vendredi 23 mars 2018

FIFF 2018 : de Citizen Kane à The Cannibal Club

A moi le Bolchoï! Je maîtrise officiellement le grand écart. J'ai commencé ma journée par CITIZEN KANE pour la terminer avec une fable moderne brésilienne cannibale, THE CANNIBAL CLUB. Tu le vois le grand écart, là? A froid, sans échauffement? Et bien, même pas mal!

A l'heure d'écrire ses lignes - il est 6 heures du matin, nous sommes le 7ème jour du Festival International de films de Fribourg - mes yeux sont aussi rouges que les tapis des cinémas ARENA, le café, et un collyre miracle pour les yeux, sont mes meilleurs amis, mon lit n'a de cesse de m'appeler et mon chat me fait la tête. Voilà le topo.  

Bref, parlons cinéma, c'est quand même pour ça qu'on est là, non?

J'ai enfin vu CITIZEN KANE sur grand écran! Dingue! 27 ans après l'avoir vu pour la première fois avec mon papa, j'ai enfin vu le film sur lequel s'est construite toute ma cinéphilie sur grand écran. Quelle joie! Lorsque j'ai découvert que le FIFF le programmait cette année, je crois qu'il n'y a pas un seul jour où je n'ai pas saoulé mon entourage. Donc maintenant que c'est fait, je vous promets de me calmer... un peu.


Vous imaginez bien que c'était énorme! CITIZEN KANE est le plus grand film de l'histoire du cinéma. Même si le magazine Sight and Sound publiait en août 2012, dans son sondage effectué tous les 10 ans,  que VERTIGO d'Hitchcock avait détrôné Welles, après 50 ans de règne, CITIZEN KANE reste pour moi, le plus grand film du monde. Il nous reste donc 4 ans à vivre sous le règne d'Alfred, avant que cette erreur intergalactique ne soit à nouveau réparée, n'est-ce pas? Je vais prendre mon mal en patience. Dès mon ordinateur sera plus coopératif, je vous mettrai le lien vers mon article de l'époque et vous comprendrez qu'Alfred doit tout à Orson.


Nick James, le rédacteur en chef de Sight and Sound avait réagi de la façon suivante à ce cataclysme: "Je me souviens que j'espérais au dernier classement que "Citizen Kane" soit battu mais que ça n'arrivait jamais. Cette fois, je suis ravi!". Il a même esquissé une tentative d'explication en disant que les gens devenaient plus sensibles aux films personnels qui peuvent faire écho à leur propre vie. Quand on sait que Hitchcock a confié lors d'une interview à François Truffaut que le personnage de James Stewart dans VERTIGO avait des tendances nécrophiles, j'ai presque envie de dire que je souhaite ardemment que cela n'ait que peu d'écho dans les vies de ceux qui sont "plus sensibles aux films personnels"...




Bref, à l'issu de la projection de ce chef-d'oeuvre, mon grand écart pouvait s'amorcer. Tout d'abord, avec un nouveau saut dans la compétition internationale longs métrages : WALKING WITH THE WIND du réalisateur indien Praveen Morchhale. 5 mois que le réalisateur parcourt le monde pour présenter son petit bijou de tendresse. L'enfance, l'éducation, les anciens qui squattent la place du village, les ruelles de ce petit bled, plein d'éléments qui rappellent assez fortement les premiers films du réalisateur iranien Abbas Kiarostami. Praveen Morchhale ne s'en cache pas, le film est dédié au réalisateur iranien et son nom est régulièrement évoqué dans le film.

J'ai aimé la douceur et la poésie qui se dégageaient de ce film. Le scénario tient en une phrase: un gamin ramène chez lui une chaise qu'il a cassée à l'école pour la réparer. Sauf que ce gosse doit parcourir tous les jours plusieurs kilomètres entre sa maison et son école. Une heure et une dizaine de minutes de tendresse, ça fait du bien.




