En 2011, nous avions laissé
Louise Anne Bouchard sur une magnifique déclaration d’amour à Marius Daniel Popescu
- L’Effet
Popescu - , avant qu’elle ne nous raconte des histoires de cœurs avec pléthore d’autres auteurs dans Du Cœur à l’Ouvrage.
Depuis fin janvier, c’est à une
plongée dans la relation complexe de deux sœurs que l’auteure nous invite. Au-delà
des rapports sororaux, c’est un portrait familial sans concession qui est
dressé.
Viviane (écumante Dame du Lac),
découvrant qu’elle doit subir la greffe d’un rein pour éviter de trop
fréquentes dialyses, reprend contact avec sa sœur aînée Alma. Cette dernière a
fui la maison familiale alors qu’elle n’était âgée que de 16 ans. Au fur et à
mesure que le roman se déroule sous nos yeux, nous découvrons un passé terrible,
une tragédie familiale.
Des secrets et des non-dits qui tous mis bout-à-bout ont tissé une couverture de jalousie et d’incompréhension aux mailles très serrées. Le manque de communication, l’incertitude des sentiments maternels, la violence paternelle, autant d’éléments qui ont fait que chacune s’est enfermée sur elle-même.
Elles ont eu des enfants.
Viviane, une fille et un garçon : Séverine et Léo. Alma, un garçon, qu’elle
n’a que peu vu. Elle l’a laissé à son père avant de rejoindre la Suisse.
Un océan sépare ces deux femmes.
A Montréal, Viviane lutte contre la maladie, cherche son fils qui est parti en
ne laissant qu’un mot sur la table et tente tant bien que mal d’entretenir des
rapports « normaux » avec sa fille. Au Tessin, Alma (la bien-nommée.
Comment ne pas penser à l’épouse de Gustave Mahler et maîtresse de Gropius, architecte
et fille d’Emil Schindler, peintre paysagiste. Femme indépendante d’esprit et
extrêmement belle) est follement amoureuse de son chef d’orchestre de mari.
Elle possède une entreprise d’architecture paysagiste et une envie de vivre « embarrassante ».
Louise Anne Bouchard |
L’océan qui les sépare n’est pas
que géographique. A la lecture des courriels qu’elles s’envoient, deux
personnalités bien distinctes, aux antipodes l’une de l’autre, se dessinent. Cependant,
malgré leurs différences, chacune possède une douleur profonde qui n’a jamais
pu s’exprimer. Nous sommes voyeurs des quatre vérités qu’elles s’assènent par
voie électronique. On pourrait rapprocher ce "grand déballage" de certains films de Vinterberg notamment Festen (oui, parce que c'est quand même un blog de cinéma...). Quelques fois il y a un certain malaise qui se ressent et d’autres
fois, une infinie émotion se dégage de ces lettres modernes. Dans ce contexte
bien sombre de la maladie, les deux sœurs tentent de se réconcilier. Comme le
dit si justement Alma : «C’est le
rôle scandaleux de la mort de réunir ceux qui se sont perdus de vue. »
Federico, le mari d’Alma, par son
tempérament fougueux apporte de la tendresse, de la passion, de l’amour, et
aussi de l’humour, à ce récit. J’en veux pour preuve son admiration pour
Siffredi (oui, oui, il grande Rocco) ou encore ces instants où il décrit dans
un langage fleuri que pour la première fois il bande l’après-midi, lui qui est
plutôt un nocturne d’ordinaire. Oui, il nous décroche un sourire et oui, il
nous donne envie d’avoir toutes un Federico dans notre vie.
L’écriture de Louise Anne Bouchard
est limpide et fluide. Riche en images. Les psychologies des personnages sont fouillées et le principe du courriel permet d'avoir différents points de vue. L’auteure possède une très grande
capacité à communiquer les émotions, positives ou négatives, et un don presque
effrayant pour décrire les dysfonctionnements familiaux. Les dix dernières
pages sont particulièrement brutales et m’ont émue aux larmes. Mais à la fin du dernier
courriel, on sent sourdre la vie et on termine cette lecture le cœur rempli d’espoir
pour les descendants de Viviane et d'Alma.
Un roman qui se lit d’une seule
traite.
RUMEURS de Louise Anne Bouchard, BNS Press
ST / 23.02.2014