dimanche 1 juillet 2012

L'INVITE : Raphelson

Une voix pleine de douceur, un regard pétillant, un brin de timidité, Raphelson n'hésitera cependant pas à vous regarder au fond des yeux. C'est son métier. Photographe de formation, il fait des clichés de vos yeux dans un hôpital ophtalmologique à Lausanne. Il aime l'image, mais aussi, surtout, la musique. Comme il le dit lui-même, il a construit sa vie autour d'elle. Sa musique, elle est aussi délicate que de la dentelle de St-Gall. Un entretien plein de charme et de générosité qui s'est prolongé autour d'une bière blanche et en compagnie des deux femmes de sa vie. Un samedi après-midi, quelque part sur la terre, le temps a suspendu son vol...



Bon, Raphaël, comment vous définiriez-vous?

Vaste question (rires). Ma vie est centrée sur la musique depuis l'adolescence. Elle a pris un tournant assez important lorsque j'ai découvert la musique en tant que musicien. J'ai toujours été passionné par la musique. Mes parents déjà écoutaient beaucoup de musique. De la musique classique à la variété française. Lorsque j'ai découvert la musique par moi-même, j'ai eu une révélation. Ma vie s'est fondée là autour. Le cinéma, c'est venu plus tard. La musique apporte quelque chose d'énorme au cinéma.
J'ai grandi à Delémont et je suis arrivé à Lausanne à l'adolescence. A 15 ans j'ai acheté ma première guitare. J'ai ensuite fait l'école de photographie de Vevey.

La musique, en autodidacte?

J'ai fait quelques mois à l'EJMA (Ecole de Jazz et de musique actuelle) avec un guitariste qui a presque réussi à me dégoûter de la guitare. Mais j'avais déjà appris les bases tout seul : les tablatures, etc... Ensuite, j'ai trouvé un prof à qui j'amenais des disques et à qui je demandais comment faire tel ou tel son. Après lui avoir apporté une vingtaine de disques et les avoir décortiqués, j'ai arrêté. Donc je n'ai pas de connaissance de solfège. Sinon, j'ai fait un peu de piano, et plein d'autres instruments, mais j'ai tout appris en autodidacte.


Et pourquoi la photographie?

C'est une histoire de famille. Je suis la 5ème génération de photographe, mon frère est aussi photographe. J'étais fasciné de voir mon père développer ses photos. Je suis passionné d'images, j'en consomme beaucoup. J'aime les livres de photographes. La photo est devenue alimentaire. Il y a eu ce passage au numérique qui pour moi a enlevé tout le côté artistique du métier. Il ne faut plus une grande connaissance de la lumière et de tout ce que j'ai appris pour faire une belle photo. N'importe qui peut maintenant faire des photos pas trop mal réussies. Mais j'adore toujours les images. Je travaille actuellement comme photographe spécialisé en ophtalmologie. Plus spécialement le fond des yeux. Je photographie des cornées, des rétines, des iris... Ce sont de très belles images.

Comment êtes-vous venu au cinéma? Vous avez un souvenir d'enfance particulier?

Un des premiers films qui m'a vraiment marqué, mis à part les Charlie Chaplin que l'on voyait en période de fêtes, c'est "Le Tambour" de Volker Schlöndorff. Il y a des scènes super dures. Je ne l'ai pas revu depuis longtemps. Cet enfant qui finalement n'en est pas un. Ce film m'a beaucoup marqué. Il y a certains passages qui sont gravés dans ma mémoire. Un de ces films que l'on ne regarde pas spécialement avec les parents.

Vous faisiez partie de ces ados qui allaient beaucoup au cinéma?

Non, pas énorme. Mon frère louait beaucoup de films. Il a 6 ans de plus que moi et grâce à lui, j'ai vu des films qui n'étaient pas vraiment de mon âge, comme "Angel Heart" d'Alan Parker par exemple qui m'a  beaucoup marqué. Mais je dis merci!
Sinon, plus anecdotique, j'ai vu tous les Bruce Lee (rires) grâce à mon grand frère. Tous vu et certainement plusieurs fois (rires). Et on refaisait les scènes, très drôle!
Et puis au début de l'adolescence, j'ai vu "Le Bal des Vampires" de Polanski, j'ai adoré ou "The Party" avec Peter Sellers, juste monstrueux (rires).



Vous avez tout de suite été sensible à la musique de film?

Non, je ne pense pas. C'est venu plus tard, quand j'ai commencé à faire de la musique. J'aime assez les musiques de film classiques, celles de John Williams ou Danny Elfman. Ceux qui ont suivi un cinéaste. Danny Elfman et Tim Burton par exemple. Avec "Edward aux mains d'argent", c'est là que cela a vraiment commencé, avec cette musique incroyable de Danny Elfman.

Vous aimez bien Tim Burton?

Oui, je suis grand fan. Le cinéma fantastique en général j'aime bien. Juste après les Bruce Lee (rires) j'ai vu tous les films d'horreur possibles et imaginables en tant qu'ado. J'ai été très choqué par "L'Exorciste" par exemple. Mais maintenant, je dois dire que j'en regarde moins.

