Sculptée dans une magnifique robe estivale bleu marine, les cheveux relevés, Ariane Ferrier était sublime cet après-midi. Des yeux malicieux, un sourire franc et sincère. Une femme de caractère, indépendante et sauvage, comme elle se qualifie elle-même, mais d'une féminité renversante. Celle qui compare d'emblée l'instant où la salle de cinéma devient noire, à celui où les hommes montent l'escalier d'un bordel (le meilleur moment selon elle). Elle est surprenante de spontanéité. Confidences entre femmes autour du sujet qui nous a réunies : le cinéma.
Ariane Ferrier, cinéphile ou cinéphage?
Définitivement cinéphage. Les cinéphiles font des comparaisons, moi pas. Je ne lis jamais les critiques avant d'aller voir un film, mais uniquement après. L'idéal, c'est lorsque je ne connais pas du tout le réalisateur par exemple. Et je n'ai jamais été critique de cinéma, je me présentais comme chroniqueuse. Chroniqueuse, c'est clair: j'ai aimé, je n'ai pas aimé. Critique? Si un jour j'arrive à écrire 3 pages de scénario ou de dialogues convenables, éventuellement je me le permettrais, mais ça m'étonnerait. Le cinéma c'est tellement une histoire de chair et d'émotions, que critiquer? Non, je n'oserais pas.
J'ai lu que vous aviez jeté votre dévolu sur les sièges du Capitole d'Yverdon? L'envie d'une salle de projection privée?
Oui, vous avez lu ça où? Je n'ai jamais lu l'article. Alors, oui, j'en ai pris sept. La dernière fois, il y a 20 ans, un cinéma de Genève liquidait et j'ai raté l'occasion. Je vais faire une petite salle avec 3-4 sièges et les autres je vais les offrir. Actuellement, dans mon salon, j'ai un coin "vautrage" où je regarde des films et des séries avec mes filles. Alors nous ne sommes pas amoureuses des mêmes docteurs de Grey's Anatomy, mais on prend du bon temps ensemble. Cela dit, tous les films ne se regardent pas en DVD. Du coup, j'en rate certains, parce que je refuse de les voir en DVD. Lorsqu'une de mes filles dit: "Non, je ne veux pas aller au cinéma, j'attends la sortie du DVD", je lui réponds qu'elle a dû être échangée à la maternité. Mais on se ressemble tellement, que c'est impossible (sourire).
Et la programmation idéale?
Des films que j'ai vu récemment. J'ai obligé toute ma famille, sans succès, à aller voir mon coup de coeur 2011 : "Et maintenant, on va où?". J'avais beaucoup aimé le premier film de cette femme (ndlr: Nadine Labakhi).
Je suis tellement bon public, j'aime les histoires d'amour, les polars, les films psychologiques. J'aime aussi les coups de poing du type "Festen" ou des films très durs. Cela dit, je ne suis pas sélective. J'irais voir des acteurs que j'adore même dans des merdouilles. Alors la programmation idéale, c'est dur de la définir.
Mais les grands classiques, vous les possédez en DVD?
Non. Par exemple "Douze Hommes en Colère" est toujours sous cellophane. De temps en temps mes filles acceptent de m'accompagner au cinéma, mais c'est rare. Le cinéma, c'est un plaisir solitaire pour moi. Mais il y a quelques personnes avec qui j'adore y aller: mon frère aîné. Il s'endort généralement les dix premières minutes (soupir) du coup, il a toujours besoin d'un petit debriefing. Alors ça j'adore: le debrief d'après séance. Et puis il est comme moi, il va régulièrement voir les films deux fois.
Vous allez voir les films deux fois?
Oui, c'est comme avec un bouquin. Quand j'arrive à la fin, je ralentis la lecture pour ne pas quitter les personnages. Pour les films, c'est la même chose. Je retourne voir un film qui m'a plu juste pour le plaisir de retrouver les personnages. Quelques fois, j'ai besoin de repasser un petit moment avec eux.
Les films qui vous ont fait aimer le cinéma?
Les deux films qui m'ont marquée et qui ont fait que je serai une cinéphage à vie, ce sont "Cabaret" de Bob Fosse et "Lacombe Lucien" de Louis Malle. Ils ont été fondateurs. Je les ai vus à un âge où on est très influençable. J'ai compris la complexité des sentiments et des relations entre les gens. Surtout "Lacombe Lucien". J'ai compris très jeune que la frontière entre héros et salaud, tient du millimètre. Ce jeune homme qui devient milicien parce qu'il a un trop plein d'énergie et qu'il vit dans une période ambiguë. Évidemment, les belles femmes, le pouvoir, l'argent. Et c'est énorme pour un gamin de 17 ans qui vient d'un petit bled de campagne. Il aurait sans doute été un résistant extraordinaire, mais il devient un véritable salaud.
Pour "Cabaret", les histoires parallèles, la montée du nazisme, le triangle amoureux et la grâce de Liza Minnelli. Elle était belle à tomber, mais sans une once de mignonnerie. Mais elle était belle : une beauté dénuée de joliesse.
