réaliste et  la fable surréaliste.  Totalement incohérent, hétéroclite,  il fascine pourtant dès le prologue qui fait office de générique.
Nous sommes à Xenia, une petite ville de l’Ohio,  quelques années après qu’une tornade l’ait dévastée. Caméra familiale à l’épaule, on découvre la ville : ses poteaux téléphoniques, son pont qui enjambe l’autoroute, ses habitants, ses chiens empalés, ses vaches prisonnières de fils électriques à plusieurs mètres du sol. Une voix-off nous explique comment la tornade a tout ravagé sur son passage. Puis apparaît Bunny Boy, un jeune adolescent qui traversera le film de façon aléatoire, et qui fait pipi sur à peu près tout, qui se promène à moitié nu, la clope au bec et avec de grandes oreilles de lapin rose.  Le ton est donné, rien de ce qui va suivre ne sera conventionnel, formaté.
Xenia, c’est aussi la misère, la représentation de cette classe d’américains laissés pour compte. Misère sociale et intellectuelle. Une galerie de portraits sous la forme « random ». Si vous cherchez une histoire, autant oublier tout de suite, il n’y en a pas. C’est une véritable représentation de l’ennui.



Que peut-on faire pour tromper cet ennui ? Tuer des chats et les vendre au boucher du coin pour en retirer de la colle à sniffer ? Se mettre du scotch sur les mamelons pour les rendre plus apparents sous les t-shirts ? Faire des combats contre des chaises dans une cuisine ? Prendre un bain en mangeant des spaghettis et en se faisant laver la tête par maman ? Se mettre des pains dans la figure et trouver ça chouette ? Ce sont là quelques exemples des saynètes que Korine nous donne à voir tout le long de son « Gummo ». Chronique de la vie ordinaire ? Oui, non, peut-être. Pas de véritable réponse à cette question.


Et pourtant, de ce défilé de destins ordinaires, de « marvelous persona »,  de tronches, de détritus et de gravas, se dégage de la tendresse et une certaine poésie. Une poésie proche du haïku japonais, qui par des vers triviaux et brefs,  parle de l’évanescence des choses. Une poésie crue aussi faisant repenser au film « La monstrueuse Parade  » de Tod Browning en 1932.  Des personnes aux singularités physiques, éthniques, religieuses, sexuelles ou psychologiques. Ces êtres sont présentés sans moquerie, sans jugement : la caméra de Korine nous les montre simplement évoluer (ou plutôt stagner) dans leur quotidien.



Il est très difficile de trouver des qualificatifs à ce film, mais une chose est certaine, c’est qu’il y a ici une véritable quête artistique, créatrice. Le but de la démarche ? On ne le sait pas vraiment. Ce film nous est livré brut, sans mode d’emploi. Il faudrait peut-être emprunter les mots à Gus Van Sant qui parlait de « Gummo » en ces termes : «Vénéneux dans son histoire, génial dans son interprétation et son casting, victorieux dans sa structure, rebelle par nature, honnête de cœur, inspiré... Gummo déboule sur l'écran comme une vieille aile de poulet frit». Reste que ce film est fascinant. A voir donc.

Relevons que "Gummo" a été interdit aux Etats-Unis, les Américains lui reprochant sa violence morale et psychologique, ainsi que la dénonciation de tout le système américain qui a mené à ce genre de situation , c'est-à-dire la paupérisation tant matérielle, sociale, qu'intellectuelle de toute une tranche de la population purement et simplement abandonnée par l'Etat.



Votre Cinécution