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samedi 19 mars 2016

FIFF 2016 : Taratata!


Qui ne connaît pas Autant en emporte le Vent ? Si certains ne l’ont peut-être pas vu, impossible qu’ils n’en aient pas au moins entendu parler. Et que dire de Scarlett et Rhett ? Tout le monde a déjà croisé une photo de ces deux héros. Peut-être sans pouvoir mettre de noms sur les acteurs qui les incarnent à l’écran, mais tout le monde reconnaît la petite sudiste et son amant ténébreux. Combien de fantasmes autour de ces personnages ? Combien de légendes autour de ce film-fleuve ? Plongée dans un film qui véhicule autant de clichés qu’il soulève des thématiques profondes.

Le travail sur Autant en emporte le Vent commence déjà en 1936. Adapter le roman, dense, de Margaret Mitchell n’a pas été une mince affaire. Il aura fallu plus de 3 ans de travail à trois scénaristes – le plus impliqué et le plus productif, Sydney Howard est le seul crédité au générique – pour au final réalisé une adaptation extrêmement fidèle de l’œuvre de Mitchell. Scarlett, Rhett, Mélanie, Ashley, les Douze Chênes, Tara allaient pouvoir prendre vie et racines sur grand écran… des noms qui résonnent comme des légendes.

A qui confier la réalisation de ce film qui s’annonçait déjà comme un monument ? David O. Selznick, le producteur, qui avait déjà promu l’adaptation du best-seller de Mitchell à travers tout le continent, la confia dans un premier temps à George Cukor. Cukor avait déjà à l’époque une bonne dizaine de films à son actif et certains avaient déjà été produits par Selznick. Une grosse dispute entre le réalisateur et le producteur a eu pour effet que Cukor fut renvoyé des plateaux de tournage. Comment continuer ? Selznick se tourna dans un premier temps vers Sam Wood qui ne fit qu’un passage éclair, totalement dépassé par l’entreprise pharaonique. C’est finalement Victor Flemming qui réalisera la majorité du film. Oui, la majorité, parce que certaines scènes, plus intimistes, déjà tournées par Cukor, seront conservées au montage final.
 
 

Beaucoup de stars de l’époque étaient liées par contrat à de grandes maisons de production, mais à cette époque, tout le monde voulait avoir accès aux rôles de ce film. Tout le gratin hollywoodien se pressait donc dans le bureau de Selznick pour obtenir des bouts d’essais. Il fallut trouver des arrangements avec la MGM par exemple, pour que Clark Gable – Rhett Butler – puisse tourner dans une production de Selznik ou encore convaincre la Warner de céder Olivia de Havilland, qui incarnera la très compatissante, quasi christique, Mélanie Hamilton.

Alors que certaines scènes sont déjà en tournage, le rôle de Scarlett n’a pas encore été attribué. Des centaines d’actrices s’y risquent, et pas que des inconnues : Lana Turner, Bette Davis, Katherine Hepburn et Paulette Goddard. Cette dernière rate de peu le rôle. Sa liaison dérangeante avec Charlie Chaplin lui fait manquer le rôle. Jusqu’au jour où, selon la légende, Vivien Leigh, amenée sur le plateau par le frère de Selznick fait son apparition. C’est alors une évidence : elle sera Scarlett. Et sincèrement, je crois qu’aujourd’hui, on ne saurait imaginer une autre actrice pour incarner la, en apparence, petite pimbêche sudiste. Ce qui ne manqua pas de provoquer un tollé : une anglaise pour incarner une américaine du sud !
 
 
 
Scarlett est, a priori, une héroïne pour laquelle on éprouve peu de sympathie. Vaniteuse, égoïste, les jeunes années de Scarlett sont entièrement consacrées à la minauderie. C’est un petit chiot qui fait ses dents sur le cœur des hommes. Fortement attachée à son apparence physique, très coquette, Scarlett ne souhaite qu’une seule chose, se marier. Et pas avec n’importe qui : Ashley Wilkes. Un doux rêveur, qui comme de nombreux hommes, n’est pas insensible aux charmes de la petite O’Hara. Scarlett prendra le désir d’Ashley pour de l’amour et croira, une grande partie de sa vie, qu’elle en est follement amoureuse, sans jamais concrétiser son amour. Sur fond de Guerre de Sécession, Scarlett ne reculera devant rien, dévoilant une personnalité fourbe, ne reculant devant aucun mensonge, aucune escroquerie, pour dans un premier temps, remettre Tara à flots, nourrir sa famille et reconquérir un statut social que la guerre lui a ôté. Elle fera des mariages de raison, convoitant même un des fiancés de sa sœur. Mais dans l’ombre, toujours prêt à lui porter secours, Rhett. Brun ténébreux, un peu cynique, fréquentant avec assiduité les maisons closes, qui la sortira constamment des ennuis. Éperdument amoureux de Scarlett, il tentera, entre deux maris, à plusieurs reprises de la demander en mariage. Ce qui finalement aboutira. Il est persévérant le Rhett !
 
 
 
 
Scarlett ne prendra conscience qu’à la mort de Mélanie, et constatant le profond chagrin d’Ashley, qu’elle n’est pas amoureuse de lui, mais de Rhett. Mais il sera trop tard. Le cauchemar qu’elle a plusieurs fois fait, courant dans la brume derrière une silhouette, s’invitera dans sa réalité : Rhett la quitte, la laissant sur le pas de leur majestueuse demeure. Seule.

Le film est un succès phénoménal ! Fauchant au passage 8 oscars, dont ceux du meilleur film, de la meilleure actrice pour Vivien Leigh et surtout, premier oscar pour une actrice de couleur, Hattie McDaniel, qui incarne une Mamma inoubliable. Le film engrangera des bénéfices largement supérieurs aux sommes investies, pourtant déjà gigantesques, et sera un des plus gros succès de l’histoire du cinéma. On parlerait à ce jour d'environ 3,44 milliards de dollars de recettes, sans compter les millions de spectateurs qui l'ont vu à travers le monde. En toute modestie, je pense avoir personnellement contribué au fort succès de ce film, le visionnant, enfant, au moins 2 fois par mois et actuellement encore plusieurs fois par an.
 
