dimanche 28 octobre 2012

LIKE SOMEONE IN LOVE - Abbas Kiarostami - 2012

Une coproduction franco-japonaise, un réalisateur iranien exilé, une histoire aux thématiques universelles : l'amour et la solitude. Un film dans lequel il n'est pas facile d'entrer tant que l'on n'a pas accepté de se laisser aller à la lenteur du propos. Autant dire que ce matin, avec les premières neiges et la petite balade vivifiante qui m'a menée au cinéma, j'étais un peu "électrique". Il m'a fallu une dizaine de minutes pour vraiment me laisser happer.
C'est  un film étrange où l'on ne comprend pas tout de suite où et avec qui nous sommes. Un café, un plan large, plusieurs personnages qui sont en mouvement et une voix de femme qui sort de nulle part mais qui semble être au téléphone. Elle se justifie : "Je suis à tel endroit, avec telle personne. Non, pas ce soir, je suis fatiguée. Je dois préparer mon examen." Une succession de mensonges. Et soudain, la caméra se retourne et apparaît le visage d'une jeune femme: Akiko.



Un homme s'assoit à table et lui rappelle le rendez-vous de la soirée. Akiko tente de se dérober en expliquant que sa grand-mère est en ville et qu'elle repartira dans la soirée et qu'elle souhaite la voir. Rien à faire, l'homme la met dans un taxi, paie le chauffeur. Akiko s'en va accomplir son travail de nuit : prostituée. Elle ne verra donc pas sa grand-mère qui l'attend sous une statue au milieu d'un rond-point, seule.



Akiko arrive chez Watanabe Takashi, un ancien professeur de sociologie à la retraite. Le vieil homme vit seul au milieu de ses bouquins. Que se passera-t-il entre eux? On ne le saura pas, on ne pourra que le deviner. Le lendemain matin Takashi emmène Akiko vers son école afin qu'elle puisse passer son examen. La jeune femme se fait aborder violemment par son petit ami. Ce dernier vient frapper à la vitre de la voiture de Takashi et s'installe sur le siège passager, étant certain qu'il est le grand-père d'Akiko. S'engage alors entre les deux hommes une discussion sur la vie, les relations hommes-femmes. Il avoue au bout d'un certain temps qu'il n'est pas le grand-père d'Akiko, il ne dévoilera cependant pas le rôle qu'il joue dans la vie de la jeune étudiante.



Ces trois personnages se rencontrent, se découvrent, se mentent, avec comme fils conducteurs, l'amour et la solitude.

La solitude du vieil homme qui tente de la combler en s'offrant la compagnie de charmantes jeunes femmes. La solitude d'Akiko, qui en mentant continuellement s'enferme peu à peu sur elle-même. La solitude de Noriaki, éperdument amoureux d'Akiko qui fuit en permanence, honteuse de son emploi de nuit. Celle de la grand-mère, qui aura passé une journée complète à errer aux alentours de la gare de Tokyo dans l'espoir de voir sa petite-fille, sans succès. La solitude de la voisine de Takashi, qui a choisi le célibat pour rester auprès de son frère invalide et qui passe ses journées à regarder au travers de sa toute petite fenêtre, les va-et-vient chez son voisin. Voisin dont elle était secrètement amoureuse étant jeune.



L'amour: celui d'une grand-mère pour sa petite-fille. Celui d'un vieil homme pour une jeune femme à qui il pardonne tout et pour qui il est plein d'attentions. L'amour d'un fougueux jeune homme pour la femme qu'il aime et dont il ne supporte plus les mensonges.

Un film lent, très lent. Des images sublimes. Les pare-brises des voitures, les rétroviseurs, les miroirs, sont autant de toiles de projection qui reflètent l'environnement. Trois lieux principaux: le bar, l'appartement de Takashi et la voiture. Des lieux clos qui favorisent les confessions, les rapprochements, les déchirements. Un film doux et tendre qui se termine sur une note dure qui nous laisse cois. A croire que tant l'amour que la solitude ne se brisent que dans la violence.



