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dimanche 13 avril 2014

CARNETS NOIRS - Christophe Vauthey


« Mon nom est Pierre Mignon. Je travaille depuis plus de dix ans en tant que cadre moyen dans le service des ventes de mon entreprise, la Toys International Ltd. J’aspire au poste de Directeur des ventes, afin que s’ouvrent pour moi les lourdes portes de la Direction générale, le but suprême de toute ma vie. »

Pierre Mignon est né sous la plume de Christophe Vauthey. Ce vaudois de naissance parcourt le monde depuis plus de 20 ans. Son tour du monde, si l’on peut l’appeler ainsi, a débuté avec son engagement au sein du Département fédéral des affaires étrangères en 1994. De Stuttgart à Moscou, en passant par Bratislava, San Francisco, Los Angeles et depuis une dizaine de jours Rio de Janeiro, Christophe Vauthey s’attèle à promouvoir la culture suisse à l’étranger. Ce sémillant et fringant consul général adjoint, papa de deux enfants adolescents, possède plusieurs talents et plusieurs passions. Cinéphile dans l’âme, il a tout d’abord produit des films, avant d’écrire des scénarios et finalement réaliser deux courts métrages. L’écriture ? C’est depuis toujours. Mais ce n’est que récemment qu’il a trouvé le courage de montrer ses écrits. Ecrire, pour lui, c’est une volonté de raconter des histoires, de faire vivre des personnages. Son premier roman, Carnets noirs, sommeillait dans des tiroirs depuis de nombreuses années. Et plusieurs romans sont, nous confie-t-il, déjà écrits. Il est accro à l’écriture, et impatient de pouvoir faire découvrir encore de nombreuses histoires.

Celle qui nous occupe aujourd’hui, c’est celle de Pierre Mignon. Ce cadre moyen du service des ventes d’une multinationale qui commercialise des jouets n’est pas seulement ambitieux, il est arriviste et opportuniste. C’est une de ses premières maîtresses, auprès de laquelle il tentait de se convaincre que «il n’y a pas que des emmerdes dans l’exercice périlleux mais ô combien excitant de l’adultère » qui lui a offert son premier carnet noir. Depuis ce jour, bien qu’ayant régulièrement changé de partenaire sexuelle, la seule chose qui reste immuable, c’est qu’il porte toujours sur lui un petit carnet noir. Il y inscrit tout : ses pensées salaces, de même que les sensées, les coordonnées de ses conquêtes, mais surtout, tous les faits et gestes de ses collègues. Chacune de leur faiblesse est consignée dans un seul but, que lui revienne, le moment voulu, une nomination à la Direction générale. Tous les jours. Même le week-end. Il n’y pas de répit pour ce tueur de cadres, ce Rambo urbain.

Deux choses sont essentielles dans la vie de Mignon : sa carrière et son sexe ! Ce « machin qui gratte par grand froid et colle par grande chaleur ». On apprend à le connaître, presque à l’aimer, malgré l’usage intempestif qu’en fait son propriétaire. Comme nous sommes, durant tout le récit dans la tête de Pierre Mignon, nous le croisons régulièrement cet appendice, source de réflexion intense pour ce cadre moyen. Bref, nous sommes dans la tête d’un mec !

Ce monologue intérieur, cruel et cynique, est jubilatoire. Il l’est parce que nous ne sommes pas les cibles des attaques de ce Mignon. Et l’être humain est ainsi fait qu’il prend quelques fois plaisir à voir d’autres se faire dégommer à sa place. Plongée en apnée dans le libéralisme extrême.

L’écriture de Christophe Vauthey est fluide. Proche du langage parlé, il donne encore plus de réalisme à cette folle histoire. Ne l’oublions pas, nous suivons, page après page, les réflexions que se fait Pierre Mignon.Nous partageons ses yeux, ses goûts, ses envies. Nous subissons ses contrariétés. Tout cela nous conduira-t-il à son ascension fulgurante ou à sa chute brutale ? A vous de lire.
 

 

Christophe Vauthey

Pourquoi avoir appelé votre personnage Pierre Mignon, alors qu’il ne l’est vraiment pas ?

Ça m’est venu comme cela, sans trop y penser ! J’aimais bien l’idée qu’un être aussi abject puisse répondre à un nom aussi innocent. A un moment donné, il dit même : « Je n’ai de mignon que le nom », comme pour s’en excuser.