Et sinon, ceux qui me connaissent, qui me lisent, savent que lorsque j'aime, je ne compte pas. Je suis donc retournée voir BLACK LEVEL de Valentyn Vasyanovych... oui! Ce film, c'est mon chouchou, sachez-le! Encore plus surprise et enthousiaste qu'à la première vision. Mais oui! J'ai même réussi à entraîner du monde dans mon sillage, et j'avoue être heureuse que ce film ait également enthousiasmé ces personnes qui m'ont fait confiance.

Un Bloody Mary plus tard - oui, il faut toujours assortir sa boisson au film - je me lançais, non sans une certaine appréhension, dans une séance de minuit qui s'annonçait des plus sanguinolente : THE CANNIBAL CLUB de Guto Parente. Sexe et anthropophagie... sur le papier, on aime! En images, un peu moins.



Si certaines scènes sont assez mémorables - comme cette goutte de sperme qui pourrait entrer dans l'histoire du cinéma - j'ai comme un goût de vieille bidoche rance dans la bouche. Franchement, ça ne casse pas trois pattes à un canard. On est clairement dans le cliché des blancs aisés qui se régalent du bas peuple... au sens propre comme figuré. Les sursauts de ma voisine de fauteuil m'ont plus fait peur que le film lui-même, même si par moments, une certaine tension était palpable. J'ai vu THE CANNIBAL CLUB, je ne vais pas en faire une critique intellectuelle en étalant mes pseudo connaissances sociopolitiques brésiliennes et en essayant de faire ressortir le message que nous véhiculerait ce film. Um bon divertissement, avec sans doute, un peu plus de fond que ce qu'on pourrait croire, mais le message est tellement clair, que cela ne vaut pas la peine de s'y attarder plus que ça. S'il y avait eu un peu plus de subtilité, peut-être...



ST / 23 mars 2018





mercredi 21 mars 2018

FIFF 2018 : Quand un thème s'impose...

Enfin! Le film sud-coréen de la compétition! J'ai une espèce de passion pour le cinéma sud-coréen. Je l'ai déjà écrit à plusieurs reprises, ce cinéma me fascine. Bien souvent, les films que l'on peut voir dans différents festivals sont des films de fin d'étude. La Korean Academy of Film Arts a cette capacité de produire des génies en devenir, qui dès leurs premiers longs métrages tapent dans le mille. J'ai vu beaucoup de films sud-coréens et aucun n'a été à jeter, quel que soit le genre. C'est juste remarquable. Ils arrivent à distiller toute leur culture, même dans les histoires les plus dingues. Et ça, ça me fascine.


Donc, le film sud-coréen de la compétition, AFTER MY DEATH de Kim Ui-Soek est d'une intensité époustouflante. Je ne sais pas si quelques uns parmi vous se souvienne de SHOKUZAI de Kiyoshi Kurosawa? Une mini-série en 5 épisodes qui traitait de la culpabilité, après l'assassinat atroce d'une jeune fille? Un groupe de filles qui n'arrivait pas à se remettre de cette mort, et qui traînait avec elles un profond sentiment de culpabilité, exacerbé par l'omniprésence de la mère de la fillette. Bref, ce film m'a fait pensé par moment à SHOKUZAI, notamment à cause de cette notion de culpabilité récurrente.


AFTER MY DEATH aborde une thématique assez complexe, le suicide d'une adolescente. A ce stade de la journée, je ne savais pas encore que cela allait être le thème de ma journée. J'y reviendrai. Donc, une ado disparaît, sans aucun indice, sans corps, rien. On suspecte un suicide. Rapidement, les soupçons se tournent vers une jeune femme, la dernière à avoir vu l'adolescente vivante. Leurs liens sont manifestement intimes. Certaines camarades auraient vu, entendu, des propos du style " Si tu m'aimes, prouve-le moi". Chantage au suicide sur fond de "cap ou pas cap?".  J'ai été terrorisée.


