lundi 18 février 2013

SYNGUE SABOUR - Atiq Rahimi - 2012

"Syngue sabour", littéralement "pierre de patience", est une pierre que l'on pose devant soi, pour lui confier tous nos secrets, nos souffrances, nos malheurs. Elle les absorberait jusqu'à ce qu'elle explose. A Kaboul, un homme, décrit comme étant un héros de guerre, est dans le coma. Blessé par une balle dans la nuque, il n'est pas revenu à lui. Sa jeune épouse, abandonnée par tous les autres membres de la famille, reste à son chevet, accompagnée de ses deux enfants. La guerre se faisant trop menaçante, notamment avec la présence de milices dans les rues, elle décide d'abandonner son époux et de prendre la fuite avec ses deux enfants. Elle se rend chez sa tante, une prostituée. D'une discussion entre femmes, ressort la légende de la pierre de patience. La jeune femme voit,  dans cette possibilité de s'exprimer, une opportunité de se libérer. Dorénavant, son mari deviendra sa pierre de patience. Elle confie donc ses enfants à sa tante et retourne au chevet de son époux.  
 
La suite du film est un huis-clos entre la femme et son époux inerte. Un monologue qui prend une signification toute particulière pour une femme musulmane: elle peut enfin parler. Elle a le droit à la parole, et personne, surtout pas son époux, ne pourra l'empêcher de s'exprimer. Elle lui confiera tout, cherchant probablement à provoquer un retour de conscience de son mari. Ses souvenirs d'enfance, la première nuit avec son mari, ses envies de femme, ses désirs les plus intimes et ses plus grands mensonges: elle dira tout. Le point de départ de cette longue confession est cette phrase qu'elle prononce: "C'est la première fois que tu m'écoutes, et cela fait dix ans que nous sommes mariés".
 
Au fur et à mesure que le film avance, la femme se découvre et se libère, aussi bien physiquement (elle se soigne, prend garde à la façon dont elle s'habille), que moralement. La libération passe par la parole, plus que par le corps, même si son corps, en le mettant à disposition d'un jeune milicien, lui permet de rester en vie. C'est aussi une façon pour elle d'affirmer ses désirs. Dans une ultime confidence, la pierre de patience explose.
 
 
 
Il est difficile de dire quel amour éprouve la femme pour son mari. Ses paroles assassines sont quelques fois en totale contradiction avec ses gestes qui sont d'une grande tendresse. C'est toute l'ambiguïté de l'être humain qui se révèle alors.
 
Atiq Rahimi met la parole au centre du film, il s'en explique de la façon suivante: "Je suis issu d'une culture dans laquelle l'oralité est fondamentale dans un pays ou 95 % de la population est analphabète. A l'oral, c'est le rythme qui prime, d'où l'importance de la poésie et des contes. D'un autre côté, cette parole est assez limitée par rapport à l'écriture ; en tant que phénomène sociale, elle implique une certaine autocensure. Dire ou ne pas dire, telle est la question!"
 
Cette autocensure dont parle Rahimi prend tout son sens lorsque la femme parle des moments où elle se masturbait parce que son mari ne lui donnait pas de plaisir. Aussitôt cette confidence faite, elle la regrette et se jette sur le Coran. La culpabilité: un état dans lequel elle est enfermée depuis son enfance et duquel elle s'extrait petit à petit.
 
 
 
Golshifteh Farahani, actrice iranienne qui tient le rôle de la femme, est non seulement une femme à la beauté bouleversante, mais est elle-même une femme militante qui connaît de l'intérieur les sociétés phallocrates. Elle transcende son personnage, rendant cette femme presque universelle. Une interprétation touchante et puissante.
 
Atiq Rahimi adapte ici son roman lauréat du Goncourt en 2008 avec talent. Les cadrages sont magnifiques et la mise en scène superbe. La guerre n'est que la toile de fond, le contexte, qui nécessite des réactions de la part des personnages. Celle de la femme sera son émancipation progressive qui la mènera jusqu'au statut de prophétesse, lorsque le muezzin, à la fin du film, récite la parabole qui considère Khadija, épouse du prophète Mahomet, comme la véritable prophétesse.
 
C'est la deuxième fois qu'Atiq Rahimi porte un de ses romans à l'écran, la première fois, c'était avec
"Terre et Cendres" en 2004. Atiq Rahimi a donné à son film, malgré le huis-clos, une envergure énorme,  et une esthétique sublime. Un film qui marque et qui, en tant que femme, me rappelle encore une fois, la chance que j'ai de pouvoir m'exprimer, de vivre, de penser, en toute liberté. Un film important par le message qu'il délivre. A voir, vraiment.
 
 
 
Votre Cinécution
 
 

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