lundi 31 mars 2014

FIFF 2014: Fish and Cat... and human beings


Ce dimanche 30 mars restera à coup sûr dans les mémoires. Une masterclass des frères Dardenne , à Fribourg, ce n’est pas tous les jours. Et les fribourgeois, présents en nombre, ont bien compris cela. 24 heures avec les frères Dardenne, ce qui pourrait être le titre d’un film soit dit en passant, que nous ne sommes pas prêts d’oublier. Mon amie Louise Anne Bouchard, auteure et scénariste, a fait le trajet depuis Montreux pour assister, même 30 minutes, à cette masterclass, juste avant d’aller dédicacer son dernier roman, Rumeurs, au Salon des Femmes de Chavornay. C’est représentatif de l’engouement que suscite le duo belge.

La journée commençait bien et n’avait pas encore révélé la totalité de ses surprises. Au sortir de cette masterclass, me baladant sur le boulevard de Pérolles, je tombe nez à nez avec Erik Matti, réalisateur et producteur philippin et membre du jury international de longs métrages. Je l’invite à prendre un café et il en ressort un entretien totalement inattendu et improvisé. Nous sommes presque arrivés en retard à la séance de 14 heures… séance qui figurait sur son programme chargé de juré.

To Kill a Man du chilien Alejandro Fernandez Almendras, s’attaque à la vengeance. Un sujet qui pourrait être casse gueule s’il n’était extrêmement bien amené. Jorge arrive tant bien que mal à subvenir aux besoins de sa famille. Pris en grippe par un voyou de quartier, Kalule, qui s’en prend à sa fille et à son fils, Jorge décide de se venger. Tuer un homme, oui. Mais que faire du corps ensuite ?
 
 
Mon premier gros coup de cœur de cette 28ème édition du FIFF va à Fish and Cat de l’iranien Shahram Mokri. Quel film, mais quel film ! Un plan-séquence de 2 heures et 15 minutes. Mokri nous entraîne dans une forêt, au bord d’un lac, à la rencontre de deux tenanciers de buvette soupçonnés de servir de la viande humaine et d’un groupe d’adolescents réunis pour un festival de cerfs-volants. Le cinéaste perse nous prend littéralement par la main. Tour à tour sa caméra suit tel ou tel personnage et lorsque plusieurs sont dans le champ, nous ne savons pas lequel sera suivi par la caméra. Il nous prend aussi un peu en otage. Mais être otage dans de telles conditions, on en redemande ! La contrainte du plan-séquence n’est pas un obstacle aux digressions, et le temps, n’est qu’une notion bien relative. Les entrées et sorties de champ sont fabuleuses et le final digne d’un film de Kusturica ! Ce film utilise aussi de nombreux codes propres au film d’horreur, musique, effets de surprise, mais a la particularité de ne montrer aucune scène sanguinolente, se contentant d’évoquer, de suggérer. Je n’ai pas pour habitude de vous donner des ordres, préférant vous suggérer d’aller voir tel ou tel film, mais dans le cas précis, vous DEVEZ voir ce film ! C’est compris ?
 
 
La journée s’est poursuivie avec Siddarth de Richie Mehta. Ce film indien parle d’un père qui cherche inlassablement son fils disparu. Un prix du public quasi certain. Bien que produit par Manjeet Singh, le réalisateur du fabuleux Mumbai’s King, je n’y ai pas retrouvé cette atmosphère qui m'avait tellement plu. Il n’en reste pas moins que ce film est humain et sensible.

Une fois n’est pas coutume, la journée s’est terminée en séance de minuit. Et celle-ci était particulièrement gratinée. Boogie, un film d’animation sud-américain pas piqué des vers ! Boogie est un personnage ignoble: grossier, vulgaire, violent, sexiste, égocentrique, ne supportant que l’odeur du napalm au petit matin (et les références à Apocalypse Now sont nombreuses !!). Tout ça, c'est le même gaillard. Franchement, c’est un bon gros délire ! Parfait pour débrancher et reposer le cerveau avant une nouvelle journée intense.
 
