Comme de nombreuses personnes qui ont vu A THOUSAND GIRLS LIKE ME, j'ai été bouleversée par l'histoire de Khatera, cette jeune afghane qui a eu le courage de briser le silence. Violée depuis son enfance par son père, plusieurs fois enceinte et battue jusqu'à perdre les bébés, elle est aujourd'hui mère de deux enfants qui sont également ses frères et sœurs. Des liens familiaux fragiles, complexes, porteurs d'une histoire terrifiante. Mais Khatera n'est qu'amour pour ses enfants. Elle a un rêve pour eux: qu'ils grandissent libres, remplis d'amour et qu'ils aient accès à l'éducation.
Lorsque l'opportunité de rencontrer la réalisatrice de ce puissant documentaire s'est présentée, je ne pouvais que saisir cette occasion. J'ai donc rencontré Sahra Mani, réalisatrice afghane de 37 ans. Une femme solaire et forte, courageuse et pleine d'espérance pour son pays et pour les femmes qui l'habitent.
Je suis arrivée un bouquet de fleurs des champs sous le bras, premier jour du printemps oblige. Ma façon de la remercier pour son film, mais aussi comme un symbole, qu'à l'image de la nature qui se réveille, nous aussi, nous ouvrons nos yeux sur des réalités qui parfois nous échappent.
Sahra Mani - FIFF 2019 |
J'ai grandi en tant qu'enfant réfugiée en Iran, sans accès à d'éventuelles études, sans autorisation pour mes parents de travailler. J'ai quand même reçu une éducation dans des écoles privées. C'était une vie assez difficile. A 20 ans, je suis partie en Angleterre pour mes études. J'ai obtenu mon Master en réalisation de films documentaires. J'ai toujours eu l'envie de rentrer en Afghanistan à la fin de mes études. Je savais pertinemment que je voulais rentrer au pays, j'avais besoin de forces, et ça passait par l'éducation, afin d'avoir les outils nécessaires pour être utile à mon pays. J'ai toujours cherché de petites opportunités pour devenir plus forte qu'une jeune femme réfugiée qui n'a rien si ce n'est trouver peut-être un petit job ou un mari pour survivre. Je suis toujours à la recherche d'outils supplémentaires pour devenir plus forte.
Aujourd'hui, vous vivez à Kaboul...
Oui, je vis à Kaboul. Et j'aime ma ville. J'espère qu'un jour elle deviendra une ville sûre que les touriste pourront visiter et découvrir. Les afghans sont des gens chaleureux, qui aiment recevoir. Nous avons des traditions culinaires, vestimentaires, des costumes et nous avons envie de les partager avec les gens de tous horizons. L'Afghanistan, c'est bien plus que la guerre, la corruption, l'opium ou les violences domestiques. Les belles choses sont dans notre sang, notre cœur. Toutes ces belles choses sont cachées derrière la guerre, les talibans... tout est malheureusement caché.
Comment avez-vous rencontré Khatera pour la première fois?
J'étais chez moi à la maison, à Kaboul, et je regardais la télévision. J'ai vu une toute jeune femme, assise dans une grande chaise, qui parlait d'une des histoires les plus horribles que j'aie entendues, entourée d'hommes. Tout mon corps s'est mis à trembler. Je me suis dit que je devais la trouver et lui venir en aide, un peu comme une grande sœur. Cette jeune femme était en train de parler des choses affreuses que lui a infligé son père, au milieu d'autres hommes. Elle savait ce qu'ils pensaient d'elle, et elle a tout de même parlé. Vous savez les femmes dans mon pays sont considérées comme des objets sexuels, pour la plupart d'entre elles. J'avais mal pour elle. La solitude de cette jeune femme qui osait parler. Finalement je l'ai rencontrée et l'idée du film est venue en premier d'elle. Elle avait une histoire à raconter, la sienne. Sa personnalité m'a touchée. C'est sa force, son charisme, sa beauté, qui m'ont décidée à faire ce documentaire. Vous savez, je crois que j'ai réussi à attraper certains moments d'une rare intimité. Et ces moments, personne ne pourra plus jamais les recréer. C'est pour ces moments que j'ai vécu avec elle si longtemps. Le documentaire est tellement proche de notre cœur. C'est proche de nous, de notre humanité. J'aime le cinéma de fiction, et je le respecte profondément, c'est vraiment le 7ème art. Mais j'ai choisi la forme documentaire, car c'est un témoignage de notre temps. Et le présent est ce qui va construire notre histoire.
J'ai lu que vous étiez la seule femme impliquée dans la production de votre film?
