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dimanche 2 avril 2017

FIFF 2017 - une histoire de regards

Il y a des films qui marquent plus que d'autres. Lorsqu'ils collent à l'actualité et touchent au plus profond de notre humanité, encore plus. C'est le cas d'OBSCURE de la réalisatrice Soudade Kaadan. Syrienne d'origine, née en France, elle a étudié au Liban. Elle a déjà produit et réalisé de nombreux documentaires notamment pour le Haut Commissariat aux réfugiés ou l'UNICEF.


Ce documentaire bouleversant nous permet de passer du temps avec Ahmad. Un jeune garçon qui ne veut pas se souvenir qu'il est syrien. Traumatisé par la guerre, il préfère se murer dans le silence et le sommeil. Oublier l'horreur, échapper à la réalité, avec ses armes d'enfant. On y croise aussi Batul, fillette qui a vu un homme se faire décapiter sous ses yeux et qui, lorsqu'elle parle de cet épisode semble comme déconnectée d'elle-même. Gros plan sur le visage de cette fillette lorsqu'elle évoque l'insoutenable. Son innocence a jamais détruite, perdue. J'en ai eu le cœur brisé.




Obscure - Soudade Kaadan

Lorsqu'elle évoque son film, Soudade Kaadan dit: "Je ne voulais pas faire un film sur Ahmad. Je voulais faire un film sur les enfants traumatisés par la guerre et qui ont des histoires incroyables à raconter. Mais Ahmad est muet. La première fois que je l'ai rencontré, j'ai passé 30 minutes avec lui et la seule phrase qu'il a prononcée est "je m'appelle Ahmad". Je n'ai jamais pu l'oublier. Chaque jour, dans chaque activité que j'entreprenais, je le revoyais. Comme s'il attendait que je revienne. Et je suis revenue. Le silence d'Ahmad, c'est mon histoire."


Profondément humain, réalisé avec pudeur et justesse, OBSCURE m'a bouleversée. Je me suis réfugiée à la sortie du film, à l'abri des regards, pour pleurer. Aucun des films que j'ai vu ensuite dans la journée n'a réussi à me faire oublier le regard de Batul, le silence d'Ahmad. Avec eux, ce sont les visages de milliers d'enfants touchés par la guerre à travers le monde qui défilaient devant mes yeux. Ces enfants traumatisés, dont les rêves, s'ils en ont encore, porteront à jamais l'odeur du sang. Que peut-on leur souhaiter, si ce n'est une résilience au-delà de l'imaginable? Comment rendre l'insouciance, qui devrait faire partie intégrante de l'enfance, à ces petits êtres? Ces questions sans réponses sont quasi insoutenables pour l'adulte privilégiée que je suis. Quelle impuissance!











Oui, je pourrais vous parler DES DEMONS de Philippe Lesage, et vous dire que je n'ai pas particulièrement apprécié ce film. Que l'emploi de la musique y est surfait et inapproprié. Que le formalisme de certaines scènes m'a profondément ennuyée. Que je ne retiendrai qu'une scène de dispute conjugale formidablement chorégraphiée. Que l'ombre de Xavier Dolan, dans ce qu'elle est a de plus sombre, flotte au-dessus de ce film.






Les Démons - Philippe Lesage


Je pourrais aussi vous dire que KATI KATI de Mbithi Masya est un petit bijou qui donne chair au purgatoire de Dante. Que des âme s'y côtoient, se battant chacune avec leurs démons, tentant tant bien que mal de faire la paix avec leur passé pour aller là où le repos, selon les croyances de chacun, devrait être éternel.






Kati Kati - Mbithi Masya 
Je pourrais aussi vous parler  de la fabuleuse Masterclass de Douglas Kennedy, où l'auteur a une fois de plus brillé non seulement par son immense culture, mais également par son humanité et sa philosophie.

Oui, je pourrais faire tout ça. Mais je ne peux pas. J'ai surtout envie de vous laisser avec le regard de Batul et d'Ahmad. Vous laisser avec ces questions qui me hantent, qui nous hantent. Comment peut-on, à notre échelle, éviter que des enfants souffrent à ce point?

ST/1er avril 2017



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