 
 
Cette réussite est également due aux qualités d’Autant en emporte le Vent: un film audacieux et en avance sur son temps. Nous sommes en 1939. L’essentiel des films est tourné en noir et blanc, seul Robin des Bois en 1938, et Le Magicien d’Oz la même année, sont tournés en couleurs. Les envolées lyriques de la musique de Max Steiner – laquelle me fait monter les larmes aux yeux dès les premières secondes -  et les costumes somptueux de Walter Plunkett contribuent aussi largement au succès du film. Quant à la couleur, elle explose ! C’est flamboyant ! Les décors sont démesurés. A grand renfort de peinture, William Cameron Menzies, donne des allures quasi royales aux deux plantations, les Douze Chênes et Tara. Et aussi, Selznick a réussi à contourner le code Hays avec maestria, réussissant à conserver deux scènes-clé du film, laissant planer sur le film un petit parfum de scandale : le visage épanouie et la mine radieuse de Scarlett au réveil, le lendemain même où Rhett la viole et la fin, mythique, où Rhett quitte une Scarlett effondrée par le départ du seul véritable amour de sa vie, lui lançant un très cru et glacial : « Frankly, my Dear, I don’t give a damn ! ». Il argumente auprès de la commission Hays que ces scènes ont été conservées pour coller au plus près du roman de Margaret Mitchell, et qu’elles existaient, telles quelles dans l’ouvrage. Brillant !

De plus, le film ne lisse pas les personnages. Il n’est pas caché que Rhett aime fréquenter les bordels, que Belle Watling est une prostituée au grand cœur, que Scarlett, même si elle ne sait pas y faire, possède une sensualité indéniable et des envies physiques bien supérieures à celles qu’elle s’avoue elle-même. Et on n’a pas de peine à imaginer que les rapports physiques entre Rhett et Scarlett touchent au sublime. Plusieurs scènes le laisse sous-entendre, dont la scène décrite plus haut, au réveil de Scarlett.
 
 

Oui, Autant en emporte le Vent, sous le couvert d’un lyrisme tout hollywoodien, de son mépris bienheureux de la réalité – le sang, la barbarie de la guerre, la sensualité marquée, la passion amoureuse, tout comme la tentative de viol, ne sont pas évités mais largement montrés, poussés à l’extrême – est un film moderne, intemporel. Et Scarlett et Rhett sont à jamais entré dans la légende, sous les traits de Viven Leigh et Clark Gable. Ils incarnent,  pour l’éternité un couple aux amours contrariées, aux malentendus non résolus, aux passions inassouvies.

Il n’y a plus qu’à dégager 4 heures dans votre emploi du temps pour vous laisser convaincre qu’Autant en emporte le Vent est le plus beau film jamais réalisé. Et alors vous comprendrez pourquoi, le voir hier soir, pour la nième fois, mais la première fois sur grand écran et en 35 mm, provoque une telle émotion. C’est un film qui ne gâche pas un millimètre de pellicule.
 
 

 

Mes rencontres imaginaires: Vivien Leigh

 
Que ce parc est beau! C’est le début de l’été. Les familles sont de sortie et s’adonnent à quelques joies de plein air. Je m’arrête près d’un petit lac. Il y a un banc. Je m’y assoie. Il y a une légère brise qui invite à la détente. « Je peux m’asseoir ? ». Je tourne la tête et je vous vois. Vos cheveux sont tirés sous un foulard quelconque et vos yeux sont cachés par d’épaisses lunettes. Mais je reconnais votre sourire. Ces pommettes de jeune fille qui arrondissent un visage jugé par certains trop maigre. Ces lèvres fines. Cet accent so british. Oui, c’est bien vous. Je n’ose vous demander confirmation.
Vous soupirez et me confiez qu’il vous est difficile de voir tous ces enfants jouer avec leurs parents. "J'ai eu une fille, Suzanne. Mais on me l'a enlevée. Parce que je suis tombée éperdument amoureuse".
Très égoïstement, j’ai envie de vous demander de me dire « Taratata ! », mais la mélancolie de votre voix m’oblige au silence. "J'étais mariée avec un avocat lorsque j'ai mis Suzanne au monde. La seule chose qu'il m'ait laissé, c'est son nom: Leigh. Je fréquentais encore l'Académie royale d'art dramatique de Londres à cette époque. Puis j'ai rencontré Laurence." Laurence Olivier, votre grand amour. "Nous étions mariés chacun de notre côté. Nous avons décidé d'assumer notre liaison au grand jour. Lorsque nous avons divorcé de nos précédents conjoints, on nous a privé de nos enfants respectifs."
Qu’est-ce qui vous pousse pareillement à vous confier à une inconnue ? Est-ce la solitude qui vous pèse ? L’absence de rôles importants au cinéma ou au théâtre qui vous inquiète ? La vieillesse qui vous angoisse ? Vous qui jugiez qu’Eva Peron avait eu la chance de mourir à 32 ans. Pourtant vous êtes prodigieuse dans Ship of Fools, votre dernier film.
Je revois votre peau laiteuse enveloppée dans des robes pleines de fanfreluches. Il n’y avait bien qu’une anglaise pour avoir une peau si blanche ! Scarlett O’Hara vous colle à la peau. Vous le savez. Ce rôle, vous le vouliez. A la lecture du roman de Margaret Mitchell, vous saviez que Scarlett c’était vous. Vous ne l’aimiez pourtant pas tant que ça la petite sudiste. "Vaine, gâtée, arrogante... tous ces qualificatifs, bien sûr, s'appliquent au personnage. Mais elle fait preuve de courage et de détermination et c'est pourquoi, je pense, que de nombreuses femmes doivent secrètement l'admirer. Même si nous pouvons difficilement accepter ses nombreux défauts !" Vous savez que nous avons été nombreuses à vous envier les scène de baisers avec Rhett "Clark Gable" Butler? "L'embrasser était un supplice. Il avait une hygiène bucco-dentaire douteuse et une haleine parfumée au whisky !" Vous brisez un mythe, Lady Leigh Olivier ! "Vous savez, Fleming m'a demandé de ne pas jouer Scarlett comme une lady, que Scarlett était une salope. J'ai alors dégrafé mon corsage et exposé ma poitrine. J'ai demandé si c'était assez salope pour lui ?" Vous souriez. J'aime l'air mutin de votre sourire.
Vous n’avez jamais eu la langue dans votre poche. George Cukor, qui fut le premier réalisateur d’Autant en emporte le Vent avant d’être remplacé par Victor Flemming, disait que vous étiez une exquise créature, rabelaisienne, qui pouvait raconter des histoires scabreuses avec une voix au timbre clair et glacé et qui pouvait donner envier de pleurer. Vous fasciniez votre monde par votre beauté. Vous le savez et cela vous agace : " Jolie est l'un des deux mots que je déteste le plus, avec belle. A l'école, j'y avais sans arrêt droit !" Votre beauté... Elle vous a empêché d'être prise au sérieux dites-vous.
 
