mercredi 17 juillet 2013

66ème FESTIVAL DEL FILM LOCARNO : le programme

Rendez-vous  incontournable pour tout cinéphile qui se respecte, le Festival del Film Locarno a annoncé ce matin à Berne le programme de sa 66ème édition.
66ème édition, certes, mais surtout première pour son nouveau directeur artistique, Carlo Chatrian, qui définit Locarno comme un festival de frontière : « Un festival qui essaie de réfléchir à ce qui existe aux confins du spectre du cinéma, aux extrémités du plan pour saisir cette part  de hors-champ qui polarise la scène. Aujourd’hui, le sens de cette idée d’avant-garde est légèrement dévoyé : il ne s’agit plus d’être présent avant les autres, mais plutôt d’avoir la volonté et la possibilité de donner de l’espace et du relief à des films, des réalisateurs, des productions que l’on néglige ou que l’on ne prend pas suffisamment en compte. »
Si vous voulez faire plus ample connaissance avec Carlo Chatrian, je vous invite à (re)découvrir l’entretien qu’il m’a accordé en décembre dernier.
Rentrons maintenant dans le vif du sujet.

Concorso internazionale

Sur les 20 longs métrages en compétition, 18 seront présentés en première mondiale.
Une sélection hétéroclite, mais passionnante, proposant des films de tous horizons où de jeunes talents côtoient des réalisateurs confirmés comme Claire Simon, Kiyoshi Kurosawa ou encore Joanna Hogg. De la Roumanie avec When Evening Falls on Bucharest or Metabolism de Corneliu Porumboiu au Brésil avec Sentimental Education de Julio Bressane en passant par l’Allemagne de David Wnendt et son adaptation du roman de Charlotte Roche, Feuchtgebiete.

Sentimental Education - Julia Bressane - Brésil 2013

Le plaisir de retrouver aussi le duo Cattet-Forzani qui avec leur film hommage au giallo, Amer, ainsi que leur participation à ABCs of Death (la lettre O pour orgasme… ce qui leur va très bien, leurs films étant jouissifs), avaient ravi les cinéphiles de tous poils. Ils présenteront leur dernier film L’Etrange Couleur des Larmes de ton Corps. Je me réjouis !
 A noter dans cette très belle sélection, le retour d’Yves Yersin (inoubliable réalisateur des Petites Fugues ) avec un documentaire de près de 2 heures sur un petit collège du Val-de-Ruz : Tableau noir. Un projet qui a valu au réalisateur de devoir vendre sa maison pour boucler son budget.   

Piazza Grande

Lieu magique du festival pouvant accueillir 8'000 personnes, la Piazza Grande est un lieu de rencontres, d’échanges.  Bénéficiant de la douceur d’une soirée d’été ou d’un bon orage revigorant, 16 films seront présentés dans ce cadre somptueux. Documentaires et fictions du monde entier raviront les festivaliers. Deux films suisses y seront projetés : L’Expérience Blocher de Jean-Stéphane Bron et Les Grandes Ondes (à l’ouest) de Lionel Baier. Le cinéma italien fera son grand retour sur la Piazza avec le film de La Variabile Umana de Bruno Oliviero. Deux films consacrés à l’histoire du cinéma feront également battre les cœurs.
C’est dans ce cadre également que nous serons nombreux à pouvoir apprécier la venue des nombreux invités du festival, que j’appelle affectueusement et avec gourmandise, les cerises sur le sundae. En feront partie cette année Christopher Lee, Anna Karina, Faye Dunaway, Sergio Castellito, Werner Herzog, Jacqueline Bisset et tant d’autres.

Les Jurys

Le Jury du concours international sera présidé cette année par le cinéaste philippin Lav Diaz. Son dernier film Death in the Land of (the) Encantos avait remporté le Prix Horizon à la 64ème Mostra de Venise.
Basil Da Cunha, cinéaste suisse dont le film Après la nuit était en sélection officielle du dernier Festival de Cannes, sera membre du jury des Pardi di domani. Section où il avait été sélectionné l’an passé avec son court métrage Os Vivos Tambem Choram.

Werner Herzog

Werner Herzog

Le Pardo d’onore sera remis cette année à ce génial cinéaste allemand qu’est Werner Herzog. Cela fait 25 ans que ce prix est remis à un maître du cinéma contemporain. L’occasion pour le festival de projeter 10 films (dont Aguirre, der Zorn Gottes ou Nosferatu : Phantom der Nacht, ou encore Fitzcarraldo, trois films emblématiques de la relation amour-haine entre le cinéaste et le sulfureux Klaus Kinski) et en première mondiale les nouveaux épisodes la série Death Row II, 4 portraits de condamnés à mort qui attendent leur exécution.

George Cukor

C’est l’intégralité de l’œuvre de Cukor qui sera projetée dans le cadre du 66ème Festival del Film Locarno, soit pas loin de 50 films ! De quoi rester assis dans les salles obscures de longues heures. Mais quel bonheur !
Un documentaire sur Something’s Got To Give, dernier film de Marylin Monroe,  sera présenté dans le cadre de cette rétrospective, de même qu’une version 3D ( !) du Magicien d’Oz, film sur lequel Cukor travailla avant de laisser la main à Victor Flemming. Des débats sur le cinéma du réalisateur américain trouveront également leur place.