Votre Cinécution

SKYFALL - Sam Mendes - 2012

James Bond a 50 ans, cela n'aura échappé à personne! Les gondoles des magasins sont remplies de compilations, de coffrets, retraçant les aventures du personnage crée par Ian Flemming. Ce jubilé valait bien un nouvel épisode. Et quel épisode! "Skyfall", c'est un condensé de tout ce que l'on aime chez James Bond : les courses-poursuites, les explosions, les femmes, de l'humour, du suspense, de l'émotion, un brin, oui, juste un brin d'érotisme. Ce 23ème volet, c'est la quintessence du film d'espionnage made in UK.
Sam Mendes (réalisateur d' "American Beauty", "Les Sentiers de la Perdition" ou encore "Les Noces rebelles") est un homme de théâtre, et ça se voit: une mise en scène impeccable et un véritable travail sur la psychologie des personnages. Jamais James Bond n'aura semblé si "humain". Il se montre vulnérable, tourmenté. "M" a aussi sa part de mystères: des secrets enfouis refont surface et la mettent en danger. L'équilibre qui prévalait jusqu'à maintenant est fragilisé. Les menaces qui planent sur le MI6, sur le Royaume-Uni ne sont plus des pays, mais des individus: c'est en substance les mots qui sont dans le plaidoyer que fait "M" devant sa hiérarchie qui remet en doute l'existence même du MI6.
 
 
Le prologue est époustouflant! Un disque dur contenant toutes les identités des agents de l'OTAN infiltrés dans des groupes terroristes a été subtilisé. Bond (Daniel Craig) et Eve (Naomie Harris) sont à Istanbul en mission. La mission tourne au vinaigre: Bond est touché et laissé pour mort. Générique!
 
 
 
Mais James Bond ne serait pas James Bond s'il ne ressuscitait pas! Blessé, psychologiquement et physiquement, l'agent 007 montre des failles et échoue aux tests qui devaient lui redonner la possibilité de réintégré le MI6. "M" (Judi Dench) l'envoie tout de même sur le terrain : c'est lui qui sera chargé de mettre la main sur le disque dur et les cyber-terroristes qui s'en sont emparé. Il s'envole pour Shanghai, non sans avoir rencontré "Q" (un tout nouveau "Q", tout jeune, petit génie un peu prétentieux qui ironise lorsqu'il remet les billets d'avion, l'arme de service et une petite radio : "Vous semblez déçu? Vous pensiez recevoir un stylo qui explose? C'est dépassé tout cela!"),  puis Macao, puis sur l'île d'Hashima, fief de Silva (Javier Bardem). Un Javier Bardem blond (!), qui n'est pas sans rappeler Christopher Walken dans "Dangereusement vôtre", qui n'a rien d'érotique. Pourtant, Javier Bardem quand même! Mais bon... passé ce détail capillaire, il est remarquable. Atrocement sadique, cynique, plein de rancoeur, il incarne cet ancien agent du MI6 avec brio. Trahi par "M" lors de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, il veut sa peau. Celle qu'il appelle "mère" doit mourir pour cela. Localisé grâce à sa toute petite radio, Bond arrêtera Silva et le conduira à Londres. La suite de l'aventure le conduira également à Skyfall, en Ecosse, là où Bond a grandi. Le final, inattendu et spectaculaire (les fauteuils du cinéma vibraient) est émouvant. Notons quand même qu'il vous faudra attendre environ 1h45 pour apprécier le fameux James Bond Theme de Monty Norman, même si çà et là, 4 notes nous le suggèrent.
 
 
 
Sam Mendes réalise avec maestria ce "Skyfall". Il joue avec les personnages comme avec des marionnettes, mettant en scène des combats comme dans des théâtres d'ombres chinoises. C'est sublime! Les ombres sont omniprésentes : on distingue régulièrement que les silhouettes des personnages et cela donne la profondeur au film. Les images sont magnifiques, les décors exceptionnels. Un James Bond simple, sans artifices, mettant la psychologie des personnages en avant, laissant un peu de côté les gros effets. C'est un retour aux sources : humour british, classe, élégance. C'est délicieusement rétro. Même Daniel Craig a la classe. Et pour que je dise ça, il faut vraiment que ce soit le cas, vu que je suis d'avis que Craig n'est absolument pas fait pour incarner James Bond. Mais sur ce coup, j'avoue, il a la classe. Il esquisse même quelques sourires : c'est Noël!
 
