dimanche 13 avril 2014

CARNETS NOIRS - Christophe Vauthey


« Mon nom est Pierre Mignon. Je travaille depuis plus de dix ans en tant que cadre moyen dans le service des ventes de mon entreprise, la Toys International Ltd. J’aspire au poste de Directeur des ventes, afin que s’ouvrent pour moi les lourdes portes de la Direction générale, le but suprême de toute ma vie. »

Pierre Mignon est né sous la plume de Christophe Vauthey. Ce vaudois de naissance parcourt le monde depuis plus de 20 ans. Son tour du monde, si l’on peut l’appeler ainsi, a débuté avec son engagement au sein du Département fédéral des affaires étrangères en 1994. De Stuttgart à Moscou, en passant par Bratislava, San Francisco, Los Angeles et depuis une dizaine de jours Rio de Janeiro, Christophe Vauthey s’attèle à promouvoir la culture suisse à l’étranger. Ce sémillant et fringant consul général adjoint, papa de deux enfants adolescents, possède plusieurs talents et plusieurs passions. Cinéphile dans l’âme, il a tout d’abord produit des films, avant d’écrire des scénarios et finalement réaliser deux courts métrages. L’écriture ? C’est depuis toujours. Mais ce n’est que récemment qu’il a trouvé le courage de montrer ses écrits. Ecrire, pour lui, c’est une volonté de raconter des histoires, de faire vivre des personnages. Son premier roman, Carnets noirs, sommeillait dans des tiroirs depuis de nombreuses années. Et plusieurs romans sont, nous confie-t-il, déjà écrits. Il est accro à l’écriture, et impatient de pouvoir faire découvrir encore de nombreuses histoires.

Celle qui nous occupe aujourd’hui, c’est celle de Pierre Mignon. Ce cadre moyen du service des ventes d’une multinationale qui commercialise des jouets n’est pas seulement ambitieux, il est arriviste et opportuniste. C’est une de ses premières maîtresses, auprès de laquelle il tentait de se convaincre que «il n’y a pas que des emmerdes dans l’exercice périlleux mais ô combien excitant de l’adultère » qui lui a offert son premier carnet noir. Depuis ce jour, bien qu’ayant régulièrement changé de partenaire sexuelle, la seule chose qui reste immuable, c’est qu’il porte toujours sur lui un petit carnet noir. Il y inscrit tout : ses pensées salaces, de même que les sensées, les coordonnées de ses conquêtes, mais surtout, tous les faits et gestes de ses collègues. Chacune de leur faiblesse est consignée dans un seul but, que lui revienne, le moment voulu, une nomination à la Direction générale. Tous les jours. Même le week-end. Il n’y pas de répit pour ce tueur de cadres, ce Rambo urbain.

Deux choses sont essentielles dans la vie de Mignon : sa carrière et son sexe ! Ce « machin qui gratte par grand froid et colle par grande chaleur ». On apprend à le connaître, presque à l’aimer, malgré l’usage intempestif qu’en fait son propriétaire. Comme nous sommes, durant tout le récit dans la tête de Pierre Mignon, nous le croisons régulièrement cet appendice, source de réflexion intense pour ce cadre moyen. Bref, nous sommes dans la tête d’un mec !

Ce monologue intérieur, cruel et cynique, est jubilatoire. Il l’est parce que nous ne sommes pas les cibles des attaques de ce Mignon. Et l’être humain est ainsi fait qu’il prend quelques fois plaisir à voir d’autres se faire dégommer à sa place. Plongée en apnée dans le libéralisme extrême.

L’écriture de Christophe Vauthey est fluide. Proche du langage parlé, il donne encore plus de réalisme à cette folle histoire. Ne l’oublions pas, nous suivons, page après page, les réflexions que se fait Pierre Mignon.Nous partageons ses yeux, ses goûts, ses envies. Nous subissons ses contrariétés. Tout cela nous conduira-t-il à son ascension fulgurante ou à sa chute brutale ? A vous de lire.
 

 

Christophe Vauthey

Pourquoi avoir appelé votre personnage Pierre Mignon, alors qu’il ne l’est vraiment pas ?

Ça m’est venu comme cela, sans trop y penser ! J’aimais bien l’idée qu’un être aussi abject puisse répondre à un nom aussi innocent. A un moment donné, il dit même : « Je n’ai de mignon que le nom », comme pour s’en excuser.

Bien plus qu’ambitieux, Pierre Mignon est arriviste et opportuniste. Pour avoir su si bien le croquer, en avez-vous croisé beaucoup ?

Comme le dit si bien mon ami Carlos Leal dans sa préface, on a tous en nous quelque chose de Mignon. Moi y compris ! Plus qu’une personne que j’ai rencontré dans ma vie, j’ai essayé de faire de Mignon un prototype du 21ème siècle où l’individualisme et l’égocentrisme règnent en roi. Je pense qu’au bout du compte, Mignon est devenu tel qu’il est parce qu’il souffre profondément de solitude. C’est marrant de constater que l’on vit dans une époque où malgré les réseaux sociaux, et la multiplication d’amis virtuels, les gens sont de plus en plus seuls. Mignon n’est donc pas un cas isolé.



Une fabrique de jouets… pas vraiment le genre d’entreprise où l’on s’imagine croiser un tel individu. Est-ce pour nous montrer que des Pierre Mignon, il en pousse à chaque coin de rue ?

Là aussi, je voulais véhiculer un cliché du monde globalisé dans lequel nous vivons, J’aimais l’idée que le décor de cette fable moderne soit une multinationale dont le siège est en Occident et qui fasse des bénéfices colossaux en vendant des jouets fabriqués dans un pays du tiers-monde. Après pourquoi les jouets ? Peut-être comme une métaphore de ce que vivent les cadres de la Toys qui ont finalement un comportement enfantin dans l’adversité.

Rocky, Rambo III, une allusion (pas très flatteuse) aux films de Godard, le cinéphile que vous êtes a-t-il dû se faire violence pour ne pas faire plus de références ?

Il est clair que j’aurais pu faire des références cinématographiques à chaque page, car moi, je suis cinéphile. Par contre, je ne suis pas sûr que notre ami Mignon le soit, lui. Je pense que Pierre Mignon ne s’est pas rendu au cinéma depuis belle lurette. En plus d’un refus viscéral de se mêler à ses semblables, je pense qu’il ne supporterait pas la compagnie des mangeurs de popcorn et qu’il pourrait tuer pour ça. Moi, parfois, je suis à deux doigts de le faire.

Sans dévoiler la fin de votre roman, pourquoi ne pas vous être arrêté à la fin du « je » ?

Ah, la fin… Elle a donné beaucoup matière à discussion. Après ce final où tout s’emballe, je voulais que l’on sache ce qu’il advient de tous les protagonistes et bien sûr de Mignon. Pour cela, il fallait que le narrateur prenne le dessus. De toute façon, durant tout le reste du livre, le moi/je de Mignon est permanent.

Déjà de nouveaux projets en tête ?

Rayon littérature, j’ai déjà quelques romans terminés et continue de travailler sur quelques autres récits. Pour le cinéma, je travaille sur un documentaire qui sera terminé à l’automne 2014 et espère vivement pouvoir trouver un projet à réaliser au Brésil. Je me laisse porter au gré de mes inspirations et de mes envies. Je suis aussi très heureux et excité par les deux projets musicaux dans lesquels je suis impliqué à Los Angeles. Vous n’avez pas fini d’entendre parler de moi.
 
 
On se réjouit de la suite, Christophe!

 
 
Carnets noirs, Christophe Vauthey - éd. Xénia, 2014 

 
ST / 13 avril 2014


 

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