 
Votre carrière est émaillée de rôles aux antipodes les uns des autres. Un jour Scarlett au cinéma, l’autre Sabina dans The Skin of your Teeth, Ophélie dans Hamlet, ou l’agonisante pathétique Blanche Dubois dans Un Tramway nommé désir, rôle que vous avez tenu au théâtre puis au cinéma. Blanche vous a valu un second Oscar, après Scarlett. Les femmes du sud vous sourient semble-t-il. Blanche, ce fut aussi l'occasion de rencontrer Marlon Brando qui joua, quelques années auparavant avec Laurence. Une rumeur sur une prétendue liaison entre les deux hommes vous incita à dire : "Il faudra que je l'essaye, moi aussi, un jour". On ne sait pas vraiment si vous avez entretenu une liaison avec Brando, mais on sait que ce dernier vous désirait tant qu'il en avait "mal aux gencives"... c'est du moins ce qu'il a déclaré. Vous souriez une nouvelle fois. C'est un secret que vous emporterez avec vous.
Ces rôles extrêmes sont également un reflet de votre personnalité profonde. C’est dès l’âge de 22 ans que l’on vous diagnostique bipolaire. Ce trouble vous colle une réputation d’actrice difficile et vous coûte votre mariage avec Laurence Olivier. Ce ne sont pas tant le nombre d’aventures que vous aviez chacun de votre côté, votre intimité dénuée de sensualité, que vos crises d’hystéries qui vous ont perdus Laurence et vous. "En épousant Vivien, j'ai pris le train de nuit pour l'enfer !" dira Olivier après votre séparation. Vous n’avez jamais cessé de l’aimer et de le considérer comme l’acteur le plus talentueux qui soit. Cette rupture a été douloureuse pour vous. Vous avez commencé à consommer beaucoup d’alcool. Lorsque vous avez ôté vos lunettes quelques instants toute à l'heure, pour essuyer une larme - la brise s'est invitée dans vos yeux dira-t-on par pudeur - j’ai remarqué vos traits quelques peu bouffis. Vous faites plus âgée que votre âge. Vous n’avez que 53 ans, mais j’ai le sentiment que votre âme est centenaire.
Avec Laurence, vous avez partagé vos plus grands succès grâce à une passion qui vous unissait, le théâtre. "Lorsque j'arrivais au théâtre, je me sentais en sécurité. J'aime le public. C'est pour lui que je joue. J'essaie de leur donner du plaisir."
 
 
 
Vous toussez ? "Pardon, c'est la tuberculose. Elle me poursuit depuis une quinzaine d'années. Je suis fatiguée, je vais rentrer." Vous me tendez une main gantée de cuir et me lancez un dernier sourire. Je suis émue.
Le lendemain, en ouvrant la presse, je découvre que votre compagnon, John Merival, vous a découverte sans vie dans votre maison. Jean-Pierre Aumont a dit que vous étiez morte de désenchantement. Morte de fatigue pour un amour que vous n’avez pas pu reconquérir, pour des enfants que vous n’avez pas pu donner à Laurence. Que vous étiez morte de tristesse. J’ai envie de croire à cela, c’est plus romanesque que la tuberculose. Laurence s’est recueilli quelques instants à vos côtés. Il y a des amours qui ne meurent pas…
 

ST / 18.03.2016

jeudi 17 mars 2016

FIFF 2016: de l'amour à (la) mort


A Lupino a day keeps the doctor away !  C’est tellement ça ! J’ai pour habitude, dans les festivals que je fréquente, de toujours voir un vieux film comme on dit, par jour. Déjà parce que j’adore ça et surtout, parce que j’ai besoin qu’on me raconte des histoires. Bien souvent, ce sont des histoires qui tiennent en trois phrases, mais qui font tellement de bien. The Man I love de Raoul Walsh n’échappe pas à cette règle. L’histoire est banale pour un film du milieu des années 40 : une femme, deux hommes, un peu de pègre, de la musique. La femme est très femme, maquillée, pomponnée, arborant des tenues incroyable et les mecs sont très virils. Un film noir quoi. Mais c’est tellement bon ! Et quand en plus la musique du thème principal, entêtante, est signée George Gershwin, moi j’embarque tout de suite ! Les histoires d’amour se font et se défont à la vitesse de l’éclaire, rien à voir avec la vie. C’est peut-être pour ça que j’aime tellement ces vieux classiques.
 
The Man I love
 
Raoul Walsh pensait d’abord à Ann Sheridan et Humphrey Bogart pour incarner les deux héros principaux de l’adaptation du roman de Maritta Wolff. Ce seront finalement Ida Lupino et Robert Alda qui incarneront Petey Brown et Nicky Toresca. Quant à l’amour impossible de Petey, San, ce sera Bruce Benett. Ida Lupino a une voix très grave pour une femme, et c’est rare à cette époque où Hollywood les préfèrent plutôt évaporées. Seule Lauren Bacall possédait une voix aussi grave. Des voix envoûtantes. Raoul Walsh offre à Ida Lupino un de ses plus beaux rôles, une femme fatale et malheureuse à qui elle donne non seulement un corps et une voix remarquable, mais également de la substance. Bref, the Lupino effect, faut le voir pour le croire ! The Man I love sera une grande source d’inspiration pour Martin Scorsese lorsqu’il réalisera New York New York 30 ans plus tard.

Sous le charme ! The Summer of Sangaile de la réalisatrice Alanté Kavaïté, membre du Jury cette année, est une perle. Un film tellement intimiste qu’on a presque envie de le garder rien que pour soi, comme un petit trésor.

Sangaile a 17 ans. Elle est fascinée par l’acrobatie aérienne, mais elle souffre d’un profond vertige qui l’a jusqu’ici empêchée de monter dans un avion. Lors d’un meeting aérien, elle rencontre Auste, qui est en charge d’une tombola. Auste est une jeune femme libre, créative, habitée par une douce folie. Les deux jeunes femmes tombent amoureuse et découvre les douceurs de l’amour saphique. Douceur, c’est le bon mot. La réalisatrice propose, avec finesse, délicatesse et sensualité, une immersion dans l’intime de ces deux jeunes femmes. Une mise en scène remarquable qui, même dans les scènes de sexe, ne glisse jamais dans le vulgaire. On a plutôt l’impression d’être suspendu, à l’abri de la réalité, comme dans une bulle. On comprend aussi très rapidement que la peur du vide de Sangaile est surtout liée à un vertige intérieur. On ne sait pas vraiment d’où vient ce mal-être qui est exprimé par des coupures qu’elle s’inflige sur l’avant-bras. Auste, avec sa joie de vivre et sa spontanéité, et en photographiant aussi Sangaile, la déguisant, la mettant en scène, va lui ouvrir de nouvelles perspectives. Plein de charme et de poésie.