George Cukor


Un nouveau prix : le Vision Award

Le Vision Award entend valoriser les personnalités qui, par leur travail en coulisses et par leurs créations, ont contribué à élargir l’horizon du cinéma. La première édition de ce prix va à Douglas Trumbull. Réalisateur et maître des effets spéciaux, Trumbull animera deux Masterclass et dévoilera les secrets de fabrication de ses chefs-d’œuvre Blade Runner, 2001 l’Odyssée de l’Espace et Rencontre du troisième type. De grands moments en perspective.

Douglas Trumbull


Voilà, vous savez presque tout. Si vous souhaitez en savoir plus, notamment sur toutes les autres sections, je vous renvoie au site du festival : www. pardo.ch.
Cinécution tentera de vous faire vivre au plus près les émotions que génère un tel festival, en vous proposant des papiers quotidiens. Rendez-vous à Locarno du 7 au 17 août 2013!
Votre Cinécution

dimanche 14 juillet 2013

HANNAH ARENDT - Margarethe von Trotta - 2013

Nous sommes en 1960. Adolf Eichmann, criminel nazi en fuite depuis 10 ans en Argentine, est arrêté par le Mossad, dans le cadre de "l'opération Attila" lancée par le premier ministre israélien de l'époque, David Ben Gourion. Ben Gourion avait à cœur d'offrir au peuple israélien son "Nuremberg".

Hannah Arendt , philosophe allemande, établie aux USA depuis le début des années 40 après avoir fui l'Allemagne nazie, quelque peu frustrée de n'avoir pas pu couvrir le Procès de Nuremberg, prend contact avec le journal le New-Yorker. Elle souhaite se rendre en Israël pour suivre le procès Eichmann.

Elle publiera une série de 5 articles dans le New-Yorker. Ceux-ci déclencheront une polémique tonitruante. Critiquant vertement la politique israélienne de l'époque, le sionisme et énonçant pour la première fois ce qu'elle a appelé la banalité du mal, Arendt est au cœur d'un cyclone qui lui vaudra bon nombre d'inimités.
 



Se concentrant uniquement sur cette période de la vie d'Hannah Arendt, Margarethe von Trotta élude volontairement la controverse dont faisait l'objet la philosophe bien avant cet évènement. Arendt, jeune étudiante, vit une liaison clandestine avec son professeur Martin Heidegger. Heidegger, membre du parti nazi, dont il démissionna de toutes activités politiques quelques mois après son adhésion, sera toujours contré par bon nombre de philosophes, ces derniers lui reprochant une personnalité dissimulatrice et une influence du discours nazi sur son œuvre. Heidegger restera un personnage ambigu avec lequel Arendt entretiendra une relation particulière jusqu'à sa mort.


Le procès Eichmann  fut l'occasion pour Hannah Arendt de se confronter pour la première fois, en chair et en os, avec le nazisme. Son analyse du procès, bien plus qu'un compte rendu, suscita de vives réactions. Elle dénonça la banalité du mal : Eichmann est un homme banal, un petit fonctionnaire ambitieux, incapable de distinguer le bien du mal tant il est soumis à l'autorité. Dans ce qu'il pense être l'accomplissement de son "devoir", il suit aveuglément les ordres et cesse de penser. Pour Arendt, cela est inadmissible et elle ne remet pas en cause la culpabilité de Eichmann. Continuer de penser et avoir conscience de nos actes et la condition sine qua none pour ne pas sombrer dans cette banalité du mal. Les régimes totalitaires rendent cette réflexion difficiles.




Cette théorie a bien souvent été mal comprise et Arendt a vu son cercle d'amis, notamment Kurt Blumenfeld, président d'une organisation sioniste, se réduire. Blumenfeld refusera de lui parler suite à la parution de ces articles. Son livre, "Eichmann à Jérusalem", paraîtra 3 ans plus tard.

On peut reprocher à Margarethe von Trotta d'avoir mis Hannah Arendt sur un piédestal, de l'avoir fait évoluer dans un film trop lisse et trop académique. Les quelques flash-backs sur sa période intime avec Heidegger ne sont pas suffisamment audacieux. Elle présente la philosophe comme une femme de caractère, à l'esprit vif, et comme une féministe volontaire. Ce qui devait sans doute être le cas. Mais montrer les failles de cette femme aurait été bienvenu, pour lui donner un peu plus d'humanité, de consistance.



La longue séquence du procès, alimentée par des images d'archives époustouflantes de Leo Hurwitz, est saisissante. Probablement la meilleure partie du film. Sinon, le film est très bavard et très représentatif des réunions d'intellectuels allemands en exil, des féministes américaines (Mary McCarthy) et autres professeurs d'université, réunions qui étaient toujours prétexte à se lancer dans des débats fougueux.

Ce n'est pas la première fois que la cinéaste s'attaque à un monument de la culture allemande. En 1986, elle fait de la vie de Rosa Luxemburg, militante socialiste et théoricienne marxiste, un film. C'est déjà à Barbara Sukowa qu'elle confia le rôle principal, comme c'est le cas dans "Hannah Arendt". Il faut reconnaître que Sukowa est remarquable. Elle adopte le phrasé particulier de l'intellectuelle allemande avec une aisance bluffante.

Un film intelligent, pas facile d'approche si l'on n'a pas les connaissances suffisantes du contexte historique. Si vous n'aimez que le cinéma de divertissement, fuyez. Par contre, si n'êtes pas contre les films qui suscitent un tant soit peu de réflexion, foncez, cela en vaut la peine.



Votre Cinécution