dimanche 18 août 2013

#Locarno66: dernières impressions et Palmarès


Alors que le palmarès est déjà connu, que les polémiques sur Feuchtgebiete et  L’Expérience Blocher  se sont dégonflées, que le coup de gueule d’Yves Yersin, hier soir à la cérémonie de clôture du Festival del Film Locarno, fait parler de lui, moi je vais tranquillement vous parler de mes deux derniers jours à Locarno. Avec la liberté de ton qui me caractérise. Oui, je suis libre, totalement libre. Libre d’aller à contresens sur l’autoroute de la « bonne pensée».

Revenons sur jeudi qui fut une journée particulière. La première bonne surprise de la journée a été de croiser Kyioshi Kurosawa dans le funiculaire qui relie Locarno à Orselina. C’est intimidée, et soucieuse de ne pas trop le déranger dans son temps libre, que je l’ai remercié pour son cinéma inventif et audacieux. Il m’a gratifiée d’une solide poignée de main et d’un merveilleux sourire. Et lorsque je lui ai demandé si je pouvais faire une photo avec lui, il m’a pris mon téléphone des mains et s’est chargé de la faire. Je ne suis pas certaine qu’il ait compris tout ce que je lui ai dit, mais la gentillesse de son regard ne pouvait cacher qu’il était touché.
 
 
La deuxième belle surprise a été le film de Shinji Aoyama, Tomogui. Il s’agit de la remise en question d’un fils qui découvre au début de sa nouvelle relation amoureuse, qu’il a beaucoup de traits communs avec son père, notamment la violence lors des rapports sexuels. Ce n’est qu’à la mort de ce dernier, qu’il pourra prendre conscience de quels sont ses réels désirs et de quelle manière il entend mener sa vie. Un film intelligent aux dialogues crus. Les scènes de sexe ont un sens chez Shinji Aoyama, ce qui n’a de loin pas été le cas de nombreux films vus à Locarno cette année.

Puis, il y a eu la masterclass de Werner Herzog. Un moment que j’attendais impatiemment. Après de très longues minutes d’attente en plein cagnard, enfin la libération. La fraîcheur de La Salla n’a pas altéré le feu, la passion des gens présents. Les questions fusent, les déclarations d’admiration aussi. L’homme est calme, ouvert à la discussion. Réservé, mais passionné par moments, notamment lorsqu’il parle de Viva Zapata d’Elia Kazan et la façon dont le personnage de Marlon Brando est présenté au spectateur, la meilleure façon selon lui. Un grand moment, sachant que j’ai beaucoup d’affection pour ce réalisateur et que son œuvre était souvent source de débat avec mon papa.
 
Werner Herzog
 

J’imagine que vous l’attendez tous, vous qui m’avez suivie durant ce festival. Voici le palmarès de ce 66ème Festival del Film Locarno. Palmarès décevant pour ma part, un peu à l’image de la compétition internationale qui n’a pas réveillé chez moi des enthousiasmes débordants, à 2-3 exceptions près. J’ai trouvé mon bonheur principalement dans la section Cineasti del presente. Comme déjà écrit, Historia de la meva mort d’Albert Serra est une imposture. Un film mégalomane, hermétique. Le cinéaste arrogant et antipathique m’a déjà énervée avant même le début de son film : « Les personnes qui resteront jusqu’à la fin auront le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’exceptionnel ! », tels ont été les mots de Serra lors de la présentation de son film. Regardez : j’ai pondu un chef d’œuvre. Tout ce que je déteste.  Bref, le Pardo d’oro lui est revenu.
 
Albert Serra
 
Le prix de la mise en scène est revenu à Hong Sangsoo pour son délicat U ri Sunhi, tandis que le pardo de la meilleure actrice revient à Brie Larson pour sa performance dans Short Term 12.  Fernando Bacilio, rôle-titre d’El Mudo, reçoit quant à lui le Pardo du meilleur acteur. Viennent ensuite des mentions spéciales à Short Terme 12  et à Tableau Noir de Yves Yersin. Le prix spécial du jury a été décerné à E Agora ? Lembra-Me  de Joaquim Pinto, qui raconte le voyage du réalisateur atteint du virus du SIDA. Quant au Prix du public UBS, décerné à un des films projeté sur la Piazza Grande, c’est le très convenu Gabrielle  de Louise Archambault qui le décroche, sans grande surprise, tant il a été ovationné lors de sa projection. Pour le reste du Palmarès, c’est ici..
 
