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lundi 20 janvier 2014

YVES SAINT LAURENT - Jalil Lespert - 2014


 
YSL … Qui ne connaît pas ses trois lettres qui entremêlées représentent à elles seules la haute-couture, la modernité ? YSL, c’est surtout un homme : Yves Saint Laurent.  Prodige de la couture, créatif incroyable, visionnaire. Un homme qui n’aurait jamais pu être qui il a été sans Pierre Bergé, son compagnon, son associé, son protecteur.

C’est par la voix, le regard de Pierre Bergé (énorme Guillaume Gallienne) que Jalil Lespert nous propose de découvrir la vie de celui qui a révolutionné le vestiaire féminin. Alors que Coco Chanel a libéré les femmes du corset qui les entravait, Yves Saint Laurent leur a donné les moyens vestimentaires de s’affirmer. Non pas comme égales de l’homme, mais comme rivales.

 
 
 
Tout d’abord assistant de Christian Dior, puis à la tête de cette maison au décès du maître, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé – rencontré lors de son tout premier défilé pour la maison Dior en tant que directeur artistique – créeront la maison Saint Laurent à la fin des années 50. Appelé à faire son service militaire en pleine Guerre d’Algérie, il est hospitalisé pour dépression et licencié au même moment par la maison Dior.

Yves Saint Laurent (incarné par le troublant et bouleversant Pierre Niney) montre une certaine faiblesse psychologique. Pierre Bergé lui promet de s’occuper de tout, lui n’aura qu’à créer. L’angoissé de naissance peut dès lors créer plus ou moins sereinement. C’est sans compter les différentes addictions qui entreront dans sa vie par la porte la plus facile à défoncer, celle du manque de confiance en soi.  Saint Laurent est timide, réservé, modeste, dévoué à une seule et unique chose : la création. Travailleur acharné, jusqu’à l’épuisement, l’inactivité ou le manque d’inspiration le pousseront dans les bras dangereux de l’alcool, du sexe et de la drogue. Ces miroirs aux alouettes lui donneront des ailes et feront de l’année 1966 une année scandaleuse avec le premier smocking pour femme.  
 
Le couple Bergé – Saint Laurent, aura vécu plus de 50 ans ensemble. Traversant bien des orages. Infidélités amoureuses, sexuelles, dépendances. Rien cependant ne saura séparer ces deux hommes qui ne peuvent exister l’un sans l’autre. Pierre Bergé, à la mort de Saint Laurent en 2008, se séparera de toutes les œuvres d’art qu’ils avaient acquises ensemble. Sans Yves, elles n’avaient plus de sens. C’est bel et bien ce fil d’or, cet amour inconditionnel, fou, qui coud le film et lui donne sa splendeur.

Jalil Lespert livre un film pur, pudique, élégant et sensible. Il n’a jamais peur du silence, ce qui donne de la magie à la première partie du film. Les dialogues sont économisés, et remplacés par moment par de la musique originale (étonnante et superbe partition d’Ibrahim Maalouf) ou encore des airs d’opéra, tel cet air de La Wally de Catalani interprété par Maria Callas qui rend bouleversantes les cinq dernières minutes du film. A couper le souffle. Et ces magnifiques toilettes qui émaillent le film comme des peintures presque irréelles… De quoi rendre le plus sceptique fou d’amour pour la haute-couture.
 

Un seul bémol à relever. Le manque d’audace de Lespert. J’aurais aimé qu’il aille plus au fond des choses, quitte à écorner un peu l’idole. Il n’a pas osé approfondir et s’est contenté, sur certaines séquences, d’effleurer le sujet. C’est dommage. Même si je peux comprendre. Yves Saint Laurent est tellement attachant par sa candeur, son côté petit oiseau à protéger, qu’on peut avoir peur de le blesser, même post mortem. Mais c’est peut-être aussi cette retenue qui lui a valu de recevoir la bénédiction de Pierre Bergé.