 

ST/ 30 mars 2014

FIFF 2014: l'entretien inattendu avec Erik Matti


 
Il sortait de la projection d’un des films de la compétition internationale, je sortais de la Masterclass des frères Dardenne. Un boulevard, celui de Pérolles. Une terrasse, celle du Tea-Room du Rex. Un signe d’appartenance à une même communauté, le porte-badge rouge vif du FIFF. Un sourire. Un « Good morning ! » simultané. Des présentations rapides, « Hi, my name is Stéphanie » « Erik, nice to meet  you ». Une invitation à prendre un café.  Une discussion qui s’initie et qui très rapidement débouche sur des rires. Chabadabada… Un entretien entre café et cigarettes...

Bienvenue dans l’entretien « sauvage » , et totalement improvisé, avec Erik Matti. Le cinéaste et producteur philippin est membre du jury international de longs métrages du 28ème Festival International de films de Fribourg.

 
Erik Matti est un habitué des festivals suisses, plus particulièrement du NIFFF, qui a déjà accueilli plusieurs de ses films : Gagamboy en 2004 ou Tiktik : The Aswang Chronicles en 2013. Son dernier film, On the Job,  considéré par certains comme étant le meilleur polar de ces derniers mois, sera projeté dans le cadre du FIFF lundi soir à 21h15.

 

En quelques mots, parlez-nous de On the Job…

C’est un thriller qui parle de prisonniers qui sortent occasionnellement de prison pour tuer. La police mène une enquête, recherche ces meurtriers, mais ne les trouve pas. Elle ne se doute pas qu’en fait ils sont déjà en prison. C’est un jeu du chat et de la souris.

 

C’est sa première projection en Suisse….

Oui, absolument. Le film sortira en mai en France. Il est sorti aux Philippines en août l’année passée. Depuis lors, il fait son chemin principalement dans les festivals.

On the Job  est un film très américain, de part sa construction, sa structure, son visuel.  Vous êtes-vous particulièrement inspiré de ce cinéma pour tourner votre film ?

Il y a plusieurs idées avec lesquelles on voulait jouer en l’écrivant. La première était de se concentrer principalement sur les prisonniers. Et c’était tout. Mais lorsque nous avons commencé à faire des recherches, j’ai senti qu’il y avait une plus grande histoire à raconter. Une histoire qui allait au-delà du simple jeu de police et voleurs, et qui nous connectait avec le pays. C’est devenu un peu plus un thriller de conspiration. Tous mes films ne sont pas tournés de cette façon, mais celui-ci demandait un tournage à l’américaine, du point de vue cinématographique et stylistique. Il y a tellement de choses qui se passent durant ces deux heures et moi j’avais envie d’en dire tellement !

Avez-vous tourné ce film avec l’envie particulière de lui ouvrir les portes du marché international ?

Nous n’avions pas de film de ce genre aux Philippines. Nous ne sommes pas vraiment un pays qui fabrique des films pour Hollywood. Nous ne vendons pas nos films sauf si nous les amenons sur le marché des festivals. De plus en plus, ce ne sont que les gros films américains qui arrivent jusqu’aux Philippines. Nous sommes un pays qui consomme principalement ses propres productions. On commence à sentir une certaine lassitude des summer blockbusters américains. Donc en premier lieu, nous faisons  nos films pour le marché local et en deuxième lieu pour le marché international. C’est notre premier essai de marier les deux. Nous bénéficions d’un réseau de festivals solide aux Philippines mais aucun ne rayonne suffisamment pour vraiment être considéré comme une plateforme qui permet les distributions internationales. Avec On the Job, qui nous a demandé 4 ans de travail, nous avions vraiment cette volonté de le faire connaître localement mais également à plus large échelle. Nous avons eu la chance d’être distribué aux Etats-Unis, en France, et nous serons également distribués au Royaume-Uni et en Australie.
 
 

Comment expliquez-vous que ce film ait trouvé cet écho international ?

