L’enfance est un pays dont on ne
revient pas. Né de père inconnu, placé chez une nourrice, avant de réintégrer
le foyer familial lorsque sa mère se marie avec un certain Truffaut qui le
reconnaîtra, le jeune François a subi le sort douloureux des enfants non
désirés. Sa chambre ? Le couloir. Il passe le plus clair de son temps
seul, ne recevant guère de marques d’amour. François Truffaut n’est jamais
vraiment revenu de son enfance. Il tentera, toute sa vie, de panser les blessures originelles.
Rapidement, les livres et le
cinéma deviennent ses refuges. Le rêve. L’évasion. Adepte de l’école buissonnière,
mauvais élève, François Truffaut se lie d’amitié avec une certain Robert
Lachenay – avec qui, ainsi qu’avec André Bazin, il fondera Les Films du Carrosse
en 1957, avant de se brouiller, en 1961, pendant plus de 20 ans.
François Truffaut écrit,
collectionne, classe. Plus de 300 « dossiers » sur les films,
réalisateurs qu’il admire et qui, pour certains comme Renoir, Cocteau,
Rossellini, Clair, deviendront de véritables maîtres à penser.
Truffaut a 21 ans lorsqu’il
commence à écrire pour les Cahiers du Cinéma et la revue Arts. Sa plume est virulente, son regard sévère, ce qui lui
vaudra quelques inimités. Claude Autant-Lara ne lui pardonnera d’ailleurs
jamais d’avoir été pris pour cible dans son pamphlet sur le cinéma français dit
« de qualité ». Il y défendra le cinéma d’auteur avec une fougue et
un dogmatisme lié à la jeunesse, à son côté passionné. Ne dit-on pas que l’on
est intransigeant uniquement avec ceux que l’on aime ? Truffaut regrettera
ses propos quelques temps avant sa mort dans un entretien.
Après avoir goûté au cinéma, de l’intérieur,
en ayant été l’assistant de Rossellini, Truffaut réalise son premier
court-métrage en 1958, Les Mistons.
Mais dans l’esprit du jeune Truffaut, déjà d’autres projets, liés à sa forte
amitié avec le romancier Henri-Pierre Roché. Jules et Jim,
ainsi que Deux Anglaises et
le Continent sont déjà en gestation. Les deux hommes se retrouvent
sur des thèmes qui leur sont chers : l’enfance, les femmes, l’écriture.
Trois sources principales de l’œuvre de Truffaut.
Truffaut n’aura de cesse de
respecter le court de la vie dans ses films, usant de la narration subjective,
tout en conservant un regard objectif. Usant de la profondeur de champ et du plan
séquence comme éléments guides pour respecter cette fluidité.
Les 400 Coups - François Truffaut |
Le cinéaste est un
perfectionniste. Angoissé par la sortie de chacun de ses films, il enchaîne les
tournages pour ne pas avoir à se confronter au regard du public. Des
réminiscences de l’enfance, sans doute, et un immense besoin d’être
aimé et reconnu.
L’audace, on la retrouve
principalement dans ses films. Dans la vie, Truffaut est organisé, obsédé par le classement et l’archivage. Il prend compulsivement des notes sur à peu près
tout. Rien n’est laissé au hasard.
Et c’est grâce à ce trait de
personnalité que nous pouvons aujourd’hui admirer, avec une grande émotion, les
pleins et les déliés de son écriture.
L’exposition TRUFFAUT
PASSIONNEMENT, présentée depuis le 3 mars à la Fondation APCd à Marly, est un
bijou. Nul besoin d’être un fin connaisseur du cinéaste pour en apprécier le
contenu.
C’est une exposition
bouleversante, intime. Du papier, de la correspondance, des notes. Aucun autre
cinéaste n’aura laissé autant de traces manuscrites. L’écriture est belle et
fluide, à l’image de ses films et de la scénographie de l’exposition.
Dans le cadre atypique de l’ancienne
entreprise Ilford, on est littéralement pris par la main. Tout est, comme dans
la vie de Truffaut, segmenté. Les époques, les thèmes sont compartimentés dans
des salles, qui même si elles baignent encore dans leur jus de laboratoire,
offrent une rencontre intime avec le cinéaste. A l’image de cette salle : « Ni
avec toi, ni sans toi ». Entre des lavabos et des bacs révélateur, trône
cette réplique issue de La Femme d’à côté.
On ne peut y entrer que seul, l’espace étant restreint. Pour l’homme qui
privilégiait les rencontres en tête-à-tête, on ne pouvait être plus juste.
Enlacé par différentes
projections murales, le visiteur entretient un rapport quasi charnel avec
Truffaut. De l’enfance du cinéaste, aux bouts d’essais de Jean-Pierre Léaud
pour Les 400 Coups, les passions amoureuses, réelles ou fictives, les notes sur
ses collègues réalisateurs – on apprend d’ailleurs que Spielberg, tout fraîchement
fiancé, faisait preuve d’excès de zèle sur le tournage de la Rencontre du 3ème
Type - cette exposition, qui est une réduction de celle
présentée à la cinémathèque française en 2014, nous offre un 5 à 7 passionnel.
Une de ces passions qui a le goût du fruit défendu, mais dont l’attrait nous
pousse irrémédiablement à y retourner. Une de ces passions qui vous consument
le corps et le cœur, dont on ne ressort pas indemnes, mais convaincus d’avoir
vécu quelque chose d’unique, étourdis par la voix de Truffaut qui résonne à
chaque coin de couloir, emportés par le tourbillon de la vie.
Laissez-vous bouleverser par le
cinéaste qui préférait le reflet de la vie à la vie elle-même, mais qui a su,
comme nul autre, nous toucher au plus profond de notre âme et continuer à faire
résonner notre voix d’enfant. Cet enfant dont les yeux n’ont de cesse de s’émerveiller.