The Summer of Sangaile


Le charme a rapidement été rompu avec Roundabout in my Head de Hassen Farhani. Dans le plus grand abattoir d’Alger, entre les carcasses et le sang, des hommes parlent de leurs espoirs, d’amour et leurs envies d’ailleurs. Le contraste entre le discours et les images est tel, que je me suis violemment braquée. On sent bien à quel point le réalisateur souhaite nous faire comprendre que cet abattoir est un point de départ vers des histoires de vies. Qu’il est un peu organisé comme une ville dans la ville. Que c’est un lieu ouvert, où transitent les bêtes et les hommes, mais que c’est également un lieu fermé où coule le sang. Parce que du sang, il y en a. Sur le sol, sur les hommes. Je soupçonne ce film de vouloir nous imposer une deuxième vision, passé le « traumatisme » de la première. Je le reverrai, moins fatiguée, moins à fleur de peau, peut-être qu’il me révèlera les beautés qui, pour le coup, me sont restées inconnues, invisibles, inaudibles. Je pense que mon cerveau a dû activer une espèce de pare-feu, considérant que j’avais déjà été suffisamment triturée, malaxée, retournée, chamboulée au cours des dernières 24 heures…
 
Roundabout in my Head
 
Tout ça, c’était sans compter sur Born in Battle qui allait suivre. Surfant entre l’allégorie et le récit de vie, ou plutôt de mort, Yangzom Brauen, réalisatrice suisso-tibétaine, nous immerge dans le quotidien d’enfants-soldats. C’est brutal. C’est cru. Mais la force qu’y inculque la réalisatrice est phénoménale. C’est terrible à dire, tant le sujet est grave, mais c’est très beau. Des portes se dessinent sur des murs, créant des ouvertures sur la réalité, laissant peut-être un espoir au jeune gamin qui raconte son expérience. Des corps déchiquetés, par la magie d’un feutre, se reconstituent. Mais la fin est inéluctable.
 
Born in Battle
 
Quant au Syndrome de Petrouchka d’Elena Haszanov qui a clôturé ma journée en salles et dont c’était l’unique projection dans le cadre du FIFF, je lui consacrerai une chronique entière dans les jours à venir. Il est en salles, allez le voir ! C’est une très belle histoire empreinte d’un lyrisme slave, portée par une musique merveilleuse, qui vous saisira le cœur. Elena Hazanov nous emporte, avec douceur et raffinement, dans une histoire à la fois étrange et effrayante, aux limites de la folie. Amour, passion, obsession, désir de possession. Il y a une ambiance de conte qui plane sur ce superbe film.
Le Syndrome de Petrouchka

 

Prochaines projections


The Man I love : plus de projection
The Summer of Sangaile :  plus de projection
Born in Battle: plus de projection
Roundabout in my Head : 17.03 12h45

Le Syndrome de Petrouchka : actuellement en salles

 

ST/16.03.2016

mercredi 16 mars 2016

FIFF 2016 : de la symbolique des cheveux


Les cheveux sont chargés d’une symbolique forte. Et cela remonte à la nuit des temps. Source de virilité pour les hommes – se souvenir de Samson et Dalila – et connotation hautement érotique chez les femmes. Les cheveux sont également le reflet de notre état de santé, physique et psychique. De grands bouleversements hormonaux et nous les perdons, lors de l’accouchement par exemple. Un petit coup de déprime et ils sont tout raplapla. Nous manquons de sommeil ? Ils deviennent ternes. Les cheveux sont ce que nous sommes, sans pour autant nous définir. Quoique. Les cheveux sont aussi, depuis toujours, un moyen d’expression : la hauteur des perruques indiquait le rang social aux XVI, XVII et XVIIIe siècles, les crânes rasés des skinheads marquent une prise de position vis-à-vis de la société, tout comme le refus de les couper fut une marque de rébellion de la part des hippies.

Dans la Grèce antique, les jeunes vierges arboraient une longue chevelure, dont elles se débarrassaient au moment du mariage, offrant leur chevelure aux déesses de la fécondité. C'est également un signe d'appartenance à un seul homme. De nos jours encore, changer de coupe de cheveux n’est pas anodin. Combien de femmes, lorsqu’elles se séparent coupent leurs cheveux, changent de couleur ? C’est affirmer à la face du monde qu’elles tirent un trait sur le passé et qu’elles sont prêtes à recommencer quelque chose de nouveau. Si on porte un chignon, on souhaite être prise au sérieux et donner une image forte et un peu sévère. Par contre, lors de rendez-vous amoureux, on préférera laisser nos cheveux libres, un peu fous.

Pour les femmes, encore plus que pour les hommes, les cheveux sont un attribut lié à la sexualité. A la libération, les femmes qui avaient osé coucher avec des nazis n’étaient-elles pas tondues ? Elles portaient sur elles les stigmates de la trahison envers la nation. Elles ont « fauté » avec leur sexe et c’est par les cheveux qu’on le signale.

Dans les textes religieux, les cheveux sont considérés comme une exhibition indécente de la sexualité, raison pour laquelle dans de nombreux textes, et pas seulement dans l’Islam, il est fortement recommandé aux femmes de se couvrir la tête. Combien de femmes encore aujourd’hui n’entrent pas dans un édifice religieux sans se couvrir la tête ? Hijab, chapeau, voilette, mantille… la liste est longue pour dissimuler ce qu’on ne saurait, devrait, voir.

Et la représentation des cheveux est aussi passée par le cinéma : coupe à la Louise Brooks, à la princesse Leia, le blond hitchcockien, perruques, chignons, shampoings, coupes improbables, peignages, coiffages, etc…

 

Tout ça pour en venir au film qui m’a bouleversée : HAIR de Mahmoud Ghaffari. Comme déjà énoncé plusieurs fois sur ce blog, le cinéma iranien est pour moi, un des plus beaux qui soit. Non seulement sur la forme, il est bien souvent artistiquement irréprochable, mais sur le fond. Faire un film en Iran, c’est un acte politique fort qui contraint bien des cinéastes à fuir leur pays, s’ils ne se retrouvent pas privés d’exercer leur art. Lorsqu’un film iranien arrive jusqu’à nous, cela tient presque toujours du miracle, mais également d’un courage à toute épreuve, de la part des cinéastes, mais également des programmateurs. Impossible de ne pas penser à Mania Akbari, Mohammed Rassoulof, Jafar Panahi ou encore dans le cas présent Mahmoud Ghaffari.

