lundi 31 mars 2014

FIFF 2014: l'entretien inattendu avec Erik Matti


 
Il sortait de la projection d’un des films de la compétition internationale, je sortais de la Masterclass des frères Dardenne. Un boulevard, celui de Pérolles. Une terrasse, celle du Tea-Room du Rex. Un signe d’appartenance à une même communauté, le porte-badge rouge vif du FIFF. Un sourire. Un « Good morning ! » simultané. Des présentations rapides, « Hi, my name is Stéphanie » « Erik, nice to meet  you ». Une invitation à prendre un café.  Une discussion qui s’initie et qui très rapidement débouche sur des rires. Chabadabada… Un entretien entre café et cigarettes...

Bienvenue dans l’entretien « sauvage » , et totalement improvisé, avec Erik Matti. Le cinéaste et producteur philippin est membre du jury international de longs métrages du 28ème Festival International de films de Fribourg.

 
Erik Matti est un habitué des festivals suisses, plus particulièrement du NIFFF, qui a déjà accueilli plusieurs de ses films : Gagamboy en 2004 ou Tiktik : The Aswang Chronicles en 2013. Son dernier film, On the Job,  considéré par certains comme étant le meilleur polar de ces derniers mois, sera projeté dans le cadre du FIFF lundi soir à 21h15.

 

En quelques mots, parlez-nous de On the Job…

C’est un thriller qui parle de prisonniers qui sortent occasionnellement de prison pour tuer. La police mène une enquête, recherche ces meurtriers, mais ne les trouve pas. Elle ne se doute pas qu’en fait ils sont déjà en prison. C’est un jeu du chat et de la souris.

 

C’est sa première projection en Suisse….

Oui, absolument. Le film sortira en mai en France. Il est sorti aux Philippines en août l’année passée. Depuis lors, il fait son chemin principalement dans les festivals.

On the Job  est un film très américain, de part sa construction, sa structure, son visuel.  Vous êtes-vous particulièrement inspiré de ce cinéma pour tourner votre film ?

Il y a plusieurs idées avec lesquelles on voulait jouer en l’écrivant. La première était de se concentrer principalement sur les prisonniers. Et c’était tout. Mais lorsque nous avons commencé à faire des recherches, j’ai senti qu’il y avait une plus grande histoire à raconter. Une histoire qui allait au-delà du simple jeu de police et voleurs, et qui nous connectait avec le pays. C’est devenu un peu plus un thriller de conspiration. Tous mes films ne sont pas tournés de cette façon, mais celui-ci demandait un tournage à l’américaine, du point de vue cinématographique et stylistique. Il y a tellement de choses qui se passent durant ces deux heures et moi j’avais envie d’en dire tellement !

Avez-vous tourné ce film avec l’envie particulière de lui ouvrir les portes du marché international ?

Nous n’avions pas de film de ce genre aux Philippines. Nous ne sommes pas vraiment un pays qui fabrique des films pour Hollywood. Nous ne vendons pas nos films sauf si nous les amenons sur le marché des festivals. De plus en plus, ce ne sont que les gros films américains qui arrivent jusqu’aux Philippines. Nous sommes un pays qui consomme principalement ses propres productions. On commence à sentir une certaine lassitude des summer blockbusters américains. Donc en premier lieu, nous faisons  nos films pour le marché local et en deuxième lieu pour le marché international. C’est notre premier essai de marier les deux. Nous bénéficions d’un réseau de festivals solide aux Philippines mais aucun ne rayonne suffisamment pour vraiment être considéré comme une plateforme qui permet les distributions internationales. Avec On the Job, qui nous a demandé 4 ans de travail, nous avions vraiment cette volonté de le faire connaître localement mais également à plus large échelle. Nous avons eu la chance d’être distribué aux Etats-Unis, en France, et nous serons également distribués au Royaume-Uni et en Australie.
 
 

Comment expliquez-vous que ce film ait trouvé cet écho international ?

A vrai dire, c’est la première fois que cela nous arrive (rires) Nous avons un solide circuit de films d’auteur à l’étranger, mais pas vraiment pour le film grand public. Mais on ne peut pas faire uniquement des films qui sont destinés au marché international. Mon prochain film par exemple, qui sera une comédie, est purement local et destiné au marché national. Celui-là, je le tourne en ce moment. En septembre, j’en tournerai un autre, un drame, dans la même veine qu’On the Job, qui aborde un thème universel : le Pyramide Scam (ndlr : le système de Ponzi en français. Une espèce de Jeu de l’avion). C’est un drame dans lequel un couple est recherché par des investisseurs lésés. Pour le moment nous n’avons pas encore de titre, mais nous avons reçu de l’argent du gouvernement pour le produire. Le casting est choisi. On devait le tourner en janvier dernier, mais nous avons déplacé le tournage à septembre de cette année.

Est-ce que c’est la première fois que vous être membre d’un jury ?

Oui !

Quelles sont vos attentes, vos critères ? Qu’est-ce qui va vous faire choisir LE film ?

Dans les festivals, certains films se ressemblent… beaucoup de longs plans, beaucoup d’attente… Ce qui va retenir mon attention, c’est l’honnêteté. Cela m’est égal, si c’est long, court, lent, rapide, tant que c’est honnête. Le genre m’importe peu également. Cela peut être un film fantastique, un thriller ou un film d’auteur, tant que c’est honnête. Faire des films est quelque chose de spécial. Vous ne pouvez pas juste parler de tout et de rien… sinon vous faites un téléfilm, un livre ou une émission de radio. J’ai besoin de voir la patte du réalisateur. Et c’est ce qui est difficile à constater : l’honnêteté et la vérité du réalisateur.

A quoi reconnaissez-vous qu’un film est honnête ?

Quand il n’y a pas trop de gimmicks. Que le film reste fidèle à sa forme. Que le réalisateur n’ait pas peur de faire avancer son histoire et d’aller directement au but. Certains réalisateurs font de l’abstrait pour faire de l’abstrait (rires) et je pense que cela n’est pas nécessaire. Tous les grands films vont directement au but. Même des films comme ceux de Kurosawa ou de Kiarostami vont directement au but, même s’ils sont lents. Et surtout, pas juste de « jolis longs plans » sur un feu qui s’éteint…  c’est bon, j’ai compris que le feu s’éteignait, pas besoin de s’éterniser (rires)
 
 

Donc vous n’appréciez pas la masturbation intellectuelle ?

La masturbation intellectuelle ne me dérange pas, tant qu’elle reste honnête. Avec tout ce que l’on voit aujourd’hui, il est très facile de faire un film avec beaucoup de gimmicks et qui essaie d’être plus important que ce qu’il est en réalité. Je préfère voir quelque chose de simple et d’ordinaire que d’avoir un discours super intelligent qui ne repose que sur du vide.

Vous vous réjouissez de cette semaine de juré ?

Je suis très excité ! Hier soir, je me suis couché très tôt pour être en forme. J’ai 4 films au programme aujourd’hui. Le jury est un très joli mélange. Cela sera très intéressant de discuter en fin de semaine. Par exemple, certains de mes collègues ont beaucoup apprécié le film que nous venons de voir et l’on exprimé… moi je suis resté muet (rires) Cette semaine va être très enrichissante.

 

Propos recueillis le 30 mars 2014 /ST

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