Brie Larson
 
Voilà, l’aventure tessinoise est terminée pour ma part. J’espère que vous aurez eu autant de plaisir à me lire que j’en ai eu à vous faire partager mes coups de cœur et mes coups de gueule. A l’année prochaine pour une édition que j’espère plus audacieuse, et où les prises de risques ne seront pas celles de projeter un film où deux jeunes femmes s’échangent des tampons usagés ou celui où un vieux Casanova libidineux bouffe de la merde ou encore le portrait lisse d’un Christophe Blocher à l’agonie. Ciao Locarno, à l'année prochaine! Je t'aime malgré tout ...

jeudi 15 août 2013

#Locarno66 : épisode 9


Hier, j’ai passé une journée sans écrire. J’étais tellement HS que j’ai préféré m’occuper de mon sommeil, lequel a plutôt été négligé ces 7 derniers jours. Alors, comme je suis émotive de nature et qui plus est encore plus lorsque je n’ai pas mon quota d’heures de dodo, et pour éviter de fondre en larmes lors de la Masterclass de Werner Herzog cet après-midi (oui, j’aime beaucoup le Monsieur), j’ai décidé d’aller me coucher tôt ( 1 heure du mat’ quand même) et de faire la grasse matinée. Et bien, ça m’a fait du bien !

Sinon, côté films, j’en ai vu des wagonnées… je suis autour de 45 à l’heure actuelle…. Et il reste 3 jours de festival. Je ne peux bien évidemment pas vous parler de tous les films, sinon je ne ferais que ça et resterais plantée devant le petit écran, alors que ce qui m’intéresse vraiment, c’est ce qui se passe sur le grand !

Donc, je tranche, je fais mon p’tit dictateur, et décide de ne vous parler que de mes coups de cœur ou de mes coups de gueule… ça fait déjà un paquet !

Alors, après m’être fâchée devant le film d’Albert Serra, Historia de la meva mort, après m’être endormie (et avoir ronflé) devant le dernier Thomas Imbach, Mary Queen of Scots, où Stephan Eicher est doublé en français par une voix de gros nounours, après n’avoir toujours pas vu Feuchtgebiete (que je verrai vendredi en séance supplémentaire, histoire de ne pas mourir idiote), LE film qui fait parler de lui, je vais vous parler des films qui m’ont particulièrement plus ou qui ont suscité de l’intérêt.
 
Historia de la meva mort - Albert Serra
 
Je suis bien évidemment obligée de vous parler de George Cukor, lequel m’a été d’un précieux soutien durant ce festival et qui pourrait répondre à l’adage : A Cukor a day keeps the Doctor away.

Two-faced Woman ou encore A double Life, du Cukor qui valse entre rire, humour et psychodrame.

Cukor, ou comme il se prononce ici « Kioukiooooor » a apporté quotidiennement son pot de bon sang, de légèreté, d’histoire, de rêve. Vraiment difficile de rêver lorsque les thématiques principales des films proposés sont la mort, la maladie, la perversion, le chômage, la précarité, l’économie qui va mal et Blocher.

Et puis, tout à coup, tu as des miracles, comme De Onplaatsbaren de René Hazekamp proposé à la Semaine de la critique qui nous plonge au milieu d’anciens toxicomanes qui ont tous la quarantaine ou plus. Ils tentent tant bien que mal de reprendre le contrôle de leur vie. Entre rêve, espoir et rechute, leurs espoirs sont simples et se rapprochent de ceux de tout un chacun. Touchant et juste.
 
De Onplaatsbaren
 
L’autre miracle, mais pouvait-il en être autrement, le dernier Kiyoshi Kurosawa : Real. Qu’est-ce que ce film a fait du bien ! Après avoir vu Penance au Festival International de Films de Fribourg, j’étais toute impatiente de découvrir le dernier film de ce réalisateur japonais qui avait su me fasciner. Et je n’ai pas été déçue. J’ai été tenue en haleine, surprise de bout en bout. Et quel bonheur de retrouver une bande son, de la musique. Tout cela m’avait fait un peu défaut dans les fictions que j’avais vu jusqu’à présent dans le cadre du festival.  Bref, j’ai adoré cette histoire qui au travers d’un procédé, le « sensing », permet aux protagonistes de rentrer en contact avec les patients comateux. Un très bon film.

Et puis, il y a ces films sur lesquels je reviendrai lors de leur sortie en salles, Tableau noir de Yves Yersin et L’Expérience Blocher  de Jean-Stéphane Bron.

Aujourd’hui, c’est la Masterclass de Werner Herzog qui m’attend, ainsi qu’un film japonais, Tomogui de Shinji Aoyama.
 