 

HAIR nous raconte l’histoire de trois athlètes sourdes et muettes. Elles pratiquent le karaté et rêvent de participer à une compétition internationale. Ce qui dans la majorité des pays ne poserait aucun souci, relève en Iran d’un véritable parcours du combattant. Même si la fédération iranienne n’y voit pas de contre-indications, elle oblige toutefois ses athlètes à porter une espèce de cagoule qui leur cache non seulement les cheveux, mais également la nuque et le cou. Oui, car elles seront filmées lors des concours et il ne faudrait pas qu’à la vue de leurs nuques les mâles occidentaux soient excités.

Le fait que ces athlètes soient sourdes et muettes est hautement symbolique. Elles représentent le peuple, muselé, qui ne peut se faire entendre. Le karaté n’est là qu’un prétexte pour exposer le non-droit à la parole des femmes, même si l’on sait que le sport de haut niveau est bien souvent, dans les pays soumis à des régimes politiques stricts, le seul espoir de quitter le pays. Les dialogues en langue des signes ne sont pas traduits. Et tant mieux. Cela donne au film une force dont on ne peut réellement saisir l’ampleur qu’en le voyant.
 
 

Sans vous en révéler plus, cela gâcherait la puissance de ce film, vous allez être témoins, non seulement d’un combat de femmes extraordinaire, mais également d’un choix radical. Un acte à la symbolique bouleversante. Une force émotionnelle que j’ai rarement vécue au cinéma. Pour ne rien vous cacher, j’étais presque en état de choc : je tremblais de l’intérieur et à l’extérieur, j’avais froid, je pleurais. La seule chose qui a un tant soit peu réussi à me rassurer, c’est la colère d’une des protagonistes. Lorsque la colère est le signe fort que l’on existe, que l’on est vivant.
 
 

S’il y a un film que vous devez voir sur les 4 derniers jours du FIFF, c’est celui-là. Oui, le cheveu est porteur d’un message, d’une identité. C’est une façon de s’affirmer. Si vous en doutiez, vous ressortirez de HAIR, en en étant  convaincus.

 

Prochaines projections


Hair : 16.03 12 :45 / 18.03 18h15

 

ST/15.03.2016

mardi 15 mars 2016

FIFF 2016: Cléopâtre et les mamans


Cléo de 5 à 7
« Cléopâtre, je vous idolâââââââââtre ! » Une seule petite phrase, prononcée par Michel Legrand, beau, jeune, filiforme et déjà tout en sourcils, et on comprend qui est Cléo. Une reine. Jeune chanteuse à succès, petite fille gâtée, entourée d’une cour de gens à son service. Un peu vaniteuse et capricieuse, on n’a pas beaucoup d’affection pour elle au départ.

Cléo de 5 à 7 commence en couleurs, celles du tarot d’une médium. Cléo veut connaître son avenir. Elle sort de chez son médecin. Elle a fait des prélèvements et est persuadée d’être atteinte d’une maladie et que ces jours sont comptés. Le passage chez la tarologue ne la rassure pas. Mais elle essaie tout de même de se convaincre que tant qu’elle est belle, et dix fois plus que les autres, elle n’est pas malade. Le film se poursuit en noir et blanc. Elle part pour une virée shopping avec son assistante. Son côté capricieux est ici mis en lumière. Cléo fait ce qu’elle veut, quand elle veut, comme elle veut. Elle est très superstitieuse. Cette superstition la prive de la chose la plus importante dans la vie, la spontanéité.

Cléo craque lorsqu’elle répète une chanson – Sans toi – prenant alors conscience des choses graves qu’elle raconte. Elle se voit déjà morte et enterrée, seule, laide et livide. Prise de colère, commence alors pour elle une déambulation dans les rues de Paris. Cette phrase, terrible, prononcée par Michel Legrand, alors que Cléo annonce qu’elle se sait condamnée : « Encore un truc pour qu’on dise qu’on t’aime »

Agnès Varda
 
Le film d’Agnès Varda se passe en temps réel. Deux heures de la vie d’une jeune femme qui se croit condamnée. La caméra virevoltante de Varda fait un pied de nez à la mort qui plane au-dessus de la tête de Cléo. Petit à petit, Cléo commence à quitter son nombril des yeux et à regarder les gens qui l’entourent. Elle comprend alors, en observant le quotidien d’inconnus, qu’elle est privilégiée et qu’elle n’a pas vraiment de raisons de se plaindre. Une rencontre va la changer à jamais. Un jeune soldat qui va devoir repartir faire la guerre en Algérie lui redonne goût à la vie et la force de se battre face à ce qui désormais sera sa destinée.

Un film sur la peur de la mort. Agnès Varda fait passer une émotion folle. Tantôt tout se précipite et nous laisse haletant, tantôt la cinéaste nous laisse le temps de reprendre notre souffle et de nous positionner face à nos propres peurs.

Le film contient un petit cadeau : un film burlesque mettant en scène de grands noms de la Nouvelle Vague : Jean-Luc Godard – sans lunettes – Anna Karina, Samy Frey, Jean-Claude Brialy. Ce petit film, visionné à travers une vitre de cabine de projection, était voué à distraire le spectateur. Varda avait peur qu’il s’ennuie. Mais comme elle dira dans un entretien au Monde : « Ce film reflète l'amitié qu'il pouvait y avoir entre les gens de la Nouvelle Vague, cette manière qu'on avait, même quand on traitait de sujets un peu graves, de toujours faire des films très vite, en s'amusant »
 
 

Cléo de 5 à 7 est le deuxième film d’Agnès Varda. Elle ne le considère pas comme un film de jeunesse, car « tout a été fait très sérieusement » comme elle le dit. Pour ma part, ce film me colle au cœur et je me surprends régulièrement à chanter la chanson phare… On ne se refait pas.

La mort, si proche phonétiquement de l’amour. Et quoi de plus beau que l’amour d’une mère ? Saliha est maman de 4 enfants. Son fils ainé est parti, un matin d’août, faire le jihad en Syrie. Il n’en est jamais revenu. Comment faire le deuil d’un enfant dont on ne verra jamais le corps ? Comment entamer un processus de reconstruction quand l’Etat ne reconnaît pas que vous avez perdu votre enfant ? Comment vivre avec ce doute : mon fils est présumé mort ? Ce qui ne laisse aucun doute, c’est le vide que laisse une telle disparition. Chambre vide, lit vide, famille amputée. Comment saisir l’ampleur de l’incompréhension de cette maman qui, pourtant attentive et aimante, n’a rien vu venir. Son fils, élevé avec tant d’amour, dans un contexte familial heureux, s’est laissé aveuglé par la folie religieuse. Saliha ne se tait pas. Elle monte aux barricades, veut que ses droits de maman en deuil soient reconnus. Elle veut connaître la vérité. Qui est derrière cet endoctrinement fou ? Comment et pourquoi, l’Etat laisse faire ?