Ces deux films m'ont expliqué des choses sur la vie. Par la suite, je les ai vécues dans ma chair ou les ai constatées autour de moi.
Les livres c'est pareil. J'ai envie de paraphraser Nicolas Bouvier: "Ce n'est pas moi qui lis les livres, mais ce sont les livres qui me lisent.". Bien sûr que c'est bon lorsque cela passe par la tête, mais c'est meilleur quand c'est un coup de poing dans le ventre ou dans le coeur sans passer par la case intello.
"Si une connaissance n'est pas précédée d'une sensation, elle ne m'est d'aucune utilité" disait André Gide. Et bien, c'est la même chose pour les films! Je n'ai pas le goût de la culture que l'on étale dans les dîners en ville, auxquels je ne vais pas d'ailleurs.
Il faut que mon ADN reconnaisse quelque chose qui me touche. Mais il n'est pas nécessaire que cela aille jusqu'aux tripes. Un film comme "Séraphine" est tellement poétique, qu'il nous effleure, nous caresse. C'est bon aussi.
Plus j'avance en âge, plus les films et les livres me préservent de la vie et me protègent aussi. On peut sortir bouleversée ou même en miettes d'un film mais on peut laisser cette émotion et y retourner si on en a l'envie. Les souffrances de la vie, elles nous suivent, elles sont à l'intérieur de nous ou on les constate.
Finalement les films ou les livres, c'est une façon un peu lâche d'aborder l'existence. J'ai vécu mon lot de drames et de souffrances, comme tout le monde. Parfois, la littérature et le cinéma m'ont sauvée. Le cinéma c'est aussi le médicament des grands sensibles.
Quel est le moment où vous préférez aller au cinéma?
En matinée ou en début d'après-midi. Et toujours dans les premiers rangs, parce que je dois en prendre plein la gueule! Mon plus grand plaisir, c'est d'aller, l'été, dans un multiplexe près de chez moi où il y a aussi un Virgin Megastore. Aller me faire une toile et traîner dans les rayons: un plaisir absolu.
A ce propos, il m'est arrivé une jolie histoire. J'étais dans cette librairie et je sens un homme qui me regarde empiler des livres. Il m'a sans doute prise pour une vendeuse. Il me dit qu'il est chauffeur routier et qu'il n'a plus lu de livres depuis l'école, Qu'il a envie de s'y remettre. Je me suis sentie tellement privilégiée... alors nous avons fait le tour des rayons. Je lui ai demandé ce qu'il aimait et il m'a répondu: "Claude François". Il reparti avec un manga, une bio de Claude François et un troisième livre dont je ne me rappelle plus le nom. Alors quelques fois, je pense à lui et je me dis qu'il est peut-être en Norvège ou en Espagne sur une aire d'autoroute et qu'il lit. C'était une rencontre magique et j'avais l'impression d'avoir les clefs d'une pâtisserie et d'avoir un compagnon de jeu.
A ce propos, je ne supporte pas les a priori et qu'on me dise :"Mais il FAUT lire ça ou ça!" Mais quoi, lire quoi, qui a dit ça? Si tu aimes lire Barbara Cartland, alors lis Barbara Cartland!
Honnêtement, je crois que j'ai une culture générale pathétique, parce que je ne me rappelle pas des noms, mais je me souviens des émotions et des jubilations lors de mes insomnies.
J'adore la philosophie et l'histoire, mais il faut qu'elles soient incarnées: j'ai besoin d'êtres de chair et de sang, des gens que je puisse comprendre. La culture pour moi, ça n'est que de la connaissance et du plaisir. De plaisir avant la connaissance.
Ariane Ferrier, une femme libre?
Totalement, je m'assieds sur les convenances. Libre, je ne sais pas: on vient quand même de quelque part. J'ai eu la chance de voir beaucoup de films et de lire beaucoup de livres. Cela m'a appris à ne pas juger ou à juger autrement. Cependant, il m'est difficile de soutenir une conversation avec une personne qui me pollue mentalement : je n'ai pas envie de discuter avec un homophobe ou un raciste. Il m'arrive de quitter des repas par agacement. Peut-être qu'en vieillissant, on a un sentiment d'urgence, simplement parce que l'on perd des gens. Si c'était ma dernière soirée, est-ce que j'aurais envie de la passer avec ces gens-là? Non. Je serai toujours mieux avec mes chats, mes livres et un film.
Une femme libre, finalement, je ne sais pas ce que cela veut dire. Très indépendante oui. J'adore rencontrer des gens très différents de moi, et j'aime les comprendre: ça, c'est le cinéma qui me l'a apporté. Parce que de la beauté, il y en a partout. Cela dit, je suis très sauvage, et je rejoins Brassens qui dit: "Au-dessus de quatre on est une bande de cons.".
Si vous deviez choisir un bel acteur?
Kevin Spacey. Je n'aime pas les jolis garçons, ça me lasse. Sean Penn me bouleverse. J'aime les hommes qui ont de la densité. Alors bien entendu je suis amoureuse du Docteur Mamour, comme tout le monde. On a longtemps fait des soirées canapé avec mes filles devant Grey's Anatomy. Un jour est arrivé un rouquin, qui n'était pas très beau, mais il s'est recousu tout seul dans la salle des urgences et je suis tombée raide dingue de lui.