A vrai dire, c’est la première fois que cela nous arrive (rires) Nous avons un solide circuit de films d’auteur à l’étranger, mais pas vraiment pour le film grand public. Mais on ne peut pas faire uniquement des films qui sont destinés au marché international. Mon prochain film par exemple, qui sera une comédie, est purement local et destiné au marché national. Celui-là, je le tourne en ce moment. En septembre, j’en tournerai un autre, un drame, dans la même veine qu’On the Job, qui aborde un thème universel : le Pyramide Scam (ndlr : le système de Ponzi en français. Une espèce de Jeu de l’avion). C’est un drame dans lequel un couple est recherché par des investisseurs lésés. Pour le moment nous n’avons pas encore de titre, mais nous avons reçu de l’argent du gouvernement pour le produire. Le casting est choisi. On devait le tourner en janvier dernier, mais nous avons déplacé le tournage à septembre de cette année.

Est-ce que c’est la première fois que vous être membre d’un jury ?

Oui !

Quelles sont vos attentes, vos critères ? Qu’est-ce qui va vous faire choisir LE film ?

Dans les festivals, certains films se ressemblent… beaucoup de longs plans, beaucoup d’attente… Ce qui va retenir mon attention, c’est l’honnêteté. Cela m’est égal, si c’est long, court, lent, rapide, tant que c’est honnête. Le genre m’importe peu également. Cela peut être un film fantastique, un thriller ou un film d’auteur, tant que c’est honnête. Faire des films est quelque chose de spécial. Vous ne pouvez pas juste parler de tout et de rien… sinon vous faites un téléfilm, un livre ou une émission de radio. J’ai besoin de voir la patte du réalisateur. Et c’est ce qui est difficile à constater : l’honnêteté et la vérité du réalisateur.

A quoi reconnaissez-vous qu’un film est honnête ?

Quand il n’y a pas trop de gimmicks. Que le film reste fidèle à sa forme. Que le réalisateur n’ait pas peur de faire avancer son histoire et d’aller directement au but. Certains réalisateurs font de l’abstrait pour faire de l’abstrait (rires) et je pense que cela n’est pas nécessaire. Tous les grands films vont directement au but. Même des films comme ceux de Kurosawa ou de Kiarostami vont directement au but, même s’ils sont lents. Et surtout, pas juste de « jolis longs plans » sur un feu qui s’éteint…  c’est bon, j’ai compris que le feu s’éteignait, pas besoin de s’éterniser (rires)
 
 

Donc vous n’appréciez pas la masturbation intellectuelle ?

La masturbation intellectuelle ne me dérange pas, tant qu’elle reste honnête. Avec tout ce que l’on voit aujourd’hui, il est très facile de faire un film avec beaucoup de gimmicks et qui essaie d’être plus important que ce qu’il est en réalité. Je préfère voir quelque chose de simple et d’ordinaire que d’avoir un discours super intelligent qui ne repose que sur du vide.

Vous vous réjouissez de cette semaine de juré ?

Je suis très excité ! Hier soir, je me suis couché très tôt pour être en forme. J’ai 4 films au programme aujourd’hui. Le jury est un très joli mélange. Cela sera très intéressant de discuter en fin de semaine. Par exemple, certains de mes collègues ont beaucoup apprécié le film que nous venons de voir et l’on exprimé… moi je suis resté muet (rires) Cette semaine va être très enrichissante.

 

Propos recueillis le 30 mars 2014 /ST

dimanche 30 mars 2014

FIFF 2014: entrez, il y a de la lumière...


D’ordinaire, il m’arrive d’être émue pendant le FIFF, mais rarement je n’aurai été saisie avant même qu’il ne commence. Ce fut le cas ce midi.

Ma première projection avait lieu à 12 heures tapantes ! R… ne répond plus  des frères Dardenne était au programme et le duo belge était attendu. Il va sans dire que la cinéphile que je suis trépignait d’impatience depuis le jour de l’annonce de leur venue. Avoir eu la chance d’échanger quelques mots avec eux, de sourire avec eux, et de prendre une photo souvenir ont eu raison de toutes mes bonnes résolutions, c’est-à-dire ne pas pleurer tout le temps… l’émotion était trop forte. Et lorsqu’Elise Domenach, la curatrice de la section Sur la carte de…  me confie qu’elle-même est très émue, cela me réconforte. Je ne suis ni une groupie, ni une midinette! Juste une grande cinéphile sensible. Tant qu’on n’est pas blasé, la vie est sauve !
R… ne répond plus, un documentaire de 50 minutes tourné à la fin des années septante, qui nous plonge dans l’univers des radios-libres. La particularité de bon nombre de ces radios est de diffuser dans l’illégalité. Elles revendiquent une plus grande liberté d’expression et la fin du contrôle étatique sur le domaine de la radiodiffusion. Le but ultime est de partir à la recherche du réel, de ce qui touche vraiment les gens, sans que cela ne passe par le prisme du politiquement correcte. La parole est donnée aux auditeurs qui choisissent la programmation musicale, mais qui peuvent également faire passer des messages à des membres de leur famille qui sont emprisonnés, par exemple. Un documentaire au charme désuet et au montage sonore qui pourrait faire penser à Very nice, very nice d’Arthur Lipsett.

