dimanche 3 juin 2012

L'INVITE : Fauve

Un bel après-midi d'été, le moment idéal pour rencontrer une personne solaire : Fauve. Ce pseudo, il l'a choisi parce qu'il est roux, un peu farouche et parce que les fauvistes s'y entendaient en couleurs. Et les couleurs, il aime ça.
C'est le pré-générique du Festival International de Films de Fribourg 2012 (FIFF), dont il a composé la magnifique musique, qui m'a donné envie de le rencontrer et de parler cinéma avec lui. Ce pré-générique, je l'ai vu 34 fois et je ne m'en suis jamais lassée. J'en ai même fait une petite vidéo sur mon Iphone pour pouvoir le revoir. Pour des raisons de droits d'auteurs, je ne peux malheureusement pas vous la montrer, mais faites-moi confiance : c'est sublime. Celui dont la musique raconte de petites histoires, qui souhaite avant tout créer des émotions à ses auditeurs, m'a donné rendez-vous dans un joli petit café lausannois. La clémence de la météo nous a permis de rester en terrasse. Ambiance: vacances. Montez à bord! Echanger avec Fauve, Nicolas Julliard au civil, c'est partir en voyage.


Nicolas, quel effet cela vous a-t-il fait lorsque Thierry Jobin vous a contacté pour composer la musique du pré-générique du FIFF 2012?

J'étais ravi. Enfin quelqu'un me demande quelque chose pour l'image! Cela fait très longtemps que je rêve de faire de la musique de film. Je ne savais pas du tout comment j'allais aborder la chose. Je ne savais pas à quoi cela allait ressembler. En 1 minute, 1 minute 20: faire quelque chose qui évoque le cinéma... Je suis parti du piano, l'instrument du cinéma des débuts, et ça s'ouvre sur d'autres choses, notamment des réminiscences du western (ndlr: une des sections du FIFF 2012). Lorsque Thierry a dit lors de la présentation que s'il devait faire un film, il me demanderait de faire la musique, cela m'a beaucoup touché.


Vous avez une musique de film qui vous a marqué? Qui vous poursuit?

Il y en a beaucoup. Mais quelqu'un que j'admire énormément, c'est François de Roubaix (http://www.youtube.com/watch?v=N2OAw4Ia-20). Il a composé des musiques pour toute sorte de films. Il a toujours un grand souci du thème et d'une mélodie qui se développe. Ce ne sont pas juste des atmosphères. Et ça j'aime beaucoup.  Du coup, pour revenir au pré-générique du FIFF, je voulais faire un film musical et pas seulement une musique à l'ambiance "cinéma".
La musique de film est très importante pour moi, tout autant que le scénario ou le choix des acteurs. Et c'est souvent décevant justement. Il y a beaucoup de films contemporains où la musique à un rôle complétement "neuneu". J'aime l'idée qu'il y ait une musique originale. Michel Legrand, par exemple, a créé une réalité parallèle (ndlr: nous avons fait un petit bout de discussion à la Michel Legrand... je suis certaine que vous voyez comment).
Il y a peu de musiques de films qui vont dans la technologie aujourd'hui. On est dans les grands orchestres. Avec peu de notes, on est dans des climats très spéciaux chez Chabrol ou chez Kubrick qui utilise aussi des compositeurs contemporains. "Titanic", par exemple, c'est un peu lourd. Là il faudrait changer la musique. Cela aurait été un film tout différent. Céline Dion, c'est un peu une faute de goût.


Vous avez  un souvenir marquant de cinéma, enfant?

Je me souviens des films de Jacques Tati. J'allais les voir au cinéma avec mes parents. J'ai grandi tout près de Nyon. Il y avait le cinéma Capitole. Le programmateur de ce cinéma proposait de jolies choses.
Sinon, "Le Ballon rouge" (http://youtu.be/OZ_iM1At7UA) m'a beaucoup marqué enfant. C'est un univers fascinant. A la fois cruel et très beau. On s'identifie à ce petit garçon. Je l'ai beaucoup revu avec mes filles. En le revoyant, j'ai vraiment compris pourquoi j'avais été marqué.  Il est parfait! Les images sont magnifiques, la musique est très belle. Il y a un climat magique dans ce film. Il y a aussi une dimension assez christique: ce ballon qui est sacrifié. C'est comme un mythe. Ce film me fascine. Il y a un truc du domaine du rêve, de la poésie. En plus, je me suis fait la réflexion que c'est aussi un film politique. On est dans un univers assez gris. Il y a l'autorité politique, l'autorité des parents, et tout à coup, ce ballon rouge qui vole et qui est libre.


Faisiez-vous partie de ces ados qui allaient beaucoup au cinéma?