J'ai toujours su que j'avais de l'admiration pour Yves Saint Laurent. Ce soir, j'ai découvert que je l'aimais.
 
 ST/20.01.14
 
 
 
 
 
Le petit plus: voici des extraits de son discours d'adieu, lu lors de son dernier défilé en janvier 2002:
 
 
«Mesdames et messieurs, je vous ai conviés pour vous annoncer une nouvelle importante. J'ai eu la chance de devenir, à 18 ans, l'assistant de Christian Dior, de lui succéder à 21 ans et de rencontrer le succès dès ma première collection en 1958. Depuis, j'ai vécu pour mon métier et par mon métier. Je veux rendre hommage à ceux qui ont guidé mon action et m'ont servi de référence. Tout d'abord Christian Dior qui fut mon maître. Balenciaga, Schiaparelli. Chanel, bien sûr [.].
 
«En ouvrant en 1966, pour la première fois au monde, une boutique de prêt-à-porter à l'enseigne d'un grand couturier, j'ai conscience d'avoir fait progresser la mode et d'avoir permis aux femmes d'accéder à un univers jusque-là interdit. Comme Chanel, j'ai toujours accepté la copie et je suis très fier que les femmes du monde entier portent des tailleurs-pantalons, des smokings, des cabans.
Je me dis que j'ai créé la garde-robe de la femme contemporaine, que j'ai participé à la transformation de mon époque. Je l'ai fait avec des vêtements, ce qui est sûrement moins important que la musique, l'architecture, la peinture, mais quoi qu'il en soit, je l'ai fait. On me pardonnera d'en tirer vanité, mais j'ai cru que la mode n'était pas seulement faite pour embellir les femmes, mais aussi pour leur donner confiance, leur permettre de s'assumer. Je me suis toujours élevé contre les fantasmes de certains qui satisfont leur ego à travers la mode. J'ai, au contraire, voulu me mettre au service des femmes. C'est-à-dire les servir. Servir leur corps, leurs attitudes, leur vie. J'ai voulu les accompagner dans ce mouvement de libération que connut le siècle dernier.[.]
 
Je veux remercier ceux qui m'ont fait confiance. Michel de Brunhoff qui me conduisit chez Christian Dior. Mack Robinson [.], Richard Salomon, Pierre Bergé, bien sûr. Il m'est impossible de citer tous les premiers et premières d'atelier qui m'ont accompagné. Pourtant, qu'aurais-je fait sans eux? Tous les ouvriers et ouvrières dont le dévouement admirable m'a tellement aidé [.]. Je veux remercier les femmes qui ont porté mes vêtements, les célèbres et les inconnues [.].
 
J'ai toujours placé au-dessus de tout le respect de ce métier qui n'est pas tout à fait un art mais qui a besoin d'un artiste pour exister. Je pense que je n'ai pas trahi l'adolescent qui montra ses premiers croquis à Christian Dior [.]. Tout homme pour vivre a besoin de fantômes esthétiques. Je les ai poursuivis, traqués. Je suis passé par bien des angoisses, bien des enfers. J'ai connu la peur et la terrible solitude. Les faux amis que sont les tranquillisants et les stupéfiants. La prison de la dépression et celle des maisons de santé. De tout cela, un jour je suis sorti, ébloui mais dégrisé. Marcel Proust m'avait appris que «la magnifique et lamentable famille des nerveux est le sel de la terre». J'ai, sans le savoir, fait partie de cette famille [.].
 
Les plus beaux paradis sont ceux qu'on a perdus. Pourtant j'ai choisi aujourd'hui de dire adieu à ce métier que j'ai tant aimé[.]. Je veux vous remercier, vous qui êtes ici et ceux qui n'y sont pas, d'avoir été fidèles aux rendez-vous que je vous ai donnés depuis tant d'années. De m'avoir soutenu, compris, aimé. Je ne vous oublierai pas.»

In Libération du 8 janvier 2002

 
 
 
 

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