 
 
Blagues à part, je sais que vous êtes nombreuses à saliver devant la plastique de Craig, ce James Bond là, il faut le voir! Achetez vos billets à l'avance et aller le voir, en version originale! "Skyfall" sur grand écran, ce n'est pas une option, c'est une obligation! Je me propose comme baby-sitter pour mes amis parents, afin qu'ils puissent le voir sur grand écran. ABE.
 
 
 
Votre Cinécution
 
 

samedi 20 octobre 2012

LE CINEMA INDEPENDANT AMERICAIN

Appelé outre-atlantique "american indie cinema", le cinéma indépendant américain est né d'une sorte de rébellion dans les années 50 et 60. Un refus de coller aux diktats hollywoodiens, aux codes et mythologies propres aux grands studios. La volonté d'une poignée de cinéastes de s'affranchir de ces obligations et d'une certaine censure artistique donnera naissance à un des mouvements cinématographiques le plus innovant qui soit. Il y a là une vraie création : quelle soit visuelle ou scénaristique. Des films totalement libres, teintés bien souvent de nostalgie et d'absurde. C'est un cinéma expérimental. Relevons cependant qu'Orson Welles défendait avec violence son indépendance artistique au sein des studios à la même époque.

Au début cantonné à la région de New-York (très éloigné de la Californie hollywoodienne) et plus appelé cinéma underground que cinéma indépendant, c'est avant tout un mode d'expression, plus qu'un genre. Évidemment, lorsque l'on pense cinéma indépendant, on a des clichés, des préjugés, ou bien alors on attend certaines choses : des cadrages tremblotants, caméra à l'épaule, des décors naturels, des acteurs inconnus, des films low budget dont on se fiche un peu de la trame, se concentrant sur la forme plus que sur le fond. Mais en y regardant bien, si l'on prend quelques exemples de cette première période, on se rendra compte que le fond est tout aussi important que la forme.


"The Chelsea Girls"Andy Warhol -1966
 
John Cassavetes, et son "Shadows" en 1959, aborde de façon brillante le racisme au travers d'une histoire d'amour entre un homme blanc et une jeune femme métis. Une plongée dans le New-York de la fin des années 50, sa culture jazz et contemporaine (magnifique immersion au MOMA avec un des protagonistes). Le fond y est et la forme aussi. "Shadows" s'affranchit totalement des codes hollywoodiens : tout est filmé en décor naturel. Les acteurs sont spontanés et libres. La musique est largement improvisée, notamment par Charles Mingus. Si vous ne l'avez pas encore compris, c'est un bijou! Cassavetes cédera aux sirènes hollywoodiennes et fera deux films sous le joug de la Paramount, mais en 1968, avec "Faces", il retournera au cinéma indépendant (pour notre plus grand plaisir), car il refuse de faire appel à des ressources financières qui pourraient altérer sa création artistique. En découleront les chefs-d'oeuvres que nous connaissons tous : "Husbands", "Une femme sous influence" ou "Gloria".


"Shadows" John Cassavetes - 1959

Jusqu'aux années 70, le cinéma indépendant est considéré comme un laboratoire, non seulement un milieu où tout est permis, mais également un milieu où toutes les histoires qui ne sont pas racontées par Hollywood peuvent être mises en images. C'est un cinéma intimiste, politique, engagé,  mû par une seule envie: faire du cinéma!
Dans cette mouvance très conceptuelle des années 70, on peut aussi mettre en avant "Ciao! Manhattan" de John Palmer et David Weisman. Je suis dans l'impossibilité d'avoir un regard objectif sur ce film, tant je l'aime. Si vous voulez en savoir plus sur "Ciao! Manhattan", un article lui a été consacré sur ce bog. Pour le lire, c'est ici.

