Après avoir quitté la Pologne à
14 ans, être passé par l’Allemagne, l’Italie, après avoir étudié en Angleterre,
Pawel Pawlikowski retourne dans le pays qui l’a vu naître pour nous livrer un
film intimiste et contemplatif.
Le réalisateur nous invite dans
la Pologne du début des années 60. Cette Pologne qui porte encore les stigmates
de l’envahisseur nazi et qui enterre ses morts aux sons de l’Internationale.
C’est dans ce contexte que nous faisons connaissance avec Anna (la lumineuse Agata Trzebuchowska), une jeune orpheline recueillie par des
nonnes, et qui s’apprête à prendre le voile.
Avant de s’engager, la mère supérieure l’informe qu’un seul membre de sa
famille est encore en vie : sa tante, Wanda Gruz (Agata Kulesza).
Elle part à sa rencontre et découvre qu’en réalité elle est née Ida Lebenstein
et qu’elle n’est pas catholique, mais juive. Les deux femmes quittent la ville
et partent à la rencontre de ceux qui auraient pu connaître les parents d’Ida.
Ida découvre petit à petit la tragédie qu’ont vécue ses parents. Elle découvre également une Pologne scindée
en deux : d’une part ce pays jeune qui tente de renaitre de ses cendres
sur des rythmes jazzy et d’autre part cette Pologne qui tente de panser ses
blessures en se tournant vers la religion, estimant qu’elle est la seule
planche de salut.
Sa tante, militante communiste, ancienne juge, échappe à sa mémoire, à ses
douleurs intimes, en menant une vie quelque peu marginale, sombrant petit à
petit dans l’alcoolisme. Elle tente de faire comprendre à sa nièce qu’elle
n’est pas obligée de suivre un chemin que sa condition d’orpheline tend à lui
imposer. Tant qu’elle n’a pas connu le plaisir des sens, comment sa prise de
voile pourrait être considérée comme un renoncement ? C’est en rencontrant un jeune saxophoniste
qu’Ida sera confrontée, pour la première fois de sa vie, au libre arbitre. Elle
choisira quelle sera sa vie.
C’est un vrai poème mis en images que nous livre Pawel Pawlikowski. Une
œuvre teintée de mélancolie. Une beauté nue. Pas d’élément superflu pour
détourner notre attention du sujet principal du film : la quête de soi.
Les décors sont sobres, les dialogues et la musique quasi inexistants,
représentant bien la réalité de la jeune novice qui appartient à un ordre
contemplatif. Si la musique apparaît, c’est qu’elle émane d’un objet qui prend
sa place dans la scène: une radio, un électrophone ou un
orchestre de jazz. La musique ne sert jamais à remplir le vide. A la fin du
film, la seule fois où la musique surgit de nulle part, il s’agit d’un choral
de Bach, « Ich
ruf’ zu Dir, Herr Jesus Christ », symbolisant la
présence divine et la vie qui sera désormais celle d’Ida.
Visuellement, c’est orgasmique ! Chaque plan est d’une beauté
affolante ! Pawlikowski cadre, ou plutôt décadre, de façon prodigieuse. Il
place les visages dans les limites inférieures du cadre, laissant un espace
immense au-dessus de leurs têtes. Ces décadrages peuvent-ils symboliser la
pression du divin ? En opposition, il fait des plans au ras du sol,
filmant des pieds, des chaussures. Je vous assure que cela donne des frissons.
De plus, la lenteur de l’enchaînement des scènes, le choix du noir et blanc,
fait immanquablement penser au cinéma du hongrois Belà Tarr,
grand adepte des plans séquence quasi immobiles. Mais si l’on se concentre sur les
gros plans d’Ida, on pense obligatoirement au visage de Renée Falconetti dans La
Passion de Jeanne D’Arc de Dreyer. Peut-être qu’Ida vit
aussi, à sa façon, sa passion. Mourir à l’ancienne Anna et renaître en Ida.
C’est un film coup de cœur que je vous recommande vivement. Un film dont la beauté
ne s’exprimera que pleinement sur grand écran.
20.02.2014 / ST
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