Bien plus qu’ambitieux, Pierre Mignon est arriviste et opportuniste. Pour avoir su si bien le croquer, en avez-vous croisé beaucoup ?

Comme le dit si bien mon ami Carlos Leal dans sa préface, on a tous en nous quelque chose de Mignon. Moi y compris ! Plus qu’une personne que j’ai rencontré dans ma vie, j’ai essayé de faire de Mignon un prototype du 21ème siècle où l’individualisme et l’égocentrisme règnent en roi. Je pense qu’au bout du compte, Mignon est devenu tel qu’il est parce qu’il souffre profondément de solitude. C’est marrant de constater que l’on vit dans une époque où malgré les réseaux sociaux, et la multiplication d’amis virtuels, les gens sont de plus en plus seuls. Mignon n’est donc pas un cas isolé.



Une fabrique de jouets… pas vraiment le genre d’entreprise où l’on s’imagine croiser un tel individu. Est-ce pour nous montrer que des Pierre Mignon, il en pousse à chaque coin de rue ?

Là aussi, je voulais véhiculer un cliché du monde globalisé dans lequel nous vivons, J’aimais l’idée que le décor de cette fable moderne soit une multinationale dont le siège est en Occident et qui fasse des bénéfices colossaux en vendant des jouets fabriqués dans un pays du tiers-monde. Après pourquoi les jouets ? Peut-être comme une métaphore de ce que vivent les cadres de la Toys qui ont finalement un comportement enfantin dans l’adversité.

Rocky, Rambo III, une allusion (pas très flatteuse) aux films de Godard, le cinéphile que vous êtes a-t-il dû se faire violence pour ne pas faire plus de références ?

Il est clair que j’aurais pu faire des références cinématographiques à chaque page, car moi, je suis cinéphile. Par contre, je ne suis pas sûr que notre ami Mignon le soit, lui. Je pense que Pierre Mignon ne s’est pas rendu au cinéma depuis belle lurette. En plus d’un refus viscéral de se mêler à ses semblables, je pense qu’il ne supporterait pas la compagnie des mangeurs de popcorn et qu’il pourrait tuer pour ça. Moi, parfois, je suis à deux doigts de le faire.

Sans dévoiler la fin de votre roman, pourquoi ne pas vous être arrêté à la fin du « je » ?

Ah, la fin… Elle a donné beaucoup matière à discussion. Après ce final où tout s’emballe, je voulais que l’on sache ce qu’il advient de tous les protagonistes et bien sûr de Mignon. Pour cela, il fallait que le narrateur prenne le dessus. De toute façon, durant tout le reste du livre, le moi/je de Mignon est permanent.

Déjà de nouveaux projets en tête ?

Rayon littérature, j’ai déjà quelques romans terminés et continue de travailler sur quelques autres récits. Pour le cinéma, je travaille sur un documentaire qui sera terminé à l’automne 2014 et espère vivement pouvoir trouver un projet à réaliser au Brésil. Je me laisse porter au gré de mes inspirations et de mes envies. Je suis aussi très heureux et excité par les deux projets musicaux dans lesquels je suis impliqué à Los Angeles. Vous n’avez pas fini d’entendre parler de moi.
 
 
On se réjouit de la suite, Christophe!

 
 
Carnets noirs, Christophe Vauthey - éd. Xénia, 2014 

 
ST / 13 avril 2014


 

dimanche 6 avril 2014

FIFF 2014: Tomber en amour... et ultime bafouille


Tomber en amour. C’est comme cela que l’on dit lorsque l’on tombe amoureux dans la Belle Province. Et c’est pour un cinéma que j’ai eu un coup de foudre, un coup de soleil, un coup d’amour, un coup de « je t’aime »… Ce cinéma, c’est celui de Sébastien Pilote. Je peux, à ce jour, dire que j’ai vu tous les longs métrages de ce talentueux cinéaste québécois né à Chicoutimi. J’avais envie de placer Chicoutimi, ne m’en voulez pas, mais ce nom m’a toujours été sympathique et j’aime sa sonorité. Parenthèse fermée.