Jean-Pierre et Luc Dardenne
 
Après un voyage dans le temps, c’est un voyage vers une île que l’on fantasme tous qui m’attendait : Madagascar ! Le curateur de la section Nouveau Territoire, Laza, possède un charme pétillant et un enthousiasme communicatif. Le malgache a dégainé son smartphone pour photographier la salle en nous disant : « Je vous prends en photo, parce qu’à partir de maintenant, vous faites partie de l’histoire du cinéma malgache ! ». L’émotion de venir présenter le cinéma de son pays se transmet à toute la salle qui d’emblée est conquise par le directeur du Festival du film court de Madagascar. Je ne saurai que trop vous recommander d’aller assister à une prochaine projection de ces courts métrages « documentaires ». Le second, Le Prix de l’Effort  de Nantenaina Rakotondranivo (merci ctrl+C puis ctrl+V… ça sert quelques fois…) vaut particulièrement qu’on s’y arrête. Hervé Adrien s’est mis en tête de débarrasser la décharge à ciel ouvert d’Andralanitra de tous les sachets en plastique qui jonchent son sol, pour, en les mélangeant à du gravier, en faire un ersatz de goudron pour combler les trous dans les routes ou créer des sentiers pédestres plus praticables. La qualité de ce court est bluffante. A voir, donc.

Le Prix de l'Effort
 
Ce fut aussi l’entrée dans la compétition internationale de longs métrages avec Lock Charmer de Natalia Smirnoff. Ce film argentin, à la fois tragique et poétique, est empreint de délicatesse. Sebas, serrurier de métier, et collectionneur de boîtes à musique, se découvre le don de dire les quatre vérités à ses clients. Vérités qui sortent de sa bouche sans qu’il puisse les retenir. Confronté dans sa propre vie à des décisions délicates à prendre, se questionnant sur ses sentiments, sur ses réels espérances et envies, Sebas utilise son don pour se venir en aide. Entre cliquetis de boîtes à musique et grincements de serrures, laissez-vous porter par la poésie qui se dégage de ce film. Bien que les thèmes abordés soient dramatiques.

Gigi, Monica… et Bianca de Yasmina Abdellaoui et Benoît Dervaux m’a quant lui profondément bouleversée. Nous sommes au milieu des années 90 et nous suivons Gigi et Monica. Deux adolescents fous amoureux qui (sur)vivent, tant bien que mal, dans le ventre de la gare de Bucarest. Monica est enceinte. Où élèveront-ils leur enfant ? Ont-ils un avenir ? Ce film m’a replongée dans un voyage que j’ai fait en Roumanie en 1997. J’en ai certainement croisé des Gigi et des Monica, sans le savoir…

