jeudi 10 mars 2016

TRUFFAUT PASSIONNEMENT


L’enfance est un pays dont on ne revient pas. Né de père inconnu, placé chez une nourrice, avant de réintégrer le foyer familial lorsque sa mère se marie avec un certain Truffaut qui le reconnaîtra, le jeune François a subi le sort douloureux des enfants non désirés. Sa chambre ? Le couloir. Il passe le plus clair de son temps seul, ne recevant guère de marques d’amour. François Truffaut n’est jamais vraiment revenu de son enfance. Il tentera, toute sa vie, de panser les blessures originelles.

Rapidement, les livres et le cinéma deviennent ses refuges. Le rêve. L’évasion. Adepte de l’école buissonnière, mauvais élève, François Truffaut se lie d’amitié avec une certain Robert Lachenay – avec qui, ainsi qu’avec André Bazin, il fondera Les Films du Carrosse en 1957, avant de se brouiller, en 1961, pendant plus de 20 ans.

François Truffaut écrit, collectionne, classe. Plus de 300 « dossiers » sur les films, réalisateurs qu’il admire et qui, pour certains comme Renoir, Cocteau, Rossellini, Clair, deviendront de véritables maîtres à penser.
Truffaut a 21 ans lorsqu’il commence à écrire pour les Cahiers du Cinéma et la revue Arts. Sa plume est  virulente, son regard sévère, ce qui lui vaudra quelques inimités. Claude Autant-Lara ne lui pardonnera d’ailleurs jamais d’avoir été pris pour cible dans son pamphlet sur le cinéma français dit « de qualité ». Il y défendra le cinéma d’auteur avec une fougue et un dogmatisme lié à la jeunesse, à son côté passionné. Ne dit-on pas que l’on est intransigeant uniquement avec ceux que l’on aime ? Truffaut regrettera ses propos quelques temps avant sa mort dans un entretien.
Après avoir goûté au cinéma, de l’intérieur, en ayant été l’assistant de Rossellini, Truffaut réalise son premier court-métrage en 1958, Les Mistons. Mais dans l’esprit du jeune Truffaut, déjà d’autres projets, liés à sa forte amitié avec le romancier Henri-Pierre Roché. Jules et Jim, ainsi que Deux Anglaises et le Continent sont déjà en gestation. Les deux hommes se retrouvent sur des thèmes qui leur sont chers : l’enfance, les femmes, l’écriture. Trois sources principales de l’œuvre de Truffaut.
Truffaut n’aura de cesse de respecter le court de la vie dans ses films, usant de la narration subjective, tout en conservant un regard objectif. Usant de la profondeur de champ et du plan séquence comme éléments guides pour respecter cette fluidité.
Les 400 Coups - François Truffaut
Le cinéaste est un perfectionniste. Angoissé par la sortie de chacun de ses films, il enchaîne les tournages pour ne pas avoir à se confronter au regard du public. Des réminiscences de l’enfance, sans doute, et  un immense besoin d’être aimé et reconnu.
L’audace, on la retrouve principalement dans ses films. Dans la vie, Truffaut est organisé, obsédé par le classement et l’archivage. Il prend compulsivement des notes sur à peu près tout. Rien n’est laissé au hasard.
Et c’est grâce à ce trait de personnalité que nous pouvons aujourd’hui admirer, avec une grande émotion, les pleins et les déliés de son écriture.
L’exposition TRUFFAUT PASSIONNEMENT, présentée depuis le 3 mars à la Fondation APCd à Marly, est un bijou. Nul besoin d’être un fin connaisseur du cinéaste pour en apprécier le contenu.
C’est une exposition bouleversante, intime. Du papier, de la correspondance, des notes. Aucun autre cinéaste n’aura laissé autant de traces manuscrites. L’écriture est belle et fluide, à l’image de ses films et de la scénographie de l’exposition.
Dans le cadre atypique de l’ancienne entreprise Ilford, on est littéralement pris par la main. Tout est, comme dans la vie de Truffaut, segmenté. Les époques, les thèmes sont compartimentés dans des salles, qui même si elles baignent encore dans leur jus de laboratoire, offrent une rencontre intime avec le cinéaste. A l’image de cette salle : « Ni avec toi, ni sans toi ». Entre des lavabos et des bacs révélateur, trône cette réplique issue de La Femme d’à côté. On ne peut y entrer que seul, l’espace étant restreint. Pour l’homme qui privilégiait les rencontres en tête-à-tête, on ne pouvait être plus juste.
Enlacé par différentes projections murales, le visiteur entretient un rapport quasi charnel avec Truffaut. De l’enfance du cinéaste, aux bouts d’essais de Jean-Pierre Léaud pour Les 400 Coups, les passions amoureuses, réelles ou fictives, les notes sur ses collègues réalisateurs – on apprend d’ailleurs que Spielberg, tout fraîchement fiancé, faisait preuve d’excès de zèle sur le tournage de la  Rencontre du 3ème Type  - cette exposition, qui est une réduction de celle présentée à la cinémathèque française en 2014, nous offre un 5 à 7 passionnel. Une de ces passions qui a le goût du fruit défendu, mais dont l’attrait nous pousse irrémédiablement à y retourner. Une de ces passions qui vous consument le corps et le cœur, dont on ne ressort pas indemnes, mais convaincus d’avoir vécu quelque chose d’unique, étourdis par la voix de Truffaut qui résonne à chaque coin de couloir, emportés par le tourbillon de la vie.
Laissez-vous bouleverser par le cinéaste qui préférait le reflet de la vie à la vie elle-même, mais qui a su, comme nul autre, nous toucher au plus profond de notre âme et continuer à faire résonner notre voix d’enfant. Cet enfant dont les yeux n’ont de cesse de s’émerveiller.