"Ciao! Manhattan" Jonh Palmer, David Weisman - 1972
 

Dès les années 90, le cinéma indépendant se fait une vraie place. Il circule, même via de petite filières, mais il circule. Il devient une référence: j'en veux pour preuve "Reservoir Dogs" de Quentin Tarantino qui révolutionne le genre.

"Reservoir Dogs" Quentin Tarantino -1992

 
Il est clair qu'ils touchent principalement un public de cinéphiles dans un premier temps, mais au fur et à mesure que les années passent, les films émergeant du circuit indépendant élargissent le spectre de leurs spectateurs. La liste ci-dessous, qui n'est pas exhaustive, mais qui est INDISPENSABLE, démontre que le cinéma indépendant s'est fait une place, s'est constitué un public. Ses thématiques, proches des gens ordinaires, touchent. Pas toujours facile d'accès, parce que d'une part encore toujours un peu distribué de manière confidentielle, et d'autre part, une approche artistique qui demande un effort de la part du spectateur. Le cinéma indépendant américain n'en est pas moins un cinéma reconnu et apprécié.
 
- "Shadows" de John Cassavetes - 1959
- "Faces" de John Cassavetes - 1968
- "Pink Flamingos" de John Waters- 1972
- "Ciao! Manhattan" de John Palmer et David Weisman - 1972
- "Rambo" de Ted Kotcheff - 1982 (qui l'eût cru?)
- "Blue Velvet" de David Lynch - 1986
- "Barton Fink" de Joel Cohen - 1991
- "Reservoir Dogs" de Quentin Tarantino - 1992
- "Pulp Fiction" de Quentin Tarantino - 1994
- "Clerks" de Kevin Smith - 1994
- "Gummo" d'Harmony Korine - 1997
- "Boogie nights" de Paul Thomas Anderson - 1997
-  "American History X" de Tony Kaye - 1998
- "The big Lebowsky" de Joel et Ethan Cohen - 1998
- "Pi" de Darren Aronofsky - 1998
- "Le Projet Blair Witch" de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez - 1999
- "Virgin Suicides" de Sofia Coppola - 1999
- "Requiem for a dream" de Darren Aronofsky - 2000
- "Little Miss Sunshine" de Jonathan Dayton et Valerie Faris - 2006
- "The Savages" de Tamara Jenkins - 2007
- "The Wrestler" de Darren Aronofsky - 2008
- "Black Swan" de Darren Aronofsky - 2010
- "Take Shelter" de Jeff Nichols - 2011
- "Bellflower" d' Evan Glodell -2011 
 
  
"Pink Flamingos" John Waters- 1972


C'est donc une liste non-exhaustive qui se base principalement sur mes propres goûts. Mais, sachez que le Festival de Sundance est entièrement consacré au cinéma indépendant et que les films lauréats trouvent régulièrement le chemin des salles européennes, pour notre plus grand plaisir.
Notons également que le cinéma indépendant ne pourrait exister sans la grande industrie hollywoodienne. Il en est, en quelque sorte, la réponse libre, le contre-courant honnête et artistique de la grosse machine californienne. Malgré tout, de grands cinéastes, Stanley Kubrick ou Paul Thomas Anderson, ou même Christopher Nolan et son "Inception", ont réussi à imposer leur vision du cinéma, leur art si particulier et innovant de filmer, au sein même de la grande industrie.

Depuis une dizaine d'année, les films indépendants sont de plus en plus projetés dans les salles hors circuit indépendant et remportent régulièrement des prix dans les plus prestigieux festivals. Le cinéma indépendant s'est démocratisé et ne parle plus uniquement à une bande d'illuminés fascinés par la culture underground.
 