 
Quant à Moebius de Kim Ki-Duk, il me laisse en suspension. Je suis incapable de vous dire si j’ai aimé ou détesté ce film. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il exerce un pouvoir de fascination. Je ne sais s’il doit être pris au 1er, au 2ème ou au 47ème degré. Par moment haletant, prenant, puis presque drôle (mais là encore, je suis aussi incapable de vous dire pourquoi je riais) ce film est une énigme. Bien qu'ayant vu Sex and Zen  et L’Empire des sens, deux films qui montrent des amputations de pénis, le dernier opus du Kim Ki-Duk ressuscité reste inclassable. Dénué de tout dialogue, et presque totalement de musique, ce n’est qu’avec la bande-son poussée au maximum que le réalisateur sud-coréen communique. A toi, spectateur, de te faire ta propre opinion. Bien que l’obsession sexuelle de notre société soit mise en avant, les victimes collatérales de ce genre de comportement, les ados en l’occurrence, ne sont pas mis de côté pour autant. Au contraire. C’est l'histoire d'un fils qui est pris au piège entre les infidélités de son père et la folie de sa mère. Viol collectif, castration, sadomasochisme, Œdipe douteux, vous ne ressortirez pas indemnes de ce film provocateur et dérangeant. Peut-être serez-vous comme moi, en train d’hésiter entre génie et « dinguitude »… ou comme dirait mon amie Sandra, reine de la métaphore : « C’est un peu comme si tu te trouvais en face d’une marguerite dont tu ignores le nombre de pétales… »,  le nombre de pétales étant, dans le cas précis, infini.

Entre l’émotion, à peine voilée, de Thierry Jobin au moment de dédier cette édition du festival à son ami Mohammad Rasoulof et le discours geek du Conseiller Fédéral Alain Berset, qui a mis en avant qu’il n’y avait pas qu’un discours binaire, j’aime-j’aime pas, noir ou blanc, ou tenant dans un tweet de 140 caractères, mais qu’il existe un langage plein de nuances, celui du FIFF, je crois que cette 28ème édition est bel et bien lancée… et de façon magistrale.


Trois questions à Laza, curateur section Nouveau Territoire Madagascar :
 
Laza

 


Qu’est-ce que cela vous fait de venir présenter des films malgaches à Fribourg ?


Beaucoup d’émotions. On est en train d’écrire l’histoire du cinéma malgache en fait. C’est inédit dans l’histoire du cinéma malgache. Parmi les films que l’on va montrer, la moitié sont des premières  mondiales et c’est la première fois que l’on va les voir sur grand écran. C’est très émouvant.

Comment définiriez-vous le cinéma malgache ?
Je pense qu’en l’état actuel, c’est un cinéma d’urgence. Les salles de cinéma ont fermé pendant plus de 20 ans dans le pays. Donc un jeune de 20-25 ans n’a jamais vu un film en salle de sa vie. On a tellement cette envie de raconter des histoires avec rien, parce qu’il n’y a pas d’industrie, il n’y a pas d’argent pour faire des films, que chaque film qui aboutit est un film utile.
Que souhaitez-vous que les festivaliers retiennent du cinéma malgache ?
Que pour une fois, ce sont les malgaches qui racontent leurs propres histoires. Depuis très longtemps, ce sont des étrangers qui racontent nos histoires. Nous avons enfin l’occasion d’offrir un point de vue original de ce qui se passe chez nous. De vivre les choses de l’intérieur. J'y vois beaucoup d’espoir. Au niveau politique il y a beaucoup de problèmes, mais il y a toujours et encore de l’espoir. C’est ça que j’ai envie de célébrer.
ST / 29.03.2014



 

dimanche 16 mars 2014

FAHRENHEIT 451 - François Truffaut - 1966


Le Ciné-club universitaire de Fribourg a eu la gentillesse de me demander de venir parler de Fahrenheit 451 de Truffaut avant sa projection à 19h30. L’occasion pour moi de vous présenter ce film dans la rubrique « films du grenier ».

Il s’agit du 5ème film de François Truffaut (il le dit lui-même, bien qu'il en ait fait deux de plus) après Les 400 Coups, Tirez sur le Pianiste, Jules et Jim et La Peau Douce. C’est son premier film en couleur et le seul qu’il tournera en langue anglaise.

C’est en 1960, lors d’un repas chez son ami Jean-Pierre Melville que Raoul Lévy, qui avait entre autre produit Et Dieu créa la femme, lui parle du roman de Ray Bradbury. Truffaut est tout de suite séduit, bien que n’aimant pas trop la science-fiction et étant peu enclin à écouter des histoires de martiens. Hors, dans le roman d’anticipation de Bradbury, point de martiens, mais il est question d’une société où le livre est banni, détruit. L’homme, privé de lecture est réduit à sa plus simple expression. Cela suffit à convaincre Truffaut, grand lecteur et amateur de littérature. A l’exception de deux romans de Henri-Pierre Roché (Jules et Jim et plus tard Les deux Anglaises et le Continent), Truffaut n’a jamais adapté de grands classiques de la littérature à l’écran, leur préférant la littérature anglo-saxonne et le roman noir. Alors la science-fiction… Truffaut aimait dire que ses adaptations de romans n’étaient pas simplement des « adaptations cinématographiques de romans », mais plutôt des « hommages filmés ». Fahrenheit 451 est, à sa façon, un hommage au roman de Ray Bradbury.