Le cinéma de Sébastien Pilote est un des plus tendres qu’il m’ait été donné de voir. Tendre, mais dur et réaliste aussi. Il dose savamment traits d’humour verbaux et moments de grâce. Pilote dresse, avec génie et délicatesse, des portraits de monsieur-tout-le-monde. Dans Le Vendeur, c’est un pan de l’histoire de Marcel Lévesque, interprété avec justesse et sensibilité par Gilbert Sicotte qui est dépeint. Marcel est depuis toujours le meilleur vendeur de voitures de l’entreprise qui l’emploie. Il devrait être à la retraite depuis longtemps, mais le décès de sa femme, et la solitude qui en découle, le poussent encore et toujours à rester en activité. Sa fille souhaiterait qu’il prenne du temps pour lui. Mais Marcel n’est pas de cet avis. Sa vie, c’est son métier, sa fille et son petit-fils.
Le Vendeur
 
Dans Le Démantèlement, Sébastien Pilote se penche sur le destin d’un éleveur de moutons qui tient à flots, à bout de bras et sans compter ses heures de travail, le domaine agricole familial qui lui est revenu, suite au décès de son père et à l’absence d’implication de ses frères. Gaby, magistral et émouvant Gabriel Arcand, devra un jour se poser la question du démantèlement ou non de son domaine. Bien que jusqu'ici il était d'avis qu'un tel domaine se transmettait et non se vendait. La vie le met face à ce choix douloureux.

Dans ses deux films, le cinéaste québécois met en avant les relations familiales fortes entre un père et sa ou ses filles, avec une tendresse et un réalisme qu’il m’est difficile de décrire ici avec des mots. Ce que je peux vous dire, c’est qu’une fois plongé dans l’un de ces deux films, vous n’avez qu’une seule envie, celle de découvrir encore plus l’univers de Sébastien Pilote. Pour le moment, nous n’avons que deux films à nous mettre sous les mirettes, mais quels films !
Le Démantèlement
 
Les paysages sont sublimement filmés, rappelant les grands espaces filmés par Robert Redford dans Et au milieu coule une rivière ou L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux. Un cinéaste proche de sa terre, de ses racines. Urbaines ou plus rurales. Pas étonnant que Le Vendeur ait été sélectionné en compétition à Sundance, festival présidé par Redford. Les relations humaines quant à elles, sont décrites avec tellement de sincérité, malgré leur complexité, que vous êtes régulièrement saisis à des moments où vous ne vous y attendez pas. Parce que oui, le cinéma de Sébastien Pilote est honnête et sincère. Il ne joue pas avec nos sentiments, ne cherche pas, consciemment du moins, à nous tirer les larmes. Mais le fait est que nous sommes régulièrement émus, parce que les situations nous parlent au plus profond de nous et que nous avons chacun, un élément de notre biographie qui nous saute à la gorge et au cœur à un moment ou un autre. Le cinéma québécois rayonne depuis une bonne vingtaine d’années avec notamment Denys Arcand – qui a oublié Le déclin de l’Empire américain, Jésus de Montréal  ou Les Invasions barbares ? - ou plus récemment Xavier Dolan, avec les sensibles (mais néanmoins durs) Les Amours imaginaires  ou Laurence Anyways. Il faut désormais ajouter à cette liste Sébastien Pilote.

Un de mes grands bonheurs, c’est que mon grand coup de cœur de cette année, hormis les deux films de Pilote présentés hors compétition, Han Gong-Ju, dont je vous ai dit beaucoup de bien, vous incitant même à aller le voir, a remporté le Regard d’Or cette année. Et c’est largement mérité, tant la réalisation est exceptionnelle. Un film que vous pourrez revoir demain dimanche au REX à Fribourg. Je vous invite vraiment à vous déplacer si vous n’avez pas encore vu ce film. Vous ne le regretterez pas.
Han Gong-Ju
 
Le reste du palmarès est à consulter ici. Et les horaires de projection pour le Regard d’Or et le Prix du Public, ici. 37'000 personnes ont fréquenté le FIFF cette année, explosant une nouvelle fois le record. Gageons que l'an prochain nous serons 40'000!

Après cette déclaration d’amour, et 41 films plus tard, c’est avec nostalgie que cette 28ème édition du Festival International de Films de Fribourg se termine pour moi. Que de joies, que de petits en grands bonheurs. Que d’émotions. Que de révoltes. Que de rencontres. Les exprimer toutes ici serait indécent. Permettez-moi donc d’en garder quelques-unes, plus intimes, pour moi.