C’est un récit courageux, un combat quotidien, et une grande souffrance que nous livre Jasna Krajinovic dans son documentaire The Empty Room. La réalisatrice, que les fribourgeois avaient eu le bonheur de découvrir dans la Carte Blanche des Frères Dardenne en 2013, avec Un été avec Anton ou encore La Chambre de Damien, propose une nouvelle fois une exploration de la survie. La famille de Sahlia doit fuir le quartier dans lequel elle vivait depuis de nombreuses années. Trop de pression, de menaces. Tout reconstruire, se battre pour défendre ses droits. Les droits les plus élémentaires, savoir ce qu’il est arrivé à leur fils et pourquoi ? Pouvoir, peut-être, entamer un processus de deuil que l’on sait déjà sans fin. On ne se remet pas de la mort d’un enfant. Quelle que soit les raisons de cette mort. Le cœur d’une maman ne se recolle jamais après avoir été ainsi brisé. Touchant, émouvant, éclairant.
 
The Empty Room
 

Derrière chaque grand homme, il y a une femme dit-on. Mais il y a surtout une maman. Celle qui éduque, qui inculque certaines valeurs, qui propose un chemin à suivre. Et même un des hommes les plus puissants du monde a une maman. Même Barack Obama. Elle s’appelle Stanley Ann Dunham. Oui, elle porte un nom de garçon. Le destin de cette femme ne pouvait qu’être atypique. Imaginez, une jeune femme américaine de 18 ans, qui tombe amoureuse d’un africain qui bénéfice d’une bourse d’étude à la fin des années 50. Certes leur amour se vit à Hawaï, mais elle est américaine. Une époque où le mariage interracial est illégal dans une grande partie des états américains. Elle tombera enceinte, se séparera, se mariera avec un indonésien. Une femme libre, curieuse du monde, soucieuse des humains, obsédée par l’éducation. Une femme brillante et libre. Une femme qui s’est engagée pour donner l’accès au microcrédit aux femmes. Une femme charismatique et chaleureuse, dont le rire résonnait partout où elle passait. Une femme qui rêvait, avec ses copines de collèges, d’un meilleur avenir pour les femmes. Elle se projetait déjà éthnologue au collège. Elle a toujours su que c’est ce qu’elle ferait.
 
Obama Mama
 
Basé sur des témoignages d’amis d’enfance, de personnes qui la côtoyaient de personnes avec lesquelles Stanley Ann Dunham a collaboré, d’images d’archives fascinantes, de petites phrases que son fils, Barack a écrit dans son autobiographie, Obama Mama de Vivan Norris nous propose de découvrir celle qui indirectement, par l’éducation qu’elle a offerte à son fils a changé la face du monde et a permis, peut-être, de faire naître une meilleure compréhension interraciale dans un pays qui manque de racines. Elle a peut-être fait un rêve, celui d’une plus grande tolérance et d’une plus grande ouverture au monde, en faisant preuve d’humanisme. Un portrait qui dépasse largement le biopic et qui nous offre, les rêves, les aspirations d’une femme qui, par ses valeurs a offert à l’Amérique un espoir: Barack Obama, 44ème président des Etats-Unis et premier président afro-américain.

 

Prochaines projections


Cléo de 5 à 7 : 19.03 17h

The Empty Room :  plus de projections

Obama Mama : 17.03 18h30

 

STS/14.03.2016

lundi 14 mars 2016

FIFF 2016: trois femmes et un gars

 
Ida, Ida, Ida… Ida Lupino ! Celui ou celle qui n’a jamais vu un de ses films a l’obligation, que dis-je, le devoir de les voir. Alors qu’une réalisatrice très en vogue dans les années 20 et 30, Dorothy Azner, une vingtaine de films à son actif, décide en 1943 de mettre un terme définitif à sa carrière, il y a une place laissée vide. Ida Lupino ne manquera pas de l’occuper. Un peu lasse des rôles qu’on lui propose, s’ennuyant sur les plateaux de tournage, ayant l’impression que ce n’était pas elle qui faisait le travail intéressant, elle se tourne vers la réalisation. Mariée au scénariste et producteur Collier Young, ils fondent ensemble The Filmmakers, une société de production indépendante. Ida va réaliser 7 films, tous à petit budget et abordant souvent des questions de société.

Le cinéma de Lupino est dépourvu de lyrisme et de romantisme. Il s’intéresse à la classe moyenne, totalement ignorée par Hollywood. Lupino aborde ce milieu social sans emphase, sans ironie et sans populisme. Jamais de grands destins, Ida Lupino s’attaque aux habitants du quotidien. Même si les thèmes qu’elle aborde possèdent bien souvent un potentiel émotionnel fort  - le viol, la bigamie – le résultat à l’écran est une narration sèche, débarrassée de tout l’artifice hollywoodien. Pas de héros donc dans le cinéma de Lupino. Mais des hommes et des femmes brutalement frappés par le sort. Elle aborde de front des thématiques comme l’argent, la sexualité, l’indépendance et la dépendance. Elle se concentre sur les personnages principaux, évacuant quasi spontanément tous les rôles secondaires. Elle s’éloigne du mélodrame et propose presque des documentaires sur son époque. Il y a un grand dépouillement qui se dégage du cinéma de Lupino. Elle offre de magnifiques rôles féminins à ses actrices. Des rôles de survivantes, de combattantes. Elle laisse beaucoup de place aux relations interpersonnelles, n’a pas peur des silences, des regards ou des gestes simples. Le quotidien, dans tout ce qu’il a de merveilleux, d’ennuyeux et de simple. Un sacré petit bout de femme, qui du haut de son 1m63 raconte des histoires à hauteur d’humain, sans chichis.

Il est très difficile aujourd’hui de trouver de bonnes copies des films qu’Ida Lupino a réalisé entre 1949 et 1953. Peu sont édités en DVD – mais pourquoi ? – et la majorité d’entre eux se trouve par bonheur sur internet, mais en qualité pourrie. Autant vous dire que la projection de The Hitch-Hiker de ce matin, absolument merveilleuse, relève du miracle !

The Hitch-Hiker est un film noir, considéré comme le premier réalisé par une femme, mais qui tout de même se défait avec malice des codes du genre. Pas de héroïnes dans ce film exclusivement porté par des hommes. Et ils ont de belles gueules les p’tits gars d’Ida. : Edmond O’Brien, Frank Lovejoy et William Talman. Des gueules comme on les aime.