Werner Herzog et Klaus Kinski
 
 

mardi 13 août 2013

#Locarno66: épisode 8, rencontre avec Hélène Cattet et Bruno Forzani




L’étrange couleur des larmes de ton corps, le nouveau film du duo belge Hélène Cattet et Bruno Forzani était, pour ma part, attendu avec beaucoup d’impatience. Ces deux cinéastes extrêmement sympathiques possèdent désormais une patte vraiment reconnaissable. Si on a vu Amer, sortit en 2010, on ne se sent pas dépaysé à la vision de leur dernier opus. L’étrange couleur des larmes de ton corps , tout en conservant ce qui fait la magie de l’univers Cattet-Forzani, est cependant plus sombre que son grand frère. Le soleil méditerranéen d’Amer  a fait place à l’univers feutré et inquiétant d’un immeuble Belle Epoque au cœur de Bruxelles. Tout se passe en intérieur. Le flash-back est beaucoup utilisé, presque un peu trop, ce qui créé un peu de confusion. L’histoire semble plus cohérente, même si le scénario possède quelques lacunes qui rendent difficile la compréhension du propos. Cela dit, cela permet de fantasmer beaucoup de choses et de faire fonctionner l’imagination.
Les images sont belles, soignées. La bande son, comme à son habitude, occupe une place centrale.
J’ai eu la chance de rencontrer les deux réalisateurs et de m’entretenir avec eux sur leur dernier film, mais plus largement sur leur façon de travailler.
 
Vous avez travaillez 10 ans sur L’étrange couleur des larmes de ton corps, est-ce qu’à un moment, vous avez douté que ce projet aboutisse ?
Hélène : on a commencé à l’écrire avant notre dernier court métrage et on pensait que cela allait devenir notre premier long. Mais c’était trop ambitieux, ça demandait trop d’argent. Et donc, nous avons fait Amer.  Et finalement, Amer s’est vite imposé.  Du coup, après, on s’est quand demandé si cela allait être possible. J’avoue quand même qu’Amer a permis que cela se fasse.
Bruno : Avant Amer, c’est vrai que c’était plutôt utopique.
 
Le giallo comme référence. Vous pouvez nous dire quels sont les ingrédients, selon vous, qui font un bon giallo ?
Hélène : D’emblée, la fameuse figure de l’assassin.  Ce personnage mystérieux, habillé en cuir noir et qui tue à l’arme blanche. C’est un peu le pivot. C’est un personnage qui nous inspire et on essaie de voir comment le travailler pour le…
Bruno : … dématérialiser et lui donner des significations différentes. Lui enlever un peu de son esprit humain pour en faire autre chose que juste un tueur.  Et puis il y a l’architecture et cette espèce cde poésie macabre autour de la mort, de la violence et de l’érotisme. Il y a aussi ce jeu sur le point de vue.  Le spectateur est toujours situé entre le point de vue de l’assassin et le point de vue de la victime. C’est une place qui est intéressante car elle suscite des réactions.  Le spectateur ne sait pas où se situer et il se pose des questions.
Hélène : Le spectateur est toujours mis dans une situation inconfortable. Et ça, c’est intéressant.
 
 
Une petite question qui pourrait fâcher : c’est votre deuxième long métrage, avec les mêmes références, des plans qui ressemblent passablement à ceux d’Amer, vous n’avez pas peur de lasser un public qui est moins initié au genre ?
Bruno : On ne se pose pas la question à long terme. A chaque fois, le but c’est d’arriver à faire un film tous les deux et de construire notre propos.
Hélène : On ne commence pas à se demander comment vont réagir les spectateurs. Il ne faut pas se poser ce genre de question quand on fait le film, sinon on s’auto-censure.
Bruno : On ne se pose pas ces questions pour le futur, dans le sens où ça a été deux miracles de réussir à faire deux films à deux, Amer et L’étrange couleur des larmes de ton corps, et qui sait, peut-être que c’est notre dernier film à deux.
 
Vous travaillez ensemble depuis 13 ans, vous n’avez pas des envies de partir en solo ?
Hélène : Peut-être, ouais, peut-être…
Bruno : Je ne sais pas… Faire des films ensemble, cela fait partie de notre vie, de notre intimité. On le fait d’une manière totalement passionnelle et pas d’une manière carriériste, c’est pour ça que je ne me pose pas vraiment pas cette question. La question serait plutôt : comment renouveler notre relation autour des films.
 