Je vous donne rendez-vous pour le FIFF 2015 du 21 au 28 mars 2015, mais d’ici-là, continuez à me lire ! Le cinéma, sur Cinécution, c’est toute l’année ! Avec passion et sincérité.

ST / 5 avril 2014

jeudi 3 avril 2014

FIFF 2014: Passions et diaporama kazakh...


Le moins que l’on puisse dire, c’est que la programmation de cette année enflamme les passions !

Si le but de la direction du festival était de nous faire entrer en résistance, de nous mobiliser, de nous sortir de notre léthargie, on peut dire qu’il est atteint. Rarement au FIFF, et je le fréquente depuis 18 ans, je n’aurai assisté à autant de débats à l’issue des projections. Toutes et tous nous défendons corps et âme le cinéma que nous aimons. Nos idées. Nos valeurs. Quelques fois avec un enthousiasme débordant et d’autres avec un sentiment de colère et de révolte à peine contenues. Oui, la programmation ne fait pas l’unanimité. Et heureusement !
Fish and Cat
 
La confiance que témoigne la direction artistique du FIFF à son public est palpable. Elle n’hésite pas à proposer, dans la compétition internationale des longs métrages par exemple, la plus suivie, des films pointus, comme Constructors ou Fish and Cat, ou des documentaires-fleuve, comme `Til Madness do us part, qui dure 4 heures. Alors oui, le cinéphile du dimanche est un peu malmené, mais cela ne le décourage pas de revenir. J’en veux pour preuve ce nouveau public, très jeune, drainé par les séances de minuit des années précédentes, qui fréquente aujourd’hui les autres sections. Il découvre un cinéma qu’il ne connaissait pas. Et entendre les débats s’embraser au sortir des projections, avec toute la fougue qui caractérise la jeunesse, c’est rafraîchissant. Même si l’on sent qu’il n’est pas toujours très à l’aise, ce nouveau public est curieux. Il est interpelé et pose des questions. J’aime ça. Même si je pense qu’il mange toujours trop de popcorn durant les séances…
'Til Madness do us part
 
Plus sérieusement, je suis la première à être malmenée, bien que je sois une habituée des festivals. Cet après-midi, lors de la projection de `Til Madness do us part de Wang Bing, lauréat du Regard d’Or l’an passé avec Three Sisters, j’ai quitté la séance après une heure. En temps normal, fraîche et reposée, je serais très certainement restée. Mais au 5ème jour du festival, après avoir vu plus de 25 films, éprouvé tout autant d’émotions, se retrouver enfermée dans un asile psychiatrique chinois, c’en était trop. Je regrette de ne l’avoir pas mis plus tôt dans mon programme. Mais voilà, c’est fait.
Je me suis donc retrouvée avec un trou de 3 heures à combler. C’est tout naturellement vers une friandise cinéphile que je me suis retournée : Easy Rider ! Voir ce film culte de la fin des années 60 sur grand écran, c’est quand même autre chose que de le visionner en DVD dans son salon ! Born to be wild ! J’étais requinquée. Mais pas pour longtemps…
Easy Rider
 
 
Le gros coup de gueule de la journée, et certainement le seul de tout ce festival, c’est Constructors d’Adilkhan Yerzhanov. Le jeune réalisateur kazakh, à peine 20 ans, possède un sens indiscutable de l’image. Les plans sont magnifiques, les cadrages sublimes, bien que des éléments figurent toujours au premier plan - des baskets, des sacs plastique, des bouteilles en PET - et cassent, selon moi, l’intensité voulue. Mais, et cela n’engage encore une fois que moi, il n’est pas réalisateur. Il est photographe ! Bien que le sujet soit louable – combat incessant de tout un chacun pour remplir toutes les conditions requises par une administration toujours plus pointilleuse – il se perd dans une abstraction trop artificielle à mon goût. Je n’ai pas eu le sentiment de voir un film, mais d’assister à un diaporama. Et je n’étais pas là pour ça.