Durant le tournage chez Khatera, oui. Quand le tournage s'est terminé en Afghanistan, je suis partie à la recherche d'une équipe de production. Mais l'histoire était tellement forte et lourde, que j'ai reçu beaucoup de réponses négatives de la part de producteurs et de diffuseurs. Ils ne voulaient pas courir le risque d'investir sur cette histoire. Finalement, petit à petit, j'ai constitué une équipe en France pour la post-production.
Etiez-vous toujours seule avec Khatera et sa famille?
Durant le tournage, oui. Toujours. En dehors de l'appartement, j'étais aidée, mais chez elle à la maison, j'étais toujours seule. Je ne voulais pas briser l'intimité qui s'était créée.
Justement, comment êtes-vous arrivée à créer cette intimité et cette relation de confiance avec Khatera?
Vous savez pour faire un film sur des gens, vous devez obtenir leur confiance. Une fois que vous avez obtenu leur confiance, ils vous facilitent aussi le travail. Ils ne peuvent pas toujours se cacher, il arrive un moment où ils vous livrent ce qu'ils sont vraiment. Elle savait que je devais avoir accès à sa vie. Elle a choisi de me faire confiance. Elle savait aussi que, quelque part, ce film allait sauver sa vie. Elle ne me l'a jamais dit, mais je l'ai fortement ressenti. Quand ses frères m'ont mise à la porte, plusieurs fois, elle me recontactait et me disait de revenir. C'était complètement fou! Elle savait que c'était son dernier espoir. Pour moi aussi, la vie de Khatera était plus importante que réaliser un film. Je suis cinéaste et réaliser des films est la chose plus importante au monde. Je suis juste une cinéaste. Mais, dans ce cas, j'ai compris que si je ne pouvais pas réaliser ce film, j'en ferais un autre. Mais si Khatera perdait sa vie, elle ne reviendrait pas. Parfois j'en oubliais même mon film. Je laissais mon matériel à la maison et allait lui rendre visite. Et j'ai compris qu'en fait, nous étions réellement seules. Seules. Tout le monde autour d'elle la considérait comme une prostituée qui amenait la honte sur son père. A travers ce documentaire, alors que je ne recevais aucun soutien, je voulais montrer les enjeux politiques à travers les femmes, le droit des enfants, comment la résilience et l'amour pouvaient nous sauver. Personne ne me soutenait. C'était la même chose pour elle. Personne ne donnait du crédit à sa parole.
Comment expliquez-vous que Khatera a toujours cette capacité d'aimer ses enfants, malgré l'horreur qu'ils incarnent quelque part? Où va-t-elle chercher cette force?
Je crois que c'est exactement ce qui nous fait aimer Khatera. Elle est très pure. Elle focalise sur le fait de donner de l'amour plutôt que d'alimenter la vengeance. Elle ne cherche pas une façon d'extérioriser sa peine, elle ne donne que de l'amour. C'est la seule solution qu'elle ait trouver pour assimilier et digérer les horreurs qu'elle a subies. C'est sa façon de survivre. J'ai beaucoup appris de Khatera. Je ne suis plus la même personne qu'avant le tournage de ce film. Elle était suffisamment sage pour comprendre que repenser constamment à ce qu'elle avait subi n'allait pas lui apporter de l'espoir ou des solutions pour s'en sortir. Ses enfants n'ont pas de père. Elle pensait au plus profond d'elle que si elle ne donnait pas d'amour à ses enfants, qui allait leur en donner? C'est une énorme capacité de résilience. Ces deux petits êtres sont nés dans ce monde, ils n'ont rien demandé.
Vous avez passé trois ans avec elle. Vous êtes-vous parfois sentie en danger?
Oui, parfois. Je n'ai pas mis dans mon film à quel point j'étais effrayée par moment et je me sentais menacée. Au départ, lorsque je la visitais, on me disait que c'était une menteuse qui cherchait à attirer la honte sur sa famille. Que je ne pouvais savoir la véritable histoire qui se déroulait sous le toit de cette maison. On me disait que Khatera recevait beaucoup d'hommes et que si je continuais à la fréquenter, je courais des risques. Non seulement j'étais une femme seule avec du matériel coûteux, qui valait plus que toute la maison, mais je fréquentais une menteuse. Mais dans les yeux de Khatera, je ne voyais que de l'innocence. Elle est plus jeune que moi, elle est plus belle que moi, enceinte, comment pouvais-je la laisser seule, rentrer chez moi, regarder la télévision et profiter de ma vie? Je lui ai fait confiance, avec mon cœur et pas avec ma tête. Je lui ai fait confiance à la première seconde.
Vous avez toujours du contact avec elle?
Oui, nous avons parlé la semaine dernière et nous nous sommes rencontrées alors que j'étais en France pour un festival il y à quelques mois. Mais vous savez, lorsqu'elle est arrivée en France, je suis restée avec elle durant les deux premiers mois. J'ai vécu avec elle et regardé comment je pouvais lui venir en aide. Beaucoup de femmes françaises l'ont aidée et soutenue. Elle a un fiancé aujourd'hui, donc elle n'est plus toute seule. Elle parle le français, va à l'école. Petit à petit, je réduis mon contact avec elle. Elle a sa nouvelle vie, elle doit se reconstruire. Nous sommes amies, mais je ne me sens plus responsable d'elle comme par le passé. C'est impossible pour moi et ce ne serait pas bien pour elle. Ce ne serait pas lui rendre service.
Est-ce que votre documentaire a été projeté en Afghanistan?
Oui, trois fois.
Quelles ont été les réactions?
Plutôt bien. Le film a été soutenu, en particulier par de jeunes femmes et des féministes et certains activistes dans le domaine des droits humains. J'ai eu quelques mauvaises réactions et des menaces aussi. Certaines personnes voulaient envoyer Khatera en prison pour 20 ans. Ils n'aiment pas Khatera et ils ne m'aiment pas non plus. J'ai donné une image réelle de la part sombre d'une partie des afghans. J'ai montré leur face sombre. Les gens n'aiment pas lorsque l'on mettre cette part de la société. Peut-être parce qu'ils en ont peur. Peut-être ont-ils aussi peur d'eux-mêmes et de ce dont ils sont capables. Vous savez, il y a des réalités que l'on préfère ignorer, par confort. Et lorsqu'on vous y confronte, c'est comme une gifle en pleine figure!
Pouvez-vous travailler librement dans votre pays?
Pas tout le temps, non. Parfois je ne me sens pas en sécurité. Parfois j'ai vraiment besoin de protection. Mais je fais ce que j'ai à faire. J'espère que tout se passera bien et que je pourrai continuer mon travail. Bien sûr la peur ne m'accompagne pas au quotidien, mais j'y pense parfois. Je reçois beaucoup de messages, notamment sur les réseaux sociaux, qui me disent :"Pourquoi est-ce que tu montres une face sombre de notre pays? Pourquoi tu mets la honte sur notre pays? Pourquoi tu parles des afghans qui baisent leurs propres filles? Pourquoi tu parles des musulmans comme étant des baiseurs?" Alors ils me proposent d'autres sujets de films... mais je continue.
Quels sont aujourd'hui vos espoirs pour les femmes afghanes?
Vous savez les femmes afghanes n'attendent pas d'un gouvernement qu'il leur apporte la liberté et des droits. Elles se battent tous les jours et elles sont beaucoup plus loin que la vision dont peut en avoir l'occident. Elles sont fières et courageuses. Elles travaillent tellement dur pour leurs libertés et pour avoir des droits équivalents à ceux des hommes dans ma société. Mais tout dans ce monde dépend de décisions politiques. En ce moment, les USA ont des discussions avec les talibans pour les ramener au pouvoir. Mais personnes ne considère les droits des femmes, encore moins les talibans. Les talibans ne sont pas juste une force politique, ce sont des idéologistes. Ils combattent avec leur idéologie. S'ils reviennent au pouvoir, avec leur idéologie qui est contre la femme, ils vont détruire ce que nous avons réussi péniblement à acquérir et nous allons retourner 1000 ans en arrière. Plus aucune femme ne pourrait prendre la parole comme Khatera et plus aucune femme ne pourrait faire un film comme je l'ai fait. Vous n'entendriez plus parler des femmes afghanes.
Ma dernière question vient d'une amie afghane, née en Suisse. Elle s'appelle Sara, comme vous. Elle n'est jamais allée en Afghanistan, mais a des liens très fort avec son pays, sa culture et sa langue. Sa question est la suivante: que peut-on faire depuis ici pour aider les femmes afghanes?
Pour reconstruire l'Afghanistan, une des meilleures choses à faire est d'investir dans les arts, la culture et l'éducation. Actuellement, la plupart des fonds récoltés à l'extérieur du pays est investie dans l'armée. Nous devons trouver un moyen d'offrir de l'éducation et comment construire des écoles. Est-ce que cela passe par des parrainages, comme cela se passe en Inde par exemple? Peut-être. C'est difficile pour moi de répondre. Nous devons y penser et surtout, parler. Ne jamais plus se taire. Nous ne voulons pas d'argent, mais n'oubliez pas les femmes dans toutes vos décisions politiques. C'est un long chemin. C'est un travail à faire sur plusieurs générations. Mais donner accès à l'éducation est probablement la chose la plus importante.
ST/ 21 mars 2019
Bonjour Stéphanie
RépondreSupprimerJe viens de lire votre article, j en suis toute émue et reconnaissante. Jai été bouleversée par ce documentaire et la force, la beauté de Khatera
Merci
Salut cordial .
Claudine
Greaat blog I enjoyed reading
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