Vos films ne contiennent que très peu de dialogues, il y en a un peu plus ce coup-ci, quel est le but recherché ?
Hélène : D’une manière générale, on aime construire des histoires avec tous les outils cinématographiques.  Quand on utilise les dialogues, c’est au même titre que l’on utilise la lumière, les cadrages,  le jeu des comédiens, c’est –à-dire que  ce qui nous intéresse dans les dialogues,  c’est leur musicalité, leur rythme, les accents. Ce n’est pas le sens des mots, mais plutôt ce que leur musicalité apporte au film. On n’est pas didactiques. On n’explique pas au spectateur par un dialogue qu’il faut comprendre ceci ou comprendre cela.  Ça nous gave de le faire.
 
 
 
La bande son occupe une très grande place, c’est presque un personnage à part entière, est-ce que lors des projections, vous demandez à ce que le volume soit poussé vers le haut ?
Hélène : A chaque fois, oui, on mixe très très fort.
Bruno : Il faut que ce soit immersif. Quand on voit le film à un certain niveau, qui est plutôt faible, il faut vraiment que l’on pousse le son pour que le spectateur soit enveloppé. On shoote beaucoup avec le 5.1, avec des sons qui partent de l’avant et qui capture le spectateur dans une bulle pendant toute une séquence. Cela a demandé un gros travail, dans le sens où on n’a pas fait de prise de son pendant le tournage, et donc on a tout refait en bruitages, comme un film d’animation. Lors de la post-production sonore, on a fait un deuxième tournage, un tournage sonore. Cette fois, on a beaucoup travaillé sur les basses, car on cherchait à provoquer un impact physique. Avec la basse, tu le sens dans tout le corps. C’est un son érotique et qui fait que le film te touche réellement…
Hélène : … qui te touche dans le ventre. Comme je suis enceinte, c’était compliqué, le petit remuait trop… (rires)
 
Qu’est-ce que cela vous a fait d’être sélectionné à Locarno et qui plus est dans une section majeure ?
En chœur : c’était super !
Bruno : On connaissait Locarno de réputation, mais on n’y était jamais venu.
Hélène : On était super contents que le film allait être montré dans un cadre généraliste. Ça ouvre le film à un public qui n’est pas forcément un public habitué à ce genre de film.
 
En 2012, Quentin Tarantino vous a cité avec Amer  dans ses 20 films préférés. Cette année, dans quel top 20 souhaitez-vous secrètement figurer ?
Bruno : Alors là, j’ai aucune idée… dans le top 20 d’Hélène (rires)
Hélène : On est très au présent, on verra bien. On ne se pose pas trop de questions sur le futur, parce que sinon, ça stresse.
 
Et ça vous a fait quoi de savoir que Tarantino avait vu Amer et qui plus est qu’il l’avait apprécié ?
Hélène : On était comme des enfants ! Ça fait bizarre, on n’y croyait pas vraiment.
Bruno : C’est très loin de notre monde. C’est un nom que tu vois dans les magazines,  et puis tu as l’impression que ce n’est pas terrestre, que cela ne fait pas parti de ton quotidien. Alors quand une personne comme ça a vu le film et en plus l’a apprécié, c’était hallucinant.
 
Ce soir, L’étrange couleur des larmes de ton corps  sera présenté aux festivaliers, comment vous voyez venir ce moment ?
Bruno : Comme une libération. C’est un public qui n’est pas un public habitué au fantastique, alors on est curieux de voir les réactions. On n’est pas particulièrement tendus.
Hélène : On verra bien. Je crois que j’ai des hormones qui déstressent (rires). D’habitude, je suis toujours hyper stressée, hyper mal, là je suis plutôt relax… je crois que les hormones jouent leur rôle pour que le bébé ne soit pas trop stressé (rires).
 
Vous avez des projets en cours ?
Hélène : Se reposer ? (rires). On va essayer de se régénérer, se nourrir d’autres choses.
Bruno : On vient juste de terminer, ça a été un énorme travail, alors on va plutôt apprécier le moment présent plutôt que de faire des projections sur le futur.
 
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Bruno : Joyeux anniversaire, c’est déjà passé (rires)…. Joyeux Noël ? (rires)
 
 
 
 
 
Propos recueillis le 12 août 2013 à Locarno / Cinécution
 

lundi 12 août 2013

#Locarno66: épisode 7, les "première fois" de Kaspar Schiltknecht et Celine Cesa

Dans la continuité de mon fil rouge, "les premières fois", Kaspar Schiltknecht et Céline Cesa, dont le court métrage Bonne Espérance a été projeté cet après-midi au Festival de Film Locarno dans la section Pardo di domani, ont eu la gentillesse de répondre à quelques-unes de mes questions. C'est la première sélection pour Kaspar à Locarno et la première fois au cinéma pour Céline en tant que comédienne. Découvrez ces deux personnes passionnées et attachées à transmettre des émotions et à montrer des réalités qui sont  bien souvent tues.
 