Entretien avec Philippe Clerc, directeur de l’APCd Fondation
Comment cette exposition unique
est-elle arrivée à Marly, après Paris et Sao Paolo ?
Thierry Jobin, directeur
artistique du FIFF, est venu plusieurs fois
sur le site. Il a été emballé par le lieu. Tout s’est décidé très vite. En
septembre-octobre 2015, nous avons contacté la Cinémathèque française qui a été très
réceptive dès le départ.
Deux collaboratrices de la
Cinémathèque sont venues à Marly et leur compte-rendu à Serge Toubiana,
commissaire de l’exposition et ancien directeur de la Cinémathèque, a été le
suivant : « Vous savez Serge, c’est sympa, mais nous ne sommes pas
certaines que cela vous plaise. ».
Serge Toubiana, ayant une grande
confiance dans ses collaboratrices leur a dit : « Si vous pensez que
l’endroit s’y prête, allez-y ! »
Tout était très abstrait jusqu’au
moment où les caisses sont arrivées et ont révélé les trésors qu’elles contenaient. Nous tenions à conserver les
bâtiments dans leur jus. Nous n’avions pas envie de tout repeindre en blanc. Au
final, cela a beaucoup plu et selon Serge Toubiana, cela représente bien
Truffaut : les segmentations, Truffaut et ses différentes vies. Différentes
amitiés. Nous ne voulions pas de vitrines
de musées, alors nous avons construit nos propres vitrines.
Il y a une certaine chronologie
dans l’exposition, mais les thématiques par salle permettent aux visiteurs de s’éloigner
un peu du parcours proposé, pour vivre ses propres expériences.
La scénographie, réalisée par Martial
Mingham et Thierry Jobin est magnifique.
Même si une galerie d’art existait déjà avant, la Fondation est toute
jeune (juin 2015). Une exposition telle que celle-là offre une très grande
visibilité, d’autant que vous avez l’exclusivité suisse, et touche un public
qui n’est pas forcément le vôtre. Comment appréhendez-vous cela ?
Un des buts de la fondation est de donner un accès à toutes
les formes d’art. Tout peut être art. Et le cinéma est un art en soi. Nous avons abordé ce projet d’exposition avec beaucoup de
sérénité, mais avec une certaine dose de stress tout de même. Nous n’avions pas
tout de suite réalisé ce qui allait se passer. La fondation avait aussi envie de marquer un grand coup, de
faire venir un public qui ne lui est par forcément acquis. La collaboration
avec le FIFF avait tout son sens, qui plus est avec la thématique toute
féminine de sa 30ème édition.
Nous tenions à avoir l’exclusivité en Suisse. C’est une
exposition qui a un coût certain. D’ailleurs, pour des raisons financières,
certaines projections ont dû être
raccourcies. Mais que le public se rassure, toutes les projections prévues dans
la formule restreinte de l’exposition sont respectées !
Philippe Clerc, vous êtes historien de l’art, quelle est votre relation
avec le cinéma ?
J’ai une relation avec le cinéma comme celle qu’entretiennent
beaucoup de personnes. Je suis un cinéphile d’opportunités. J’aime beaucoup
Louis de Funès et ne suis pas un grand amateur de films d’auteurs. Pour ne rien vous cacher, lorsque l’on a commencé à parler
de Truffaut, je n’avais jamais vu un de ses films. Je ne connaissais que la
chanson du tourbillon dans Jules et Jim. Je
crois que je peux dire qu’il y a un avant et un après Truffaut. Pierre Eichenberger, président et fondateur de la fondation, avait quant à lui vu tous les films de Truffaut. C'est un vrai fan du réalisateur. Accueillir cette exposition est très émouvant pour lui.
Quels genres de films appréciez-vous tout particulièrement ?
J’aime beaucoup les films historiques. J’ai besoin d’humour
et de choses vivantes. J’adore La Folie des Grandeurs ou
Le Libertin. Les
films de costumes, d’époque. J’adore Barry Lyndon.
Ah, magnifique Marisa Berenson (soupirs)…
Plus précisément, à l’évocation de Truffaut, quelles sont les premières
images, les premiers mots qui vous viennent à l’esprit ?
Je crois que ce sont des prénoms de femmes : Fanny,
Jeanne, Catherine. La toute première étant Fanny Ardant. C’est aussi le mot « intimité ».
Il y a de l’intimité dans tout chez Truffaut : dans les petits mots qu’il
écrit, dans ses rapports avec la vie, la manière dont il filme ses
actrices. Et au-delà d cinéaste, ce sont
les mots « écriture », « femme » et « lecture »
qui me viennent à l’esprit.
Que souhaitez-vous aux visiteurs qui viendront sur le site de Marly ?
Je leur souhaite de prendre le temps. Prendre le temps de
découvrir l’univers de Truffaut, même s’ils n’y connaissent pas grand-chose.
Découvrir qui était Truffaut, ce qui fait son cinéma. Je leur souhaite de vivre
une expérience unique, le lieu s’y prête à merveille. Je souhaite qu’il acquière
une autre vision de ce que peut être une exposition. C’est un laboratoire d’art,
une pleine expérimentation. Je leur souhaite de vivre une émotion, vis-à-vis de
ce qu’ils voient, mais également vis-à-vis de l’écrin. Et bien sûr, je leur
souhaite de revenir.
Événement : conférence de Serge Toubiana le jeudi 17
mars à 18h, suivie d’une soirée musicale en compagnie de Vincent Delerm et Mykonos.
Toutes les infos pratiques : ici.
STS/ 10 mars 2016
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