Pas énormément. Bien sûr j'y allais. J'allais voir les films de Robert Zemeckis, Les "Gremlins", les Belmondo, etc...


Vous possédez beaucoup de DVD?

Pas beaucoup, mais quelques uns. Spécialement des vieux films. Des années 30 à aujourd'hui. Pas mal de classiques en fait. Des films qui ont traversé les époques et qui sont toujours aussi bons. "La Nuit du Chasseur" par exemple. Sinon, je suis un fan de Hitchcock, de Capra ou de Resnais. D'ailleurs, j'ai presque tout Resnais.


Resnais qui utilise beaucoup la musique d'ailleurs...

Oui, et de façon très particulière. Sinon Agnès Varda, j'aime beaucoup. Et bien sûr des comédies musicales, "The Band Wagon" de Minnelli en particulier.

Vous dites ne pas être cinéphile, mais les références auxquelles vous faites allusion, sont tout de même des films assez pointus...
Je n'ai pas du tout une connaissance encyclopédique du cinéma, par contre, je fais des choix. Je ne vais pas voir tout les films qui sortent. Je vais plutôt piocher dans l'histoire du cinéma en fait.
Quels sont les ingrédients que doit posséder un film pour qu'il vous touche?
Il faut qu'il y ait, comme dans la musique, des éléments de surprise. Une façon de filmer, de monter. C'est assez important. J'aime beaucoup les films qui ont un climat, une atmosphère. Les trouvailles visuelles, c'est très important. Mais ça peut être dans un film très classique. C'est le génie d'un Hitchcock par exemple. Il y a de nouvelles inventions dans chaque film. J'aime beaucoup être épaté par un cadrage.
Dans les films sortis ces dernières années, il y en a un qui vous a particulièrement touché?
Un film que j'ai trouvé génial et qui d'ailleurs a été sujet à controverse entre moi et certains amis, c'est "Tetro" de Coppola.  Un film qui m'a fasciné. Très simple. Il y a des images magnifiques. Une très belle façon de raconter cette histoire. C'est un film ambitieux, riche. L'idée d'embrasser toute une histoire de famille tout en essayant d'en faire une oeuvre d'art, quelque chose de grand. J'aime les grandes choses. J'aime Wagner en musique. Cette ambition démesurée que l'on retrouve aussi chez Coppola.
Lorsque vous composez, vous avez des images en tête?
Plus que des images, ce sont des émotions. Pour les textes peut-être. Mais pour la musique ce sont des émotions liées à certaines tonalités. Cela peut avoir un côté cinématographique parce que cela me rappelle des ambiances de certains films, ou de certaines musiques de film en l'occurrence. Et puis j'aime bien le côté "mise en scène". J'essaie de créer des mises en scène, des ruptures.
En tout cas, en vous écoutant il nous vient beaucoup d'images...
J'aime bien cette idée qu'avec la musique on peut voyager. Créer des petits scénarios. Après ce que cela donne musicalement, je ne peux pas le dire. Je travaille beaucoup à l'oreille. Je n'ai jamais pris de cours de composition. C'est intuitif. Il y a eu de nombreuses années où c'était nul et maintenant cela devient un peu plus intéressant. C'est le travail : trouver. Comme disait Picasso : "Je ne cherche pas, je trouve". Après, il y a quelque chose de magique: les accidents heureux. Je travaille beaucoup au piano. Je suis autodidacte au piano. Du coup, il suffit que je mette un doigt à côté et cela devient intéressant. Si j'avais vraiment travaillé l'instrument je serais moins libre, je pense.
Vous pensez que trop connaître le cinéma ça peut couper les élans, mettre la curiosité en berne?
Non, je ne pense pas. Mais ça rend plus exigeant. En musique par exemple, je suis très critique sur ce qui sort. C'est plus difficile de trouver quelque chose qui nous convienne quand on a beaucoup écouté. C'est la même chose pour le cinéma.
Je suis assez bon public en fait (rires). Mais cela fait un moment que j'ai décidé de ne plus aller voir de films français parce que j'en peux plus. Il y a de très bons films français. Cela dit, ce qui est mis en avant ne me nourrit pas assez. Il y a une vague de cinéma français un peu "light".  Ce que j'aime chez Resnais ou chez Godard, c'est cette idée d'être toujours dans une espèce d'expérimentation. Cela manque aujourd'hui. Dans les festivals on a l'occasion de voir ce genre de films. Peut-être que c'est une question d'époque. On est beaucoup moins dans ce type de recherche. Il y a moins d'intérêt pour la forme. Avec le DVD, on a accès à d'autres choses. Avant, il y avait la cinémathèque, les "blockbusters" et pas grand chose entre-deux. Mais voir un film sur grand écran, c'est quelque chose.