 
 
Kaspar Schiltknecht
 
Kaspar, est-ce que vous pourriez un peu décrire votre parcours?
 
J'ai grandi entre les Grisons et l'Oberland bernois. Après une année préparatoire à Zürich j'ai fait quatre ans d'études à l'Ecole cantonale d'Art de Lausanne dans le département cinéma. Là je viens de terminer mon film de diplôme "Bonne Espérance".
 
 
Votre 3ème court métrage est sélectionné dans la section Pardi di domani, concorso nazionale, en plus de l'avoir réalisé, vous avez également écrit le scénario. Vous pouvez nous en dire deux mots? De quoi parle votre film?
 
J'ai écrit ce court métrage suite à sept mois de service civil dans un foyer de jeunes filles à Lausanne. Le film est une fiction qui est fortement inspiré par mes observations dans ce milieu. En gros l'histoire tourne autour d'une relation entre une éducatrice de 35 ans et une adolescente de 16 ans. Je veux montrer les dynamiques de confiance et de la manipulation, les jeux de pouvoir et aussi le désespoir profond qui peut exister dans des institutions sociales.
 
 
 
Vous êtes encore étudiant à l'ECAL, si je ne me trompe pas, votre premier court métrage Plaids87 avait déjà été sélectionné aux Journées de Soleure, maintenant une sélection à Locarno. Ça fait quel effet?
 
Je viens de terminer l'école. C'est une chance de déjà pouvoir montrer son travail dans des festivals avec une bonne réputation. C'est très utile parce que c'est pendant la projection avec un public qu'on se rend compte le plus des défauts de son propre film. J'ai aussi beaucoup profité des discussions avec des spectateurs et d'autres réalisateurs à l'occasion de ces festivals. 
 

 
Qu'est-ce que cela change d'être sélectionné dans de tels festivals?
 
Personnellement j'ai gagné de la confiance et je vois aussi une certaine justification pour continuer avec ce que je fais. Il ne faut par contre pas trop se prendre la tête et penser que le succès est assuré pour la suite. 
 


 

 
 
 
Parlez-nous un peu du tournage de Bonne Espérance. Où a-t-il eu lieu? Quand?
 
Il a eu lieu à Lausanne dans le foyer ou j'avais fait mon affectation de service civil. Pendant sept jours j'avais à ma disposition une équipe très engagée. J'ai travaillé avec des comédiens qui avaient très peu d'expérience face caméra, ce qui était important pour l'ambiance que je voulais créer. Mon chef-opérateur qui venait de Bruxelles a amené une équipe image avec lui ce qui a facilité les installations lumière parce que ça a été une bande soudée et expérimentée. J'aime l'intensité de la période de tournage. Des fois on ne pense pas assez au montage par contre... c'est une des mille choses que je peux encore mieux gérer.
 
 
Quel est le budget d'un film comme le vôtre? Comment trouvez-vous les fonds nécessaires?
 
Un changement dans la politique de financement de l'office fédéral de la culture rendait possible un budget très conséquent pour un court-métrage. Une boîte de production de Lausanne me suivait ensemble avec l'ECAL pendant tout le projet. Avoir des gens professionnels à ses côtés coûte vite cher mais est indispensable pour assurer de la qualité, être à la hauteur du scénario et surtout pousser le tout plus loin. En Suisse le cinéma est presque complétement financé par l'état ou des institutions cantonales et je trouve que c'est une bonne chose. Le cinéma fait partie de la culture. La culture est essentielle pour assurer qu'une société ne rouille pas, ne devienne pas trop confortable. 
 
 
Quand on a réalisé plusieurs courts métrages, est-ce que l'envie d'un long se fait sentir?
 
L'envie est là mais il faut avoir un projet qui est assez avancé dans son écriture déjà pour pouvoir se lancer là-dedans. Après il faut voir aussi qu'il est assez compliqué d'avoir une idée de court métrage qui tient la route. J'aimerais bien tourner assez vite un prochain court avec un budget modeste pendant que je me lance dans un projet d'écriture.  
 
 
 
Des projets en cours?
 
Rien de très abouti pour le moment. Faut voir aussi qu'épauler la post-production d'un film coûte beaucoup d'énergie et j'ai pas encore trouvé le calme pour me vider la tête de tout ça.
 
 
 
 
Céline Cesa

Céline, est-ce que c’est votre première expérience au cinéma ?
 
En tant que comédienne, oui. J’avais joué dans un film quand j’avais 10 ans et sinon j’ai travaillé sur un court-métrage, mais comme « petite main à tout faire ». Sinon, j’ai fait 3 stages cinéma avec Manuel Poirier et Fulvio Bernasconi sur le jeu d’acteurs et avec Corinna Glaus et Gérard Moulévrier sur les castings.
 

