lundi 24 décembre 2012

L'INVITE : Carlo Chatrian

Le Festival del Film Locarno ou comme certains aiment à l’appeler : le plus petit des grands festival. Je vous ai déjà dit, dans un précédent papier, à quel point je suis attachée à ce festival. C’est un festival qui propose des films en avant-première, des films plus confidentiels, des documentaires, mais également des rétrospectives qui permettent aux cinéphiles comme moi, de voir ou revoir des chefs-d’œuvres de l’histoire du cinéma sur grand écran. C’est un festival qui permet à tout le monde, et aisément (même s’il faut quelques fois se battre pour avoir une place dans les salles, tant il est fréquenté), d’entrer en contact avec cet univers fascinant. La Piazza Grande est un endroit de rencontres et de rêves. Des cinéastes, des acteurs et actrices de renom y défilent tous les soirs. C’est un peu la cerise sur le sundae, à côté de toutes les belles découvertes que propose ce festival.
Aujourd’hui, en guise de cadeau de Noël, j’ai le très grand plaisir, et l’honneur, de vous proposer un entretien avec Carlo Chatrian, directeur artistique du Festival del Film Locarno. Dans un agenda surchargé, le nouveau directeur artistique du Pardo m’a accordé du temps pour parler de cinéma. C’est une bien belle personnalité : un homme enthousiaste, sensible, profondément amoureux du cinéma et possédant une envie presque irrépressible de transmettre cet amour et de provoquer, au travers de sa programmation, des émotions. Rendez-vous sur la Piazza Grande, et dans toutes les autres salles qui font le Festival del Film Locarno, du 7 au 17 août 2013 pour découvrir la vision du cinéma de Carlo Chatrian. Réjouissez-vous !
 
Carlo Chatrian, de quand date votre passion pour le cinéma ?
Elle me vient de l’enfance, comme pour beaucoup de personnes passionnées par le cinéma.

Je suis né en 1971, donc, en quelques sortes, je suis né avec la télévision. La télévision faisait partie du mobilier de la maison (rires)… Le samedi, à 14 heures, il y avait une émission qui diffusait des film muets américains, je la regardais. Ainsi j'ai vu des Laurel et Hardy ou des Charlot. Mais c’est vraiment par la télévision que j’ai vu mes premiers films.
Je fais une différence entre film et cinéma. Il y a plein de propositions cinématographiques qui entrent dans les maisons via la télévision et maintenant l'ordinateur. Mais le cinéma, c’est une autre approche : déjà, c’est l’idée de sortir de chez soi, accompagné dans un premier temps par les parents ou les grands-parents, de choisir un programme, d’acheter un billet, d’ être dans une salle avec plein d’inconnus et de partager des émotions avec ces inconnus.
Sur grand écran, les premiers films qui ont touché mon imaginaire étaient surtout des films mainstream américains, comme « Les Aventuriers de l’Arche perdue »  de Steven Spielberg par exemple (rires)
 
 
Ce n’est qu’en arrivant au lycée que ma vision du cinéma s’est élargie. Je faisais partie du ciné-club. Tout d’abord c’était le cinéma italien, évidemment, Marco Bellocchio, Bernardo Bertolucci… Vers 14-15 ans, je suis sorti du cinéma italien et j’ai découvert le cinéma hongrois, français. Le ciné-club, c’était 1-2 fois par semaine, mais lorsque j’étudiais à l’université, là j’ai commencé à fréquenter les festivals. Mon premier festival était le Festival du Film de Turin, alors que j’étudiais dans cette ville. Mais pour vraiment être en immersion totale, il faut quitter la ville où on vit et fréquenter des festivals ailleurs. C’est en 1992-93 que je suis allé, grâce à l’université, à Pesaro. Et là, ce fut l’immersion totale ! (rires)… J’ai eu accès à un cinéma que je connaissais moins, le cinéma de documentaire. Et surtout, j’ai commencé à rencontrer des cinéastes. Locarno, j’y suis allé pour la première fois en 1994. De 1994 à 2002, j’y étais comme critique et j’ai toujours trouvé la programmation de Locarno variée et enrichissante.
 
J’ai participé de l’intérieur au Festival del Film Locarno depuis 2002. Je suivais tout d’abord des conférences de presse, animais des débats, puis j’ai commencé à faire un travail de sélection puis je suis devenu curateur de plusieurs rétrospectives : Nanni Moretti, Manga Impact, Ernst Lubitsch, Vincente Minnelli et Otto Preminger.
 
J’ai aussi créé un festival : le festival du film d’Alba et collaboré à plusieurs autres.
 