Votre Cinécution
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

dimanche 14 octobre 2012

TED - Seth MacFarlane - 2012

Ted! Ted! Ted! Ce n'est pas comme dans "Beetlejuice" où lorsque l'on répète trois fois son nom, il apparaît... Non, Ted est omniprésent, sans qu'on l'appelle. Tout le temps et partout. Et il faut remonter 27 ans en arrière pour comprendre pourquoi ce nounours parle, boit, fume du hasch, s'offre les services de prostituées, roule en voiture, tweete... Flash-back.
 
John (Mark Wahlberg) a 8 ans. Il vit dans un quartier du sud de Boston. Il fait partie de ces enfants solitaires, ceux dont personne ne souhaite la compagnie. Alors que le film débute un peu comme une production Walt Disney (on se demanderait presque si l'on n'a pas raté, dans le générique, le logo "château-de-la-belle-au-bois-dormant-entouré-de-l'arc-en-ciel-crée-par-la-fée-clochette"...  oui, oui, je suis sûre que vous voyez lequel!), la voix du narrateur nous ramène à la réalité : non, nous n'assistons pas à une projection d'un film pour enfants! Assez rapidement, elle tient des propos certes très drôles, mais furieusement politiquement incorrects! Et ce n'est que le début.
 
 
 
Le jour de Noël, John reçoit de la part de ses parents un adorable Teddy Bear couleur crème. Un vrai doudou comme les aiment les enfants. L'objet rassurant par excellence. Le petit garçon formule un voeu: il souhaiterait que Ted prenne vie et devienne son meilleur pote. Au lendemain de Noël, le voilà exaucé! Ted parle et les deux compères sont dès cet instant inséparables: des potes du tonnerre!
Ted devient célèbre, passe dans tous les Late Show  US des années 80, au téléjournal, sur les chaînes de prédications... mais l'amitié entre lui et John reste intacte. 
 
 
 
Et les voilà 27 ans plus tard... en ménage à trois. John a une petite amie, et son prénom c'est Lori (Mila Kunis). La cohabitation durera-t-elle?
 
 
 
 
"Ted" est un film irrévérencieux, grossier mais jamais vulgaire, déjanté, bourré de références à tout ce que nous, trentenaires et quarantenaires, avons adoré étant ados. De "Star Wars" à "Indiana Jones", d'"E.T." à "Top Gun", en passant par "K2000" et "Flash Gordon". Oui, on prend son pied! C'est délicieusement trash. Des clins d'oeil en permanence qui mettent furieusement de bonne humeur. Deux trois longueurs cependant, mais on les pardonne aisément. Il ne faut pas oublier non plus la tendresse, oui, parce qu'il y a de la tendresse dans ce film régressif. Il parle également de ces amitiés profondes et sincères, du/ de la meilleur/e ami/e, celui ou celle dont la présence peut représenter un poids pour le partenaire. De ces modus vivendi qui s'installent afin de ne léser personne. Et de cet enfant intérieur que nous avons tant de peine à faire taire. Oui, parce qu'à 35 ans, il faut être adulte, sérieux... foutaises! Laissons cet enfant qui sommeille en nous prendre la parole de temps en temps, cela nous permettra de nous émerveiller encore et encore et de délirer comme on savait si bien le faire!
 
 
 
Seth MacFarlane (qui prête sa voix et ses mouvements à Ted) signe son premier long métrage, dans la même veine (quoiqu'un peu moins incisif) que "American Dad" qu'il a crée ou "Johnny Bravo" dont il a été le scénariste. Un ton insolent, cynique, un humour au rasoir, qui fait mal. Dommage que la traduction française soit poussive et maladroite. Gageons que si les cinémas de ma ville avaient proposé une version originale sous-titrée, j'aurais sans doute été encore plus élogieuse. Le film perd certainement 30% de sa force avec cette traduction misérable. Il suffit de visionner la bande-annonce en v.o. pour s'en rendre compte... mais allez-y quand même parce que franchement, qu'est-ce qu'on se marre!
 