Il aura fallu pas moins de 6 ans pour que le projet aboutisse. Début 1962, Truffaut se rend  à New-York pour accompagner la sortie de Jules et Jim. Il y rencontre Ray Bradbury. Il négocie les droits du roman pour 40'000 dollars et rentre à Paris pour se mettre au travail. Truffaut avait d’abord dans l’idée de faire un film français avec des acteurs français. C’est ainsi que pour endosser le rôle de Montag, il avait pensé d’abord à Jean-Paul Belmondo, puis à Charles Aznavour qui avait tourné Tirez sur le pianiste. Il apparaît très rapidement que le film sera très cher. Tous les producteurs français se désistent les uns après les autres. En août 1962, Truffaut met ce projet un peu de côté pour se consacrer à son livre entretien avec Alfred Hitchcock : Le Cinéma selon Hitchcock, qui reste, aujourd’hui encore, le livre référence sur le cinéaste britannique.  
De retour à Paris, il travaille avec différents scénaristes ; Jean Gruault, avec qui il venait de travailler sur Jules et Jim, puis Marcel Moussy, avec qui il avait collaboré sur Les 400 Coups et sur Tirez sur le Pianiste. C’est finalement Jean-Louis Richard qui adaptera Fahrenheit 451. Début 1963, le scénario est prêt, mais il n’a toujours pas de producteurs.

Début 1964, la société de production de Truffaut, Les Films du Carrosse, est financièrement dans une situation délicate, ce qui force le réalisateur à sortir un nouveau film.  Ce sera La Peau douce. Un de mes films préférés de Truffaut.

Courant 1964, des producteurs américains, Lewis M. Allen et Vineyard Film sont intéressés à produire Fahrenheit 451. Mais ils mettent comme conditions que les rôles principaux soient attribués à des acteurs américains, ou du moins anglophones et que le film soit tourné en anglais. Truffaut songe alors à Paul Newmann pour interpréter Montag puis le rôle sera attribué à Terence Stamp. Pour le double rôle de Linda-Clarisse, Truffaut le confie à Julie Christie qui est alors en plein tournage de Docteur Jivago. Le rôle de Lara la rendra mondialement célèbre. Terence Stamp peu convaincu par cette distribution renoncera finalement au projet. C’est donc Oskar Werner qui sera Montag.
Reste à trouver un lieu de tournage. Truffaut pense tout d’abord à l’Italie, à Toronto, à Seattle ou encore la banlieue parisienne. Ce sera finalement dans les très célèbres studios Pinewood de Londres que se tournera la majeure partie du film. Toute l’équipe du film sera anglaise. A relever que le directeur de la photographie n’est personne d’autre que Nicolas Roeg qui entamera, dès 1970 un grande carrière de réalisateur, avec notamment comme œuvre phare Don’t look now avec Donald Sutherland et … Julie Christie. Un film que je ne peux que vous recommander vivement !

Et niveau musique, Truffaut est très bien accompagné. Ce n’est rien de moins que Bernard Herrmann qui signera les partitions de Fahrenheit 451. Herrmann qui avait déjà signé des partitions aussi fameuses que celles de Citizen Kane, La Splendeur des Amberson d’Orson Welles, L’aventure de Madame Muir  de Mankiewicz ou encore Sueurs froides, La Mort aux Trousses ou Psychose d’Alfred Hitchcock. Rien que ça… Il fait ainsi une infidélité à son complice musical de toujours, Georges Delerue.

C’est donc en janvier 1966 que le tournage peut débuter. Le film sortira en septembre de la même année.

