jeudi 20 février 2014

IDA - Pawel Pawlikowski - 2013




Après avoir quitté la Pologne à 14 ans, être passé par l’Allemagne, l’Italie, après avoir étudié en Angleterre, Pawel Pawlikowski retourne dans le pays qui l’a vu naître pour nous livrer un film intimiste et contemplatif. 

Le réalisateur nous invite dans la Pologne du début des années 60. Cette Pologne qui porte encore les stigmates de l’envahisseur nazi et qui enterre ses morts aux sons de l’Internationale. C’est dans ce contexte que nous faisons connaissance avec Anna (la lumineuse Agata Trzebuchowska), une jeune orpheline recueillie par des nonnes, et qui s’apprête à prendre le voile.  Avant de s’engager, la mère supérieure l’informe qu’un seul membre de sa famille est encore en vie : sa tante, Wanda Gruz (Agata Kulesza). Elle part à sa rencontre et découvre qu’en réalité elle est née Ida Lebenstein et qu’elle n’est pas catholique, mais juive. Les deux femmes quittent la ville et partent à la rencontre de ceux qui auraient pu connaître les parents d’Ida. 


Ida découvre petit à petit la tragédie qu’ont vécue ses parents. Elle découvre également une Pologne scindée en deux : d’une part ce pays jeune qui tente de renaitre de ses cendres sur des rythmes jazzy et d’autre part cette Pologne qui tente de panser ses blessures en se tournant vers la religion, estimant qu’elle est la seule planche de salut. 


Sa tante, militante communiste, ancienne juge, échappe à sa mémoire, à ses douleurs intimes, en menant une vie quelque peu marginale, sombrant petit à petit dans l’alcoolisme. Elle tente de faire comprendre à sa nièce qu’elle n’est pas obligée de suivre un chemin que sa condition d’orpheline tend à lui imposer. Tant qu’elle n’a pas connu le plaisir des sens, comment sa prise de voile pourrait être considérée comme un renoncement ?  C’est en rencontrant un jeune saxophoniste qu’Ida sera confrontée, pour la première fois de sa vie, au libre arbitre. Elle choisira quelle sera sa vie. 

 
C’est un vrai poème mis en images que nous livre Pawel Pawlikowski. Une œuvre teintée de mélancolie. Une beauté nue. Pas d’élément superflu pour détourner notre attention du sujet principal du film : la quête de soi. Les décors sont sobres, les dialogues et la musique quasi inexistants, représentant bien la réalité de la jeune novice qui appartient à un ordre contemplatif. Si la musique apparaît, c’est qu’elle émane d’un objet qui prend sa place dans la scène: une radio, un électrophone ou un orchestre de jazz. La musique ne sert jamais à remplir le vide. A la fin du film, la seule fois où la musique surgit de nulle part, il s’agit d’un choral de Bach, « Ich ruf’ zu Dir, Herr Jesus Christ », symbolisant la présence divine et la vie qui sera désormais celle d’Ida. 



Visuellement, c’est orgasmique ! Chaque plan est d’une beauté affolante ! Pawlikowski cadre, ou plutôt décadre, de façon prodigieuse. Il place les visages dans les limites inférieures du cadre, laissant un espace immense au-dessus de leurs têtes. Ces décadrages peuvent-ils symboliser la pression du divin ? En opposition, il fait des plans au ras du sol, filmant des pieds, des chaussures. Je vous assure que cela donne des frissons. De plus, la lenteur de l’enchaînement des scènes, le choix du noir et blanc, fait immanquablement penser au cinéma du hongrois Belà Tarr, grand adepte des plans séquence quasi immobiles. Mais si l’on se concentre sur les gros plans d’Ida, on pense obligatoirement au visage de Renée Falconetti dans La Passion de Jeanne D’Arc de Dreyer. Peut-être qu’Ida vit aussi, à sa façon, sa passion. Mourir à l’ancienne Anna et renaître en Ida. 

C’est un film coup de cœur que je vous recommande vivement. Un film dont la beauté ne s’exprimera que pleinement sur grand écran. 





20.02.2014 / ST

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