 
 
Votre Cinécution
 

samedi 13 octobre 2012

DANS LA MAISON - François Ozon - 2012



Germain Germain? Cela ne vous rappelle rien? Et si je vous dis : Humbert Humbert? Vous y êtes? Le professeur de littérature qui s'éprend d'une nymphette de 13 ans: Lolita. Sans vouloir tirer trop de parallèles, je doute que le choix de ce double prénom soit dû au hasard, notamment si l'on tient compte de la fascination qu'exerce Claude sur Germain. Fascination intellectuelle, certes, mais fascination extrême quand même, au point d'en oublier d'accomplir son devoir conjugal, de se métamorphoser en voyeur, et de tenter une seconde chance: celle de faire d'un de ses élèves un écrivain, là où précisément lui a échoué. Un peu comme ces mères qui se rêvaient Miss France et qui font passer des concours de poupées Barbie à leurs gamines, tentant d'atteindre au travers d'elles l'inaccessible diadème.
 




Germain (Fabrice Luchini), professeur de littérature au Lycée Flaubert (une sorte de lycée test qui a réintroduit le port obligatoire de l'uniforme) s'ennuie dans son métier, avec une certitude : il doit rivaliser avec des portables et des pizzas. Un constat d'échec de sa volonté à faire aimer la littérature à des ados qui n'en n'ont cure. Occupé à corriger les dissertations insipides de "la classe la plus nulle de toute sa carrière", il tombe sur un texte qui l'interpelle : celui de Claude Garcia (Ernst Umhauer). Le vocabulaire est varié, les phrases sensées, le récit fluide. Ce sera un 17/20 pour Claude. Il raconte comment il s'est introduit dans la maison de son camarade de classe Raphaël Artole (Bastien Ughetto) et comment il y a découvert les odeurs particulières de la classe moyenne.

 



Fasciné par le jeune homme et convaincu qu'il possède un don, Germain se donne pour mission de le faire évoluer et de révéler encore plus son talent. Claude se prend au jeu et écrit toujours plus: une plongée de plus en plus intime dans l'univers des Artole. Une intimité qui commence à affoler et à obséder Germain et son épouse (Kristin Scott Thomas) qui attendent fébrilement les copies de Claude comme on attendrait l'épisode suivant d'un feuilleton qui nous tient en haleine. La relation entre le professeur et son élève devient ambiguë et le jeu de pouvoir s'inverse lorsque Claude commence à manipuler son professeur, lequel est prêt à tout pour une prochaine dissertation.

 

Ce 13ème film de François Ozon est une pure merveille. Il nous maintient en suspension tout le long, même si çà et là quelques pointes d'humour (ou plutôt de cynisme) relâchent la tension. La musique de Philippe Rombi installe un climat anxiogène dont on pourrait presque devenir dépendant.
Le choix des acteurs ensuite est d'une justesse remarquable. Fabrice Luchini, en grand amoureux de littérature et de déclamation, est la personne la plus adéquate pour incarner Germain Germain. La scène où, devant le tableau noir, il explique à Claude comment transcender les personnages et comment répondre à la question: "Que va-t-il se passer?" est déjà d'anthologie. Kristin Scott Thomas en propriétaire de galerie d'art moderne (notons au passage une douce moquerie de ceux capables de s'extasier devant un art contemporain aux intentions quelques fois un peu farfelues) et épouse qui met son mari en garde, est fabuleuse. Et Ernst Umhauer: incroyable! Un visage aux traits fins, très légèrement androgyne, qui rappelle un Benoît Magimel à ses débuts, et un jeu complètement bluffant: une vraie révélation.



Ce film est une sorte d'éducation sentimentale (Flaubert est un leitmotiv). Découverte des envies, des sensations, délicat passage de l'adolescence à l'âge adulte. Un paradoxe cependant dans cette éducation sentimentale: Claude. Le père de Claude est handicapé, sa mère a disparu: il se trouve être, contre son gré, un peu l'adulte de la famille. Se plonger dans la vie des Artole, c'est redevenir enfant, c'est jalouser le statut de Raphaël et tout mettre en oeuvre pour détruire cette apparente famille parfaite. La grande question de l'orientation sexuelle qui se pose à l'adolescence est également abordée.




