vendredi 11 janvier 2013

THE MASTER - Paul Thomas Anderson - 2012

On avait laissé Paul Thomas Anderson en 2007 sur l’inoubliable et sublimissime (et je pèse mes mots) "There will be Blood".  Certains disaient à l’époque que ce film était de l’acabit de "Citizen Kane", le film qui révolutionna le cinéma. Fallait oser ! Force est de constater que cela était justifié : d’une part Daniel Plainview, misanthrope, magnat du pétrole et de l’autre côté, Charles Foster Kane, magnat de la presse et mégalomane. Grandeurs et décadences, ascensions fulgurantes et chutes vertigineuses de deux géants. Certes Paul Thomas Anderson n’a pas révolutionné le cinéma comme a pu le faire Orson Welles, mais quel réalisateur de talent était là reconnu.
Ses premiers films, "Boogie Nights" et "Magnolia" étaient déjà des films incroyables et devenus cultes presque instantanément. Qui ne se souvient pas des discours du gourou du sexe (Tom Cruise) et de la pluie de crapauds dans "Magnolia" ou encore des grands moments disco et de Burt Reynolds réalisateur de films pornos dans "Boogie Nights"? Inoubliables ! Bref, pour tous ceux qui n’ont pas encore découvert l’univers de Paul Thomas Anderson, vous avez l’OBLIGATION de le faire dans les plus brefs délais! Vous passeriez à côté d’un des génies de notre époque.


"The Master" raconte la rencontre de deux hommes. Nous sommes en Californie, au début des années 50. Freddie (sombre et inquiétant Joaquin Phoenix) est un vétéran de la guerre du Pacifique. Après un séjour en hôpital psychiatrique à la fin de la guerre, il s'est réinséré comme photographe de surface commerciale. Freddie est en proie à plusieurs dépendances: l'alcool et le sexe. Ce corps voûté qu'il habite semble être trop petit pour contenir toute la rage qui est en lui. Il manque cruellement de repères et erre quasi en permanence. 



C'est lors d'un de ces soirs de perdition qu'il monte à bord d'un bateau qui est à quai. Il se réveille le lendemain matin dans une cabine, en pleine mer. Il est alors présenté à Lancaster Dodd (éblouissant Philip Seymour Hoffman). Dodd est à la tête d'une petite communauté qui place l'humain au-dessus de tout. Discipline, gestion des émotions: c'est ce qui différencie l'homme de l'animal selon les principes de La Cause, le mouvement philosophique qu'a créé Dodd. Lancaster Dodd est un homme charismatique, Freddie succombera rapidement aux promesses de celui qui se définit comme étant : "... un écrivain, un médecin, un physicien nucléaire, un philosophe théorique, mais avant tout, un homme.". 



Les deux hommes deviendront dépendants l'un de l'autre. Freddie boit les paroles de Dodd et ce dernier l'utilise comme cobaye pour affiner ses théories fantasques que même certains membres de la communauté remettront en cause, déclenchant chez Dodd des accès de colère aussi intenses que fulgurants.

"The Master" s'inspire librement de la naissance de la Scientologie au début des années 50. Lancaster Dodd n'est pas sans rappeler L. Ron Hubbard, père fondateur et auteur de "La Dianétique", cet ouvrage censé être un ouvrage de développement personnel. Hubbard, engagé durant la guerre du Pacifique, a constaté lors de son séjour en milieu hospitalier,  l'importance du mental sur la santé physique. C'est un des principes fondamentaux qu'enseigne Dodd à Freddie. Mais en toute sincérité, je crois que "The Master" est avant tout une histoire d'amitié, voire d'amour (homosexualité refoulée de Dodd?). Freddie et Dodd sont unis par un lien invisible (dont on ne connaîtra la nature exacte que dans les dernières minutes du film). Dodd est absolument convaincu qu'il peut soulager les douleurs physiques et mentales de Freddie. Au départ, et j'en suis persuadée, c'est un geste profondément humaniste et sincère. Il s'en suivra l'obsession de Dodd pour sa doctrine, en constante évolution, et sa soif de pouvoir et de contrôle (intensifiées par les propos de son épouse). Mais Dodd a aussi ses failles: il aime bien boire et être infidèle à son épouse (Amy Adams, dont la beauté froide n'est pas sans rappeler celle des grandes héroïnes hitchcockiennes). Cet état de fait donnera d'ailleurs lieu à une des scènes les plus malsaine, manipulatrice et déconcertante qu'il m'ait été donné de voir (pour celles et ceux qui ont vu le film, il s'agit de la scène de la salle de bain). 

Visuellement, c'est d'une beauté absolue (une obsession du plan parfait qui n'est pas sans rappeler Kubrick). Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix sont de presque tous les plans et le plus souvent filmés en gros plan. Ils sont tellement intenses qu'ils sont bouleversants et vous tirent les larmes. Les longues séances de "thérapie" (qui pour certains critiques s'étirent à l'infini) sont sublimes, car elles ont un sens. On y voit bien le processus d'endoctrinement, de lavage de cerveau et les tentatives de modification de la pensée et de la perception des choses que Dodd inflige à Freddie. Oui, infliger: pour Freddie, bien souvent, c'est très douloureux.



C'est un film hypnotisant, dur et cruel, qui est sublimé par la musique envoûtante de Jonny Greenwood (un subtil mélange d'influences de Debussy et de Schoenberg). Paul Thomas Anderson signe là un chef-d’œuvre qui l'installe définitivement dans son statut de génie. Ne perdez pas une minute: foncez-y!





RECOMMANDATION

Paul Thomas Anderson s'est fortement inspiré d'un documentaire bouleversant que John Huston avait tourné en 1946 pour le compte de l'armée américaine: "Let there be Light". Je vous invite vivement à le visionner.



Votre Cinécution

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