mercredi 2 avril 2014

FIFF 2014: sortir des sentiers battus...


Pour bien comprendre les lignes qui vont suivre, je suis obligée de faire un retour en arrière de deux ans. En 2012, je ne connaissais que le nom de Mohammad Rasoulof. Je n’avais jamais vu aucun de ses films. Invité comme juré au FIFF, l’occasion était donnée aux festivaliers de découvrir Goodbye.  C’est probablement un des films les plus marquants de ma vie de cinéphile. Il m’a poursuivie de longues semaines et sa seule évocation m’émeut encore aujourd’hui. Rasoulof était présent au FIFF cette année-là. Il m’aura fallu toute la durée du festival pour oser aller lui parler, parce que dès que je commençais à parler de Goodbye, je fondais en larmes. Et cela n’a pas manqué lorsque j’ai commencé à le remercier. Aidée par un traducteur, je tentais de faire passer à quel point son film m’avait bouleversée. A quel point j’avais de l’admiration pour les cinéastes iraniens, non seulement parce que la majorité de leur films sont d’une beauté renversante, mais surtout parce que ce sont, à chaque fois des films courageux. Et Goodbye  est un film courageux. Une magnifique, tragique et bouleversante histoire de femme. A court de mots et saisie par l’émotion, je n’arrivais plus à m’exprimer. Rasoulof m’a alors ouvert ses bras et m’a serrée. Un moment intense. Rien que de me le remémorer, et de le retranscrire ici, les larmes me montent aux yeux. Ce moment restera à jamais inoubliable, parce que profondément empreint d’humanité.
Goodbye
 
Alors hier, lorsque j’ai vu Manuscripts don’t burn, son dernier film, je n’ai pensé qu’à ce moment-là. Et cela m’a rendue profondément triste. Rasoulof est le seul cinéaste d’une sélection qui réunit 46 nations à être retenu par les autorités de son pays. Il est privé de son passeport depuis octobre dernier. Alors même qu’une bribe d’espoir renaissait avec l’accession au pouvoir d’Hassan Rohani qui était présenté comme le seul candidat modéré de la campagne présidentielle iranienne de 2013.

Manuscripts don’t burn parle de la censure, de tentative d’assassinat d’intellectuels par l’Etat afin de les réduire au silence. Alors oui, c’est une nouvelle fois un film courageux. Rasoulof est radical dans son propos. Pas de concession et pas de tabou. Pour nous occidentaux, la liberté de penser est un acquis et on oublie trop souvent que ce n’est pas le cas partout sur le globe et pas si loin de nous finalement. Programmer ce genre de film dans un festival, c’est un devoir d’information. Aller les voir, c’est exprimer sa solidarité avec celles et ceux qui ont le courage de s’opposer à l’intolérable. Alors, lorsque certains disent que le cinéma n’est qu’un divertissement, j’ai envie de grimper les murs !
Manuscripts don't burn
 
Une nouvelle fois, grâce à la programmation du FIFF, on constate que le cinéma est bien plus que ça. Il se fait le miroir de la société. Outre les messages politiques qui peuvent émaner de certaines œuvres, ce sont aussi des photographies sans concession de différents dysfonctionnements sociétaux. Le sexisme, l’homophobie, l’intolérance, l’irrespect, l’isolement, la surconsommation, la religion, le profit avant l’humain. Même si ces sujets ne sont pas toujours abordés de manière frontale, il n’en reste pas moins que ces démarches sont initiatrices de réflexions. Et magie, tout cela ne freine en rien la démarche artistique : bon nombre de ces films sont, esthétiquement parlant, supérieurs à la majorité des blockbusters ! Il y a encore deux projections de Manuscripts don’t burn, allez-y !

A une époque où le « chacun pour soi » prévaut, il est bon de se souvenir que ce qui est acquis chez nous occidentaux – bien qu’il y ait encore beaucoup à faire – ne l’est pas partout, même dans ce qui fait le fondement des droits humains. Encore une fois je le redis, sortez des sentiers battus. Osez vous confronter à ce que vous ne connaissez pas. Allez voir des films dont les réalisateurs vous sont inconnus, dont les médias ne parlent pas, ou moins. Soyez curieux. Et pas seulement durant le FIFF, toute l’année ! Vous en ressortirez grandis. Promis, juré.

Et sinon, aujourd’hui, Patrick Chesnais était de passage à Fribourg pour défendre le film de Samuel Rondière : La Braconne. Un très joli premier film qui n’a malheureusement pas trouvé de distributeur en Suisse. Quel dommage ! Mais quelle chance d’avoir pu le voir hier soir. Danny prend sous son aile Driss, un jeune gars des banlieues. Il va le forcer à apprendre à lire et à conduire, mais va également lui enseigner les bases et les ficelles de la petite arnaque artisanale. Driss va également dire au revoir à son insouciance. Quelques répliques peuvent aisément devenir cultes ! Un jeune cinéaste à suivre et à ne pas perdre de vue. Patrick Chesnais s’est, à la fin de la projection, livré à un Q & A plein d’humour et de tendresse. Un joli moment.
La Braconne
 
Demain, je vais une nouvelle fois me confronter à Wang Bing. L’an passé, après la projection de Three Sisters, j’avais ressenti le besoin urgent de me doucher. Impatiente de voir quel besoin urgent je vais devoir assouvir après la projection de `Til Madness do us part

 

ST / 1er avril 2014

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