D’ordinaire, il m’arrive d’être
émue pendant le FIFF, mais rarement je n’aurai été saisie avant même qu’il ne
commence. Ce fut le cas ce midi.
Ma première projection avait lieu
à 12 heures tapantes ! R… ne répond plus des frères Dardenne était au programme et
le duo belge était attendu. Il va sans dire que la cinéphile que je suis trépignait
d’impatience depuis le jour de l’annonce de leur venue. Avoir eu la chance d’échanger
quelques mots avec eux, de sourire avec eux, et de prendre une photo souvenir
ont eu raison de toutes mes bonnes résolutions, c’est-à-dire ne pas pleurer
tout le temps… l’émotion était trop forte. Et lorsqu’Elise Domenach, la
curatrice de la section Sur la carte de… me confie qu’elle-même est très émue, cela me réconforte. Je
ne suis ni une groupie, ni une midinette! Juste une grande cinéphile
sensible. Tant qu’on n’est pas blasé, la vie est sauve !
R… ne répond plus, un
documentaire de 50 minutes tourné à la fin des années septante, qui nous plonge
dans l’univers des radios-libres. La particularité de bon nombre de ces radios
est de diffuser dans l’illégalité. Elles revendiquent une plus grande liberté d’expression
et la fin du contrôle étatique sur le domaine de la radiodiffusion. Le but
ultime est de partir à la recherche du réel, de ce qui touche vraiment les gens,
sans que cela ne passe par le prisme du politiquement correcte. La parole est donnée
aux auditeurs qui choisissent la programmation musicale, mais qui peuvent
également faire passer des messages à des membres de leur famille qui sont
emprisonnés, par exemple. Un documentaire au charme désuet et au montage sonore
qui pourrait faire penser à Very nice, very nice d’Arthur
Lipsett.
Jean-Pierre et Luc Dardenne |
Après un voyage dans le temps, c’est
un voyage vers une île que l’on fantasme tous qui m’attendait : Madagascar !
Le curateur de la section Nouveau Territoire, Laza, possède un
charme pétillant et un enthousiasme communicatif. Le malgache a dégainé son
smartphone pour photographier la salle en nous disant : « Je vous prends en photo, parce qu’à partir
de maintenant, vous faites partie de l’histoire du cinéma malgache ! ».
L’émotion de venir présenter le cinéma de son pays se transmet à toute la salle
qui d’emblée est conquise par le directeur du Festival du film court de
Madagascar. Je ne saurai que trop vous recommander d’aller assister à une
prochaine projection de ces courts métrages « documentaires ». Le
second, Le Prix de l’Effort de Nantenaina Rakotondranivo (merci ctrl+C
puis ctrl+V… ça sert quelques fois…) vaut particulièrement qu’on s’y arrête.
Hervé Adrien s’est mis en tête de débarrasser la décharge à ciel ouvert d’Andralanitra
de tous les sachets en plastique qui jonchent son sol, pour, en les mélangeant
à du gravier, en faire un ersatz de goudron pour combler les trous dans les
routes ou créer des sentiers pédestres plus praticables. La qualité de ce court
est bluffante. A voir, donc.
Le Prix de l'Effort |
Ce fut aussi l’entrée dans la compétition internationale de longs
métrages avec Lock Charmer
de Natalia Smirnoff. Ce film argentin, à la fois tragique et poétique, est empreint
de délicatesse. Sebas, serrurier de métier, et collectionneur de boîtes à
musique, se découvre le don de dire les quatre vérités à ses clients. Vérités
qui sortent de sa bouche sans qu’il puisse les retenir. Confronté dans sa propre
vie à des décisions délicates à prendre, se questionnant sur ses sentiments,
sur ses réels espérances et envies, Sebas utilise son don pour se venir en aide.
Entre cliquetis de boîtes à musique et grincements de serrures, laissez-vous
porter par la poésie qui se dégage de ce film. Bien que les thèmes abordés
soient dramatiques.
Gigi, Monica… et Bianca de
Yasmina Abdellaoui et Benoît Dervaux m’a quant lui profondément bouleversée. Nous
sommes au milieu des années 90 et nous suivons Gigi et Monica. Deux adolescents
fous amoureux qui (sur)vivent, tant bien que mal, dans le ventre de la gare de
Bucarest. Monica est enceinte. Où élèveront-ils leur enfant ? Ont-ils un
avenir ? Ce film m’a replongée dans un voyage que j’ai fait en Roumanie en
1997. J’en ai certainement croisé des Gigi et des Monica, sans le savoir…
Quant à Moebius de Kim
Ki-Duk, il me laisse en suspension. Je suis incapable de vous dire si j’ai aimé
ou détesté ce film. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il exerce un pouvoir de
fascination. Je ne sais s’il doit être pris au 1er, au 2ème
ou au 47ème degré. Par moment haletant, prenant, puis presque drôle (mais là
encore, je suis aussi incapable de vous dire pourquoi je riais) ce film est une
énigme. Bien qu'ayant vu Sex and Zen et L’Empire des sens,
deux films qui montrent des amputations de pénis, le dernier opus du Kim Ki-Duk ressuscité reste inclassable. Dénué
de tout dialogue, et presque totalement de musique, ce n’est qu’avec la bande-son
poussée au maximum que le réalisateur sud-coréen communique. A toi,
spectateur, de te faire ta propre opinion. Bien que l’obsession
sexuelle de notre société soit mise en avant, les victimes collatérales de ce
genre de comportement, les ados en l’occurrence, ne sont pas mis de côté pour autant. Au
contraire. C’est l'histoire d'un fils qui est pris au piège entre les infidélités de son père et
la folie de sa mère. Viol collectif, castration, sadomasochisme, Œdipe douteux,
vous ne ressortirez pas indemnes de ce film provocateur et dérangeant. Peut-être serez-vous comme moi, en train d’hésiter entre génie et « dinguitude »…
ou comme dirait mon amie Sandra, reine de la métaphore : « C’est un peu comme si tu te trouvais en face
d’une marguerite dont tu ignores le nombre de pétales… », le nombre de pétales étant, dans le cas
précis, infini.
Entre l’émotion, à peine voilée,
de Thierry Jobin au moment de dédier cette édition du festival à son ami
Mohammad Rasoulof et le discours geek du Conseiller Fédéral Alain Berset, qui a
mis en avant qu’il n’y avait pas qu’un discours binaire, j’aime-j’aime pas, noir ou blanc,
ou tenant dans un tweet de 140 caractères, mais qu’il existe un langage plein
de nuances, celui du FIFF, je crois que cette 28ème édition est bel
et bien lancée… et de façon magistrale.
Trois questions à Laza, curateur section Nouveau Territoire Madagascar :
Laza |
Qu’est-ce que cela vous fait de venir présenter des films malgaches à
Fribourg ?
Beaucoup d’émotions. On est en
train d’écrire l’histoire du cinéma malgache en fait. C’est inédit dans l’histoire
du cinéma malgache. Parmi les films que l’on va montrer, la moitié sont des
premières mondiales et c’est la première
fois que l’on va les voir sur grand écran. C’est très émouvant.
Comment définiriez-vous le cinéma malgache ?
Je pense qu’en l’état actuel, c’est
un cinéma d’urgence. Les salles de cinéma ont fermé pendant plus de 20 ans dans
le pays. Donc un jeune de 20-25 ans n’a jamais vu un film en salle de sa vie.
On a tellement cette envie de raconter des histoires avec rien, parce qu’il n’y
a pas d’industrie, il n’y a pas d’argent pour faire des films, que chaque film
qui aboutit est un film utile.
Que souhaitez-vous que les festivaliers retiennent du cinéma malgache ?
Que pour une fois, ce sont les
malgaches qui racontent leurs propres histoires. Depuis très longtemps, ce sont
des étrangers qui racontent nos histoires. Nous avons enfin l’occasion d’offrir
un point de vue original de ce qui se passe chez nous. De vivre les choses de l’intérieur.
J'y vois beaucoup d’espoir. Au niveau politique il y a beaucoup de problèmes, mais
il y a toujours et encore de l’espoir. C’est ça que j’ai envie de célébrer.
ST / 29.03.2014
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