jeudi 26 mars 2015

FIFF 2015: terre(s) éphémère(s) et fragilité(s)


Le silence vous effraie ? George Ovashvili va vous faire changer d’avis.

Dénué de dialogues, concentré sur deux personnages principaux, un grand-père et sa petite-fille, incluant une mini-intrigue, Corn Island se veut une réflexion profonde sur le cycle de la vie.

Un vieil homme débarque sur une île minuscule. Il prend la terre entre ses mains, la sent, la goûte. Il reviendra. C’est accompagné de sa petite-fille qu’il commence à construire une petite cabane de fortune. Ensemble, ils planteront du maïs. On les croit seuls au monde, jusqu’à ce que des soldats passent en bateau à moteur. On comprend alors que l’environnement n’est pas des plus sereins.
 
 

La petite île, située sur la rivière Inguri – frontière naturelle entre la Géorgie et l’Abkhazie- se retrouve au centre de conflits. Des coups feu viennent régulièrement briser le silence. Les soldats interpellent quelques fois le grand-père. Chacun parle dans sa propre langue, géorgien, abkhaze ou russe, personne ne se comprend.

Tandis que le temps s’égrène, que les épis de maïs poussent, la jeune fille a ses première règles. D’une beauté exceptionnelle, mais possédant encore ce charme innocent de l’enfance, elle éveille, inconsciemment, du désir chez ces hommes qui régulièrement passent aux abords de l’île. Jusqu’au jour où un fuyard vient se réfugier sur l’île. Premiers émois sensuels au milieu du champ de maïs.
 
 

Bouleversant de beauté, ce film nous propose une expérience sensorielle unique. La lenteur de l’action, bien que filmée de façon étonnamment fluide, nous invite au lâcher-prise total. Nos sens sont en éveil. Nos oreilles entendent les respirations, les crissements des maïs et des bottes de blé, les coups de feu. Nos yeux sont admiratifs de la superbe photographie et des plans au plus proche des protagonistes. Notre odorat sent les poissons fraîchement pêchés, la terre mouillée par la pluie. On en vient même à deviner l’odeur de la jeune fille. On frissonne régulièrement devant tant de beauté. Le rapport de l’homme à la nature, toutes les formes de nature, est au centre du film, rappelant les plus grands-chefs d’œuvre d’Akira Kurosawa. On ne peut s’empêcher de penser à Dersu Uzala dans la scène finale.

Epuré et minimaliste, le film n’en est pas moins dense. Il nous questionne aussi beaucoup. Où sont les parents de la jeune fille ? Pourquoi ce silence ? D’où vient cette complicité qui leur permet de se comprendre sans s’adresser la parole ? Quel est ce secret, ou cette douleur, qui les unit si fortement ?
 
 

Il existe des films que l’on voit avec plaisir, Corn Island se vit. Intensément. Une fable magique. Pour moi, le Regard d’Or de cette 29ème édition du FIFF. Aucun autre film jusqu’à maintenant ne m’a à ce point transportée, émue. Il m’accompagne encore deux jours après son visionnement. Quelque chose me dit que je n’ai pas fini d’y repenser.

Il m’est très difficile de vous parler de tous les films que je vois. Par manque de temps, et également par souci de ne pas devenir ennuyeuse. Mais je peux vous dire que les moments vécus durant ce festival, mis à part 2-3 films qui m’ont profondément agacée, resteront gravés dans ma mémoire. A l’image de cette merveilleuse Masterclass de Jean-François Stévenin, menée par deux gamins aux yeux brillants, Thierry Jobin et Ursula Meier, ou cette rencontre  bouleversante avec Alanis Obomsawin, qui m’a éclairée sur la situation des amérindiens ou encore l’expérience humoristique caustique proposée par Gyorgy Palfi dans son film aux accents buñueliens et kafkaïens, Free Fall.
 
Free Fall - Gyorgy Palfi
 
Soyez curieux, entrez dans des salles pour voir des films dont vous ne connaissez rien. Ça en vaut la peine et cela invite, bien souvent, à une profonde réflexion sur le monde qui nous entoure, mais nous amène aussi à se questionner sur notre propre existence.

Quelques fois, je me dis que je suis trop émotive pour ce genre de marathon cinématographique. Ça me fait autant de bien que de mal. Pour preuve, je n’ai pas pu assister à la projection de Silvered Water d’Ossama Mohammed. J’ai pris peur. Je me sentais trop fragile. Trop bouleversée par les merveilleux films que j’avais vus, j’ai soudainement été angoissée qu’on m’offre une vision cruelle d’un monde qui court à sa perte. Par manque de courage, je me suis préservée. Mais ce film, je le verrai. Je ne sais pas encore quand, mais je le verrai. Quand ce sera le moment. Que je le veuille ou non, je suis persuadée que ce sont les films qui nous choisissent. Vision romantique d’une cinéphile un peu barjot.

 

ST/ 26.03.2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire