Quelle joyeuseté dans la déprime !
Gilliam, avec son humour toujours aussi corrosif, réussit là où certains
cinéastes se perdent dans le drame et la mélancolie gratuite. Le réalisateur de
L’Armée des 12 Singes
sublime une nouvelle fois la solitude à laquelle nous sommes toutes et tous
condamnés.
Dans un Londres futuriste, aux
décors colorés, kitsch et toujours aussi organiques – on ne peut s’empêcher de
penser à Brazil – évolue Qohen
Leth (chauve, psychotique et tendre Christoph Waltz). Ce personnage sombre,
paniqué à l’idée de devoir côtoyer ses congénères essaie chaque année de se
faire réformer afin de pouvoir travailler depuis la maison, persuadé qu’il est
en train de mourir. Incapable d’éprouver des sentiments autres que la peur, il s’isole
dans sa maison, une ancienne église calcinée, dans l’attente d’un coup de
téléphone qui, selon lui, devrait donner un sens à sa vie. Emmuré dans sa
solitude, ce génie de l’informatique, ne s’exprime que par le « nous ».
Façon très symbolique de ne pas se mettre en relation avec son propre « soi ».
Il travaille pour un mystérieux patron,
Management (diabolique Matt Damon), aussi caméléon qu’omnipotent. Ce dernier
décide de confier à Qohen un travail particulier : résoudre le Zero
Theorem.
Le travail de ce solitaire sera
perturbé par la rencontre avec Bainsley (délicieuse et mutine Mélanie Thierry)
et par quelques personnages loufoques comme Joby (irrésistible David Thewlis), Bob, le fils surdoué du patron (Lucas Hedges) ou encore le Docteur Shrink-Rom (délirante Tilda Swinton).
Au contact de ces êtres loufoques,
Qohen va redécouvrir la compassion, l’amour et le désir qui vont être les clés
de la compréhension de son existence.
Pat Rushin est à l’origine du
scénario de Zero Theorem. Presqu’une
première pour Terry Gilliam qui d’ordinaire est scénariste de ses films. Certes,
on ne peut pas nier que Rushin est proche de l’univers de Gilliam, tant ce
scénario fait penser à Brazil, tourné quelques
30 ans plus tôt. Certains thèmes sont récurrents : l’univers est sombre et
pessimiste. Les aspects les plus horribles de notre société sont exacerbés dans
ce futur orwellien. La technologie est désignée comme étant le grand mal de notre
société, isolant les individus, les rendant incapables de communiquer de façon
naturelle. Et Qohen essaie de s’en extraire par l’isolement. Par la fuite de
toute relation avec le monde extérieur, se réfugiant dans certains plaisirs
virtuels, balayant d’un revers de main les sentiments humains lorsqu’ils se
présentent. Surtout ne rien ressentir. Se préserver des émotions dans ce monde
qui fait de lui un esclave.
Dans cet univers singulier, très
poétique au demeurant, tout n’est que désenchantement. Mais le plus virtuose
des Monty Python distille savamment son humour au vitriol et ses personnages
déjantés sur toute la durée du film. A relever la performance de Mélanie
Thierry qui ne tombe pas une seconde dans la caricature et qui donne du piquant
et de la douceur – eh oui – à la sculpturale et provocatrice call-girl.
Si dans la majorité des films du
cinéaste les héros ont pu s’extraire de leur réalité par l’imaginaire et le
rêve (notamment dans Brazil), ou par des
drogues (Las Vegas Parano), il
n’en est rien ici. Rien, absolument rien de peut sauver l’humanité qui court à
sa perte. Totalement désespéré et délicieusement dépressif, Zero Theorem, reste tendre et touchant,
grâce aux personnages de Qohen et de Bainsley. Il reste que ce film est
exigeant. Qu’il soulève un nombre de questions invraisemblable auquel aucune
réponse n’est donnée. Malgré cela, je dis oui, oui, et re-oui ! Mais
sachez que nous sommes fichus ! Condamnés à nous perdre dans le chaos. La réalité est notre cauchemar. Si on en
doutait, on en a maintenant la certitude. Mais avec joyeuseté, lucidité et
cynisme.
ST/12.07.14
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