Mettez un peu de Cocteau dans un
bol, ajoutez-y quelques grammes de Buñuel puis une pointe de Dario Argento.
Pour l’emballage, une image volée à Robbe-Grillet (La Belle Captive).
Vous obtenez Les Rencontres d’après
Minuit de Yann Gonzalez.
Loin, très loin, d’être un « fous-y
tout » de cinéaste cinéphile, Les
Rencontres d’après Minuit est un
film très personnel qui mélange avec grâce et dureté, sexe, mort, mélancolie et
poésie.
Ali et Matthias, accompagnés par
leur gouvernante travestie Udo, attendent dans leur appartement fantôme, leurs
invités. Dans la nuit, La Chienne, l’Etalon, l’Adolescent et la Star doivent
les rejoindre. Au programme : une orgie. Les invités arrivent les uns
après les autres, incarnant chacun un stéréotype qui volera en éclat à l’évocation
d’un souvenir, à la réminiscence d’un rêve ou lorsque la mort s’invitera.
Alors même que dans les premières
minutes on peut craindre un film trop intellectuel, trop mental – les dialogues,
certes crus, sont très littéraires, et chaque personnage possède sa propre
déclamation – Gonzalez nous capte et nous entraîne dans une fantasmagorie
envoûtante et émouvante. Il nous invite à passer de l’autre côté du
miroir, tel un Lewis Carroll du XXIème siècle.
Pris à témoin par Ali, qui nous
interroge en fixant la caméra – et maintenant ? - nous rejoignons cette étrange petite famille
d’ « immortels » dans un voyage de sensualité et de tendresse.
Brutal par moment, le récit nous bouleverse. Et nous sommes touchés par cette
recherche d’amour et de reconnaissance constante. Le désir de chaque personnage
de s’échapper du rôle que lui a imposé la vie est tellement fort qu’il
transcende l’écran. Il nous vient alors à l’esprit cette réplique effrayante de
vérité de La Belle Captive d’Alain
Robbe-Grillet : « Voyez-vous
cher monsieur, la plupart des gens que vous croisez dans la rue sont des morts ».
L’appartement dans lequel ils se
rencontrent est aseptisé, ne laissant briller que quelques néons qui lui
confèrent un style très années 80. D’apparence froide, il devient, grâce à ceux
qui l’investissent, un cocon réconfortant, permettant à chacun de venir s’y
réfugier et d’échapper ainsi à la dureté du monde qui l’entoure. L’horreur du
monde actuel est évoquée avec la visite inattendue de deux policiers qui, l’espace
de quelques instants, viennent inquiéter ces êtres si fragiles. Ces poupées de
cristal qui se soignent au contact du groupe.
Porté par une troupe d’acteurs
extraordinaires – Kate Moran, Niels Schneider, Nicolas Maury, Eric Cantona, Fabienne
Babe, Alain-Fabien Delon, Julie Brémond et Béatrice Dalle- qui incarnent leurs
personnages avec tellement de sensibilité qu'ils habiteront votre
cœur à la fin du film, Les Rencontres d’après
Minuit surprend autant qu’il envoûte.
Sous une apparente superficialité
– décor en carton-pâte, soleil artificiel peint, néons -, une mise en scène
empruntée au théâtre, de même que l’unité de temps et de lieu, Les Rencontres d’après Minuit insuffle
une vague de sentiments justes, d’émotions vraies et cache en réalité une
authenticité bouleversante.
Les corps se frôlent, se
mélangent, les lèvres se dévorent. Subsiste au matin une sensation de béatitude,
de douceur. Une confiance neuve qui naît dans l’aube orangée –bien réelle cette
fois – du dernier plan du film qui nous laisse charmés et heureux d’avoir pu voir
un film audacieux avec une véritable patte, qui plus est sublimé par une
musique personnalisée, celle de M83. Yann Gonzalez brise tous les codes pour nous saisir à vif.
Disponible en DVD et Blu-ray chez Potemkine films.
ST/29 mai 2014
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