Admirablement réalisé, inventif dans sa narration, au scénario hyper bien ficelé, AFTER MY DEATH est un choc. Emotionnel tout d'abord. Régulièrement je me suis retrouvée le souffle coupé par la force des propositions visuelles et par l'intensité du jeu de la protagniste principale, dont je ne retrouve pas le nom, mille excuses. Et ensuite, par le propos. Il y a, dans la notion de groupe, une puissance insoupçonnée. L'adolescence est une période de vie où il est parfois difficile de s'affirmer, de trouver son identité propre, de se démarquer du groupe. Lorsque l'on constate que par différents éléments, orientation sexuelle par exemple, on diffère du groupe, il arrive que cela soit difficile à assumer. Et c'est cette complexité que le cinéaste met en lumière, avec force et courage. Oui, j'utilise le mot courage. Le suicide est et reste tabou, dans toutes les sociétés. A tort d'ailleurs. Finalement, ce sont des situations où l'on doit faire face à notre propre peur de mourir, non?














La mort, le suicide plus exactement allait donc être le thème principal de ma journée. Pas très funky vous allez me dire... non, effectivement, mais très intéressant de voir comment ce thème est abordé, en Asie et en Europe. Si la thématique est identique, la façon de l'aborder n'est pas la même. Quand dans la société sud-coréenne ont invoque l'esprit de la défunte qui reviendrait s'excuser de son geste, en Europe, on le traite de façon un peu plus frontale. Avec un peu moins de pudeur, moins "poliment" si je puis dire.


SARAH JOUE UN LOUP GAROU était donc présenté hier soir, en présence de pratiquement toute l'équipe du film. Intégralement filmé à Fribourg par la réalisatrice Katharina Wyss, c'est un film qui ne cherche pas à plaire. Et j'avoue que c'est plutôt une qualité.







Sarah a 17 ans. Elle est instable, timide, renfermée. Elle détient un secret qu'elle ne partage avec personne. Elle n'a pas d'amis, et ce n'est pas faute d'essayer d'en avoir, mais cela ne fonctionne pas. Elle possède une personnalité complexe, torturée, obsédée par l'écriture, la violence, la mort. Elle se lâche complètement dans des cours de théâtre menés par une professeure sans limites on va dire. Ces cours de théâtre sont très déstabilisants au départ pour le spectateur, voire même irritants. Petit à petit, ils prennent cependant, si ce n'est leur place, du moins leur sens dans l'histoire.

Sarah ne cache pas son envie de se suicider. Mais tout le monde ferme les yeux, à commencer par sa propre famille. La mère, totalement absente, ou du moins aveugle et sourde, n'admet pas le mal-être de Sarah, ni n'en voit la cause. Le père est un manipulateur hors-pairs. En toute honnêteté, sans rien dévoiler, les pires soupçons planent sur le père. Il faudrait être complètement déconnecté de la réalité pour ne pas imaginer le pire. A relever l'impressionnant Loane Balthasar, qui incarne Sarah avec une justesse et une maturité déconcertantes.










Et Fribourg, ville de ponts. Il y a des ponts partout. Il arrive malheureusement régulièrement que des personnes se sentent irrémédiablement attirées par le vide. C'est une problématique qui a pris des aspects politiques, vu que cela a été débattu au sein du Conseil général de la Ville, notamment sur l'installation d'éventuels filets de sécurité sous certains ponts que l'on dira "sensibles".

Bref, Fribourg comme décor d'une fiction qui semble tellement réelle, touche la fribourgeoise que je suis. D'une part, parce que comme tout fribourgeois, je suis profondément chauvine - oui, Fribourg est la plus belle ville du monde - mais aussi d'autre part parce que de par son histoire très proche du catholicisme, siège de l'évêché, Fribourg est une ville de secrets. Ils ressurgissent ponctuellement, les politiques s'en emparent, essaient de se dépatouiller du mieux qu'ils peuvent, mais les douleurs, les cicatrices, sont bel et bien présentes.