Constructors


Mais ce qui m’a le plus énervée, c’est qu’à aucun moment je n’ai senti que le cinéaste kazakh nous invitait, nous spectateurs, à le suivre. Ce terrible sentiment qu’il se regarde filmer. J’ai aussi eu l’impression qu’il était un peu emprunté avec le sujet – bien qu’il ait écrit le scénario – et qu’il manquait d’arguments. Donc, pour palier à ce manque, il a tout misé sur l’image. C’est dommage, tant le sujet est universel. Au-delà des complications administratives, c’est aussi le portrait d’une fratrie brisée. Dont les liens se sont distendus et dont on imagine mal comment ils vont pouvoir être tissés à nouveau. Le dernier plan, que je ne dévoilerai pas, m’a particulièrement agacée et démontre, selon moi, qu’ Adilkhan Yerzhanov, aussi talentueux metteur en image qu’il soit, manque encore un peu de maturité. Je regrette que le cinéaste, annoncé comme présent, n’ait finalement pas pu faire le voyage vers Fribourg. Nul doute que je l’aurais longuement questionné sur ses intentions et peut-être que j’aurais eu un regard plus indulgent sur son film.

Une fois de plus, et ma chronique en témoigne, le cinéma déchaîne les passions. Ne jamais sous-estimer la force du cinéma. Jamais.

 

ST/ 2 avril 2014

mercredi 2 avril 2014

FIFF 2014: sortir des sentiers battus...


Pour bien comprendre les lignes qui vont suivre, je suis obligée de faire un retour en arrière de deux ans. En 2012, je ne connaissais que le nom de Mohammad Rasoulof. Je n’avais jamais vu aucun de ses films. Invité comme juré au FIFF, l’occasion était donnée aux festivaliers de découvrir Goodbye.  C’est probablement un des films les plus marquants de ma vie de cinéphile. Il m’a poursuivie de longues semaines et sa seule évocation m’émeut encore aujourd’hui. Rasoulof était présent au FIFF cette année-là. Il m’aura fallu toute la durée du festival pour oser aller lui parler, parce que dès que je commençais à parler de Goodbye, je fondais en larmes. Et cela n’a pas manqué lorsque j’ai commencé à le remercier. Aidée par un traducteur, je tentais de faire passer à quel point son film m’avait bouleversée. A quel point j’avais de l’admiration pour les cinéastes iraniens, non seulement parce que la majorité de leur films sont d’une beauté renversante, mais surtout parce que ce sont, à chaque fois des films courageux. Et Goodbye  est un film courageux. Une magnifique, tragique et bouleversante histoire de femme. A court de mots et saisie par l’émotion, je n’arrivais plus à m’exprimer. Rasoulof m’a alors ouvert ses bras et m’a serrée. Un moment intense. Rien que de me le remémorer, et de le retranscrire ici, les larmes me montent aux yeux. Ce moment restera à jamais inoubliable, parce que profondément empreint d’humanité.
Goodbye
 
Alors hier, lorsque j’ai vu Manuscripts don’t burn, son dernier film, je n’ai pensé qu’à ce moment-là. Et cela m’a rendue profondément triste. Rasoulof est le seul cinéaste d’une sélection qui réunit 46 nations à être retenu par les autorités de son pays. Il est privé de son passeport depuis octobre dernier. Alors même qu’une bribe d’espoir renaissait avec l’accession au pouvoir d’Hassan Rohani qui était présenté comme le seul candidat modéré de la campagne présidentielle iranienne de 2013.

Manuscripts don’t burn parle de la censure, de tentative d’assassinat d’intellectuels par l’Etat afin de les réduire au silence. Alors oui, c’est une nouvelle fois un film courageux. Rasoulof est radical dans son propos. Pas de concession et pas de tabou. Pour nous occidentaux, la liberté de penser est un acquis et on oublie trop souvent que ce n’est pas le cas partout sur le globe et pas si loin de nous finalement. Programmer ce genre de film dans un festival, c’est un devoir d’information. Aller les voir, c’est exprimer sa solidarité avec celles et ceux qui ont le courage de s’opposer à l’intolérable. Alors, lorsque certains disent que le cinéma n’est qu’un divertissement, j’ai envie de grimper les murs !
Manuscripts don't burn
 
Une nouvelle fois, grâce à la programmation du FIFF, on constate que le cinéma est bien plus que ça. Il se fait le miroir de la société. Outre les messages politiques qui peuvent émaner de certaines œuvres, ce sont aussi des photographies sans concession de différents dysfonctionnements sociétaux. Le sexisme, l’homophobie, l’intolérance, l’irrespect, l’isolement, la surconsommation, la religion, le profit avant l’humain. Même si ces sujets ne sont pas toujours abordés de manière frontale, il n’en reste pas moins que ces démarches sont initiatrices de réflexions. Et magie, tout cela ne freine en rien la démarche artistique : bon nombre de ces films sont, esthétiquement parlant, supérieurs à la majorité des blockbusters ! Il y a encore deux projections de Manuscripts don’t burn, allez-y !