Quelle est la différence entre interpréter un rôle au théâtre ou au cinéma ?
 
C’est difficile de répondre à ça, car je n’ai pas vraiment d’expérience dans le cinéma, donc je suis encore pleine de questions. Mais ce que je peux dire, c’est qu’au théâtre on a un temps de répétitions relativement important qui fait que toute l’équipe, metteur en scène, comédiens, techniciens, scénographe, etc. se mettent au diapason pour raconter une histoire. On prend le temps de construire un personnage, avec des balises très claires qui nous indiquent le parcours à suivre. Il y a aussi la rencontre immédiate avec le public et le temps des représentations. Le spectacle va pouvoir enfin résonner et du coup l’interprétation va évoluer et avancer au fil des rencontres avec les spectateurs. Au cinéma, le temps de répétions est court et il faut être dedans à la seconde où on te dit : ça tourne ! J’ai la sensation que c’est comme de la dentelle. Il faut que chaque pensée soit précise tout en gardant l’objectif d’une scène et surtout être complètement ouvert sur ce qui se passe en face de toi à l’instant, là, où ça se passe. J’ai trouvé aussi que c’était une gestion particulière de l’énergie. Tu ne dois pas te laisser distraire par les facteurs extérieurs comme l’attente, le monde sur le plateau, le fait que tu parles des fois à un bout de cadre ou à un mur et pas à quelqu’un, que les scènes ne sont pas tournées dans l’ordre chronologique, bref tout ça…
Mais au final, je pense que les deux mondes se croisent et se servent. On peut puiser dans chaque domaine artistique et enrichir ainsi sa manière d’interpréter. En fait c’est aussi pour ça que j’ai commencé à venir me frotter un peu au cinéma. Je suis dans une phase où je recherche à avancer dans ma manière d’aborder des textes et de les interpréter. Le cinéma, il me semble, permet de se recentrer, de jouer vraiment de manière directe ce qui n’est pas nécessairement le cas dans un certain style de théâtre que j’ai beaucoup fait jusqu’à maintenant.
 
Quel est votre rôle dans Bonne Espérance ? Comment le décririez-vous ?
 
Je joue Stéphanie qui est une éducatrice dans un foyer pour jeunes filles en difficulté. Elle ne vit que pour le travail. Son équilibre est mis à l’épreuve quand Tamara, une fugueuse de seize ans, est ramenée par la police. Face à la surveillance et à la froideur de l’institution, l’adolescente se rapproche de Stéphanie. Stéphanie est de plus en plus déstabilisée par la recherche d’intimité de la jeune fille.
 
 
 
 
 
Avez-vous eu du plaisir à l’interpréter ?
 
Oui, énormément. C’était une expérience formidable avec une équipe vraiment fantastique. C’est clair que j’étais pleine de doutes, mais j’ai essayé de travailler au mieux, de chercher comment ça marchait et surtout de me remettre dans les mains de Kaspar et de lui faire confiance. Ce qui était chouette, c’est que j’ai senti que des choses avançaient et évoluaient au fil du tournage. En plus, j’ai pu tourner durant une semaine non-stop. Moi qui n’avais jamais fait ça et bien, j’ai été mise dans le bain.
 
Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez appris que Bonne Espérance avait été sélectionné à Locarno ?
 
Ma première pensée a été tout de suite pour Kaspar. J’étais heureuse, heureuse pour lui.
 
Des projets en cours ?
 
Oui. On va faire, avec notre compagnie, la Cie de L’éfrangeté, une nouvelle création jeune public autour des « Contes Abracadabrants » de Franz Hohler qui est un auteur suisse allemand. J’ai aussi un « Pinocchio » qui mélange un quintette à vent et 3 comédiens. Un autre projet dans un bus qui va faire une virée un peu particulière et encore une petite friandise pour les 10 ans du CO2 de Bulle. Que des beaux projets !
 
Merci à Céline et Kaspar de nous avoir fait partager leur première fois. Et maintenant, il faut mettre la seconde! Bonne route!
 
Votre Cinécution

#Locarno66: épisode 6, avec Emmanuel qui vit son premier Locarno


 
 
 
Il y a quelques jours, j’ai fait la connaissance d’Emmanuel Pichon. Emmanuel est à Locarno pour la première fois. Ce professeur de lettres qui vient de Lyon a gentiment accepté de répondre à quelques questions et de nous faire partager les émotions qu’il a ressenties durant sa semaine tessinoise. Je vous laisse en sa compagnie.