Chez les femmes par exemple, j'adore Tilda Swinton. Elle est à la fois glaciale et intense. Bon, je suis un peu amoureuse de Johnny Depp. Il m'attendrit. Un autre qui m'ébrêche l'âme, c'est Richard Bohringer. Ce n'est pas un bel homme, mais il a une gueule que tu ne peux pas laisser passer. Il m'arrache le coeur.
"On the Road" est à moitié raté, parce que celui qui joue Dean est trop joli garçon. Il a le charisme d'une chaussette mouillée. Mais j'ai adoré Kristen Stewart qui va embellir avec les années. C'est un très bon choix. Elle ressemble à un petit chat sauvage. Et Marylin bien sûr. Marylin toujours. Elle était ronde. Aujourd'hui, on dirait qu'elle est en "surpoids". Ces standards de beauté m'exaspèrent. Il y a des filles ravissantes qui ne dégagent rien et des Josiane Balasko qui ravagent tout sur leur passage.
Être trop jolie pour une actrice peut être un handicap. Elles sont toujours cantonnées dans le même type de rôles. Le contre-exemple, c'est Marion Cotillard. Une très jolie fille mais qui arrive à transcender sa beauté.
J'adore la beauté des femmes. Il m'est arrivé d'en suivre dans la rue pour les admirer. Je suis aussi sensible aux parfums. Et un jour, j'ai suivi une vieille dame très distinguée parce que j'adorais son parfum. Et finalement on a pris un café ensemble. Bon, j'évite de suivre les hommes, cela pourrait prêter à confusion (éclats de rire).
Vous aimez quels genres de films?
Tous. Sauf les films bourrés d'effets spéciaux et la science-fiction. Je suis très cliente des comédies sentimentales et les américains sont forts pour ça. Nuits blanches à Seattle par exemple, je pleure. Et comme j'oublie toujours les mouchoirs, je me mouche avec ce qui me reste: mon pull, mon t-shirt. Du coup, mes proches se mettent quelques fois deux rangées derrière moi, parce que je pleure bruyamment.
J'adore aussi les séries, et là mon frère me lapiderait s'il m'entendait. C'est ce qu'il y a de plus inventif et d'iconoclaste dans le cinéma américain actuellement, du moins dans tout ce qui nous parvient.
Un truc qui m'énerve: impossible de montrer un sein sans que cela ne soit interdit au moins de 18 ans. Du coup, aucune femme ne fait l'amour sans son soutien-gorge. J'espère que les jeunes filles élevées à Desperate Housewives ne font pas l'amour en soutien-gorge!
C'est beau le sexe au cinéma. Même si c'est vulgaire, ce n'est pas grave, du moment que cela nous touche. Parce que la vie c'est salissant! Une scène de sexe ne me choque pas, mais je suis horrifiée devant le Téléjournal.
Vous parlez beaucoup des femmes...
Oui, je les admire et les respecte. La sororité des femmes m'épate. Dans notre éducation, de façon intuitive, on nous "oblige" à considérer les autres femmes comme des rivales. Mais c'est en lisant et en allant au cinéma que j'ai découvert que c'était faux.
Et j'ai toujours aimé travailler avec des femmes. On ne va pas au conflit comme les hommes. On ne fait pas de concours de celui qui pisse le plus loin. Tu n'as pas ça avec les femmes. Si tu as des femmes autour de toi, tu es forte. La vie me l'a appris, mais je l'avais déjà lu dans les livres et vu au cinéma.
Les femmes m'épatent. Avec une femme, je trouverai toujours un petit quelque chose en commun, un sujet de discussion. Avec les hommes, c'est plus compliqué. Ils ne sont pas des gens comme nous. C'est une espèce à part. J'adore les films de femmes. Ils ont souvent été un révélateur de force, mais aussi de lâcheté. Pourquoi cette femme a osé et pas moi? C'est troublant.
Je remercie la vie de m'avoir donné deux filles, je ne saurais pas quoi faire d'un grand dadet de 19 ans (éclats de rire). Cela dit, cela doit être difficile d'être un homme aujourd'hui, je parle dans la Suisse privilégiée dans laquelle nous vivons. Ils doivent être tellement de "choses". Sensibles, virils, bons pères, travailleurs. Nous, nous devons juste être nous, le mieux que nous pouvons.
Depuis mes 18 ans, quand j'ai vu des hommes se raser et se donner des claques à coup d'eau de Cologne, je me dis qu'ils ne sont pas comme nous. De même qu'ils ne comprennent pas nos sacs à main. Mon sac à main je l'appelle mon "kit de survie en terrain hostile". Le cinéma m'a aidée à comprendre les hommes et à les aimer...
Nous avons discuté plus d'une heure trente, puis nous sommes allées au cinéma ensemble. Le film n'était pas bon, mais la rencontre, elle, fut très très jolie. Merci Ariane Ferrier!
Propos recueillis le 28 mai 2012 / Cinécution