Cette petite clé, sésame d'une propreté toute helvétique, mais aussi symbole de dignité, est à l'origine de bons nombres de guéguerres entre voisins. Habituellement située dans les sous-sols, la chambre à lessive du 85, rue de Genève à Lausanne se trouve dans le hall d'entrée. Lieu de passage, de rencontre, de discorde. Là où les habitants, pour la plupart placés par les services sociaux de la capitale vaudoise, croisent policiers et prostituées. Oui, car les étages souterrains sont occupés par des salons érotiques et par des femmes exerçant le plus vieux métier du monde.
Avec ses quelques 80 (!) appartements, c'est une véritable petite ville qu'il faut organiser pour éviter les conflits. Claudina, nouvelle "dame-lessive", a été engagée par le propriétaire pour tenter de faire régner l'ordre. Seulement voilà, comment adhérer à des règles qui paraissent bien futiles au regard du quotidien des habitants de cet immeuble qui doivent jongler ne serait-ce que pour manger correctement jusqu'à la fin du mois?
Floriane Devigne et Frédéric Florey ont choisi de poster leur caméra au fond du couloir du rez-de- chaussée. Impossible pour les locataires d'échapper à leur objectif: la chambre à lessive précède de quelques mètres l'ascenseur. "Quelqu’un nous a dit: vous ne faites pas un vrai film, parce que dans les vrais films, il y a de l’action et une histoire d’amour. De toutes façons, on ne vous aime pas, on pense que vous êtes des espions." Les premières images sont brutales : un jeune fait mine de tirer sur la caméra puis d'un geste de la main de trancher une gorge. Les deux réalisateurs ne sont pas les bienvenus.
Cependant, au fur et à mesure que le documentaire progresse, les langues se délient. La caméra devient témoin, confidente. On en apprend un peu plus sur les destins particuliers qui errent dans les couloirs de cet immeuble hors du commun. Les habitants s'observent, s'épient, se détestent, s'apprécient... Les rêves de certains se mêlent au désenchantement d'autres.
Totalement autoporté, c'est-à-dire sans aucun commentaire de la part des réalisateurs - sauf si l'on considère, comme moi, que le montage est clairement la manifestation d'une opinion - ce documentaire laisse la place à toutes ces humanités. Véritable reflet des maux de notre société, La Clé de la Chambre à Lessive vaut le coup d'œil, non pas voyeurisme, mais par souci d'ouvrir les yeux sur ce qu'il est d'ordinaire de bon ton de cacher. Parce que oui, en Suisse, ce genre de précarité n'existe pas, voyons!
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