Germain Germain? Cela ne vous rappelle rien? Et si je vous dis : Humbert Humbert? Vous y êtes? Le professeur de littérature qui s'éprend d'une nymphette de 13 ans: Lolita. Sans vouloir tirer trop de parallèles, je doute que le choix de ce double prénom soit dû au hasard, notamment si l'on tient compte de la fascination qu'exerce Claude sur Germain. Fascination intellectuelle, certes, mais fascination extrême quand même, au point d'en oublier d'accomplir son devoir conjugal, de se métamorphoser en voyeur, et de tenter une seconde chance: celle de faire d'un de ses élèves un écrivain, là où précisément lui a échoué. Un peu comme ces mères qui se rêvaient Miss France et qui font passer des concours de poupées Barbie à leurs gamines, tentant d'atteindre au travers d'elles l'inaccessible diadème.
Germain (Fabrice Luchini), professeur de littérature au Lycée Flaubert (une sorte de lycée test qui a réintroduit le port obligatoire de l'uniforme) s'ennuie dans son métier, avec une certitude : il doit rivaliser avec des portables et des pizzas. Un constat d'échec de sa volonté à faire aimer la littérature à des ados qui n'en n'ont cure. Occupé à corriger les dissertations insipides de "la classe la plus nulle de toute sa carrière", il tombe sur un texte qui l'interpelle : celui de Claude Garcia (Ernst Umhauer). Le vocabulaire est varié, les phrases sensées, le récit fluide. Ce sera un 17/20 pour Claude. Il raconte comment il s'est introduit dans la maison de son camarade de classe Raphaël Artole (Bastien Ughetto) et comment il y a découvert les odeurs particulières de la classe moyenne.
Fasciné par le jeune homme et convaincu qu'il possède un don, Germain se donne pour mission de le faire évoluer et de révéler encore plus son talent. Claude se prend au jeu et écrit toujours plus: une plongée de plus en plus intime dans l'univers des Artole. Une intimité qui commence à affoler et à obséder Germain et son épouse (Kristin Scott Thomas) qui attendent fébrilement les copies de Claude comme on attendrait l'épisode suivant d'un feuilleton qui nous tient en haleine. La relation entre le professeur et son élève devient ambiguë et le jeu de pouvoir s'inverse lorsque Claude commence à manipuler son professeur, lequel est prêt à tout pour une prochaine dissertation.
Ce 13ème film de François Ozon est une pure merveille. Il nous maintient en suspension tout le long, même si çà et là quelques pointes d'humour (ou plutôt de cynisme) relâchent la tension. La musique de Philippe Rombi installe un climat anxiogène dont on pourrait presque devenir dépendant.
Le choix des acteurs ensuite est d'une justesse remarquable. Fabrice Luchini, en grand amoureux de littérature et de déclamation, est la personne la plus adéquate pour incarner Germain Germain. La scène où, devant le tableau noir, il explique à Claude comment transcender les personnages et comment répondre à la question: "Que va-t-il se passer?" est déjà d'anthologie. Kristin Scott Thomas en propriétaire de galerie d'art moderne (notons au passage une douce moquerie de ceux capables de s'extasier devant un art contemporain aux intentions quelques fois un peu farfelues) et épouse qui met son mari en garde, est fabuleuse. Et Ernst Umhauer: incroyable! Un visage aux traits fins, très légèrement androgyne, qui rappelle un Benoît Magimel à ses débuts, et un jeu complètement bluffant: une vraie révélation.
Ce film est une sorte d'éducation sentimentale (Flaubert est un leitmotiv). Découverte des envies, des sensations, délicat passage de l'adolescence à l'âge adulte. Un paradoxe cependant dans cette éducation sentimentale: Claude. Le père de Claude est handicapé, sa mère a disparu: il se trouve être, contre son gré, un peu l'adulte de la famille. Se plonger dans la vie des Artole, c'est redevenir enfant, c'est jalouser le statut de Raphaël et tout mettre en oeuvre pour détruire cette apparente famille parfaite. La grande question de l'orientation sexuelle qui se pose à l'adolescence est également abordée.
Ozon joue avec notre imaginaire: il en fait plus ou moins ce qu'il veut, nous baladant de la fiction à la réalité , tant est si bien que l'on arrive à un stade où l'on ne sait plus vraiment les différencier. Il flirte également avec le fantastique, en faisant apparaître Germain dans des scènes où il n'est pas vraiment "prévu", créant une confusion supplémentaire. Bref, "Dans la Maison" est une grande réussite. C'est un vrai coup de coeur... à suivre...
Votre Cinécution
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