 
 
Qu’est-ce que l’on ressent lorsque l’on est nommé à la direction artistique d’un festival comme celui de Locarno ?
Tout d’abord, lorsque j’ai reçu la proposition, ce fut un très grand honneur. Je me suis senti flatté et surtout, cela m’a fait un énorme plaisir. Puis, vient le côté « opérationnel » : ce que je dois faire, mais apprendre aussi. J’envisage les actions que je dois entreprendre et le travail que cela représente. Il y a une équipe qui fonctionne très bien et sur laquelle je peux compter. Il y a aussi de nouvelles personnes très compétentes qui sont arrivées avec moi, sur lesquelles je peux aussi compter.
Je crois que j’ai un parcours qui ne me fait pas craindre une telle tâche, d’autant que je crois vraiment bien connaître ce milieu. Mais c’est une grande responsabilité. La programmation doit être à la hauteur de ce festival, spécialement celle de la Piazza Grande: elle doit être pointue mais également parler à un plus large public.
 
La Piazza Grande, Locarno
 
Votre rôle en tant que directeur artistique, est-il celui d’un « passeur » ?

Bien sûr, il y a cette idée de la transmission. Il faut visionner beaucoup de films et être capable de repérer les bons films, de trouver des choses précieuses qui parlent à la communauté à laquelle j’appartiens. Trouver quels sont les attraits de certains films et lesquels sont susceptibles de provoquer des émotions pour le public, mais aussi pour moi.
 
Je me sens aussi quelques fois comme un colporteur (rires)… un marchand ambulant qui quelques fois fait les choses de manière clandestine et qui conserve beaucoup de secrets (rires)… Les colporteurs à une époque servaient d’aide au passage de montagne, de lac…  chaque film est une invitation au voyage.
 
Donc oui, je suis un passeur, mais également un colporteur ! (rires)
 
Qu’est-ce qui va vous démarquer des précédentes directions ?
Ce sera avant tout mes goûts personnels, ma personnalité, ma sensibilité. Ce sont des choses propres à chaque personne.
 
Au niveau structurel, il n’y aura pas énormément de changements. L’organisation actuelle fonctionne bien. Il y a beaucoup de diversité à l’intérieur de chaque section. Le cinéma d’avant-garde restera une priorité. Mais le dialogue entre les cinémas du passé, du présent et du futur, est une chose qui me tient à cœur. Comment un film de Georges Cukor par exemple peut avoir un écho dans un  film d’aujourd’hui malgré les différences (son, image) ? Il y aura toujours des éléments qui restent et qui créent des liens. J’ai envie de créer ce passage et de maintenir ce dialogue entre des films qui font l’histoire du cinéma et les films d’aujourd’hui.
 
Vous avez trois enfants, je crois. Quels sont les films qu’un papa comme vous montre à ses enfants ?
Oui, j’ai trois enfants. Ils ont 11, 9 et 6 ans. Lorsque mon premier était petit, il dormait peu et on regardait des films ensemble. Je leur montre des films d’animation de Miyazaki par exemple, mais aussi des films Pixar. Ils ont vu tous les Buster Keaton et la plupart des Charlie Chaplin, mais aussi des films de Lubitsch ou Minnelli.
 
 
Vous savez, je travaille quelques fois à la maison, et lorsqu’ils rentrent de l’école, ils viennent me voir et il arrive qu’ils restent à regarder un film avec moi, ou alors ils s’ennuient et ils partent (rires)
Lorsque je travaillais sur une rétrospective Peter Mettler pour le Festival du Film de Florence, la plus petite s’est assise, et a regardé presque en intégralité « Picture of Light », un film qui parle des aurores boréales. C’est ce qui est magique : les enfants, dans les premières années, alors qu’ils ne savent pas lire et ne comprennent pas tout, se laissent hypnotiser par des images. Lorsque les instruments cognitifs deviennent plus « conscients », on se laisse moins emporter. Le cinéma, c’est avant tout un spectacle hypnotique, il faut se laisser aller…
 
En ce moment, mes enfants et mon épouse regardent la Trilogie du « Seigneur des Anneaux » de Peter Jackson, parce que dimanche, on va voir « The Hobbit »… alors il faut se rafraîchir la mémoire (rires)
 
S’il devait y avoir un film, un seul, une référence, ce serait lequel ?
Ce serait un film composé de plusieurs images de différents films. Cette idée de proposer un seul titre irait à l’encontre de tout ce que je vous ai dit précédemment. Mais ce film serait composé en partie d’images de « Viaggio in Italia » de Roberto Rossellini, d’ « Hiroshima, mon amour » d’Alain Resnais ou encore des « Amants crucifiés » de Kenji Mizoguchi…et de bien d’autres !
 
Merci Carlo Chatrian !
Si vous avez envie d’avoir un contact ou de suivre le quotidien d’un directeur artistique d’un grand festival, Carlo Chatrian tient un blog. Il est important pour lui d’avoir un contact direct avec les spectateurs. C’est ici que ça se passe.
 
Propos recueillis par téléphone le 22 décembre 2012 / Cinécution

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