mardi 4 avril 2017

FIFF 2017 - ils sont fous ces coréens et Frankenheimer aussi!

Comme beaucoup d'entre vous qui me lisez, vous savez que j'entretiens une relation physique avec le cinéma. Ce n'est pas nouveau, mais ça me surprend à chaque fois lorsque mon corps parle avant ma tête. Et mon corps a beaucoup parlé aujourd'hui! Entre un film sud coréen qui m'a fait frôler la tachycardie et Frankenheimer qui m'a complétement chamboulée, ma journée a ressemblé à une salle de soins intensifs... Heureusement Billy Wilder est arrivé en soirée pour me mettre un masque à oxygène, sinon, je crois que je ne passais pas la nuit.

Donc, MISSING YOU du sud coréen Mo Hong-jin est une bombe! Hormis le fait que j'ai eu envie de traiter le réalisateur de tous les noms d'oiseaux que je connais - ainsi que les programmateurs du FIFF - que j'ai failli rendre mon sandwich, que je suis presque décédée 4 fois durant le film, je dis quand même MERCI! Quel film! Le cinéma sud coréen dans tout ce qu'il a de plus radical. Violent, anxiogène, "straight to the fucking point"! Ils ne font pas de détours, les sud coréens, non, ils veulent te faire flipper, ils vont jusqu'au bout de leurs idées. A toi de te débrouiller pour gérer.... Je ne suis pas certaine d'avoir géré, n'est-ce pas?

Missing You


Le cinéma sud coréen reste une énigme pour moi. Comment font-ils? Ce sont tous des bébés, entendez par-là de tous jeunes réalisateurs qui sortent leur premier film, parfois encore durant leurs études dans les écoles de cinéma, et qui bam, du premier coup, te sortent un film qui te cloue à ton fauteuil. Sérieux?? Vous êtes fous! Mais surtout incroyablement talentueux, audacieux et créatifs! Vous faites du bien au cinéma actuel, je vous jure.

Les personnages sont complexes, avec des psychologies difficilement identifiables d'entrée. Les choses se construisent petit à petit pour éclater dans un final complètement délirant. Les deux derniers films qui m'ont mise dans un état pareil, ce sont LE SILENCE DES AGNEAUX de Jonathan Demme - qui ne date pas d'hier - et KILL LIST de Ben Wheatley. C'est vous dire! Bref, si vous souhaitez vous faire un très bon thriller, MISSING YOU est fait pour vous!



Je survolerai PANIHIDA et BEYOND THE COCONUT TREES, deux courts-métrages auxquels je suis restée totalement hermétique... mais je pense que le sud coréen y est pour quelque chose. Je ne m'en étais pas encore vraiment remise.

Autre choc émotionnel de la journée, mais à un autre niveau, ce fut la projection , rare, très rare, de SECONDS  de John Frankenheimer. Sorti en 1966, ce chef-d'œuvre prépsychédélique a été démonté par la critique lors de sa projection au Festival de Cannes. Frankenheimer a même refusé de sortir de sa chambre d'hôtel pour se rendre à la conférence de presse. C'est vous dire!

Seconds


Quasiment invisible depuis sa sortie en 1966, ce film, fantasme de nombreux cinéphiles, a été exhumé par Thierry Frémaux qui l'a selectionné pour Cannes Classics en 2014. Le film a été restauré, superbement, et projeté. Succès! Une seconde vie pour ce film délirant, comme une ironie du sort pour celui qui dénonce le "toujours plus, toujours mieux, quel qu'en soit le prix".

SECONDS bouleverse et déstabilise. D'une part sa réalisation. Frankenheimer, explore, innove. Frankenheimer est terriblement en avance sur son époque, ce qui lui a certainement valu d'être rejeté par la critique. On n'avait jamais vu ça avant. SECONDS est un film allégorique. L'histoire d'un homme désabusé qui, bien qu'il ait matériellement réussi sa vie, a tout foiré: avec sa femme, subsiste une entente cordiale, avec sa fille une relation à distance, quant au désir physique, sexuel, néant. Il n'y a  plus rien. Jusqu'au jour où on vient lui proposer de changer de vie. Tel un phénix, mourir et renaître de ses cendres en version 2.0, améliorée, en adéquation totale avec ses désirs. Le paradis? Que nenni! L'enfer! Et d'autre part, en utilisant, à contre-emploi, un des sex-symbols de l'époque, Rock Hudson qui peut montrer toute l'étendue de son talent.