Vous aimez l'ambiance des salles de cinéma?
Oui. J'aimais le Bourg. J'aime toujours en tant que salle de spectacle. Mais j'aimais bien cette ambiance. Et puis le Bellevaux. J'habitais pas loin, donc j'allais souvent au Bellevaux. Sinon, en voyage. Dans les grandes villes, j'aime bien aller dans des salles énormes. Cela m'arrive souvent. C'est enrichissant.
Vous avez deux petites filles, de 3 et 6 ans, vous leur montrez quoi?
Là on est encore beaucoup dans des films pour enfants. J'ai commencé à leur montrer des Charlie Chaplin ou des Buster Keaton. Sinon, elles adorent "Fifi Brindacier". Petit à petit comme ça, j'ai montré des petits bouts de "Zazie dans le métro" à mon aînée. Des films comme "Schrek" ou "L'âge de glace", de toute façon, elles les verront chez leurs copains. Comme je suis déjà un "vieux", j'ai un peu de la peine avec le rythme survolté de ces dessins animés (rires). Je préfère leur montrer des choses plus calmes. De plus, je n'aime pas trop ces dessins animés qui sont faits autant pour les enfants que pour les parents. Il y a tout le temps des clins d'oeil aux adultes. J'ai un peu de la peine avec cela. Dans les Walt Disney, il y a des sous-textes un peu discutables. Je pense aux anciens, "Le Livre de la Jungle" ou "Blanche-Neige", mais qui sont magnifiques par ailleurs.
Grâce à mes filles, j'ai découvert des films d'animation tchèques. Elles adorent ce genre de choses. Du coup, je suis ravi de découvrir le monde mythique de l'animation tchèque (rires). Je n'aurais peut-être jamais revue "Le Ballon rouge". Elles le connaissent par coeur. Elles ont envie de le revoir. C'est plus difficile pour elles de découvrir un film que de revoir ce qu'elles ont déjà vu. Elles adorent "Mary Poppins" par exemple. Je trouve d'ailleurs qu'il a un peu mal vieilli. C'est lent jusqu'à ce que cela arrive aux parties fun du film. Mais où sont les chansons (rires)? Je me suis dit que je pourrais aussi leur montrer "Peau d'âne" ou "The Band Wagon".
Une actrice que vous trouvez particulièrement belle?
Grace Kelly dans "Fenêtre sur cour". C'est vraiment la beauté pure, assez fascinante. Sinon, j'ai toujours adoré Jeanne Moreau. Dans tout ses films je crois. Cette figure d'indépendance, de force qu'elle dégage. De force des émotions. Elle a souvent eu des rôles tristes. L'intensité pour moi, c'est important. C'est aussi ce que j'essaie de chercher en musique. Le domaine des émotions c'est très important.
Et un acteur ...
James Stewart. Cary Grant, Henry Fonda. Ils ont des gueules, ils sont identifiables. Mais j'aime aussi beaucoup Johnny Depp. Il surprend à chaque fois. Il arrive à faire quelque chose de ses personnages. Dans les Tim Burton, il me fait à chaque fois plaisir.
Johnny Depp maquillé à outrance chez Tim Burton, cela ne vous dérange pas?
Non, cela ne me dérange pas. Ce sont des films à la limite du dessin animé. Quelque part, on accepte cela parce que ça fait partie du mandat. Il est clair que dans un film de Guédiguian, ça n'irait pas (rires)! J'aime bien aussi le côté un peu science-fiction. Je suis assez bon client. J'aime aussi les morts-vivants (rires)!
Un film culte?
"La femme d'à côté" de Truffaut, histoire de pleurer un bon coup. Dans le même genre, "It's a wonderful Life" de Capra. Ou encore "Hiroshima, mon amour" de Resnais, c'est un film parfait. Et "La Mort aux Trousses" de Hitchcock. Je pense que je l'ai vu 50 fois. Un temps, il passait tout le temps sur TNT. A chaque fois, je restais croché. Tout est parfait aussi.
Imaginez, vous avez le téléphone qui sonne et à l'autre bout on vous dit :"Nicolas, j'aimerais que tu fasses la musique de mon prochain film." Vous aimeriez entendre la voix de quel cinéaste?
Je serais assez content qu'un cinéaste suisse me demande une musique. Ursula Meier ou Stéphanie Chuat et Véronique Reymond. C'est ce qui me vient en premier. J'aurais assez envie de commencer "local". Je trouverais bien que les cinéastes suisses se posent la question : "Qui est-ce que l'on a en Suisse qui fait de la bonne musique?". Je serais très enthousiaste. Merci Fauve!
Ci-dessus: "Cotton Fields" extrait de "Clocks 'n' Clouds"  de Fauve, disponible chez Two Gentlemen.
Propos recueillis le 1er juin 2012 / Cinécution

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