Pedro Lenz, bien que peu connu en
Suisse romande, est presque devenu une institution chez nos amis outre-Sarine,
au même titre que Jeremias Gotthelf, Mani Matter ou Polo Hofer, trois autres
bernois chéris pour leur usage du dialecte. Ce dialecte bernois, bien plus doux
et plus lent que la majorité de ses frères. Oui, ce Bärntütsch, je l’aime. Il
coule dans mes veines. C’est ma deuxième langue. Et cette histoire, simple et
tendre, je l’aime aussi. Pedro Lenz en est l’auteur. En 2010, il publie Der Goalie bin ig et instantanément son roman rencontre un succès phénoménal. Ce printemps, il a été
traduit en français sous le titre Il
faut quitter Schummertal , après avoir déjà été traduit en anglais et
en italien. Si vous êtes attentifs, vous verrez Pedro Lenz faire une courte apparition dans le film.
Ernst « Goalie » vient
de purger une année de prison, pour avoir porté le chapeau dans une histoire de
passage de drogue. Fidèle et loyal en amitié, il n’a pas dénoncé Ueli qu’il
connaît depuis l’enfance. Ancien junkie, mais encore en proie à de sombres
épisodes alcoolisés, « Goalie » tente de se refaire. Il trouve un
nouveau travail, payé misérablement, règle ses loyers impayés et rentre dans le
rang. Il le fait pour lui, mais aussi pour celle qui tout à coup, bien qu’il la
côtoie depuis années, prend une nouvelle dimension pour lui : Regula.
Tendre et patient, maladroit aussi, « Goalie » aime Regula et tente
de la séduire, alors que cette dernière est en couple. Mais ce n'est pas qu'une histoire d'amour. « Goalie » découvrira que ses amis d’enfance, profitant de sa
gentillesse, de sa naïveté dirons certains, l’ont utilisé comme bouc émissaire.
Lui qui, déjà enfant, prenait la défense du petit que personne ne voulait dans
l’équipe de foot. « Goalie » possède l’intelligence du cœur.
Marcus Signer qui incarne ce anti-héros
plus vrai que nature est pour beaucoup dans l’émotion qui se dégage du film de
l’argovienne Sabine Boss. On dirait du sur mesure. Sa carrure est imposante.
Ces gestes incertains et sa démarche hésitante. Son regard, celui d’un enfant.
Il m’a profondément bouleversée. Attendrie aussi. Sous le charme ?
Assurément !
Le personnage de
« Goalie », avec ses envies d’ailleurs – comment se refaire dans un
village où ta réputation et ton passé te précèdent et alimentent les
conversations du seul café ? – apporte beaucoup d’humanité et une douce
luminosité à ce bourg imaginaire grisâtre de la campagne bernoise.
Les souvenirs d’enfance, les
liens qui unissent les différents protagonistes, ainsi que le présent – la fin
des années 80 – se mélangent subtilement sous la caméra de Sabine Boss. Même si
certains se sont agacés que Der
Goalie bin ig ait raflé quatre prix sur sept nominations lors de la
dernière cérémonie des Prix du Cinéma Suisse en mars – meilleur film, meilleur
scénario, meilleur interprétation masculine, meilleure musique – laissant
sous-entendre qu’un puissant lobby suisse allemand avait une nouvelle fois fait des
siennes, force leur est d’admettre que ce film est une très belle réussite. Un film
dont on souhaite que la tendresse et la simplicité inspirent au-delà de la
barrière de roestis.
Oui, après Ursula Meier, Christoph Schaub, Bettina Oberli
ou Séverine Cornamusaz (et son poignant Cœur
animal), pour ne parler que de certains de nos contemporains, je crois encore au cinéma suisse. Je crois aussi à la force des histoires qui, comme l’écrit
Pedro Lenz, grandissent : « Les
histoires ne sont pas comme les dents, qui ne poussent que deux fois et qui
sont fichues une fois qu’elles sont utilisées. Non, les histoires grandissent
encore et encore. » Der Goalie bin ig n'a pas fini de grandir.
ST / 19.07.2014
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire