Solomon Northup. Voilà un nom que
vous n’êtes pas prêts d’oublier. 12 Years
a Slave est l’adaptation de l’autobiographie de cet homme noir, fils d’esclave
affranchi, né libre dans l’Etat de New-York. Charpentier et violoniste,
Solomon, sa femme et ses enfants vivent sereinement jusqu’au jour où il est
kidnappé et vendu comme esclave dans une plantation de Louisiane. Ses papiers,
justifiant sa liberté, lui sont dérobés. Il lui est impossible de
prouver son identité. Il s’appellera désormais Platt.
Son premier maître, William Ford,
est plutôt bienveillant. Il est à l’écoute des conseils de Platt pour améliorer
le transport des arbres. Mais les qualités de Platt créent des jalousies, notamment
celle du charpentier de Ford, lequel tentera de le tuer, contraignant Ford à le
revendre à un autre maître : Edwin Epps (un Michael Fassbender affolant de
cruauté).
Epps, propriétaire impulsif et
cruel, est convaincu que la Bible l’autorise à maltraiter ses esclaves. C’est
désormais dans les champs de coton que Platt va passer sa vie et tenter de
survivre. Il y rencontre Patsey (bouleversante Lupita Nyong’o), jeune esclave
qui récolte des quantités impressionnantes de coton, bien que toute frêle. Sa
beauté crée la jalousie de la femme d’Epps qui régulièrement la bat et la
dévalorise encore plus que les autres esclaves, tandis qu’Epps la viole régulièrement.
Entre brimades, tortures et trahisons, Platt mettra 12 ans à prouver qu’il est
un homme libre.
Grand adepte des plans-séquences,
le réalisateur britannique Steve McQueen nous en livre quelques-uns qui resteront
à coup sûr gravés dans les mémoires. Par exemple celui, quasi insoutenable, où Platt, pendu à un
saule pendant des heures, le bout des pieds glissant dans la boue, ne décroche
aucun regard de ses compagnons d’infortune. C’est la mise en image de la
résignation de la plupart de ces hommes et de ces femmes. Trop effrayés de
prendre la parole, de sortir du rang, par crainte des représailles, souvent
inhumaines, de leur maître. Dans la grande misère, c’est chacun pour sa gueule.
Un autre magnifique plan-séquence est ce long close-up silencieux sur Northup (Chiwetel
Ejiofor, poignant d’humanisme) qui nous arrache le cœur.
McQueen, qui a cette capacité
incroyable à mettre l’humain au centre de son œuvre - ce qui était déjà le cas lorsque l'Imperial War Museum le nomma artiste de guerre officiel en Irak et qu'il lui est impossible de filmer le conflit, il réalise alors des portraits sur timbres de familles de soldats morts au combat -, nous prouve une nouvelle
fois, après Hunger et Shame, qu’il est un cinéaste
d’exception. Il met en permanence l’humain face à ses contradictions : Ford,
maître bon et généreux qui pourtant n’est pas prêt à rendre sa liberté à Platt
parce qu’il est criblé de dettes ; le mauvais maître (Epps), complètement
fou, mais seul, incapable de battre ses esclaves sauf lorsque son épouse le met
face à son manque de virilité ; ce contremaître qui boit pour oublier ce
qu’il inflige aux esclaves ; les esclaves eux-mêmes, qui ayant perdu
espoir mettent toutes les chances de survie de leur côté en fermant les yeux et
en se taisant. Une morale, des valeurs, brisées par un système totalement
déshumanisé.
Bien que s’attachant à un pan
particulier de l’histoire, à une période charnière précédent la Guerre de
Sécession et l’abolition de l’esclavagisme, 12
Years a Slave ramène à des questions
contemporaines. McQueen questionne notre capacité à nous indigner. Sommes-nous
tout autant capables d’empathie lorsqu’un réfugié ne peut produire
ses papiers que lorsque Northup se fait voler les siens? En ce sens, le
cinéaste britannique ne cherche pas à nous émouvoir à tout prix, bien qu’il y
parvienne, mais cherche plutôt à réveiller notre sens moral et à garder notre
conscience en éveil.
Le plus beau film sur l’esclavage
jamais filmé ? Possible. Certain. D’une radicalité effrayante, frôlant l’insoutenable
par instant, 12 Years a Slave est un oxymore cinématographique : beauté des
cadres, des images, des lumières et horreur du propos, des scènes. S’il y a un film à voir en ce moment, c’est
bien celui-ci.
ST / 07.02.2014
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