Je ne peux pas dire que j'aime, que j'ai aimé ou détesté SARAH JOUE UN LOUP GAROU. Je pense cependant que c'est un film nécessaire qui devrait être montré dans les cycles d'orientation. Pour différentes raisons. Je suis convaincue, et c'est triste de l'admettre, qu'il y a des Sarah à chaque coin de rue, et que peut-être, ce film a une vocation plus éducative qu'artistique. A découvrir sur les écrans romands dès le 28 mars 2018.


















ST/ 21 mars 2018

mardi 20 mars 2018

FIFF 2018 : et soudain... Ken...

Plus les années passent, plus je me rends compte qu'il en va du cinéma comme de l'amour: il ne faut rien forcer. On ne peut pas créer des liens artificiels avec des films, des réalisateurs, des acteurs... soit l'amour s'installe petit à petit sur la durée du film, soit c'est le coup de foudre, soit la magie n'opère pas. On restera bons amis et se promettra de se faire une toile de temps en temps. On se suivra de loin, sans trop provoquer une nouvelle rencontre.

Il y a quelques années, j'ai eu un coup de foudre pour un film : FABLE OF THE FISH. Un couple n'arrive pas à avoir d'enfant. Après une bénédiction un peu folklorique, la femme tombe enceinte, mais accouche d'un poisson. Mais qu'est-ce qui m'a touché réellement? Le lien que cette femme a tissé avec ce poisson, le sentiment de détresse d'une mère, la folie de cette femme? Probablement un peu tout ça. J'ai été émue et je me disais à moi-même : "Non, mais attend, c'est un poisson! Un pois-son!"...
FABLE OF THE FISH nous montre en fait le lien étroit qu'il existe entre les légendes urbaines, les croyances populaires et le catholicisme aux Philippines. Oui, parce que tout est ramené à Dieu (jusqu'à la toute fin du générique où Dieu est remercié pour sa grandeur)... Et comme dit l'homme :"Dieu peut faire des erreurs."... Le couple s'en fichait d'avoir une fille ou un garçon, ils se réjouissaient de ce que Dieu allait leur donner... et bien, ce fut un poisson. Un film au réalisme magique, un espace où le surnaturel est soudainement normal.

Et donc, le réalisateur de ce petit bijou revenait en compétition au FIFF avec  DARK IS THE NIGHT. Youhouhou! J'étais toute impatiente!

Adolfo Borinaga Alix Jr. est un réalisateur philippin des plus actifs. Il réalise 2 films par an, tourne des centaines d'épisodes pour des séries philippines... peut-être trop serais-je tentée de dire? Est-ce que la quantité prime sur la qualité? Je ne sais pas, je ne peux me baser que sur DARK IS THE NIGHT que j'ai quitté après 1 heure, morte d'ennui. En soi, ce n'est pas grave, mais ça me rend toujours un peu triste d'abréger les rendez-vous amoureux... et de laisser payer l'addition. La magie n'a pas pris. J'avais le sentiment de tourner en rond. De ne pas être surprise, de ne pas être prise à contre-poils... L'ennui. Le vrai.



Autre déception : UNICORN du brésilien Eduardo Nunes. On nous promettait un film onirique, à la dimension féérique... Alors oui, le format est inhabituel - il faut que je me renseigne d'ailleurs, pour connaître le nom de ce format surréaliste - les premières séquences sont sublimes et enthousiasmantes. Mais on s'ennuie très vite. En tous cas moi. A mon sens, le réalisateur a voulu trop en faire pour faire passer les textes poétiques de Hilda Hist. Trop. Et comme chacun sait, le trop est l'ennemi du bien. Un format trop envahissant, des couleurs trop saturées, trop de lenteur - et ne pensez pas que je n'aime pas la lenteur, non - mais trop, c'est trop. On en perd le sens profond du film. Un lien entre mère et fille qui s'altère avec l'apparition d'un nouvel homme dans la vie de la mère. Une adolescente qui se découvre, et qui découvre le potentiel de séduction des femmes à travers la beauté de sa mère, son épanouissement. L'absence du père. Il y avait tout pour en faire une fable moderne. Et bien non... c'est un soufflé qui s'effondre très rapidement. Je suis restée les 2 heures du film... perplexe, en me disant il va y a avoir un moment où je vais entrer dans le film, moi la grande amatrice de poésie... et bien non. Je suis restée totalement hermétique. Et c'est quelque chose qui m'attriste à chaque fois. J'ai profondément conscience que ce réalisateur, adorable au demeurant, y a mis toute sa conviction, sa passion pour son art, mais à vouloir trop en faire, il a, selon moi, raté le coche.