 
 
 
 

Emmanuel, cinéphile ou cinéphage ?
 Cinéphile.

Vous allez beaucoup au cinéma ?

Alors justement, c’est là le problème. Je n’y suis plus allé depuis 2 ou 3 ans.  Mais avant, j’y allais très régulièrement. Il y a quelques années, quand les cinémas étaient encore dans le centre-ville de Lyon. Là, c’est vrai qu’ils ont un peu reculé et ma grande fainéantise fait que j’y vais moins.

Quels types de films appréciez-vous ?

Les films pas drôles, lyriques, poétiques, étrangers, indépendants, « intellichiants »… voilà, oui.
Je n’ai pas de film préféré. Je vais dans toutes les séances. Je suis plutôt éclectique. J’ai beaucoup les Wong Kar Wai, les Greenaway. Des films qui vont dans ce sens-là.


Avez-vous déjà fréquenté des festivals de cinéma ?

Non, c’est ma première fois !

Et, ça fait mal ?

Rires… non, c’est plutôt agréable.

Comment êtes-vous arrivé à Locarno ?

Par le nord (rires)… Je ne connaissais pas du tout. C’est un ami, Patrick qui m’en a parlé. Je trouvais que c’était une expérience à vivre, intéressante et je me  rends compte que j’y ai vraiment pris goût. Je pensais que ce serait quelque chose de plus difficile, dans le sens où je pensais que voir beaucoup de films allait être usant et là, j’ai envie d’en voir, d’en voir… je suis devenu addict. Cet espèce de rythme qui crée des habitudes. On arrive à 11 heures, on enchaîne, et il y a la pause de fin d’après-midi juste avant le film de la Grande Place. Et il y a ces films qui viennent rompre la routine, il n’y a pas de routine dans les films. Ce qui est un peu gênant, ce qu’on n’a pas le temps d’en digérer un, d’en parler profondément qu’on est tout de suite déjà en train d’en voir un autre.

Qu’est-ce qui selon vous a créé cette addiction ?

Il y a un phénomène de groupe aussi. On croise des personnes qui sont là depuis longtemps. On vit des choses ensemble, c’est sympathique. Ce qui n’empêche pas le raisonnement personnel ou la réflexion individuelle. Il y a ce rythme qu’impose le Festival. Tous les soirs, sur la Grande Place, ils remontrent les films qui ont été projetés. Il y a un retour sur la journée.

Jusqu’à présent, quel film vous a le plus parlé ?

J’ai beaucoup aimé Short Term 12.  C’est là que j’ai eu l’impression qu’il se vivait quelque chose dans le festival.  Il y a eu cette standing ovation qui a duré plusieurs minutes.  J’ai eu le sentiment d’assister à un grand moment. J’ai beaucoup aimé Los insolitos pece gato. Le tout premier film aussi, Tbilissi Tbilissi. Cette façon de montrer une ville sans la montrer. Ce cinéma de ces petits pays avec trois francs six sous et qui arrivent à faire quelque chose. Et puis le film allemand Feuchtgebiete. Intéressant, provocateur. Bien filmé. Une actrice absolument magnifique.

Tbilissi Tbilissi - Levan Zaqareishvili , 2005



Vous avez envie de renouveler cette expérience ?

J’aimerais bien, oui. Peut-être pas de façon systématique, parce que je n’aime pas les choses qui sont systématiques. La renouveler oui, avec plaisir.

Vous appréciez le cadre ?

Le cadre, la ville. Les spectateurs qui sont sympathiques. Ce n’est pas trop intello, pas trop snob. J’aime beaucoup aussi ce mélange de langues. On entend parler différentes langues et les gens parlent malgré tout beaucoup français, donc on n’est pas totalement perdu. On peut baratiner, parler l’itagnolo (rires).

Vous avez créé des contacts avec d’autres festivaliers ?

Non, pas spécialement, mais j’ai discuté et échangé avec mes voisins plusieurs fois.

Si vous deviez définir le festival en un mot ?

Il y a une espèce de convivialité, de simplicité, ça en fait déjà deux (rires). En même temps, il y a du contenu. Ce n’est pas compliqué dans la façon dont cela se déroule. On ne se sent pas étranger.  On peut venir pour la première fois et on n’a pas l’impression d’entrer dans une famille avec des codes spéciaux. Et c’est extrêmement bien organisé.

 

Voilà, c’était le premier Festival del Fim Locarno d’Emmanuel , qui repartira mercredi vers Lyon.