Ozon joue avec notre imaginaire: il en fait plus ou moins ce qu'il veut, nous baladant de la fiction à la réalité , tant est si bien que l'on arrive à un stade où l'on ne sait  plus vraiment les différencier. Il flirte également avec le fantastique, en faisant apparaître Germain dans des scènes où il n'est pas vraiment "prévu", créant une confusion supplémentaire. Bref, "Dans la Maison" est une grande réussite. C'est un vrai coup de coeur... à suivre...

Votre Cinécution

samedi 6 octobre 2012

LA NUIT DE L'OURS - Sam et Fred Guillaume - 2012

Quand l'association qui fait battre mon coeur rencontre l'art qui me passionne, vous pensez bien que je suis dans l'obligation d'écrire un petit quelque chose!
 
Lorsqu'il y a environ un an, lors de l'assemblée générale de l'Association La Tuile, j'apprenais, qu'à l'occasion des 20 ans d'existence du centre d'accueil d'urgence de Fribourg, un film d'animation allait voir le jour, et que la baguette magique serait tenue par les frères Samuel et Frédéric Guillaume, l'enthousiasme était à son comble.
 
Sam et Fred, qui ont tour à tour effectué leur service civil à La Tuile (et qui y ont également tenu un petit ciné-club!) ont eu l'envie de donner la parole à ceux que l'on n'écoute plus, que l'on n'entend plus. "J'avais plein de préjugés raconte Fred Guillaume à "La Liberté", je pensais rencontrer des clochards, des marginaux, Et en fait, j'ai rencontré des gens dans toute leur humanité. C'est cette humanité qui est transcrite dans le film. Certaines personnes sont intégrées dans la société, elles ont un travail, et pourtant, elles n'arrivent plus à se loger."
 
 
Comment transmettre un message, sensibiliser la population au sujet fort de la précarité, tout en respectant la pudeur et l'anonymat des usagers? Le film d'animation s'est rapidement imposé comme étant  le support adéquat.
 



 
 
Pendant 3 mois, les frères Guillaume se sont rendus à la Tuile et ont recueilli une trentaine de témoignages, pour au final n'en retenir que 8. Ces 8 histoires sont réelles et racontées avec les mots, les expressions, les voix des usagers. Plusieurs histoires de vie, plusieurs parcours. Chaque usager a trouvé son "animal totem": des traits physiques, des particularités de langage, des aspects de sa personnalité incarnés dans un animal qui le représente.
J'ai la chance de côtoyer régulièrement ces personnes comme bénévole, et j'ai été très émue de découvrir certains témoignages, notamment ceux de personnes aujourd'hui disparues auxquelles je m'étais attachée.  Je peux vous assurer que les 24 minutes que dure le documentaire vous saisissent à la gorge et vous touchent profondément. Et le ton est juste: aucun misérabilisme, aucun pathos. Juste des animaux exclus qui trouvent refuge dans cette arche de Noé qu'est la maison de l'ours. Cet ours qui les accueille sans rien leur demander, qui leur offre le gîte, le couvert. Un peu de chaleur pour la nuit, dans un endroit douillet et rassurant, sur les hauteurs d'une ville aux contours inquiétants et où les voitures et les immeubles semblent se moquer de ceux qui, la nuit tombée, se retrouvent seuls et sans logement. L'humour n'est cependant de loin pas absent: en premier lieu dans les témoignages des usagers et ensuite dans la façon dont ses histoires sont traitées. La musique, composée par Mathieu Kyriakidis est tout simplement sublime. Joyeuse, enjouée et teintée de nostalgie par moment (avec le concours de la délicate voix de Gael Kyriakidis), elle fait beaucoup pour qu'un véritable climat s'installe. "La Nuit de l'Ours" ou l'histoire d'une "communauté éphémère qui se dissout chaque matin aux premiers rayons de soleil".
 


