vendredi 22 juin 2012

HASTA LA VISTA - Geoffrey Enthoven - 2012

Un film qui débute sur deux jeunes femmes qui font du jogging: plein feux sur leurs attributs qui dodelinent au rythme de leurs foulées. On pouvait presque craindre le pire. Et bien non, c'est le meilleur que nous a donné Geoffrey Enthoven avec son magnifique film "Hasta la vista".

Philip, Lars et Jozef: tous trois ont une particularité. Philip est tétraplégique, Lars paraplégique et Jozef est aveugle. Ils aiment le bon vin et... les femmes. Aucun d'eux n'a encore connu le plaisir que procure une relation intime. Ils en rêvent. Philip apprend par hasard qu'il existe en Espagne un endroit où de très belles femmes vendent leurs services spécialement à des personnes comme eux. Il convainc ses amis de partir. Mais lorsque deux jeunes hommes en fauteuils roulants et un aveugle décident de partir en voyage, cela demande un peu d'organisation. Cela demande surtout de persuader leurs proches de les laisser partir sans eux, non sans mentir un peu: ils suivront une route des vins.

Quelques jours avant le départ, l'état de santé de Lars de détériore. Le voyage est annulé. Mais Lars, refusant de rester puceau, souhaite que le voyage soit maintenu. L'infirmier qui devait initialement les accompagner, leur recommande Claude. Claude fera le voyage avec eux jusqu'à Punta del Mar. C'est donc en douce, et avec la complicité de la petite soeur de Lars, que nos trois loustics prennent la poudre d'escampette direction "El Cielo", le lupanar espagnol.

Mais Claude, n'est pas un garçon. Claude est une femme, bien en chair, et aux manières un peu rustres. Elle parle le français, contrairement à ces trois messieurs qui parlent flamand. Persuadés qu'elle ne comprend pas un mot de flamand, ils parlent d'elle avec des mots très durs et méprisants. Mais les événements s'enchaînant, ce quatuor va finalement trouver un modus vivendi. Ils vont se découvrir petit à petit, s'apprivoiser, se respecter.  S'aimer? Peut-être...




Ce film parle du désir, de l'amitié, de l'amour, et du besoin d'indépendance. Ils découvriront que cette indépendance tant désirée présente également des limites et des restrictions. Ce film parle aussi de ces corps qui ne sont touchés que lors d'actes médicaux ou machinaux qui les soulagent dans leur quotidien. Ces corps meurtris qui ont aussi besoin de douceur, de caresses, de sexualité. Bien sûr, il y a quelques lieux communs, mais on les oublie vite.



Inspiré d'une histoire vraie (celle d'Asta Philpot), ce film ne génère à aucun moment une gêne. Il est fait avec pudeur et justesse. Par moments, le personnage de Philip est tellement abjecte et méprisant, qu'on en vient à oublier son handicap et à le considérer comme tout homme valide qui aurait ce genre de comportement: comme un imbécile égocentrique. Mais on finit par s'attacher à lui tout de même, ainsi qu'au reste du quatuor. Robrecht Vanden Thoren (Philip), Gilles de Schryver (Lars), Tom Audenaert (Jozef) et Isabelle de Hertogh (Claude) sont tous remarquables.

Briser un tabou: voilà ce qu'a fait Geoffrey Enthoven. Porter un sujet aussi casse-gueule que la sexualité, qui plus est tarifée, des personnes en situation de handicap sur grand écran, le faire avec respect, humour et délicatesse, ce n'était pas gagné d'avance. Le pari a été relevé haut la main par ce réalisateur belge. Un road movie aux allures de rite initiatique.


Votre Cinécution

samedi 9 juin 2012

LE GRAND SOIR - Benoît Delépine, Gustave Kervern - 2012



"Le Grand Soir", c'était hier soir. Qu'est-ce que j'ai ri! Rire d'autant d'humour noir donne parfois le vertige et presque mauvaise conscience ou du moins provoque une certaine gêne... Mais en même temps, l'humour noir est libre et exprime avec cruauté, et un brin de désespoir, l'absurdité du quotidien. En ce sens, il provoque la réaction et incite à la réflexion.

Le générique commence par une longue série de dédicaces : de Claude Chabrol à Maurice Pialat, en passant par Jo l'indien et Paulo Anarkao... tous des punks selon Delépine et Kervern!




Not (Benoît Poelvoorde), une espèce de Diogène moderne, tout empreint de cynisme et qui semble crier en permanence : « Ôte-toi de mon soleil ! », est, comme il se définit lui-même, le dernier punk à chien d’Europe. Son frère, Jean-Pierre (Albert Dupontel), travaille dans un magasin de literie. Tout doit être « aux normes » selon lui, et son frère Not de lui répondre : « Et ta connerie, elle est aux normes ta connerie ? ». Son monde s’écroule lorsqu’il est renvoyé parce qu’il n’a pas atteint son quota de ventes et que son mariage part à vau-l’eau. Les parents (Areski Belkacem et Brigitte Fontaine), tiennent un restaurant, « La Pataterie » et passent leurs journées à éplucher des patates.







La crise (mot récurrent dans le film) que vit Jean-Pierre va être le point de départ du rapprochement des deux frères. Jean-Pierre va découvrir la liberté et Not, dans toute sa maladresse, prendre son rôle de frère à cœur. Les parents, qui affirment finalement être arrivés à ce qu’ils voulaient, à savoir faire de leurs enfants des hommes libres, font le constat qu’eux-mêmes, finalement, s’embêtent comme des rats morts dans leur vie. Chacun entreprend donc sa propre révolution !




Les deux compères de « Groland » reviennent avec un film qui, au-delà de nous faire rire et de nous toucher au cœur, dresse le portrait d’une famille qui a décidé de faire la révolution, mais à sa façon ! Comme à leur habitude (comment ne pas se souvenir de « Mammuth» ou de « Louise Michel »...), ils dénoncent une société qui prend l’eau. L’humour est omniprésent, mais fonctionne comme une sorte de protection, de « kit de survie ». Tout cela est montré avec beaucoup de tendresse et une certaine poésie. Et quel bonheur de retrouver Bouli Lanners dans un rôle de vigil absolument irrésistible. Quelle affection j’ai pour ce belge ! Que ce soit dans des petits rôles, dans des rôles plus importants ou comme réalisateur, Bouli Lanners me laisse toujours une trace indélébile de son passage.