L’histoire de Fahrenheit 451 se situe dans un état dictatorial et futuriste. Les pompiers n’éteignent pas des incendies, mais brûlent des livres. Une société qui se prive de son histoire en détruisant les livres a-t-elle un avenir ? Il n’y a pas de lieu précis, ni d’époque déterminée. Une histoire suspendue dans l’espace-temps. Le pompier Montag, au contact de Clarisse, découvre la lecture. Le premier livre qu’il tiendra entre ses mains est David Copperfield  de Charles Dickens. Il le découvrira comme en enfant, suivant les mots du bout de ses doigts. Avec cette première lecture s’impose très rapidement une question : puis-je être le propre maître de ma vie ou dois-je laisser la place à quelqu’un d’autre ?

L’écrit est absent de tout le film. Pas d’enseignes, pas de générique. Le générique de début est récité par une voix off. L’omniprésence d’écrans télévisuels interactifs dans les maisons, pose la question du contrôle totalitaire, de l’intrusion d’un régime dictatorial dans la vie privée des gens. L’absence de réflexion personnelle et le contrôle permanent. 

Le tournage a débuté par la prise de toutes les scènes qui seront projetées sur les différents écrans (prises de judo, leçon de maquillage, speakerines). A ce propos, il s’agit toujours de la même speakerine. Seuls les décors, les vêtements et les perruques changent. Dans la société recréée par Truffaut, l’humain n’est que peu intéressant puisqu'il peut être travesti à l'envie.

Ce film, dont le malaise retranscrit à l’écran et la représentation d’un certain déséquilibre, peut rappeler l’ambiance de certains films d’Alfred Hitchcock se termine néanmoins sur une note onirique qui peut rappeler l’univers de Jean Cocteau. Un monde où les hommes deviennent objets. Mais pas n’importe quels objets : des livres.


A voir au ciné-club universitaire de Fribourg, mardi 18 mars à 19h30 à la salle de cinéma 2029 de l'université, site de Miséricorde.

ST/16.03.2014

mercredi 12 mars 2014

FIFF 2014 : films catastrophe et petits bonheurs cinéphiles



  


Oui, le monde est en crise. La nature reprend ses droits. L’homme est mis face à sa cupidité. Le mot solidarité semble avoir disparu des dictionnaires occidentaux. A priori, pas beaucoup d’espoir. Sauf que le Festival International de Films de Fribourg nous propose d’entrer en résistance !  

Quelques petits remèdes sont proposés au travers des films sélectionnés dans la section Décryptage. Ainsi, du SDF intrigant de Borgman d’Alex van Warmerdam en passant par Henry, le père de famille cultivateur d’OGM de At Any Price  de Rami Bahrani, sans oublier des documentaires comme Inequality for all de l’américain Jacob Kornbluth, nous apprendrons comment nous extraire de crises économiques, personnelles, dans une société occidentale où le « chacun pour soi » prévaut. 



Cette section possède aussi son petit bonheur : Finding Vivian Maier de John Maloof et Charlie Siskel qui lève le voile sur plus de 30'000 négatifs jamais développés de la photographe Vivian Maier. Une exposition à la Bibliothèque cantonale universitaire lui fera écho.


Une compétition internationale de haut vol


La compétition internationale de longs métrages promet d’être riche en émotions. Alors que nous découvrions le Eric Rohmer japonais en la personne de Koji Fukada et son Au revoir l’été, nous retrouverons avec bonheur le multi lauréat de l’an passé Wang Bing. Le cinéaste chinois nous plonge, avec  ‘Til Madness Do Us Part dans un asile psychiatrique où une cinquantaine d’hommes vivent enfermés. Les pathologies psychiatriques côtoient les mal-aimés de la société. S’ils ne sont pas fous à l’entrée, leur internement se chargera de faire naître la folie.  Cette magnifique compétition verra aussi projeté le sublime Manuscripts Don’t Burn de l’extraordinaire cinéaste iranien Mohammad Rasoulof. Voir ce film est une obligation ! Autre film iranien en compétition, le terrifiant Fish and Cat  de Shahram Mokri. Un plan séquence de plus de 2 heures ! L’expérience doit être vécue ! 

Le FIFF s’affranchit une nouvelle fois de l’impératif de réunir des premières internationales, en privilégiant la diversité et la qualité. Fictions et documentaires se rencontrent, se complètent, se répondent. 