Autre film de la compétition, PACKING HEAVY de l'argentin Dario Mascambroni. Petit bijou d'un peu plus d'une heure. Ramassé, sans être expéditif. Un jeune garçon, orphelin de père, essaie de comprendre pourquoi son père a été assassiné, en questionnant son entourage. Lorsque l'assassin de son père est remis en liberté, il part à sa recherche, une arme à feu dans son sac à dos. Le début de l'adolescence, le besoin d'avoir des marques, des repères, des exemples et cette absence que l'on ressent très fortement. J'ai beaucoup aimé la douceur qui se dégage de ce film, Vraiment.






Et soudain... après 1 heure trente d'attente, debout, en file indienne, attente dont mes varices se souviendront - c'est qu'on n'a plus 20 ans hein - et soudain donc, une apparition. Ken Loach!

Quand le festival a annoncé sa venue, j'ai essayé de garder mon calme. Ce qui n'était pas gagné d'avance, étant donné que je suis toujours avide de rencontres cinématographiques, de masterclass. J'adore apprendre, comprendre... bref, j'adore. Alors quand le plus grand réalisateur de cinéma vérité est annoncé à Fribourg, je suis un peu comme St-Thomas, je ne crois que ce que je vois. Et donc, j'ai vu.

Ken Loach, à Fribourg. Je vais difficilement pouvoir prendre de la distance, car les émotions ont été telles que les atténuer serait un crime.

L'Arena 7 était pleine à craquer. Des gens assis sur les marches, debout dans le fond. Et un silence de cathédrale. Tout le monde buvait les paroles du cinéaste. Une masterclass entre la leçon de cinéma et l'exposé de géopolitique. Passionnant. Emouvant.

Ken Loach a 81 printemps, il n'a pas perdu une once de colère contre les injustices de ce monde. Il en parle avec passion et détermination, convaincu que nous pouvons tous changer le monde.

Il s'est livré sans fausse pudeur, avec authenticité, à une audience attentive. Un véritable dialogue entre lui et la salle s'est installé, laissant à tous les participants, un souvenir inoubliable.

J'avais prévu d'enchaîner avec une séance de minuit... mais mon petit cœur, tout ému, battant la chamade, n'a pas eu envie d'aller voir des zombies canadiens. Non, j'ai préféré rentrer à la maison et revoir LA PART DES ANGES, d'un réalisateur à jamais dans mon cœur: Ken Loach.




ST / 20 mars 2018






lundi 19 mars 2018

FIFF 2018 - Des coups de poings dans le ventre...

J'ai presque envie de vous dire que j'ai survécu au premier week-end du Festival International de Films de Fribourg... oui, survécu. Ce n'était pas gagné, vu les émotions fortes qu'il m'a été donné d'éprouver en 48 heures. Je reprends mon souffle et je vous en parle.

Tout a débuté samedi sur le coup de 12h30, BREADCRUMBS de la réalisatrice uruguayenne Manane Rodriguez. Plongée en apnée dans la dictature uruguayenne du milieu des années 70. Un parcours de femme forte et insoumise, jeune mère célibataire, qui luttera sans cesse pour sa liberté. Certains passages, durs et crus, m'ont été aussi douloureux  à supporter que certaines scènes de SALÒ de Pasolini. Torture, viol, humiliation... rarement j'ai assisté à une projection où la salle était à ce point silencieuse.





Cécilia Roth, bien connue des aficionados d'Almodovar, incarne la Liliana d'aujourd'hui. La cinquantaine, photographe, qui entame un nouveau combat, celui de la reconnaissance des faits qui l'ont à jamais meurtrie et privée d'une relation avec son fils.