Quant à Benoît Poelvoorde, il est magistral. Lorsque cet acteur que j’adore montre un côté plus sombre, ça me donne des frissons. Les parents, campés par Areski Belkacem et Brigitte Fontaine, sont eux aussi irrésistibles. Brigitte Fontaine qui avait répondu à Delépine et Kervern, lorsqu’ils lui ont dit qu’ils pensaient à elle pour jouer le rôle de la mère : "Moi? Une mère? Et en plus de deux vieux schnocks pareils? Jamais! Je ne veux jouer qu'une sorcière qui fume dans une forêt bretonne!". Et nos deux lascars de remplacer dans le scénario, tous les « La Mère » par « Une sorcière qui fume dans une forêt bretonne ». Résultat des courses, Brigitte Fontaine est fascinante, comme à chacune de ses apparitions, serais-je tentée de dire. Un film que je conseille à tous ceux qui se sentent à l’étroit dans le costume trop étriqué qu’ils décident de porter au quotidien pour se noyer dans la masse et être "aux normes"... 




Votre Cinécution

vendredi 8 juin 2012

L'INVITE : Thierry Jobin


Comment parler du seul critique de cinéma que j’ai laissé me prendre par la main et que j’ai suivi les yeux fermés dans les salles obscures pendant plus de 10 ans ? Comment parler du Directeur du Festival de Films de Fribourg (FIFF), qui a proposé au mois de mars de cette année, le plus fascinant et le plus palpitant FIFF de mon parcours de festivalière chevronnée ?
Peut-être simplement, à l’image de Thierry Jobin, parce que c’est de lui dont il s’agit. Celui dont je jalouse la culture cinématographique m’a accordé du temps dans son agenda surchargé. Entretien avec un homme à la capacité d’émerveillement intacte, au sens de l’humour désopilant et à l’enthousiasme contagieux. Discussion autour du cinéma entre « Petit Scarabée » et Maître Po...


Thierry, pourquoi avoir quitté le journalisme ?

Parce que la diversité des films en Suisse n’a cessé de diminuer et que comme journaliste, à force de traiter la sortie de toujours un peu les mêmes choses, je me sentais frustré. Frustration qui a augmenté lorsque j’ai commencé à aller dans beaucoup de festivals pour voir s’il y avait d’autres choses qui se faisaient dans le monde. Et effectivement, il y a d’autres choses qui se font ! Donc, lorsque je rentrais des festivals c’était de pire en pire.
Le jour où l’on m’a signalé que le poste d’Edouard Waintrop était vacant, je me suis présenté. J’avais envie de voir la partie immergée de l’iceberg et de pouvoir la montrer. La partie émergée de l’iceberg devenant de plus en plus petite.
J’avais perdu le prix de la rareté. Avoir la chance parfois d’être le premier au monde de découvrir un film, c’est un plaisir. J’ai le sentiment de devenir le baby-sitter du film. Il faut y faire attention. Tu y apportes encore plus de prix. J’ai retrouvé le plaisir de la découverte. Plaisir que j’avais perdu en séance de presse.


C’est un plaisir pour vous de pouvoir montrer concrètement les films que vous aimez et de ne plus simplement suggérer ou encourager à aller les voir ?

C’est le plus beau cadeau professionnel qu’on ait pu me faire. J’espère ne jamais le galvauder. C’est génial de pouvoir faire ça. J’ai vraiment tout choisi en fonction de mes goûts sur 118 films. C’est super de voir du monde dans les salles. Et ça fait plaisir de voir les gens heureux lorsqu’ils sortent des séances.
J’ai aussi pensé à la nouvelle génération de cinéphiles : celle qui télécharge les films. D’où les séances de minuit ou les westerns un peu bizarres (rires).


Vous avez aussi fait une jolie place au cinéma populaire…


Le cinéma populaire touche les gens. C’est un langage dont on connaît la grammaire. Si on passe par un genre, codifié, c’est plus facile de rentrer dans le cinéma chinois ou mexicain par exemple. On raconte peut-être plus de choses sur une population qu’en passant par le cinéma d’art et d’essai. D’une manière un peu démagogique quelques fois. Cela dit, c’est intéressant de voir ce que regardent les enfants à Taïwan. Quel genre de film d’horreur se fait en Asie du sud-est ou quel genre de comédie se fait en Amérique latine. Je trouve cela super intéressant, parce que cela parle de la société. Pour citer Truffaut, j’ai toujours trouvé qu’un film populaire raté est plus intéressant qu’un film d’auteur raté.
Le cinéma que j’aime sert à inventer. C’est pour ça que j’aime les films d’horreur et les films fantastiques. C’est un cinéma qui travaille sur la forme et sur des éléments qui n’existent pas. C’est un cinéma qui va plus loin que de filmer son nombril. « L’Antre de la Folie » de John Carpenter me parle directement par exemple. Il y a quelque chose qui se passe.


Cette année, au FIFF, il y avait des films engagés, notamment dans la section « Décryptage », des films qui n’ont pas forcément été montrés au grand public. Vous pensez que c’est une des vocations d’un festival de les montrer, au risque, peut-être, de coller une couleur politique à un festival ?

Je crois que tout bon film est politique. Un film qui ne s’engage pas pour quelque chose, on voit bien ce que c’est : c’est un film de rien du tout, un « film du dimanche soir ». Pour moi, le fait d’avoir choisi un thème autour de l’Islam dans « Décryptage », ce n’était pas une question de réunir des films « prétextes » autour d’une question. J’ai toujours refusé les films « prétextes ». Si je réfléchissais spontanément à quelques films que j’avais beaucoup aimés et qui n’avaient pas été montrés en Suisse, pour les réunir dans une même section, cette question de l’Islam, notamment en France, met apparue tout de suite. Il y avait des films comme « Hadewijch » de Bruno Dumont ou « Dernier Maquis » de Rabah Ameur-Zaïmeche, que j’avais envie de montrer dans de bonnes conditions. Même si certains avaient déjà été projetés dans de petits cinémas marginaux, je voulais les mettre dans des grandes salles. Un festival doit servir à montrer ces films qui ont été marginalisés, qui ne sont pas considérés ou pour lesquels les distributeurs prendraient trop de risques. Je ne leur jette pas la pierre, parce qu’à chaque fois qu’ils sortent un film, ils risquent de mettre la clé sous la porte, du moins les indépendants.
C’était utile. Non seulement je montrais d’excellents films, mais en plus, ils parlaient d’une question extrêmement importante, pour la culture en général.
Si on est une société qui ne voit pas certains types de film sur l’Islam ou qui parlent de l’émigration d’origine maghrebine, simplement parce que le public alémanique est considéré comme « non potentiel », cela appauvrit la société suisse : ne voir de l’Islam que les reportages de TF1 ou les faits divers.