Dans votre clip "Ghost of a Chance", il y a un côté fantastique, avec cette femme qui crache son coeur dans la neige...

Bon alors, je peux expliquer ce clip. J'ai un très petit budget pour faire des clips. Et j'ai rencontré une personne qui a accepté de faire ce clip pour une petite somme. Mais il m'a dit :"Pour ce prix, ce sera un clip surprise, mais promis, rien de gore!"... Alors je ne sais pas ce qu'est le gore pour lui (rires)...
J'ai adoré ce clip qui est totalement à l'opposé de ce que transmet la chanson, et ce que j'ai trouvé vraiment intéressant. Il y a ce côté, avec le banjo, plutôt chaud, sud  et du coup, on se retrouve dans la neige avec la forêt. Quand j'ai vu ça, je me suis dit: Wouaw! c'est tellement le contraire que ça peut coller.

Quel genre de film vous touche?

Je viens de m'acheter "Les Enfants du Paradis". Je me souviens de l'avoir vu, il y a très longtemps. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est une version sous-titrée en anglais... mais je me réjouis vraiment de le revoir. Sinon, je suis très attaché aux films en noir blanc, comme "Les Ailes du Désir" par exemple...
Sinon, je suis fan de David Lynch ou de Jim Jarmush. J'ai adoré "Dead man" ou "Down by Law".




Jim Jarmush et David Lynch ont cette relation incroyable avec la musique. On découvre tout le temps des trucs qu'on ne connaît pas. David Lynch et Angelo Badalamenti, c'est juste incroyable! Et son album, c'est tout un univers qui forme un tout. C'est vraiment un artiste que j'aime beaucoup.
Sinon, j'adore les films où il y a des enfants qui jouent, comme "Stand by me" par exemple. C'est un film que je pourrais regarder tout le temps.

Vous même, vous avez fait des musiques de film, ou du moins y avez-vous participé. Notamment pour le film "Der Freund" de Micha Lewinsky. Comment ça s'est passé?

Alors, je n'ai fait qu'une seule fois une musique de film complète. C'était une commande, pour un concept qui s'appelait "Les Bandes musicales". Le film, c'était "The Fall of the House of Usher" de Jean Epstein, et on faisait la musique en live. J'ai adoré faire ça, vraiment. J'ai tout composé, choisi des instruments un peu bizarres comme la scie musicale ou le vibraphone par exemple. J'avais une bande pré-enregistrée et je jouais certains instruments en live et je passais d'un instrument à l'autre.
Pour "Der Freund",  ils ont choisi un morceau qui s'appelait "Starbox", et c'est grâce à Sophie Hunger que ce titre a été choisi. Il a été intégré à une scène assez belle. Ce qui était cool, c'est que c'était une scène où le titre était en entier et je faisais une petite apparition. Une très chouette expérience. Sinon, c'est Marcel Vaid qui a fait toute la musique de "Der Freund" avec Sophie Hunger. Il a vendu plusieurs fois mon morceau "The Devil danced", sous différentes versions, pour différents films.

Vous êtes quand même passablement entouré de compositeurs de musique de films, John Parish par exemple, qui a composé pour le dernier film d'Ursula Meier, fait partie de votre entourage...

Oui, c'est vrai. John Parish, quand on s'est rencontrés, je ne savais pas qu'il faisait de la musique de film. Mais maintenant, cela me paraît être une évidence: il est aussi passionné par les instruments de musique et leurs sonorités que je le suis moi-même. J'aime les instruments de musique, aussi en tant qu'objets. Je n'ai jamais vraiment voulu être chanteur, ce n'est pas vraiment mon truc. Mais les instruments de musique, j'adore! Et je trouve que les instruments de musique, un peu bizarres, collent bien pour des musiques de films. Je possède les vrais instruments de musique, ce ne sont pas des simulateurs. J'ai un mellotron, j'ai un vrai vibraphone. Je suis passionné par l'objet en lui-même. Il y a des instruments que j'ai cherché pendant longtemps...Je les entendais sur des enregistrements, mais je ne savais pas de quel instrument il s'agissait.  Les ondes Martenot sont un exemple. J'ai rencontré Christine Ott (la spécialiste du genre) et cet instrument est vraiment très très beau. On le retrouve dans beaucoup de  musique de films, notamment dans des films fantastiques.

Vous êtes un grand consommateur de films?

Oui, mais je manque de temps. Depuis que j'ai une fille, elle a 4 ans, c'est plus difficile de dégager du temps. Mais j'aime l'ambiance des salles de cinéma. C'est comme pour les concerts, c'est important d'être au milieu des gens, et de sentir les réactions autour de soi. Je suis très sensible à cela.

Alors Raphaël, pour ou contre le popcorn au cinéma?

(rires) C'est vrai, dans les salles, il faut aussi supporter les bruits du voisin... mais j'aime bien ça.

Quoi, le popcorn?

(rires) Non, être au milieu des gens.