Inspiré de faits réels – Billy Cook est un tueur en série qui se fera passer pour un auto-stoppeur- The Hitch-Hiker est un long voyage en voiture à travers le désert, entre la Californie et le Mexique, durant lequel deux pêcheurs sont pris en otage par un psychopathe. Un film à la tension palpable. Merveilleusement réalisé, sublimement mis en lumière par Nicholas Musuraca. Si certains noir-blanc proposent une palette de nuance de gris, là il n’en est pas question. C’est noir et c’est blanc. Radical. Sublime.

The Hitch-Hiker


Madonna, troisième long-métrage de la coréenne Shin Su-Won, s’inspire de La Madone d’Edvard Munch, l’œuvre la plus connu de l’expressionniste norvégien après Le Cri.

« Un jour d’hiver, j’étais dans un café quand une femme SDF d’une vingtaine d’années entra, s’assit sur une chaise, mit sa tête sur la table et s’endormit. Elle avait une allure saine et normale et j’ai commencé à m’interroger : comment était-elle devenue SDF et pourquoi sa vie avait pris cette tournure ? Je ressentais de l’empathie mais aussi de la peur, en pensant que ma vie pouvait tourner au plus mal à n’importe quel moment. Son image est restée gravée et en pensant à ces femmes qui vivent une vie instable, sans sécurité de l’emploi, j’ai commencé à écrire Madonna. » Ce sont les mots que la réalisatrice confiera lors de son passage à Cannes en 2015.

Hye-rim, 35 ans, trouve un travail à l'hôpital comme aide-soignante d'un riche patient quadriplégique qui possède pratiquement l'hôpital. Pendant dix ans, Sang-woo, le fils de ce patient VIP, a désespérément tenté de maintenir son père en vie pour l'argent et a ordonné aux docteurs plusieurs greffes de cœurs malgré des insuffisances cardiaques à répétition. A la recherche d'un nouveau cœur, Sang-woo choisit une patiente anonyme aux urgences en état de mort cérébrale pour qu'elle soit donneuse. Il demande à Hye-rim d'enquêter. Celle-ci découvre que la femme connue sous le nom de Madonna, est une ancienne prostituée qui a connu une vie de maltraitances et qui est enceinte. En tentant de sauver le bébé, Hye-rim désobéit aux ordres de Sang-woo et se met à la recherche du père de l'enfant. Elle va faire de terribles découvertes. « Rester en vie est quelques fois plus dur que de mourir »… cette phrase de nous quittera pas tout le long du film.

Madonna, c’est le surnom que l’on donne à cette jeune fille boulotte et timide, souffre-douleur qui tombe enceinte par accident. La cinéaste slalome entre ces deux destins, celui de l’infirmière et de la patiente. Même si durant la première heure on a un peu le sentiment « qu’on a tout mis dedans », tout le cinéma coréen, en bouchées doubles, les images subliminales, le petit côté fantastique et la fin, plus émouvante que prévue, donnent au film un relief auquel on ne s’attendait pas.
 
Madonna
 

En parlant de relief, YO, ce jeune homme de stature imposante, rondelet, un peu simplet n’en manque pas. Il a 30 ans, mais est persuadé d’en avoir 15. Il vit avec sa mère, dans un restaurant mexicain isolé. L’arrivée d’un nouvel homme dans la vie de sa mère est très mal vécue. Il va s’éloigner petit à petit pour vivre ses premières expériences sentimentales et sexuelles.

La réalisation est rigoureuse, les plans serrés, enfermant encore plus le personnage dans le tourbillon des sentiments contradictoires qui l’habitent. Dur et cruel par moment, mais pas dépourvu d’humour, YO est brillant et singulier et met en lumière le destin d’un jeune homme qui n’a pas tous les outils pour faire face au monde, impitoyable lorsque l’on est différent, auquel il doit faire face. Une expérience aussi pour nous, spectateurs, que ce film de Matias Meyer.
 
YO
 
Et si on finissait la journée au bord de la mer ? Mais pas version coquillages et crustacés… Semana Santa, de la réalisatrice mexicaine Alejandra Marquez Abella, nous propose une introspection dans le monde du veuvage. Dit comme ça, ce n’est pas très engageant.

Dali et son fils Pepino, accompagnés par Chavez, le nouveau petit ami de la mère, partent pour des vacances balnéaires. Ce qui, dans un premier temps était censé les rapprocher, va finir par les éloigner. Dali n’arrive pas à faire le deuil de son époux, Pepino se sent rejeté par sa maman et Chavez n’arrive pas à résister à quelques belles naïades qui dodelinent des hanches dans des shorts un peu trop moulants. Tous les personnages sont en quête d’amour et de reconnaissance, chacun à sa manière, et chacun avec les moyens qui leur sont propres. Et si la meilleure façon de vivre commençait par le détachement ? Il suffira d’une nuit pour que tous, quelques gueules de bois et un incendie plus tard, se retrouvent transformés et prêts à faire face à leur nouvelle destinée. En commun ou pas ? Il faut aller voir le film pour avoir la réponse.

C’est le premier long-métrage de fiction de cette réalisatrice mexicaine. Quelques maladresses, quelques lieux communs, une réalisation assez convenue, rassurante, mais prometteuse. Une fausse fin qui m’a surprise. J’aurais préféré être laissée en suspension, avec des questionnements et une palette de possibles. Malheureusement, la fin a un goût de prémâché et perd de ce fait un peu de sa saveur.


 

Prochaines projections :


The Hitch-Hiker : 17.03 19h05

Madonna : 15.03 21h / 16.03 18h / 17.03 12h45

YO : 15.03 12h45 / 18.03 15h30

Semana Santa : 14.03 12h45 / 17.03 15h30

 

ST/ 13.03.2016

dimanche 13 mars 2016

FIFF 2016 : Les loups et l'agneau


Après une cérémonie d’ouverture qui m’a laissée un peu planante et délicieusement rêveuse hier soir, les premières projections du festival se sont chargées de me remettre les pieds sur terre, et fissa !

Dans A Monster with a Thousand Heads, Sonia, mère d’un garçon ado essaie en vain de faire valider un nouveau traitement pour son époux malade auprès de sa caisse-maladie. N’arrivant jamais à joindre le médecin-conseil de l’assurance – vous savez, le fameux message : « tapez 1 pour une question générale, tapez 2 pour un conseil spécialisé, et… » - fini par débarquer au siège de l’assurance. Si au bout de 15 minutes on comprend exactement ce qui se passer, ou plus exactement ce qui s’est déjà produit, il n’en reste pas moins que l’on reste scotché dans nos fauteuils, dans l’attente de la validation de nos suppositions. Mais surtout, on souhaite savoir si Sonia est allée aussi loin que nous l’imaginons. Rodrigo Plà joue un peu avec nos nerfs et avec la notion du temps. Le récit n’est ni chronologique, ni linéaire. Les points de vue changent en cours de chemin. Le réalisateur uruguayen sait très bien comment faire monter la sauce. C’est un thriller captivant, malgré quelques longueurs que l’on pardonne aisément.
 