Vous pensez qu’un film peut devenir une arme politique ?

Non, je ne crois pas qu’un film puisse changer le monde ou servir d’arme. Cela dit, je pense qu’un film peut apporter de la nuance dans la tête d’un spectateur.
Lorsque l’on voit un film on ne l’oublie jamais, en tout cas les bons films, ceux qui nous marquent. Le cinéma a cette force. C’est un art qui touche. Les personnages de cinéma, comme les personnages des bons romans, finissent par nous habiter. On ne les oublie plus. C’est donc apporter de la nuance. Si on ne montre pas certains films, le public ne peut pas savoir qu’il y a d’autres manières de voir le monde.


C’est valable pour un documentaire comme pour un film de fiction ?

Il n’y a aucune différence pour moi entre un documentaire, une fiction, un film érotique, un western, un film d’auteur, en noir et blanc, en vidéo, en téléphone portable. Peu importe. Il y a de bons films. Il y a de mauvais films. Il y a beaucoup moins de bons films que de mauvais films. On a l’impression chaque année qu’il y a 15 ou 20 chefs-d’œuvre qui sortent, si on regarde les critiques. Mais en réalité, de quoi l’histoire se souviendra ? Je n’ai pas l’impression que l’on soit dans des années aussi fortes que lorsque sortait le dernier Bergman, Fellini, Kurosawa, etc…
Non, pour moi il n’y pas de différence. Le problème, c’est qu’il y a 80% des films qui sont une sorte de « ventre mou » où on peut être d’accord, trouver ça bien ou pas. Je crois qu’il y a peut-être 1% des films que tout le monde trouve génial. A peu près 20% des films que tout le monde trouve nuls. 
Il est clair qu’au FIFF j’aurais pu passer plein de films de « ventre mou »… mais j’ai essayé de ne pas le faire et de ne passer que des films que je trouvais passionnants, pour une raison ou pour une autre. Que ce soit un documentaire ou une fiction.


Vous pensez que le nombre de « bons films » a diminué au court des 20-30 dernières années ?

Proportionnellement oui, parce qu’il y en a tellement plus. Sans doute. Certains se sont complus à annoncer pendant des années la mort du cinéma. En fait, le problème n ‘est pas là. Le langage a été posé pendant les 50 premières années peut-être, jusqu’à « Citizen Kane » on va dire, et ensuite il s’agissait de lui trouver de nouvelles formes, de le renouveler.
C’est tout de même un art complètement absurde : non seulement il est cher, mais en plus, l’artiste doit travailler, au meilleur des cas avec 20 personnes, au pire avec 2'000… en plus sur un support ultra friable. Le jour où il y a une bombe atomique, c’est la première chose qui disparaît. Les sculptures, on peut espérer les conserver. Les bouquins peuvent rester dans la tête un peu comme dans « Fahrenheit 451 » de Bradbury. Et le cinéma coûte toujours plus cher.


Même avec les nouvelles technologies ?

Oui, mais les petits films, comme celui qui a gagné à Fribourg cette année (ndlr : « Never too Late » d’Ido Fluck) qui avait un budget de CHF 23'000.- , on ne les voit pas. Ils ne sont pas dans un marché. Donc, en fait, si l’on parle des films qui sortent, oui, le niveau est beaucoup plus bas.
Les gens ont peur de perdre de l’argent et refont des films que le public connaît déjà. Sans être méchant, le grand public va plus volontiers voir un James Bond ou le nième Harry Potter plutôt qu’un film un peu plus risqué qui n’aurait rien coûté et réalisé par un cinéaste israélien qui vit à New-York. C’est évident, pas besoin d’être alchimiste pour comprendre cette recette.


Est-ce uniquement une question de moyens financiers, ou peut-être aussi un manque d’audace ?

La peur de perdre de l’argent crée un manque d’audace. Il y a peu de gens qui sont libres de créer. On montre au FIFF des films qui viennent de dictatures, qui ont été censurés, en essayant de mettre en lumière des cinéastes qui ont réussi à résister à un système contraignant. Je considère que quelqu’un qui réussit à travailler sous une dictature et qui réussit à faire un film intelligent, c’est exactement comme Christopher Nolan faisant un film très personnel comme « Inception » dans le cadre du système hollywoodien pour 250 millions de dollars. Pour moi, ce n’est pas une question d’argent. Mais combien y a-t-il d’ « Inception » dans l’année ? Pas besoin de répondre à la question je crois (rires).




C’est de notoriété publique qu’enfant vous faisiez des films Super 8 reproduisants « Mad Max » par exemple, en pyjama Calida dans les forêts jurassiennes. Est-ce que le fait d’être un « provincial » a favorisé cette passion, cet amour pour le cinéma ?

Ne pas avoir accès à des cinémathèques, avoir dû attendre 15 ans pour voir un Hitchcock ou « The Sugarland Express » de Spielberg fait que je reste émerveillé comme un gosse quand je vois un film ou quand je reçois les « call for entry » au festival. Tous ces films qui arrivent par paquet dans de petites enveloppes blanches. Je suis tout excité.
Comme à l’époque où je prenais le train pour aller à Bâle : je ne savais pas quels films étaient projetés. Je rentrais simplement dans la première salle.
Le fait d’être provincial a fait que je ne me suis jamais senti blasé. Je me suis parfois senti blasé par rapport à l’écriture et à la critique, mais jamais par rapport au cinéma. Chaque film est une perle, chaque film est un miracle. Et le fait qu’il arrive jusqu’à moi est un miracle encore plus grand. Après, le fait d’être en province à une époque où il n’y avait pas d’école de cinéma, vraiment rien, et d’essayer de faire des courts-métrages Super 8, ça créé une sorte de modestie : «  De toute façon, on n’y arrivera jamais ! »
En fait, j’ai très vite fait une croix sur le fait de faire des films. Je les aimais tellement que je ne voulais pas faire moins bien qu’un « Citizen Kane » par exemple. C’est pour ça que j’ai toujours admiré les cinéastes.

Plus que les acteurs…


Oui, j’ai toujours préféré interviewer des cinéastes plutôt que des acteurs. A de rares exceptions près : François Cluzet, Leonardo di Caprio ou encore Johnny Depp. Ce sont de belles rencontres. On voit tout de suite que ce sont des esprits libres, des gens qui sont capables d’indépendance.

Vous parliez de ces cinéastes pour lesquels vous avez du respect…


J’ai aussi du respect pour ces étudiants de la HEAD à Genève où j’étais hier. Je leur ai dit, que je les admirais. Se dire qu’il sera impossible de refaire « Le Parrain », parce qu’on ne peut plus refaire « Le Parrain » aujourd’hui, pour moi, ce serait une frustration beaucoup trop grande.

Vos cinéastes préférés justement ?


(soupirs) il y en a tellement !

Je regarde «La Nuit du Chasseur » de Charles Laughton deux à trois fois par an. Il y a trop de cinéastes que j’aime en fait. Il faudrait que je refasse toute l’histoire du cinéma depuis le début et puis après que je revienne en arrière, que je change de continent trois fois, quatre fois, cinq fois (rires)… non c’est impossible !
Par contre, je sais quel genre de cinéaste j’aime. Je suis quelqu’un qui aime une forme de cinéma classique. Je suis assez peu friand de mélange de cinéma et d’art vidéo. J’ai été assez dégoûté par les faiseurs de clips dans les années 80 qui se sont mis au cinéma (Jean-Jacques Beineix, Luc Besson ou même Ridley Scott). Déjà, quand on regarde les premiers courts métrages de ces gars, on se rend compte qu’ils n’avaient rien à raconter. C’était uniquement du cinéma de forme. J’aime les cinéastes qui trouvent un équilibre parfait entre le fond et la forme.
Pour moi, la clé, c’est l’anecdote de Richard Brooks qui racontait comment il a appris à faire du cinéma. Il était 3ème assistant sur un film de Karl Freund qui n’hésitait jamais où poser la caméra, comment couper des scènes. Freund a dit à Brooks de revenir le lendemain pour une « leçon ». Il lui a montré deux films pornos qu’il avait réalisés quand qu’il avait besoin d’argent. Cela lui avait appris une chose : « Get to the fucking point ! ». Voilà les cinéastes que j’aime : ceux qui vont droit au but. C’est pour ça que j’admire Clint Eastwood qui tourne « Mystic River » en 23 jours !




Cet équilibre entre le fond et la forme, c’est aussi tout l’art de Stanley Kubrick. Certains le trouvent froid et le détestent. Mais je défie quiconque de trouver autant de films réussis que dans la filmographie de Kubrick, même chez les plus grands. On voit que chez lui la réflexion va très loin.
Si je devais parler des cinéastes qui vivent en ce moment et que j’aime, je dirais Paul Thomas Anderson, Nicolas Winding Refn ou Christopher Nolan par exemple. En Allemagne, je ne vois personne. En Angleterre, dans les nouveaux, je ne vois personne. En France, j’aime beaucoup ce que font Benoît Delépine et Gustave Kervern. En Asie, j’ai une admiration folle pour Park Chan-Wook et Bong Joon-Ho. C’est un cinéma assez classique.
Je suis aussi d’une génération qui a grandi en lisant « Les Cahiers du Cinéma » ou « Starfix »,  qui visionnait les VHS « René Château : les films que vous ne verrez jamais à la télévision » (rires)
Dans la rareté, il y a quelque chose d’émouvant. C’est émouvant lorsque la salle s’éteint, ou à la maison, lorsque le film vous emporte dès le début du générique. Il y a tant de films qui commencent et où on se pose la question pendant le générique : « est-ce que je n’ai pas oublié les biscuits ? », et on se lève, on va à la cuisine, on revient. C’est devenu rare qu’on nous prenne vraiment par la main au cinéma.
Je n’arrive pas vraiment à comprendre comment les gens ont envie de dépenser CHF 18.- pour aller voir un film comme « Le Prénom », qui est une adaptation d’une pièce de théâtre où ce sont des acteurs qui parlent. Ce n’est même pas filmé avec des valeurs de plans comme il pouvait y en avoir dans les années 30 ou 40. Il n’y a plus aucune profondeur de champs avec des choses qui se passeraient derrière. Ce sont des films où on a l’impression que tout est fait pour que le spectateur le plus dissipé entende les dialogues. Je préfère aller voir le dernier Cronenberg que « Le Prénom ». Il passera de toute façon en prime time sur TF1 un dimanche soir, alors que le Cronenberg, on ne le verra jamais en prime time sur TF1 un dimanche soir.


Thierry Jobin, un spectateur exigeant ?

Non, pas spécialement. Je n’ai juste pas envie de m’embêter. Avec le temps, je me suis rendu compte que les scènes d’action qui s’enchaînent, et bien ce sont les scènes où je m’endors. Dans « Fast and Furious » par exemple, je me réveille pendant les scènes dialoguées et je m’endors pendant les scènes d’action. Parce que j’ai l’impression d’avoir vu ça 150 fois. J’attends d’être surpris ou d'être tout simplement pris dans le film.


Merci Thierry Jobin!



Propos recueillis le 6 juin 2012 / Cinécution

NB: Pour celles et ceux qui veulent (re)lire comment j’ai vécu l’édition 2012 du FIFF, c’est ici .


mardi 5 juin 2012

PROMETHEUS - Ridley Scott - 2012



Il m'aura fallu quelques jours pour rassembler mes idées et pouvoir écrire sur "Prometheus" de Ridley Scott. Voilà un film que j'attendais. Ridley Scott de retour à la science-fiction et qui plus est avec une préquelle d'"Alien"... je ne pouvais qu'être impatiente. "Alien, le 8ème passager" : un film qui a marqué mon adolescence. J'allais enfin connaître l'origine de la "bête".

Prométhée, ce titan qui créa l'homme à partir d'argile et d'eau et lui insuffla toute la connaissance divine, pour finir torturé par un Zeus en colère. Fallait pas voler le feu de l'Olympe, fallait pas...




Le titre du film nous donne le ton. Ridley Scott, plus que de nous expliquer la naissance de la créature, tente de nous expliquer les origines du genre humain, mettant à terre toutes les théories déjà connues, que ce soit celle de Darwin ou celle plus religieuse du créationnisme. Le cadre étant posé, passons à l'action.

Il y a fort fort longtemps, un vaisseau extraterrestre se pose sur la Terre. A son bord, un être d'apparence humaine, bâti comme un athlète de l'Antiquité. Il se sacrifie en ingérant un liquide. Son corps se désintègre et son ADN se répand dans l'eau.

Bien des années plus tard, en 2089, pour être précise (oui, parce que j'ai découpé des troncs d'arbres et compté les cernes... alors ne chipotez pas, on est en 2089, point!), deux archéologues, Elizabeth Shaw et Charlie Holloway, découvrent une nième représentation d'un homme désignant une constellation composée de six étoiles. Représentation déjà répertoriée chez plusieurs civilisations à travers le monde. Jusque là tout le monde suit? Je continue.



La Compagnie Weyland organise donc une expédition vers la constellation désignée. Nous sommes dans un film de science-fiction, donc, il y a période d'hyper-sommeil. Pendant que l'équipage (un copié-collé du premier épisode de la saga, à savoir un team labelisé "United Colors of Benetton") dort, David, l'androïde (qui n'est pas sans rappeler Bishop...) veille sur tout ce petit monde. Il passe le temps comme il peut le pauvre... deux ans, c'est long! Il joue au basket, visionne "Lawrence d'Arabie", se fait la tête de Peter O'Toole et lit les rêves des membres de l'équipe. Et là, je me dis :"Vivement qu'ils se réveillent, qu'il y ait un peu d'action!". Arrivés à bon port, David réveille les passagers du vaisseau "Prometheus". Les archéologues expliquent le but de l'expédition: explorer la planète et découvrir les "ingénieurs" qui auraient créé l'espèce humaine. Ni une, ni deux, tout le monde en combis: on sort!
Et qu'est-ce qu'ils trouvent? La tête d'un "ingénieur" , une salle remplie d'urnes suintantes. La tête est embarquée pour dissection. David subtilise une urne. Le contenu de l'urne va par ailleurs mettre un joli bazar dans le vaisseau... sachez-le! Et là, c'est le début de la fin. Je vous passe les nombreux détails qui n'apportent rien à l'histoire, les incohérences, les "tu t'auto-césariennises, mais dans les minutes qui suivent tu es prête pour aller au combat"... bref... on s'ennuie. Tout est trop "gros" pour être crédible. Les effets spéciaux sont gigantesques et les psychologies des personnages microscopiques. Ces humanoïdes ont joué à Frankenstein et ont par la suite voulu tuer leur créature. Vite fait, bien fait, voici "Prometheus" résumé.



Ridley Scott a fait mumuse. Au risque de passer pour une rétrograde, j'aimais, et de loin, beaucoup plus la version de 1979. Il y avait moins d'effets spéciaux, mais j'avais le trouillomètre à zéro! Là, rien. Aucune angoisse, aucun poil qui se hérisse, aucun "beurk"... nada!

Reste l'univers de H.R. Giger, qui me fascinera toujours.

Et il ne s'est pas foulé le Ridley : générique à la typographie identique à celui de 1979, idem pour la musique (ok pour la musique: "Star Wars" et "Harry Potter" sont des exemples) et idem également pour les plans du début. Franchement, cela ne fait pas avancer le Schmilblick. J'en sais autant sur les origines d'Alien que sur la reproduction des calmars en eaux douces : autant dire, rien. Et je vous assure que je suis une inconditionnelle de la saga des "Alien"... mais là, mon cerveau fait de la résistance.

Tout cela étant dit, Ridley Scott ne nous a finalement pas donné la réponse à la question fondamentale : qui de la poule ou de l'oeuf? 




Votre Cinécution

dimanche 3 juin 2012

OPERATION LIBERTAD - Nicolas Wadimoff - 2012


Hugues a 56 ans. Il est marié, a des enfants, une maison, un petit bateau et un potager. Mais Hugues a aussi un secret dont il n'a jamais parlé. Il ressort des vieux cartons d'archives, remplis d'affiches révolutionnaires, de drapeaux, de bannières. Et des vidéos. Hugues veut raconter son histoire, en faire un film. Flash-back.

Nous sommes en 1978. On fête un anniversaire. Hugues est là avec sa caméra. Il ne connaît que Charlie, une petite punkette énervée issue du milieu ouvrier. On comprend assez rapidement avec quel genre d'équipe on se trouve, lorsque le groupe de musique entame une chanson dédiée aux "suicidés de Tegel" (ndlr: Baader, Raspe et Ensslin, connus sous le nom de la Bande à Baader. Un groupe révolutionnaire d'extrême gauche, allemand, impliqué dans plusieurs attentats à la bombe en 1972. Ils furent arrêtés, emprisonnés et retrouvés morts dans leurs cellules).

Ils sont 5: Charlie, Virginie, Marko, Guy et Baltos. Ils ont 20 ans, sont révoltés et ont créé le Groupe Autonome Révolutionnaire (GAR). Ils montent un coup ambitieux et Hugues, étudiant aux Beaux-Arts, doit tout filmer. Le GAR jette son dévolu sur Villas, un paraguayen qui vient régulièrement déposer de l'argent dans une succursale de la SBS de la région zürichoise. Carmen, qui est femme de ménage dans cette banque, doit servir d'appât pour piéger Villas. Nos révolutionnaires en herbe prennent en otages le directeur de la succursale et Villas. Ils obtiennent, face caméra, les aveux du directeur: oui Villas vient régulièrement et depuis des années déposer des sommes d'argent conséquentes. Mais Villas s'obstine à ne pas répondre. Pris au dépourvu, déstabilisés, nos guerilleros genevois commettent des maladresses et blessent Villas. Mais hors de question de le liquider. Il faut fuir et le garder en otage quelque part. Ils aviseront plus tard.



Peu à peu, de petites guerres intestines naissent au sein du groupe. Les causes? Rivalités amoureuses, drogues, désolidarisation. Comment cela va-t-il se terminer? Il vous faudra aller voir "Opération Libertad".

Nicolas Wadimoff signe là son 5ème long métrage de fiction. Co-écrit avec Jacob Berger, également un homme d'images, le scénario laisse aussi la place à la normalité. Ces moments où rien ne se passe. L'ennui, l'attente. Cela donne une saveur toute particulière.
Filmé "caméra à l'épaule", le spectateur assiste à la vie de ce groupe en étant placé derrière l'objectif de Hugues. Il est donc au coeur de l'action. Par moment, on a presque l'impression de tenir la caméra. Cela donne un résultat très spontané, qui ne surprend pas beaucoup, mais qui permet de se sentir impliqué.
Wadimoff dresse le portrait d'une jeunesse déterminée à changer le monde. Comme le dit Charlie à un moment : "On ne peut pas changer le monde avec des mots. La société est sourde.". Il décrit une période durant laquelle la jeunesse, à court de moyens pacifiques, n'hésitait pas à prendre les armes pour se faire entendre. Cependant, en Suisse, ce genre de mouvement révolutionnaire fut moins sanglant que dans les pays avoisinants, en Italie avec les Brigades Rouges et en Allemagne avec la Bande à Baader. Nos héros s'énervent d'ailleurs du fait que leur "exploit" n'ait pas été relaté dans les médias, contrairement à celui des Brigades Rouges qui viennent de kidnapper et assassiner Aldo Moro. Inspirés de récits d'activistes connus des deux scénaristes, ces faits auraient pu arriver. J'ai eu trois coups de coeur : Natacha Koutchoumov qui joue Virginie, celle qui garde la tête froide et qui trouve des solutions. Karine Guignard qui joue Charlie, la punkette désespérée. Et Nuno Lopes qui joue Baltos, le déserteur portugais. Mais ils sont tous remarquables. Le cinéma suisse, quoi qu'on en dise, quoi qu'on en pense, est un beau cinéma. Et les romands sont plutôt doués. Alors il ne faut pas hésiter! Dépêchez-vous!