Seconds


Frankenheimer prend un malin plaisir à démonter le concept de rêve américain: tout est possible? Oui, mais à quel prix? Il y a des ambiances follement hippies, retour aux sources originelles, relation libérée au corps et à la sexualité. J'en veux pour preuve cette scène orgiaque délirante, mêlant, danse, corps nus et vins... Bacchus ne l'aurait pas reniée! Et quel pessimisme! On est foutu, sachez-le! Mais vraiment. Il n'y a pas d'option, l'humain court à sa perte.

Il y a plus de 50 ans que ce film a été réalisé et il est, à l'image d'un 1984 de Georges Orwell, d'une anticipation affolante. Il y a du Kafka aussi dedans : l'homme est un cancrelat... Merci  John de nous remonter le moral... On se prend un verre et je te colle une bise. Ok, on fait ça?



Autant vous dire qu'après la projection de SECONDS j'ai eu besoin d'une pause. Mais genre la vraie pause. 2 heures... truc impensable dans mon programme millimétré de cinéphile cinéphage... mais je n'en pouvais plus. J'étais habitée par une telle tristesse, par un tel vide, qu'il était absolument impensable d'absorber un autre film directement après.

Puis j'ai retrouvé Billy Wilder, au sommet de son art : THE APARTMENT. Comme une tentative de réconciliation avec le genre humain.  Pas tout de suite, après 2 heures de film. THE APARTMENT  est un pur régal. C.C.Baxter, dit Buddy, est employé d'une grande compagnie d'assurance. Célibataire, il souhaite gravir les échelons. Il prête donc son appartement à plusieurs de ses supérieurs, pour viser la promotion. Tout se passe comme sur des roulettes, jusqu'à ce que son patron s'entiche de la délicieuse, et naïve, jeune femme de l'ascenseur. Buddy a aussi craqué pour elle.

The Apartment


Wilder venait de tourner SOME LIKE IT HOT, avec déjà Jack Lemmon que l'on retrouve dans le rôle principal de THE APARTMENT. Wilder avait raté de peu l'Oscar, qui ne lui échappa pas avec ce nouveau projet. Une des forces de ce film, c'est "Monsieur-tout-le-monde" incarné par Jack Lemmon, auquel chaque spectateur peut s'identifier. Avide de pouvoir, de réussite sociale aussi bien que personnelle, Buddy fait toutes les concessions nécessaires pour atteindre ses objectifs, en mettant tout de même un peu de côté son humanité. Cela dit, cette humanité se révèle petit à petit et Buddy prendra des décisions qui, si elles ne lui assurent plus un avenir aussi brillant au sein de la compagnie d'assurance, vont faire de lui un "mensch" au sens philosophique du terme: adéquation entre esprit et cerveau. C'était donc la minute de philosophie anthropologique. De rien. Je vous en prie.


The Apartment


Buddy, dont la délicatesse et la sensibilité vont peu à peu prendre le dessus, va venir en aide à la naïve et désespérée Miss Kubelic - radieuse Shirley MacLaine - la protégeant tant bien que mal des assauts de son patron.

Wilder utilise la satyre pour démonter aussi, à sa façon, le rêve américain. C'est un exilé, ne l'oublions pas. Il représente tout ce qui peut exprimer la solitude: les grands espaces de travail où les bureaux s'alignent et où les personnes ne communiquent pas - 2 ans plus tard, on retrouve cette représentation chez Orson Welles et sa sublime adaptation du PROCES de Kafka - et l'appartement de Buddy où tout le monde se rencontre, mais ne se croise jamais. La solitude, bon sang, cette fichue solitude qui te fait des gueules de carême comme le dirait Barbara.

Chef d'œuvre de la comédie sociale, bourré de tendresse, d'humour, surfant sur un fond de mélancolie, THE APARTMENT offre à Jack Lemmon peut-être son plus beau rôle. Du moins le rôle où il peut montrer toutes les facettes de son jeu. Un bijou.



ST / 3 avril 2017


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire