samedi 9 février 2013

BLANCANIEVES - Pablo Berger - 2012

 
 
Alors là, qui l'eût cru? Moi, la grande amoureuse de contes, et grande réfractaire à toutes ces adaptations à deux balles qui sont sorties ces derniers mois et celles encore à venir, qui à la seule vision des bandes-annonces me font dresser le poil d'effroi, j'ai craqué, fondu littéralement pour cette Blanche-Neige ibérique.
 
L'histoire de Blanche-Neige est brillamment transposée dans l'Espagne des années 20 et plus particulièrement dans le milieu de la tauromachie. Quelle audace, quand on sait à quelle point la tauromachie est un sujet délicat qui divise même en Espagne depuis de nombreuses années. De plus, il fallait oser porter sur grand écran cette tradition à une époque, la nôtre, où la société est plus préoccupée par le bien-être animalier (il faut sauver tous les animaux, leur donner des droits, des avocats, etc...) que par le bien-être de l'humain (coupes dans les prestations sociales, indifférence générale devant la paupérisation de la population, isolement des personnes âgées, etc...). Oui, l'être humain peut crever la bouche ouverte sur le trottoir, on passera devant presque sans s'en offusquer, mais si le minou de Jeannine reste toute la journée seul dans l'appartement, il provoquera l'indignation. C'est un peu schématisé, mais pas très éloigné de la réalité si on y regarde bien. C'était donc la minute "coup de gueule", revenons-en au film.
 
Carmen grandit dans un contexte familial particulier : son père, ancien torero star, est tétraplégique suite à un accident survenu dans les arènes. Sa mère, danseuse de flamenco, est morte en couche. Carmen vit avec sa grand-mère jusqu'à la mort de cette dernière. Elle rejoint ensuite son père qui s'est remarié avec une infirmière opportuniste, cruelle et vaniteuse nommée Encarna. Carmen fera office de bonne à tout faire et subira les brimades de sa marâtre, ne pouvant partager des moments avec son père que lorsqu'Encarna est hors domicile ou en train de "dompter" son amant.
 
 
 
Devenue adulte, Carmen échappe de justesse à une tentative de meurtre. Elle se retrouve au milieu de nains toreros qui lui sont venus en aide et l'ont accueillie. Elle les suivra sur la route, s'affirmera et affrontera un destin extraordinaire sous le nom de Blancanieves. Elle deviendra torero, comme son père et provoquera la colère et la jalousie d'Encarna en lui ravissant les unes de magazines, qui remplacent ici le fameux miroir du conte original.
 
 
 
Les contes ont cette fabuleuse capacité de parler aux enfants et aux adultes, en proposant toujours un double niveau de lecture. Ils nous parlent de nos conflits inconscients et sont des histoires faciles à transposer dans une époque, un pays, grâce aux messages universels qu'ils transmettent. Et surtout, enfant, ils invitent à faire fonctionner l'imagination, à construire la personnalité et à faciliter la compréhension des émotions.
 
Et d'émotions, il en est grandement question dans le film de Pablo Berger. L'émerveillement est tout d'abord visuel: dans un film muet, c'est l'image qui doit parler, les visages et les corps qui doivent exprimer des sentiments.  Les femmes ont des visages incroyablement beaux et expressifs, avec une mention toute particulière pour celui de Macarena Garcia (Carmen) qui dégage une émotion stupéfiante. La photographie de Kiko de la Rica est sublime et donne une saveur toute particulière à ce noir-blanc envoûtant.
 
 
 
Ensuite, ce film est un enchantement pour les oreilles: la musique d'Alfonso Vilallonga est remarquable. Tantôt c'est une marche de fanfare, un flamenco enivrant ou une musique proche de celle d'Alban Berg.
 
Pablo Berger signe ici un film intelligent, une adaptation remarquable du conte des Frères Grimm. Il en retranscrit toute la cruauté, la violence et le caractère oedipien: la relation fusionnelle entre Carmen et son père en est la représentation moderne. La sexualité est également représentée, de deux manières différentes. Celle de la marâtre tout d'abord: c'est une sexualité brutale et frontale, faite de pratique sado-masochistes, qui la met en valeur et accentue son caractère vaniteux. Celle de Carmen est une sexualité d'adolescente: la crainte de l'homme, la recherche de l'identité sexuelle (un torero femme, dans les années 20, c'était plutôt rare), et surtout la rencontre avec les nains, qui en tant que personnages masculins ne représentent que peu de danger pour la jeune femme. Elle se sent en confiance et peut ainsi affirmer sa personnalité.
 
 
 
De toutes les adaptations de contes au cinéma que je connaisse, "Blancanieves" est dans le trio de tête avec "La Belle et la Bête" de Jean Cocteau ou "Peau d'âne" de Jacques Demy. Et oui, je l'avoue, la beauté de la pellicule, la sensibilité de toute la dernière séquence (Carmen finit exposée dans un cirque de monstres qui n'est pas sans rappeler le sublime "Freaks" de Tod Browning), ainsi que la féerie qui se dégage de cette adaptation, m'ont bouleversée et m'ont fait verser quelques larmes.
 
Si ce n'est pas encore fait, foncez voir ce film!
 
 
 
Votre Cinécution
 

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