Votre Cinécution

L'INVITE : Fauve

Un bel après-midi d'été, le moment idéal pour rencontrer une personne solaire : Fauve. Ce pseudo, il l'a choisi parce qu'il est roux, un peu farouche et parce que les fauvistes s'y entendaient en couleurs. Et les couleurs, il aime ça.
C'est le pré-générique du Festival International de Films de Fribourg 2012 (FIFF), dont il a composé la magnifique musique, qui m'a donné envie de le rencontrer et de parler cinéma avec lui. Ce pré-générique, je l'ai vu 34 fois et je ne m'en suis jamais lassée. J'en ai même fait une petite vidéo sur mon Iphone pour pouvoir le revoir. Pour des raisons de droits d'auteurs, je ne peux malheureusement pas vous la montrer, mais faites-moi confiance : c'est sublime. Celui dont la musique raconte de petites histoires, qui souhaite avant tout créer des émotions à ses auditeurs, m'a donné rendez-vous dans un joli petit café lausannois. La clémence de la météo nous a permis de rester en terrasse. Ambiance: vacances. Montez à bord! Echanger avec Fauve, Nicolas Julliard au civil, c'est partir en voyage.


Nicolas, quel effet cela vous a-t-il fait lorsque Thierry Jobin vous a contacté pour composer la musique du pré-générique du FIFF 2012?

J'étais ravi. Enfin quelqu'un me demande quelque chose pour l'image! Cela fait très longtemps que je rêve de faire de la musique de film. Je ne savais pas du tout comment j'allais aborder la chose. Je ne savais pas à quoi cela allait ressembler. En 1 minute, 1 minute 20: faire quelque chose qui évoque le cinéma... Je suis parti du piano, l'instrument du cinéma des débuts, et ça s'ouvre sur d'autres choses, notamment des réminiscences du western (ndlr: une des sections du FIFF 2012). Lorsque Thierry a dit lors de la présentation que s'il devait faire un film, il me demanderait de faire la musique, cela m'a beaucoup touché.


Vous avez une musique de film qui vous a marqué? Qui vous poursuit?

Il y en a beaucoup. Mais quelqu'un que j'admire énormément, c'est François de Roubaix (http://www.youtube.com/watch?v=N2OAw4Ia-20). Il a composé des musiques pour toute sorte de films. Il a toujours un grand souci du thème et d'une mélodie qui se développe. Ce ne sont pas juste des atmosphères. Et ça j'aime beaucoup.  Du coup, pour revenir au pré-générique du FIFF, je voulais faire un film musical et pas seulement une musique à l'ambiance "cinéma".
La musique de film est très importante pour moi, tout autant que le scénario ou le choix des acteurs. Et c'est souvent décevant justement. Il y a beaucoup de films contemporains où la musique à un rôle complétement "neuneu". J'aime l'idée qu'il y ait une musique originale. Michel Legrand, par exemple, a créé une réalité parallèle (ndlr: nous avons fait un petit bout de discussion à la Michel Legrand... je suis certaine que vous voyez comment).
Il y a peu de musiques de films qui vont dans la technologie aujourd'hui. On est dans les grands orchestres. Avec peu de notes, on est dans des climats très spéciaux chez Chabrol ou chez Kubrick qui utilise aussi des compositeurs contemporains. "Titanic", par exemple, c'est un peu lourd. Là il faudrait changer la musique. Cela aurait été un film tout différent. Céline Dion, c'est un peu une faute de goût.


Vous avez  un souvenir marquant de cinéma, enfant?

Je me souviens des films de Jacques Tati. J'allais les voir au cinéma avec mes parents. J'ai grandi tout près de Nyon. Il y avait le cinéma Capitole. Le programmateur de ce cinéma proposait de jolies choses.
Sinon, "Le Ballon rouge" (http://youtu.be/OZ_iM1At7UA) m'a beaucoup marqué enfant. C'est un univers fascinant. A la fois cruel et très beau. On s'identifie à ce petit garçon. Je l'ai beaucoup revu avec mes filles. En le revoyant, j'ai vraiment compris pourquoi j'avais été marqué.  Il est parfait! Les images sont magnifiques, la musique est très belle. Il y a un climat magique dans ce film. Il y a aussi une dimension assez christique: ce ballon qui est sacrifié. C'est comme un mythe. Ce film me fascine. Il y a un truc du domaine du rêve, de la poésie. En plus, je me suis fait la réflexion que c'est aussi un film politique. On est dans un univers assez gris. Il y a l'autorité politique, l'autorité des parents, et tout à coup, ce ballon rouge qui vole et qui est libre.


Faisiez-vous partie de ces ados qui allaient beaucoup au cinéma?

Pas énormément. Bien sûr j'y allais. J'allais voir les films de Robert Zemeckis, Les "Gremlins", les Belmondo, etc...


Vous possédez beaucoup de DVD?

Pas beaucoup, mais quelques uns. Spécialement des vieux films. Des années 30 à aujourd'hui. Pas mal de classiques en fait. Des films qui ont traversé les époques et qui sont toujours aussi bons. "La Nuit du Chasseur" par exemple. Sinon, je suis un fan de Hitchcock, de Capra ou de Resnais. D'ailleurs, j'ai presque tout Resnais.


Resnais qui utilise beaucoup la musique d'ailleurs...

Oui, et de façon très particulière. Sinon Agnès Varda, j'aime beaucoup. Et bien sûr des comédies musicales, "The Band Wagon" de Minnelli en particulier.

