L’étrange couleur des larmes
de ton corps, le nouveau film du duo
belge Hélène Cattet et Bruno Forzani était, pour ma part, attendu avec beaucoup
d’impatience. Ces deux cinéastes extrêmement sympathiques possèdent désormais
une patte vraiment reconnaissable. Si on a vu Amer, sortit en 2010, on ne se sent pas dépaysé à la vision de leur
dernier opus. L’étrange couleur des
larmes de ton corps , tout en conservant ce qui fait la magie de l’univers
Cattet-Forzani, est cependant plus sombre que son grand frère. Le soleil
méditerranéen d’Amer a fait place à l’univers feutré et inquiétant
d’un immeuble Belle Epoque au cœur de Bruxelles. Tout se passe en intérieur. Le
flash-back est beaucoup utilisé, presque un peu trop, ce qui créé un peu de
confusion. L’histoire semble plus
cohérente, même si le scénario possède quelques lacunes qui rendent difficile
la compréhension du propos. Cela dit, cela permet de fantasmer beaucoup de
choses et de faire fonctionner l’imagination.
Les images sont belles, soignées.
La bande son, comme à son habitude, occupe une place centrale.
J’ai eu la chance de rencontrer
les deux réalisateurs et de m’entretenir avec eux sur leur dernier film, mais plus
largement sur leur façon de travailler.
Vous avez travaillez 10 ans sur L’étrange couleur des larmes de ton corps,
est-ce qu’à un moment, vous avez douté que ce projet aboutisse ?
Hélène : on a commencé à l’écrire
avant notre dernier court métrage et on pensait que cela allait devenir notre
premier long. Mais c’était trop ambitieux, ça demandait trop d’argent. Et donc,
nous avons fait Amer. Et finalement, Amer s’est vite imposé. Du
coup, après, on s’est quand demandé si cela allait être possible. J’avoue quand
même qu’Amer a permis que cela se
fasse.
Bruno : Avant Amer, c’est vrai que c’était plutôt
utopique.
Le giallo comme référence. Vous
pouvez nous dire quels sont les ingrédients, selon vous, qui font un bon giallo ?
Hélène : D’emblée, la
fameuse figure de l’assassin. Ce
personnage mystérieux, habillé en cuir noir et qui tue à l’arme blanche. C’est
un peu le pivot. C’est un personnage qui nous inspire et on essaie de voir
comment le travailler pour le…
Bruno : … dématérialiser et
lui donner des significations différentes. Lui enlever un peu de son esprit
humain pour en faire autre chose que juste un tueur. Et puis il y a l’architecture et cette espèce
cde poésie macabre autour de la mort, de la violence et de l’érotisme. Il y a
aussi ce jeu sur le point de vue. Le
spectateur est toujours situé entre le point de vue de l’assassin et le point
de vue de la victime. C’est une place qui est intéressante car elle suscite des
réactions. Le spectateur ne sait pas où
se situer et il se pose des questions.
Hélène : Le spectateur est
toujours mis dans une situation inconfortable. Et ça, c’est intéressant.
Une petite question qui pourrait
fâcher : c’est votre deuxième long métrage, avec les mêmes références, des
plans qui ressemblent passablement à ceux d’Amer,
vous n’avez pas peur de lasser un public qui est moins initié au genre ?
Bruno : On ne se pose pas la
question à long terme. A chaque fois, le but c’est d’arriver à faire un film
tous les deux et de construire notre propos.
Hélène : On ne commence pas
à se demander comment vont réagir les spectateurs. Il ne faut pas se poser ce
genre de question quand on fait le film, sinon on s’auto-censure.
Bruno : On ne se pose pas
ces questions pour le futur, dans le sens où ça a été deux miracles de réussir
à faire deux films à deux, Amer et L’étrange couleur des larmes de ton corps, et
qui sait, peut-être que c’est notre dernier film à deux.
Vous travaillez ensemble depuis
13 ans, vous n’avez pas des envies de partir en solo ?
Hélène : Peut-être, ouais,
peut-être…
Bruno : Je ne sais pas…
Faire des films ensemble, cela fait partie de notre vie, de notre intimité. On
le fait d’une manière totalement passionnelle et pas d’une manière carriériste,
c’est pour ça que je ne me pose pas vraiment pas cette question. La question
serait plutôt : comment renouveler notre relation autour des films.
