"Ton amant vient aujourd'hui?"... Madame acquiesce tout en nettoyant la moquette. Bienvenue dans L'Amant d'Harold Pinter, ou quand l'infidélité s'invite dans le quotidien d'un couple banal.
Sarah et Richard sont mariés depuis de nombreuses années. Ils sont installés dans un joli petit pavillon de banlieue. Monsieur travaille dans la finance, Madame s'occupe de l'entretien du ménage. Sarah voit plusieurs fois par semaine son amant. Richard le sait, l'approuve et fait en sorte de toujours rentrer à la maison une fois les ébats adultérins terminés. Lui-même voit sa "pute" régulièrement. Ces deux-là jouent la carte de l'honnêteté. Pourquoi cacher ce qui est si souvent tu? A priori, c'est le "bonheur rangé dans une armoire".
En réalité, Pinter nous plonge en voyeurs au sein d'un couple qui, après plusieurs années de vie commune, cherche à pimenter sa vie. Ils ne sont pas malheureux et leur couple ne bat pas de l'aile. Ils ont de l'imagination et se créent des jeux érotiques. Chacun devient l'amant, la maîtresse de l'autre. Sarah voit Max, parce que comme bon nombre de femmes, elle cherche ce qu'elle pense ne pas avoir. Richard va voir sa "pute" - comme il l'appelle - parce qu'il lui est impossible de concevoir que sa femme, mère et ménagère, puisse endosser ce rôle dans l'intimité de leur chambre à coucher. Leurs désirs, leurs envies s'entrechoquent, mais ne se répondent pas. Chacun est enfermé dans ses fantasmes. Ils pensent communiquer, mais le dialogue est rompu. L'ennui s'installe. La folie guette. Petit à petit, l'absurde de la situation se révèle et nous laisse, nous spectateurs, terrifiés. Le désamour est en marche. Nous entrons dans un labyrinthe, celui de l'amour et de la psyché humaine. Lequel des deux rendra l'autre fou?
Raoul Teuscher, qui signe aussi la brillante mise en scène, est troublant de justesse dans le rôle de Richard, cet homme en proie à des pulsions desquelles il essaie, tant bien que mal, de se libérer . Quant à Anne Vouilloz, sublime comédienne, elle passe de la femme d'intérieur modèle à la femme fatale avec une aisance déconcertante.
Pourquoi un tel article sur un blog consacré au cinéma? J'y viens...
Le décor tout d'abord. Signé Carole Favre, il dépeint un univers très 50'. Un intérieur coquet, rangé, propre. Chaque chose à sa place. L'astuce? Les murs en tulle. Nous avons le pouvoir de voir à travers les murs, sans être physiquement dans la maison. Ce qui n'est pas sans rappeler "Fenêtre
sur cour" d'Alfred Hitchcock. La blondeur de Sarah ramène également aux beautés glaciales chères au maître du suspens. Ensuite, la mise en scène de Raoul Teuscher. Caméra vidéo, sous-vêtements, cigarettes, jeux SM, perversion, tortures psychologiques.... autant d'éléments qui peuvent se rapprocher de l'univers de David Lynch. La mise en scène fait ressentir de manière très forte l'étrangeté du monde dans lequel évolue Sarah et Richard. Son côté sordide aussi. De plus, on sent très fortement l'empreinte du cinéma américain des années 50 dans les jeux de lumières. Les lamelles de stores dont les ombres se dessinent sur Sarah, en trench beige, lunettes noires et high heels rouges, en sont un bel exemple.
C'est une pièce haletante, qui coupe le souffle. Heureusement, les personnages ne sont pas dénués d'autodérision et quelques pointes d'humour - noir - nous donne un peu de répit. Mais nul doute, Pinter signe-là une pièce qui nous saisit à la gorge et nous met face à nos paradoxes et nos ambiguïtés. Chacun de nous se reconnaîtra ça et là... et chacun de nous se perdra aussi. Comme diraient les Rita Mitsouko: les histoires d'amour finissent mal, en général... Et en particulier?
Crédits photos: Jeremy Bierer
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