Vous dites ne pas être cinéphile, mais les références auxquelles vous faites allusion, sont tout de même des films assez pointus...
Je n'ai pas du tout une connaissance encyclopédique du cinéma, par contre, je fais des choix. Je ne vais pas voir tout les films qui sortent. Je vais plutôt piocher dans l'histoire du cinéma en fait.
Quels sont les ingrédients que doit posséder un film pour qu'il vous touche?
Il faut qu'il y ait, comme dans la musique, des éléments de surprise. Une façon de filmer, de monter. C'est assez important. J'aime beaucoup les films qui ont un climat, une atmosphère. Les trouvailles visuelles, c'est très important. Mais ça peut être dans un film très classique. C'est le génie d'un Hitchcock par exemple. Il y a de nouvelles inventions dans chaque film. J'aime beaucoup être épaté par un cadrage.
Dans les films sortis ces dernières années, il y en a un qui vous a particulièrement touché?
Un film que j'ai trouvé génial et qui d'ailleurs a été sujet à controverse entre moi et certains amis, c'est "Tetro" de Coppola.  Un film qui m'a fasciné. Très simple. Il y a des images magnifiques. Une très belle façon de raconter cette histoire. C'est un film ambitieux, riche. L'idée d'embrasser toute une histoire de famille tout en essayant d'en faire une oeuvre d'art, quelque chose de grand. J'aime les grandes choses. J'aime Wagner en musique. Cette ambition démesurée que l'on retrouve aussi chez Coppola.
Lorsque vous composez, vous avez des images en tête?
Plus que des images, ce sont des émotions. Pour les textes peut-être. Mais pour la musique ce sont des émotions liées à certaines tonalités. Cela peut avoir un côté cinématographique parce que cela me rappelle des ambiances de certains films, ou de certaines musiques de film en l'occurrence. Et puis j'aime bien le côté "mise en scène". J'essaie de créer des mises en scène, des ruptures.
En tout cas, en vous écoutant il nous vient beaucoup d'images...
J'aime bien cette idée qu'avec la musique on peut voyager. Créer des petits scénarios. Après ce que cela donne musicalement, je ne peux pas le dire. Je travaille beaucoup à l'oreille. Je n'ai jamais pris de cours de composition. C'est intuitif. Il y a eu de nombreuses années où c'était nul et maintenant cela devient un peu plus intéressant. C'est le travail : trouver. Comme disait Picasso : "Je ne cherche pas, je trouve". Après, il y a quelque chose de magique: les accidents heureux. Je travaille beaucoup au piano. Je suis autodidacte au piano. Du coup, il suffit que je mette un doigt à côté et cela devient intéressant. Si j'avais vraiment travaillé l'instrument je serais moins libre, je pense.
Vous pensez que trop connaître le cinéma ça peut couper les élans, mettre la curiosité en berne?
Non, je ne pense pas. Mais ça rend plus exigeant. En musique par exemple, je suis très critique sur ce qui sort. C'est plus difficile de trouver quelque chose qui nous convienne quand on a beaucoup écouté. C'est la même chose pour le cinéma.
Je suis assez bon public en fait (rires). Mais cela fait un moment que j'ai décidé de ne plus aller voir de films français parce que j'en peux plus. Il y a de très bons films français. Cela dit, ce qui est mis en avant ne me nourrit pas assez. Il y a une vague de cinéma français un peu "light".  Ce que j'aime chez Resnais ou chez Godard, c'est cette idée d'être toujours dans une espèce d'expérimentation. Cela manque aujourd'hui. Dans les festivals on a l'occasion de voir ce genre de films. Peut-être que c'est une question d'époque. On est beaucoup moins dans ce type de recherche. Il y a moins d'intérêt pour la forme. Avec le DVD, on a accès à d'autres choses. Avant, il y avait la cinémathèque, les "blockbusters" et pas grand chose entre-deux. Mais voir un film sur grand écran, c'est quelque chose.
Vous aimez l'ambiance des salles de cinéma?
Oui. J'aimais le Bourg. J'aime toujours en tant que salle de spectacle. Mais j'aimais bien cette ambiance. Et puis le Bellevaux. J'habitais pas loin, donc j'allais souvent au Bellevaux. Sinon, en voyage. Dans les grandes villes, j'aime bien aller dans des salles énormes. Cela m'arrive souvent. C'est enrichissant.
Vous avez deux petites filles, de 3 et 6 ans, vous leur montrez quoi?
Là on est encore beaucoup dans des films pour enfants. J'ai commencé à leur montrer des Charlie Chaplin ou des Buster Keaton. Sinon, elles adorent "Fifi Brindacier". Petit à petit comme ça, j'ai montré des petits bouts de "Zazie dans le métro" à mon aînée. Des films comme "Schrek" ou "L'âge de glace", de toute façon, elles les verront chez leurs copains. Comme je suis déjà un "vieux", j'ai un peu de la peine avec le rythme survolté de ces dessins animés (rires). Je préfère leur montrer des choses plus calmes. De plus, je n'aime pas trop ces dessins animés qui sont faits autant pour les enfants que pour les parents. Il y a tout le temps des clins d'oeil aux adultes. J'ai un peu de la peine avec cela. Dans les Walt Disney, il y a des sous-textes un peu discutables. Je pense aux anciens, "Le Livre de la Jungle" ou "Blanche-Neige", mais qui sont magnifiques par ailleurs.
Grâce à mes filles, j'ai découvert des films d'animation tchèques. Elles adorent ce genre de choses. Du coup, je suis ravi de découvrir le monde mythique de l'animation tchèque (rires). Je n'aurais peut-être jamais revue "Le Ballon rouge". Elles le connaissent par coeur. Elles ont envie de le revoir. C'est plus difficile pour elles de découvrir un film que de revoir ce qu'elles ont déjà vu. Elles adorent "Mary Poppins" par exemple. Je trouve d'ailleurs qu'il a un peu mal vieilli. C'est lent jusqu'à ce que cela arrive aux parties fun du film. Mais où sont les chansons (rires)? Je me suis dit que je pourrais aussi leur montrer "Peau d'âne" ou "The Band Wagon".
Une actrice que vous trouvez particulièrement belle?
Grace Kelly dans "Fenêtre sur cour". C'est vraiment la beauté pure, assez fascinante. Sinon, j'ai toujours adoré Jeanne Moreau. Dans tout ses films je crois. Cette figure d'indépendance, de force qu'elle dégage. De force des émotions. Elle a souvent eu des rôles tristes. L'intensité pour moi, c'est important. C'est aussi ce que j'essaie de chercher en musique. Le domaine des émotions c'est très important.
Et un acteur ...
James Stewart. Cary Grant, Henry Fonda. Ils ont des gueules, ils sont identifiables. Mais j'aime aussi beaucoup Johnny Depp. Il surprend à chaque fois. Il arrive à faire quelque chose de ses personnages. Dans les Tim Burton, il me fait à chaque fois plaisir.
Johnny Depp maquillé à outrance chez Tim Burton, cela ne vous dérange pas?
Non, cela ne me dérange pas. Ce sont des films à la limite du dessin animé. Quelque part, on accepte cela parce que ça fait partie du mandat. Il est clair que dans un film de Guédiguian, ça n'irait pas (rires)! J'aime bien aussi le côté un peu science-fiction. Je suis assez bon client. J'aime aussi les morts-vivants (rires)!
Un film culte?
"La femme d'à côté" de Truffaut, histoire de pleurer un bon coup. Dans le même genre, "It's a wonderful Life" de Capra. Ou encore "Hiroshima, mon amour" de Resnais, c'est un film parfait. Et "La Mort aux Trousses" de Hitchcock. Je pense que je l'ai vu 50 fois. Un temps, il passait tout le temps sur TNT. A chaque fois, je restais croché. Tout est parfait aussi.
Imaginez, vous avez le téléphone qui sonne et à l'autre bout on vous dit :"Nicolas, j'aimerais que tu fasses la musique de mon prochain film." Vous aimeriez entendre la voix de quel cinéaste?
Je serais assez content qu'un cinéaste suisse me demande une musique. Ursula Meier ou Stéphanie Chuat et Véronique Reymond. C'est ce qui me vient en premier. J'aurais assez envie de commencer "local". Je trouverais bien que les cinéastes suisses se posent la question : "Qui est-ce que l'on a en Suisse qui fait de la bonne musique?". Je serais très enthousiaste. Merci Fauve!
Ci-dessus: "Cotton Fields" extrait de "Clocks 'n' Clouds"  de Fauve, disponible chez Two Gentlemen.
Propos recueillis le 1er juin 2012 / Cinécution

