Le Ciné-club universitaire de
Fribourg a eu la gentillesse de me demander de venir parler de Fahrenheit 451
de Truffaut avant sa projection à 19h30. L’occasion pour moi de vous présenter
ce film dans la rubrique « films du grenier ».
Il s’agit du 5ème film
de François Truffaut (il le dit lui-même, bien qu'il en ait fait deux de plus) après Les 400 Coups,
Tirez sur le Pianiste,
Jules et Jim et La Peau Douce. C’est
son premier film en couleur et le seul qu’il tournera en langue anglaise.
C’est en 1960, lors d’un repas
chez son ami Jean-Pierre Melville que Raoul Lévy, qui avait entre autre produit
Et Dieu créa la femme,
lui parle du roman de Ray Bradbury. Truffaut est tout de suite séduit, bien que
n’aimant pas trop la science-fiction et étant peu enclin à écouter des
histoires de martiens. Hors, dans le roman d’anticipation de Bradbury, point de
martiens, mais il est question d’une société où le livre est banni, détruit. L’homme,
privé de lecture est réduit à sa plus simple expression. Cela suffit à
convaincre Truffaut, grand lecteur et amateur de littérature. A l’exception de
deux romans de Henri-Pierre Roché (Jules
et Jim et plus tard Les deux Anglaises et le
Continent), Truffaut n’a jamais adapté de grands classiques de la
littérature à l’écran, leur préférant la littérature anglo-saxonne et le roman
noir. Alors la science-fiction… Truffaut aimait dire que ses adaptations de
romans n’étaient pas simplement des « adaptations cinématographiques de
romans », mais plutôt des « hommages filmés ». Fahrenheit 451 est, à sa façon, un
hommage au roman de Ray Bradbury.
Il aura fallu pas moins de 6 ans
pour que le projet aboutisse. Début 1962, Truffaut se rend à New-York pour accompagner la sortie de Jules et Jim. Il y rencontre Ray
Bradbury. Il négocie les droits du roman pour 40'000 dollars et rentre à Paris
pour se mettre au travail. Truffaut avait d’abord dans l’idée de faire un film
français avec des acteurs français. C’est ainsi que pour endosser le rôle de
Montag, il avait pensé d’abord à Jean-Paul Belmondo, puis à Charles Aznavour
qui avait tourné Tirez sur le pianiste.
Il apparaît très rapidement que le film sera très cher. Tous les producteurs
français se désistent les uns après les autres. En août 1962, Truffaut met ce
projet un peu de côté pour se consacrer à son livre entretien avec Alfred Hitchcock :
Le Cinéma selon Hitchcock, qui reste,
aujourd’hui encore, le livre référence sur le cinéaste britannique.
De retour à Paris, il travaille
avec différents scénaristes ; Jean Gruault, avec qui il venait de
travailler sur Jules et Jim, puis
Marcel Moussy, avec qui il avait collaboré sur Les 400 Coups et sur Tirez
sur le Pianiste. C’est finalement Jean-Louis Richard qui adaptera Fahrenheit 451. Début 1963, le scénario
est prêt, mais il n’a toujours pas de producteurs.
Début 1964, la société de
production de Truffaut, Les Films du Carrosse, est financièrement dans une
situation délicate, ce qui force le réalisateur à sortir un nouveau film. Ce sera La
Peau douce. Un de mes films préférés de Truffaut.
Courant 1964, des producteurs
américains, Lewis M. Allen et Vineyard Film sont intéressés à produire Fahrenheit 451. Mais ils mettent comme
conditions que les rôles principaux soient attribués à des acteurs américains,
ou du moins anglophones et que le film soit tourné en anglais. Truffaut songe
alors à Paul Newmann pour interpréter Montag puis le rôle sera attribué à
Terence Stamp. Pour le double rôle de Linda-Clarisse, Truffaut le confie à
Julie Christie qui est alors en plein tournage de Docteur Jivago. Le rôle de Lara
la rendra mondialement célèbre. Terence Stamp peu convaincu par cette
distribution renoncera finalement au projet. C’est donc Oskar Werner qui sera
Montag.
Reste à trouver un lieu de
tournage. Truffaut pense tout d’abord à l’Italie, à Toronto, à Seattle ou
encore la banlieue parisienne. Ce sera finalement dans les très célèbres
studios Pinewood de Londres que se tournera la majeure partie du film. Toute l’équipe
du film sera anglaise. A relever que le directeur de la photographie n’est
personne d’autre que Nicolas Roeg qui entamera, dès 1970 un grande carrière de
réalisateur, avec notamment comme œuvre phare Don’t look now
avec Donald Sutherland et … Julie Christie. Un film que je ne peux que vous
recommander vivement !
Et niveau musique, Truffaut est
très bien accompagné. Ce n’est rien de moins que Bernard Herrmann qui signera
les partitions de Fahrenheit 451.
Herrmann qui avait déjà signé des partitions aussi fameuses que celles de Citizen Kane, La Splendeur des Amberson
d’Orson Welles, L’aventure de Madame Muir de Mankiewicz ou encore Sueurs froides,
La Mort aux Trousses ou
Psychose d’Alfred
Hitchcock. Rien que ça… Il fait ainsi une infidélité à son complice musical de
toujours, Georges Delerue.
C’est donc en janvier 1966 que le
tournage peut débuter. Le film sortira en septembre de la même année.
L’histoire de Fahrenheit 451 se situe dans un état
dictatorial et futuriste. Les pompiers n’éteignent pas des incendies, mais
brûlent des livres. Une société qui se prive de son histoire en détruisant les
livres a-t-elle un avenir ? Il n’y a pas de lieu précis, ni d’époque
déterminée. Une histoire suspendue dans l’espace-temps. Le pompier Montag, au
contact de Clarisse, découvre la lecture. Le premier livre qu’il tiendra entre
ses mains est David Copperfield de Charles Dickens. Il le découvrira comme en
enfant, suivant les mots du bout de ses doigts. Avec cette première lecture s’impose
très rapidement une question : puis-je être le propre maître de ma vie ou
dois-je laisser la place à quelqu’un d’autre ?
L’écrit est absent de tout le film.
Pas d’enseignes, pas de générique. Le générique de début est récité par une
voix off. L’omniprésence d’écrans télévisuels interactifs dans les maisons, pose
la question du contrôle totalitaire, de l’intrusion d’un régime dictatorial
dans la vie privée des gens. L’absence de réflexion personnelle et le contrôle
permanent.
Le tournage a débuté par la prise
de toutes les scènes qui seront projetées sur les différents écrans (prises de
judo, leçon de maquillage, speakerines). A ce propos, il s’agit toujours de la
même speakerine. Seuls les décors, les vêtements et les perruques changent.
Dans la société recréée par Truffaut, l’humain n’est que peu intéressant puisqu'il peut être travesti à l'envie.
Ce film, dont le malaise
retranscrit à l’écran et la représentation d’un certain déséquilibre, peut
rappeler l’ambiance de certains films d’Alfred Hitchcock se termine néanmoins
sur une note onirique qui peut rappeler l’univers de Jean Cocteau. Un monde où
les hommes deviennent objets. Mais pas n’importe quels objets : des
livres.
ST/16.03.2014
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