Le dernier film que vous avez vu au cinéma?

Le dernier Sofia Coppola : "Somewhere". J'ai été super déçu, parce qu'il y avait un problème de son. Et le problème de ces nouvelles salles de cinéma, c'est qu'il n'y a personne, tout est automatisé, donc on ne pouvait le dire à personne. Et c'était vraiment dommage, parce que la bande son était vraiment chouette. Nous étions contents, parce que ça faisait des plombes que nous n'étions pas retournés au cinéma, et on s'est retrouvé à visionner un film avec un son pourri (rires)...



Vous avez beaucoup de DVD à la maison?

Oui, pas mal. David Lynch par exemple, je l'ai découvert avec "Twin Peaks". J'ai toute la série en VHS (rires), je crois bien que je l'ai racheté en DVD. Sinon, Tim Burton et les films que j'ai cité. Sauf les Bruce Lee (rires)...
J'achète les DVD pour les avoir et aussi pour pouvoir les prêter à des amis lorsque je leur parle de tel ou tel film. Mais je crois que c'est plus pour les avoir, parce que j'aime l'objet. Et peut-être cela me rassure de savoir que je peux les revoir quand j'en ai envie.

A votre fille, vous lui montrez déjà des choses?

Dernièrement, on a regardé "Zorro" (rires)... J'ai tenté de lui montrer "Le Château ambulant" de Miyazaki, mais elle est peut-être encore un peu jeune. Alors on regarde les films de princesses "Cendrillon", "Blanche-Neige"... Ce sont des films assez durs, dans "Bambi" quand la maman meurt... assez dur finalement...


Si le téléphone sonnait et qu'à l'autre bout du combiné, une voix vous disait: "Raph, je veux que tu fasses la musique de mon prochain film!", vous aimeriez que ce soit la voix de qui?

Mon coeur dirait David Lynch. Il pourrait commander une chanson que je serais heureux! Mais sinon, un Jim Jarmush. C'est un sacré boulot d'illustrer tout un film. Sinon, refaire la musique de films anciens, un peu sombres. Des films de Murnau, "Le Fantôme" par exemple, avec des images superbes, j'adorerais, c'est super inspirant!
J'étais fan, il y a très longtemps, des Smashing Pumpkins. David Lynch leur avait demandé de faire un titre sur "Lost Highway", et je me souviens d'une interview de Billy Corgan qui expliquait tout le truc comment David Lynch l'avait appelé et il imitait David Lynch qui lui disait: "That's not gonna work Billy!" (rires)... (ndlr: et Raphaël d'imiter la voix de David Lynch...). Je trouve ça assez mythique.
Dans le cinéma suisse, j'ai été très touché par Irene Ledermann et son "Schonzeit". C'est un film très touchant. Les enfants qui jouaient dedans étaient juste extraordinaires. Je ne sais pas ce qu'elle fait en ce moment. Elle avait un chef photo incroyable qui travaille actuellement sur son premier long métrage, Lorenz Merz. Il faut absolument le suivre celui-là. C'était magnifique! Il a un regard plein d'idées.

Il y a des films dont vous aimeriez refaire la musique?

Non, je ne crois pas, parce que ça fait vraiment un tout, ou alors ce sont des films qui sont mauvais à la base et dont je n'aurais de toute façon pas envie de faire la musique (rires)... Sinon, oui, certains sons d'habillage plutôt que des musiques complètes.

Une actrice préférée?

Patricia Arquette. J'aime bien Kirsten Dunst aussi.

Un acteur préféré?

J'étais fan de Mickey Rourke. Je n'ai pas vu "The Wrestler", mais il faut que je le voie. J'aime bien cet acteur. Il a beaucoup changé. Mais je l'aime beaucoup.

Et les projets personnels?

Il y a un remix de "Ghost of a chance" qui va sortir prochainement. Sinon, des élèves de l'ECAL travaillent sur un clip en rotoscopie. Là ils ont quelque chose comme 8'000 dessins, et ils n'ont fait qu' 1 minute 40... un truc de fou. Super beau! Je suis terriblement excité par le projet! Ils ont fait ça comme un film, en s'inspirant des paroles et ils illustrent presque chaque mots. C'est superbe! C'est pour la chanson "Crying Wolf".
Sinon, il y a un concert "Music appartements" à Zürich qui va être filmé et diffusé en live sur internet.
Avec Magicrays on essaie de refaire quelque chose, mais ce n'est pas facile. C'est difficile de trouver des concerts, de sortir des disques. Mais on fait ça par passion.
J'ai fait Raphelson à côté parce que comme ça à 50 ans, je pourrai toujours être vieillissant et faire de la scène sans être ridicule à côté de jeunes de 18 ans hyper stylés (rires)...



( "Ghost of a Chance" extrait de "Everything was story, story was everything", Two Gentlemen, 2012)


Clin d'oeil de Raphelson : "Searching for the wrong eyed Jesus" de Andrew Douglas

Merci Raphelson!

Propos recueillis le 30 juin 2012 / Cinécution







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