 
 

 

Le DVD et ses bonus

 
Les bonus que vous pourrez découvrir sur le DVD (disponible ici) sont délicieux. Cela va de la présentation des magnifiques fresques qui ornent les murs de la maison de la route de Marly, réalisées par le talentueux et sensible Frédéric Aeby, aux photos que l'oeil de la photographe fribourgeoise Martine Wolhauser a su capter pendant 15 ans (à découvrir dans l'expo "Home, sweet Home" jusqu'au 10 novembre 2012 dans l'aile expo du Café culturel de l'Ancienne Gare à Fribourg), en passant par tous ces ours qui oeuvrent au sein de La Tuile.
 
Tout un concept pédagogique a également été élaboré autour du film, visant à déstygmatiser cette population qui se trouve dans des situations précaires et d'isolement social: il suffit parfois d'une succession de petits événements, d'une maladie, d'une séparation pour que la vie bascule.  Ces outils pédagogiques sont destinés à plusieurs niveaux d'enseignements, de l'école primaire aux hautes écoles.

 

Notes d'intention des réalisateurs


"La Nuit de l'Ours", notre premier film documentaire, est né de notre rencontre avec l'équipe de l'accueil d'urgence la Tuile et avec ses usagers. Nous avons appris à connaître cette communauté liée par la précarité et très vite, il nous a paru nécessaire de mettre en images ces moments très intimes, de donner une voix à ceux qu'on appelle peut-être un peu hâtivement "les exclus". Le miroir que nous tendent ces hommes et ces femmes n’est pas toujours facile à regarder en face; c’est pourtant une chose nécessaire pour qui croit au progrès de la société.  L’intention première n'était pas d’informer le spectateur sur le phénomène de la précarité mais bien de le toucher au plus profond de son cœur et de susciter le débat."
 

 

Sam et Fred Guillaume

 
 
 
Sam et Fred Guillaume expérimentent de nombreuses techniques d'animation depuis 1998, année au cours de laquelle ils ont donné vie à un petit manchot qui voulait une glace. Cette histoire a été suivie par "Les Aventures de Monsieur M." en 1999. En 2001, ils ont collaboré avec la troupe de danse Da Motus en animant des danseurs virtuels lors du spectacle "L'autre, c'est Claude". En collaboration avec la Lanterne Magique, ils ont réalisé Une petite leçon d'animation et un spot cinéma mettant en scène un éléphanteau cinéphile. De 2003 à 2007, c'est l'aventure "Max and Co" qui occupe l'essentiel de leur temps; ce premier long-métrage en stop motion a été couronné par le prix du public au festival d'Annecy en 2007 et a été vendu à une vingtaine de pays. Il reste à ce jour le seul long-métrage utilisant cette technique produit en Suisse.
 
Passionnés par les nouvelles formes d'images, ils initient un programme de recherche sur le cinéma en relief en colaboration avec l'ecal, à Lausanne. De ce programme naît une adaptation relief du "Trio de fantôme" de Samuel Beckett. "La Nuit de l'Ours" est leur premier film documentaire. "La Nuit de l'Ours" a déjà été récompensé par deux prix : le prix Best Swiss (meilleur film suisse) et le prix du public au Festival Fantoche 2012.

 

 

La Tuile


Centre d’accueil de nuit du canton de Fribourg, La Tuile ouvre ses portes à toute personne en situation d’urgence, sans inscription préalable, quelles que soient les causes de son arrivée. Là-bas, chacun peut trouver un toit, un repas et la possibilité de bénéficier d’un soutien relationnel, pour une ou plusieurs nuitées. L’Association La Tuile s’est donné pour mission de répondre de manière urgente au manque de logement et de défendre les intérêts des groupes de population qui se trouvent sans abri et en situation de détresse. Afin d’atteindre ces objectifs, La Tuile collabore avec le réseau social fribourgeois, ainsi qu’avec les partenaires sociaux et politiques concernés par les difficultés d’accès au logement, la précarité, l’exclusion et les problèmes liés aux addictions et aux troubles psychiques. Le souci de La Tuile est aussi de prévenir la dégradation de situations.


Votre Cinécution