Votre Cinécution

#Locarno66: épisode 5


Grande journée que celle d’aujourd’hui.  J’ai pu voir, en séance de presse, deux films pour lesquels je me réjouissais tout particulièrement : Tableau noir d’Yves Yersin et L’étrange couleur des larmes de ton corps  d’Hélène Cattet et Bruno Forzani. Ni l’un ni l’autre ne m’ont déçue. Je vous en parlerai demain, lorsque les festivaliers auront eu l’occasion de le voir. Pas de Cukor aujourd’hui, mais un film d’Otar Iosseliani, Brigands, chapitre VII. Iosseliani est un réalisateur géorgien qui viendra s’installer en France au début des années 80. Son travail jusqu’au moment de son exil sera très souvent confronté aux rigueurs et à la censure du régime communiste. Son dernier film, sorti en 2010, Chantrapas, a été relativement mal accueilli et par le public et par la critique spécialisée. Il n’en reste pas moins que Iosseliani est un des réalisateurs parmi ceux qui comptent. Comme le dit Carlo Chatrian, directeur artistique du Festival del Film Locarno : « Les films de Iosseliani sont, jusqu’à la façon dont ils sont produits, des hymnes à la liberté. Liberté de regarder le monde avec un regard indépendant et d’y projeter une ironie sublime, incomparable, qui permet de relancer le point de vue et de remettre en discussion la vision choisie. Parce que même quand le film est fini, la ronde de la vie peut continuer. »
 
Otar Iosseliani
 
Brigands, chapitre VII entre bien la définition du cinéma de Iosseliani qu’en fait Chatrian. Le burlesque est omniprésent, la liberté également. Il nous emmène d’une époque à une autre, du roi jaloux qui fait décapiter sa reine parce qu'elle a ouvert sa ceinture de chasteté au père membre du régime communiste qui initie son fils aux techniques de tortures, le film de Iosseliani respire l’ironie et la liberté de ton, non sans faire grincer des dents de temps à autre. Sorti en 1996, il avait été qualifié à l’époque par les Inrocks de la manière suivante : « Nous aimons plus que de raison le cinéma burlesque et délicieusement cruel de ce Géorgien décalé, poétique, politique, ironique. Iosseliani est un doux enragé mais surtout un incroyable séducteur. Si vous n’avez pas succombé à son charme, c’est tout simplement que vous n’avez jamais rencontré un seul de ses films. ».  Je ne peux que rejoindre cet avis.
 
 

Je suis heureuse de pouvoir vous parler de mon gros coup de cœur pour un film de la compétition internationale : Short Term 12  de Destin Cretton. Quel film remarquable. Quelle intelligence. Brillant sur tous les plans. C’est le deuxième long métrage de ce réalisateur hawaïen. Au départ, il s’agissait d’un court qui a été récompensé au Festival de Sundance en 2009 puis qui a été présélectionné aux Academy Awards en 2010, pendant que son premier long I’m not a Hipster faisait sa première à Sundance. Un réalisateur qui commence à s’imposer dans le circuit du cinéma indépendant américain. Le succès de la version courte de Short Term 12  incita le cinéaste à en tourner une version longue, pour notre plus grand bonheur. Short term12, c’est le nom d’un foyer qui accueille des jeunes difficultés. Grace, une jeune éducatrice, y travaille, entre rigueur et complicité. Lorsque Jayden débarque au Foyer, Grace se retrouve confrontée à des problèmes qui ont jonchés sa propre vie. La très proche remise en liberté de son père, ainsi que sa grossesse, ne vont pas arranger les choses. Elle va devoir trouver un équilibre entre sa vie personnelle, son travail, et trouver, à travers l’humour et l’espoir, des solutions pour avancer dans sa vie de femme et de future mère. Un must de cette 66ème édition où la pudeur, aussi étrange que cela puisse être, est la clé qui ouvre les portes de l’âme humaine. Enorme coup de cœur.
 
 

Dans la section Cineasti del presente, Costa da Morte  de l’espagnol Lois Patiño est une merveille. Costa da Morte, c’est une région de l’Espagne, la Galice, qui du temps de l’époque romaine était considérée comme le bout du monde. Les paysages sont hachurés, la mer a provoqué de nombreux naufrages, l’ambiance y est brumeuse et tempétueuse. C’est en mettant en lumière les relations contradictoires entre les pêcheurs, les artisans et les éléments qui les entourent, que Patiño dresse un portrait de cette région. Tendre et délicat, un voyage au cœur d’une région faite de légendes.
 
 
 
Et pour ceux qui sont dans les parages de la Piazza Grande, ne ratez pas demain lundi à 14h à La Sala, « Bonne Espérance » de Kaspar Schiltknecht. Vous le retrouverez demain, ainsi que Céline Cesa, comédienne, dans un entretien qu’ils m’ont accordé.