Il sortait de la projection d’un
des films de la compétition internationale, je sortais de la Masterclass des
frères Dardenne. Un boulevard, celui de Pérolles. Une terrasse, celle du Tea-Room
du Rex. Un signe d’appartenance à une même communauté, le porte-badge rouge vif
du FIFF. Un sourire. Un « Good morning ! » simultané. Des
présentations rapides, « Hi, my name is Stéphanie » « Erik, nice
to meet you ». Une invitation à
prendre un café. Une discussion qui s’initie
et qui très rapidement débouche sur des rires. Chabadabada… Un entretien entre café et cigarettes...
Bienvenue dans l’entretien « sauvage » ,
et totalement improvisé, avec Erik Matti. Le cinéaste et producteur philippin est
membre du jury international de longs métrages du 28ème Festival
International de films de Fribourg.
Erik Matti est un habitué des
festivals suisses, plus particulièrement du NIFFF, qui a déjà accueilli
plusieurs de ses films : Gagamboy en 2004
ou Tiktik : The Aswang
Chronicles en 2013. Son dernier film, On the Job, considéré par certains comme étant le meilleur
polar de ces derniers mois, sera projeté dans le cadre du FIFF lundi soir à
21h15.
En quelques mots, parlez-nous de On
the Job…
C’est un thriller qui parle de
prisonniers qui sortent occasionnellement de prison pour tuer. La police mène
une enquête, recherche ces meurtriers, mais ne les trouve pas. Elle ne se doute
pas qu’en fait ils sont déjà en prison. C’est un jeu du chat et de la souris.
C’est sa première projection en Suisse….
Oui, absolument. Le film sortira
en mai en France. Il est sorti aux Philippines en août l’année passée. Depuis
lors, il fait son chemin principalement dans les festivals.
On the Job est un film très américain, de part sa construction,
sa structure, son visuel. Vous êtes-vous
particulièrement inspiré de ce cinéma pour tourner votre film ?
Il y a plusieurs idées avec
lesquelles on voulait jouer en l’écrivant. La première était de se concentrer
principalement sur les prisonniers. Et c’était tout. Mais lorsque nous avons
commencé à faire des recherches, j’ai senti qu’il y avait une plus grande
histoire à raconter. Une histoire qui allait au-delà du simple jeu de police et
voleurs, et qui nous connectait avec le pays. C’est devenu un peu plus un
thriller de conspiration. Tous mes films ne sont pas tournés de cette façon,
mais celui-ci demandait un tournage à l’américaine, du point de vue
cinématographique et stylistique. Il y a tellement de choses qui se passent
durant ces deux heures et moi j’avais envie d’en dire tellement !
Avez-vous tourné ce film avec l’envie particulière de lui ouvrir les
portes du marché international ?
Nous n’avions pas de film de ce genre
aux Philippines. Nous ne sommes pas vraiment un pays qui fabrique des films
pour Hollywood. Nous ne vendons pas nos films sauf si nous les amenons sur le
marché des festivals. De plus en plus, ce ne sont que les gros films américains
qui arrivent jusqu’aux Philippines. Nous sommes un pays qui consomme
principalement ses propres productions. On commence à sentir une certaine
lassitude des summer blockbusters
américains. Donc en premier lieu, nous faisons
nos films pour le marché local et en deuxième lieu pour le marché
international. C’est notre premier essai de marier les deux. Nous bénéficions d’un
réseau de festivals solide aux Philippines mais aucun ne rayonne suffisamment pour
vraiment être considéré comme une plateforme qui permet les distributions
internationales. Avec On the Job, qui
nous a demandé 4 ans de travail, nous avions vraiment cette volonté de le faire
connaître localement mais également à plus large échelle. Nous avons eu la
chance d’être distribué aux Etats-Unis, en France, et nous serons également
distribués au Royaume-Uni et en Australie.
Comment expliquez-vous que ce film ait trouvé cet écho international ?
A vrai dire, c’est la première
fois que cela nous arrive (rires)
Nous avons un solide circuit de films d’auteur à l’étranger, mais pas vraiment
pour le film grand public. Mais on ne peut pas faire uniquement des films qui
sont destinés au marché international. Mon prochain film par exemple, qui sera
une comédie, est purement local et destiné au marché national. Celui-là, je le
tourne en ce moment. En septembre, j’en tournerai un autre, un drame, dans la
même veine qu’On the Job, qui aborde
un thème universel : le Pyramide Scam (ndlr : le système de Ponzi en français. Une espèce de Jeu de l’avion). C’est un drame dans lequel un couple est recherché par des
investisseurs lésés. Pour le moment nous n’avons pas encore de titre, mais nous
avons reçu de l’argent du gouvernement pour le produire. Le casting est choisi.
On devait le tourner en janvier dernier, mais nous avons déplacé le tournage à
septembre de cette année.
Est-ce que c’est la première fois que vous être membre d’un jury ?
Oui !
Quelles sont vos attentes, vos critères ? Qu’est-ce qui va vous
faire choisir LE film ?
Dans les festivals, certains
films se ressemblent… beaucoup de longs plans, beaucoup d’attente… Ce qui va
retenir mon attention, c’est l’honnêteté. Cela m’est égal, si c’est long,
court, lent, rapide, tant que c’est honnête. Le genre m’importe peu également.
Cela peut être un film fantastique, un thriller ou un film d’auteur, tant que c’est
honnête. Faire des films est quelque chose de spécial. Vous ne pouvez pas juste
parler de tout et de rien… sinon vous faites un téléfilm, un livre ou une
émission de radio. J’ai besoin de voir la patte du réalisateur. Et c’est ce qui
est difficile à constater : l’honnêteté et la vérité du réalisateur.
A quoi reconnaissez-vous qu’un film est honnête ?
Quand il n’y a pas trop de gimmicks. Que le film reste fidèle à sa
forme. Que le réalisateur n’ait pas peur de faire avancer son histoire et d’aller
directement au but. Certains réalisateurs font de l’abstrait pour faire de l’abstrait
(rires) et je pense que cela n’est
pas nécessaire. Tous les grands films vont directement au but. Même des films
comme ceux de Kurosawa ou de Kiarostami vont directement au but, même s’ils
sont lents. Et surtout, pas juste de « jolis longs plans » sur un feu
qui s’éteint… c’est bon, j’ai compris
que le feu s’éteignait, pas besoin de s’éterniser (rires)
Donc vous n’appréciez pas la masturbation intellectuelle ?
La masturbation intellectuelle ne
me dérange pas, tant qu’elle reste honnête. Avec tout ce que l’on voit aujourd’hui,
il est très facile de faire un film avec beaucoup de gimmicks et qui essaie d’être plus important que ce qu’il est en
réalité. Je préfère voir quelque chose de simple et d’ordinaire que d’avoir un
discours super intelligent qui ne repose que sur du vide.
Vous vous réjouissez de cette semaine de juré ?
Je suis très excité ! Hier
soir, je me suis couché très tôt pour être en forme. J’ai 4 films au programme
aujourd’hui. Le jury est un très joli mélange. Cela sera très intéressant de
discuter en fin de semaine. Par exemple, certains de mes collègues ont beaucoup
apprécié le film que nous venons de voir et l’on exprimé… moi je suis resté
muet (rires) Cette semaine va être
très enrichissante.
Propos recueillis le 30 mars 2014
/ST
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