Vos films ne contiennent que très
peu de dialogues, il y en a un peu plus ce coup-ci, quel est le but recherché ?
Hélène : D’une manière
générale, on aime construire des histoires avec tous les outils
cinématographiques. Quand on utilise les
dialogues, c’est au même titre que l’on utilise la lumière, les cadrages, le jeu des comédiens, c’est –à-dire que ce qui nous intéresse dans les
dialogues, c’est leur musicalité, leur
rythme, les accents. Ce n’est pas le sens des mots, mais plutôt ce que leur
musicalité apporte au film. On n’est pas didactiques. On n’explique pas au
spectateur par un dialogue qu’il faut comprendre ceci ou comprendre cela. Ça nous gave de le faire.
La bande son occupe une très
grande place, c’est presque un personnage à part entière, est-ce que lors des
projections, vous demandez à ce que le volume soit poussé vers le haut ?
Hélène : A chaque fois, oui,
on mixe très très fort.
Bruno : Il faut que ce soit
immersif. Quand on voit le film à un certain niveau, qui est plutôt faible, il
faut vraiment que l’on pousse le son pour que le spectateur soit enveloppé. On
shoote beaucoup avec le 5.1, avec des sons qui partent de l’avant et qui
capture le spectateur dans une bulle pendant toute une séquence. Cela a demandé
un gros travail, dans le sens où on n’a pas fait de prise de son pendant le
tournage, et donc on a tout refait en bruitages, comme un film d’animation.
Lors de la post-production sonore, on a fait un deuxième tournage, un tournage
sonore. Cette fois, on a beaucoup travaillé sur les basses, car on cherchait à
provoquer un impact physique. Avec la basse, tu le sens dans tout le corps. C’est
un son érotique et qui fait que le film te touche réellement…
Hélène : … qui te touche
dans le ventre. Comme je suis enceinte, c’était compliqué, le petit remuait
trop… (rires)
Qu’est-ce que cela vous a fait d’être
sélectionné à Locarno et qui plus est dans une section majeure ?
En chœur : c’était super !
Bruno : On connaissait
Locarno de réputation, mais on n’y était jamais venu.
Hélène : On était super
contents que le film allait être montré dans un cadre généraliste. Ça ouvre le
film à un public qui n’est pas forcément un public habitué à ce genre de film.
En 2012, Quentin Tarantino vous a
cité avec Amer dans ses 20 films préférés. Cette année, dans
quel top 20 souhaitez-vous secrètement figurer ?
Bruno : Alors là, j’ai
aucune idée… dans le top 20 d’Hélène (rires)
Hélène : On est très au
présent, on verra bien. On ne se pose pas trop de questions sur le futur, parce
que sinon, ça stresse.
Et ça vous a fait quoi de savoir
que Tarantino avait vu Amer et qui
plus est qu’il l’avait apprécié ?
Hélène : On était comme des
enfants ! Ça fait bizarre, on n’y croyait pas vraiment.
Bruno : C’est très loin de
notre monde. C’est un nom que tu vois dans les magazines, et puis tu as l’impression que ce n’est pas
terrestre, que cela ne fait pas parti de ton quotidien. Alors quand une
personne comme ça a vu le film et en plus l’a apprécié, c’était hallucinant.
Ce soir, L’étrange couleur des larmes de ton corps sera présenté aux festivaliers, comment vous
voyez venir ce moment ?
Bruno : Comme une
libération. C’est un public qui n’est pas un public habitué au fantastique,
alors on est curieux de voir les réactions. On n’est pas particulièrement
tendus.
Hélène : On verra bien. Je
crois que j’ai des hormones qui déstressent (rires). D’habitude, je suis
toujours hyper stressée, hyper mal, là je suis plutôt relax… je crois que les
hormones jouent leur rôle pour que le bébé ne soit pas trop stressé (rires).
Vous avez des projets en cours ?
Hélène : Se reposer ?
(rires). On va essayer de se régénérer, se nourrir d’autres choses.
Bruno : On vient juste de
terminer, ça a été un énorme travail, alors on va plutôt apprécier le moment
présent plutôt que de faire des projections sur le futur.
Qu’est-ce qu’on peut vous
souhaiter pour la suite ?
Bruno : Joyeux anniversaire,
c’est déjà passé (rires)…. Joyeux Noël ? (rires)
Propos recueillis le 12 août 2013 à Locarno / Cinécution
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