COSMOPOLIS - David Cronenberg - 2012

Manhattan, New-York : le Président des Etats-Unis est en ville, une manifestation anti-capitaliste met la ville en émoi. Eric Packer n'en n'a cure. Il veut aller chez son coiffeur à l'autre bout de la ville. Eric Packer (Robert Pattinson) est un golden boy de 28 ans : multimilliardaire, arrogant, hypocondriaque, paranoïaque et profondément seul. Sa vie, ce sont les courbes boursières et le Yuan. Le Yuan qui va causer sa perte.
De l'empire de Packer on ne connaît rien, si ce n'est sa grande puissance. Lui, qui tente en permanence de conserver l'équilibre des devises sur lesquelles il spécule, va perdre pied petit à petit au cours de la journée. Il plonge dans sa limousine: lieu hermétique, insonorisé et blindé où se succèdent les rendez-vous. Du jeune génie de la finance inséparable de son écran qui, à 22 ans, songe déjà à se retirer du "business", à sa cheffe du département "théorie", en passant par une marchande d'art nymphomane et déconnectée de la réalité, Packer reçoit dans sa limousine comme le roi recevait ses sujets dans sa chambre. En grand hypocondriaque qu'il est, le check-up quotidien a également lieu dans sa limousine. Mais ce jour-là, le médecin annonce à Packer que sa prostate est asymétrique. Celui pour qui ne compte que l'équilibre, possède une asymétrie à l'intérieur de lui-même. Cette nouvelle le déstabilise et va tourner à l'obsession. Packer assiste à la chute de son empire, perd des centaines de millions à la minute, voit la ville dans laquelle il vit virer au chaos suite à une manifestation anti-capitaliste, mais rien ne l'intéresse plus que sa coupe de cheveux, sa prostate et le fait que quelqu'un cherche à le tuer. Les avertissements incessants de son agent de sécurité le réconforte dans l'idée que, plus qu'à la notion de capitalisme, c'est à lui personnellement que l'on veut s'en prendre. Il part à la recherche de celui qui souhaite sa mort, non sans avoir expérimenté dans la journée des sensations qui lui étaient inconnues jusqu'alors, notamment la peur.




Packer est marié depuis peu à une richissime poète au corps glacial, hygiénique, qui lui refuse toute faveur sexuelle. Elle fonctionne un peu comme un miroir de Packer : toujours à se cacher, à s'isoler, à se couper du monde. Ils ne communiquent pas. Lorsqu'ils se retrouvent pour "discuter", chacun est enfermé dans son propre monologue. C'est d'ailleurs un leitmotiv dans le film de Cronenberg : les gens ne communiquent plus. L'égocentrisme est portée aux nues, mais la caméra de Cronenberg le condamne de manière virulente. Le recul que prend le cinéaste sur les scènes surprend. Il prend de la distance avec l'objectif, notamment en proposant des plans en plongée, très perturbants, mais qui ont un sens : il place le spectateur en dehors de l'action et de ce fait aiguise son esprit critique.




Packer, incapable de ressentir la moindre émotion, ne trouve d'autre moyen que de se tirer une balle dans la main pour se sentir vivant. Les 5 dernières minutes, les seules où l'on soit réellement dans l'action, sont insoutenables. La tension est extrême et Cronenberg nous laisse sur une interrogation : comment ce huis-clos s'est-il effectivement terminé?


Cronenberg revient en force et surprend. Comme il le dit lui-même, le roman éponyme de Don DeLillo passe de prophétique à contemporain. La première phrase du Manifeste du Parti Communiste : "Un spectre hante le monde." est omniprésente : sur les écrans de Broadway, sur les pancartes des manifestants, dans leurs paroles lorsqu'ils commettent un "attentat au rat" dans un café. Mais cela a son sens. Et Cronenberg de rajouter : " A mes yeux, la référence à Marx n'est pas superficielle. Dans le Manifeste du Parti Communiste, Marx parle du modernisme, du moment où le capitalisme aurait atteint un degré de développement tel que la société ira trop vite pour les gens, et où règnera l'éphémère et l'imprévisible. En 1848!  Et c'est exactement ce que vous voyez dans le film! Je me suis souvent demandé ce que Karl Marx aurait pensé de ce film, parce qu'il montre beaucoup de choses qu'il avait prévu.".


Je ne saurais que trop vous recommander d'aller voir ce film. Certes, c'est une oeuvre exigeante. Rien n'est pré-mâché et cela demande de la concentration. Mais, parce qu'il y a un mais, il ne faut pas trop analyser les dialogues. On comprend relativement rapidement et facilement le message qui nous est transmis, parce que cela est magistralement filmé. A relever, l'incroyable intervention de Mathieu Amalric. Il nous prouve une nouvelle fois que les petits rôles ne sont pas négligeables et à quel point il est difficile d'être présent sur une courte séquence où l'on doit exprimer toute l'intensité d'un personnage en quelques minutes. André Petrescu, artisan pâtissier : chapeau bas!


Votre Cinécution