Nouveauté, une compétition internationale de courts métrages verra s’affronter 18 courts métrages issus de 15 pays, dont le Bhoutan et l’Iraq. Des pays qui ont rarement accès la distribution internationale. Ces 18 courts métrages seront projetés en trois programmes.



Catastrophes chimiques et naturelles, censure et résistance


Dès l’ouverture, avec Bhopal : A Prayer for Rain, le ton est donné. La section cinéma de genre donnera la parole aux films d’actions, aux documentaires avec comme seul mot d’ordre : survivre ! Une section qui fera la part belle aux films sud-coréens. C’est effectivement dans ce pays que la majorité des films catastrophe sont actuellement tournés. Nous aurons l’occasion de quitter la Corée du Sud pour nous envoler vers le Japon avec un documentaire possédant une énorme force poétique, The Horses of Fukushima, puis d’un bond nous serons en Russie, pris au piège d'un métro moscovite avec Metro.  

The Horses of Fukushima, Yoju Matsubayashi
 
La résistance passe quelques fois par sa propre mise en danger. Tel est le cas pour les cinéastes iraniens. Une magnifique section hommage leur est consacrée. Particularité de cette sélection, les films ont été choisis par les plus grands réalisateurs iraniens. A force de persévérance, de mise en confiance, Thierry Jobin a su trouver les mots pour convaincre de grands noms du cinéma iranien tels que Mania Akbari, Asghar Farhadi, Mohammad Rasoulof ou Jafar Panahi (pour n’en citer que quelques-uns) de choisir parmi la riche production cinématographique iranienne, leurs films préférés. Ce sera l’occasion de découvrir des films rares, privés de distribution notamment en raison de la censure. Plus qu’un plaisir cinéphile, un acte citoyen. Le cinéma iranien, comme souvent mentionné sur ce blog, est un des plus beaux au monde. Des films engagés aux qualités artistiques indéniables. 

Cette sélection sera d’ailleurs reprise par le Festival International du Film d’Edimbourg,  par la Cinémathèque de Toronto, qui complètera le programme, et aussi, mais partiellement, par la Cinémathèque Suisse.

The Runner, Amir Naderi


Jury  5***** et  gourmandises cinéphiles


C’est un jury impressionnant qui aura la lourde tâche de décerner le Regard d’Or de cette 28ème édition du FIFF. Le québécois Sébastien Pilote (et son extraordinaire Le Démantèlement) siègera aux côtés d’Alejandro Fadel (vu l’an passé avec Los Salvajes), Erik Matti (l’occasion de voir On the Job en séances de minuit) et de Daniela Michel, qui dirige depuis dix ans le Festival International de Cinéma de Morelia au Mexique. Cerise sur le gâteau, Jerry Schatzberg, grand prix du Jury à Cannes en 1973 avec L’Epouvantail sera également membre du jury.

Les séances de minuit, ainsi que les films hors compétition permettront aux cinéphiles les plus chevronnés de se faire plaisir « encore un petit peu plus ». Le bonheur de pouvoir voir le terrifiant dernier film de Kim Ki-duk, Moebius  ou encore de découvrir le film préféré de Quentin Tarantino en 2013,  Big Bad Wolves. Et si vous n’êtes pas encore rassasiés, plongez dans Boogie de Gustavo Cova, un film d’animation argentin cynique est irrévérencieux. Pour ceux qui souhaitent comprendre ce que le cinéma 3D apporte (ou enlève, c'est selon) au cinéma traditionnel, une vision de  3x3D réalisé conjointement par Jean-Luc Godard, Peter Greenaway et Edgard Pêra, s’impose. Pour ma part, en dehors de tous les films précités, et certainement encore plein d’autres, je ne résisterai pas à l’appel de Historias Extraordinarias de Mariano Llinàs.



Quant aux Frères Dardenne, grands invités de cette édition du FIFF, ils seront présents lors du premier week-end du festival qui se tiendra du 29 mars au 5 avril prochains.



Maintenant, ne reste plus qu’à répondre à une seule question : Comment vais-je faire pour tout voir ? 


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ST / 12.03.2014