Entretien avec Philippe Clerc, directeur de l’APCd Fondation

 

Comment cette exposition unique est-elle arrivée à Marly, après Paris et Sao Paolo ?
Thierry Jobin, directeur artistique du FIFF, est venu plusieurs fois sur le site. Il a été emballé par le lieu. Tout s’est décidé très vite. En septembre-octobre 2015, nous avons contacté la Cinémathèque française qui a été très réceptive dès le départ.
Deux collaboratrices de la Cinémathèque sont venues à Marly et leur compte-rendu à Serge Toubiana, commissaire de l’exposition et ancien directeur de la Cinémathèque, a été le suivant : « Vous savez Serge, c’est sympa, mais nous ne sommes pas certaines que cela vous plaise. ».
Serge Toubiana, ayant une grande confiance dans ses collaboratrices leur a dit : « Si vous pensez que l’endroit s’y prête, allez-y ! »
Tout était très abstrait jusqu’au moment où les caisses sont arrivées et ont révélé les trésors qu’elles contenaient. Nous tenions à conserver les bâtiments dans leur jus. Nous n’avions pas envie de tout repeindre en blanc. Au final, cela a beaucoup plu et selon Serge Toubiana, cela représente bien Truffaut : les segmentations, Truffaut et ses différentes vies. Différentes amitiés. Nous ne voulions pas de vitrines de musées, alors nous avons construit nos propres vitrines.
Il y a une certaine chronologie dans l’exposition, mais les thématiques par salle permettent aux visiteurs de s’éloigner un peu du parcours proposé, pour vivre ses propres expériences.
La scénographie, réalisée par Martial Mingham et Thierry Jobin est magnifique.
Même si une galerie d’art existait déjà avant, la Fondation est toute jeune (juin 2015). Une exposition telle que celle-là offre une très grande visibilité, d’autant que vous avez l’exclusivité suisse, et touche un public qui n’est pas forcément le vôtre. Comment appréhendez-vous cela ?
Un des buts de la fondation est de donner un accès à toutes les formes d’art. Tout peut être art. Et le cinéma est un art en soi. Nous avons abordé ce projet d’exposition avec beaucoup de sérénité, mais avec une certaine dose de stress tout de même. Nous n’avions pas tout de suite réalisé ce qui allait se passer. La fondation avait aussi envie de marquer un grand coup, de faire venir un public qui ne lui est par forcément acquis. La collaboration avec le FIFF avait tout son sens, qui plus est avec la thématique toute féminine de sa 30ème édition.
Nous tenions à avoir l’exclusivité en Suisse. C’est une exposition qui a un coût certain. D’ailleurs, pour des raisons financières, certaines projections  ont dû être raccourcies. Mais que le public se rassure, toutes les projections prévues dans la formule restreinte de l’exposition sont respectées !
Philippe Clerc, vous êtes historien de l’art, quelle est votre relation avec le cinéma ?
J’ai une relation avec le cinéma comme celle qu’entretiennent beaucoup de personnes. Je suis un cinéphile d’opportunités. J’aime beaucoup Louis de Funès et ne suis pas un grand amateur de films d’auteurs. Pour ne rien vous cacher, lorsque l’on a commencé à parler de Truffaut, je n’avais jamais vu un de ses films. Je ne connaissais que la chanson du tourbillon dans Jules et Jim. Je crois que je peux dire qu’il y a un avant et un après Truffaut. Pierre Eichenberger, président et fondateur de la fondation, avait quant à lui vu tous les films de Truffaut. C'est un vrai fan du réalisateur. Accueillir cette exposition est très émouvant pour lui.
Quels genres de films appréciez-vous tout particulièrement ?
J’aime beaucoup les films historiques. J’ai besoin d’humour et de choses vivantes. J’adore La Folie des Grandeurs ou Le Libertin. Les films de costumes, d’époque. J’adore Barry Lyndon. Ah, magnifique Marisa Berenson (soupirs)…
Plus précisément, à l’évocation de Truffaut, quelles sont les premières images, les premiers mots qui vous viennent à l’esprit ?
Je crois que ce sont des prénoms de femmes : Fanny, Jeanne, Catherine. La toute première étant Fanny Ardant. C’est aussi le mot « intimité ». Il y a de l’intimité dans tout chez Truffaut : dans les petits mots qu’il écrit, dans ses rapports avec la vie, la manière dont il filme ses actrices.  Et au-delà d cinéaste, ce sont les mots « écriture », « femme » et « lecture » qui me viennent à l’esprit.
Que souhaitez-vous aux visiteurs qui viendront sur le site de Marly ?
Je leur souhaite de prendre le temps. Prendre le temps de découvrir l’univers de Truffaut, même s’ils n’y connaissent pas grand-chose. Découvrir qui était Truffaut, ce qui fait son cinéma. Je leur souhaite de vivre une expérience unique, le lieu s’y prête à merveille. Je souhaite qu’il acquière une autre vision de ce que peut être une exposition. C’est un laboratoire d’art, une pleine expérimentation. Je leur souhaite de vivre une émotion, vis-à-vis de ce qu’ils voient, mais également vis-à-vis de l’écrin. Et bien sûr, je leur souhaite de revenir.

L’exposition est à voir jusqu’au 29 mai. Toutes les informations : ici.

Événement : conférence de Serge Toubiana le jeudi 17 mars à 18h, suivie d’une soirée musicale en compagnie de Vincent Delerm et Mykonos. Toutes les infos pratiques : ici.


STS/ 10 mars 2016

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