Justina Bustos quant à elle incarne la jeune Liliana. Eprise de liberté, son engagement pour la démocratie est tel qu'elle ne se soumettra jamais, frôlant la mort à plusieurs reprises.

C'est un film fort. Sobre et concis. La réalisatrice ne part pas dans tous les sens et réussit à centrer le propos d'une façon magistrale. Je n'aime pas particulièrement brandir des panneaux avertisseurs, considérant que le cinéma est là aussi pour nous bousculer, mais certaines scènes de ce film ne sont définitivement pas à mettre sous toutes les pupilles.

Présenté sur la carte blanche de Ken Loach, THE LOVES OF A BLONDE m'a donné l'occasion de revoir le 2ème film de Milos Forman. Petit bijou de la Nouvelle Vague tchèque, on y voit le génie observateur et satirique de Forman. Oui, avant d'être un réalisateur hollywoodien (VOL AU-DESSUS D'UN NID DE COUCOU ou encore AMADEUS), Forman a fait ses armes en Tchécoslovaquie, notamment entouré par Ivan Passer. Les festivaliers du FIFF se souviennent de son passage à Fribourg il y a quelques années. THE LOVES OF A BLONDE, tout le charme des années 60, les codes de séduction désuets, les bals, la musique... bref, moment jouissif pour la cinéphile que je suis.








Et sinon, du côté de la compétition internationale longs métrages, deux magnifiques surprises. La première, qui n'en est pas vraiment une, tant le film était attendu avec impatience, en tous cas pour ma part, FOXTROT du réalisateur israélien Samuel Maoz. Lion d'argent à La Mostra de Venise, représentant Israël aux derniers Oscars - non sans soulever la colère de certains - FOXTROT est un film frontal. Cependant, il cache bien son jeu. Décalé, absurde, il n'en est pas moins radical. Ceux qui ont vu LEBANON, sorti il y a presque 10 ans, se souviendront du cinéma sans concession de Samuel Maoz. Ce n'est pas dans ses habitudes de se taire. Et bien là, une nouvelle fois, il s'exprime. De l'absurdité révoltante des pratiques de l'armée israélienne aux traumatismes non-encadrés, si je puis dire, rien n'est épargné. Ce sont des coups de poings dans le ventre durant 2 heures. Le cinéaste prend régulièrement de la hauteur, pseudo distance qui n'en est pas vraiment une, pour bien nous faire comprendre, pauvre petits humains que nous sommes, que la fatalité est bien réelle. Que l'on a beau entreprendre certaines choses, actionner tous les leviers possibles et imaginables, ce qui doit être est. C'est un film immense que je vous conseille vivement de mettre à votre programme.







La grande surprise a été pour moi BLACK LEVEL de Valentyn Vasyanovych. Une heure et trente minutes sans un mot. Comment raconter la crise de la cinquantaine, évoquer la solitude moderne au travers d'une trentaine de tableaux? Et bien, comme l'a fait Vasyanovych. Il y a de la poésie, de l'absurde, de l'humour, une profonde tristesse dans ce film. C'est simple, j'ai adoré! Un vrai coup de cœur. Ce photographe, cinquantenaire, dont la vie part en couilles, n'ayons pas peur de le dire, va, par tous les moyens essayer de se prouver qu'il est encore capable, si ce n'est de bander - oui, pardon de l'écrire comme ça, mais c'est une réalité de ce film - d'avoir une force physique identique à celle d'une gamin de 20 ans et une capacité de séduction semblable à un adolescent. On peut facilement en sourire, on le fait d'ailleurs, mais au fond c'est d'une tristesse absolue. Il y a un vide dans la vie de cet homme absolument sidéral. C'est réalisé avec intelligence et originalité. C'est brillant. C'est une expérience de narration, de compréhension... un vrai moment de cinéma comme je les aime.







Et je reviendrai sur VAZANTE de Daniela Thomas, mais je vous avoue que je dois d'abord un peu le digérer...




ST / 19 mars 2018