 

Toujours sur le continent sud-américain, le destin de Maria nous bouleverse. Adolescente enrôlée au sein d’une milice qui a ses quartiers dans la jungle colombienne, enfant-soldat et objet sexuel des guérilleros, elle est chargée de mettre à l’abri l’enfant du commandant. Alors que d’autres filles dans sa situation, après quelques palpations basiques prodiguées par le médecin du camp, se font avorter d’office, Maria cache sa grossesse. Alias Maria est un film bouleversant. Un coup de poing dans la figure et le ventre. Un film qui sent la terre, qui dégage de la moiteur et de l’humidité, qui provoque de l’inconfort  et qui génère un sentiment de totale impuissance pour le spectateur. Que pouvons-nous faire ? La réponse est : rien. Se révolter de cette situation ? Oui. Mais à part être profondément en colère, nous sommes totalement démunis face au destin de cette jeune femme qui, malgré la situation, plus que périlleuse, va faire preuve d’un courage exemplaire. Dans cette jungle où les cris de bébés se mélangent, jusqu’à se confondre, aux bruits de la nature et des tirs de mitraillettes, José Luis Rugeles livre là, peut-être, le prix du public de cette 30ème édition du FIFF.
 
 

Le corps encore parcouru de frissons, Incident light m’a offert une petite trêve. Qu’est-ce que j’aime les films en noir et blanc. Ça m’a toujours fait plus rêver que la couleur. Allez savoir pourquoi ? Peut-être que cela fait plus fonctionner mon imagination et que je mon inconscient créé sa propre palette de nuances ?

Comment se remettre à aimer lorsque l’on se retrouve veuve, avec deux jumelles, et le souhait de conserver un statut social relativement élevé ? Faut-il céder aux pressions de l’entourage familial ? Un cadre pour deux petites filles en bas âge, c’est tout de même mieux. Avoir un époux et une structure familiale aussi. Mais si l’amour n’est pas présent ? Faut-il, même dans une Argentine des années 60, précipiter les choses et céder aux avances du premier courtisan venu ? Même si le courtisan, est un doux agneau, un homme pétri d’amour, de patience et de compréhension ? Ce sont à toutes ces questions qu’Ariel Rotter tente de répondre avec douceur, sensibilité et humour, tout en privilégiant l’ellipse, laissant ainsi au spectateur, sous le charme de la finesse de la réalisation, le soin de compléter les espaces vides. Petit bijou.
 
 

Après un passage d’environ 1 heure chez Ernst Lubitsch – oui, j’ai cédé à l’appel de To be or not to be - ma journée s’est terminée avec un film qui m’a laissé un sentiment mitigé.

Quand je suis arrivée chez moi, aux alentours de minuit, je ne savais pas trop quoi en penser. J’ai opté pour un café dans un premier temps, histoire de remettre un peu mes idées dans l’ordre.

Le rapport entre les humains et la nature, plus précisément les animaux, a depuis bien longtemps alimenté les imaginaires. Dans les livres, dans les peintures, et bien évidemment au cinéma. Si caresser un chat peut dégager une certaine sensualité – douceur du pelage, lascivité de la bête, sentiment de relaxation – il en va tout autrement d’un acte plus intime, que la morale considère comme déviant. Ces représentations ont, dans la majorité des cas, été construites dans des univers fantastiques. Je pense notamment à La Belle et La Bête de Jean Cocteau, à La Féline de Paul Schrader ou encore à LadyHawke de Richard Donner. Des malédictions, des sorts, bref que du surnaturel. Et c’est peut-être, comme dans Max, mon Amour de Nagisa Oshima, dans le réalisme de la relation que Wild, de Nicolette Krebitz, devient gênant, déconcertant.

Si le malaise subsiste, certaines scènes sont vraiment dégueulasses – pardon, mais déféquer sur un bureau ne m’a jamais tellement transportée – il n’en reste pas moins que la métaphore est plutôt bien amenée. Wild est en fait une fable moderne, avec un langage cru et contemporain, politiquement très incorrect. Une jeune femme croise le regard d’un loup et petit à petit s’affranchit de tous les codes tacites qui gèrent notre société. Retour à l’état sauvage. Ce qui est subversif, c’est la relation qu’elle instaure avec l’animal. Le besoin obsessionnel de le retrouver, de le faire sien. Cette jeune femme se libère et s’affirme au contact de l’animal. C’est troublant. Les scènes de sexe sont explicites, dérangeantes, mais également fascinantes. Pourquoi ? Parce que la mort est en arrière-fond. On ne sait pas vraiment comment va réagir le loup. C’est un animal sauvage, avec des instincts primaires. Et là, une nouvelle fois, on arrive dans le domaine érotique, le même qui nous terrorise et nous excite avec les vampires par exemple :Eros et Thanatos. Le loup pourrait ne faire qu’une bouchée de la jeune femme s’il le voulait.
 
 

Finalement, c’est un film que j’ai apprécié, mais après deux cafés et presque une heure de réflexion. Cela dit, quand je suis rentrée à la maison et que mon chat m’a fait la fête, je me suis entendue lui dire : « Minou, notre relation restera platonique, sache-le ! ». Et je lui ai rempli sa gamelle de croquettes.

Plus sérieusement, récemment, deux visas d’exploitation – La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche et Antichrist de Lars von Trier – ont été annulés, parce que des ayatollahs de la bonne pensée ont fait des leurs. Le film devrait être distribué dès le mois d’avril. En toute sincérité, je ne donne pas cher de sa vie hors festivals. Et c’est dommage, parce que c’est un film plutôt bien réalisé - même si une ou deux scènes sont dispensables -  et que l’actrice principale, Lilith Stangenberg, prend vraiment des risques. Choses suffisamment rares pour être signalées.

 

Prochaines projections :


A Monster with a Thousand Heads : 15.03 15h / 16.03 20h15 / 18.03 18h

Alias Maria : 14.03 20h30 / 15.03 19h / 18.03 13h

Incident Light : 13.03 12h / 16.03 15h15 / 17.03 21h30

To be or not to be : 19.03 14h45
 
 

BONUS DU JOUR :  Rencontre avec Marthe Keller

 
 

ST/12.03.2016