A une époque où le « chacun pour soi » prévaut, il est bon de se souvenir que ce qui est acquis chez nous occidentaux – bien qu’il y ait encore beaucoup à faire – ne l’est pas partout, même dans ce qui fait le fondement des droits humains. Encore une fois je le redis, sortez des sentiers battus. Osez vous confronter à ce que vous ne connaissez pas. Allez voir des films dont les réalisateurs vous sont inconnus, dont les médias ne parlent pas, ou moins. Soyez curieux. Et pas seulement durant le FIFF, toute l’année ! Vous en ressortirez grandis. Promis, juré.

Et sinon, aujourd’hui, Patrick Chesnais était de passage à Fribourg pour défendre le film de Samuel Rondière : La Braconne. Un très joli premier film qui n’a malheureusement pas trouvé de distributeur en Suisse. Quel dommage ! Mais quelle chance d’avoir pu le voir hier soir. Danny prend sous son aile Driss, un jeune gars des banlieues. Il va le forcer à apprendre à lire et à conduire, mais va également lui enseigner les bases et les ficelles de la petite arnaque artisanale. Driss va également dire au revoir à son insouciance. Quelques répliques peuvent aisément devenir cultes ! Un jeune cinéaste à suivre et à ne pas perdre de vue. Patrick Chesnais s’est, à la fin de la projection, livré à un Q & A plein d’humour et de tendresse. Un joli moment.
La Braconne
 
Demain, je vais une nouvelle fois me confronter à Wang Bing. L’an passé, après la projection de Three Sisters, j’avais ressenti le besoin urgent de me doucher. Impatiente de voir quel besoin urgent je vais devoir assouvir après la projection de `Til Madness do us part

 

ST / 1er avril 2014

mardi 1 avril 2014

FIFF 2014: N'ayez pas peur du cinéma...


Certains films ont une capacité impressionnante à nous poursuivre. Ils nous rentrent sous la peau et s’attaquent à chacune de nos cellules, une à une… ils nous habitent et nous laissent que peu ou pas de répit. Tel fut le cas aujourd’hui pour Han Gong-Ju  de Lee Sujin. Je suis ressortie de la projection complètement retournée, comme une chaussette. Profondément touchée par la beauté de la réalisation. Les cadrages et la photographie sont absolument sublimes. Le propos est difficile, lourd, mais amené avec pudeur et maturité, alors que c’est le premier film de ce « jeune » cinéaste sud-coréen. Je mets jeune entre guillemets, parce que je ne connais pas son âge et que c’est comme ça qu’il est présenté. Toujours est-il que pour un premier film, c’est magistral.
 
Han Gong-Ju
 
Gong-Ju est une jeune femme, encore adolescente, qui cache un sombre secret. Seule dans une nouvelle ville, dans une école où elle ne connaît personne. Ses parents ont refait leur vie chacun de leur côté, la laissant livrée à elle-même. Lorsqu’une de ses camarades de classe la surprend en train de chanter sous la douche, elle lui propose d’intégrer la chorale a capella dont elle fait partie. Le talent de Gong-Ju est tel que ses camarades décident de mettre des enregistrements vidéo d’elle sur internet. Ce sera alors, petit à petit et subtilement distillé, que le secret qu’elle cache au fond d’elle se révélera. Il reste encore deux projections de Han Gong-Ju, ne les ratez pas ! Bien que n’ayant pas encore vu tous les films en compétition, plus particulièrement le très attendu Manuscripts don’t burn  de Mohammad Rasoulof, je pense sincèrement que ce film peut remporter le Regard d’Or.
 
Manuscripts don't burn
 

Ce film a été introduit, et est présenté dans le catalogue, comme pouvant heurter les personnes sensibles. Pourquoi prendre autant de précaution ? Je vous avoue être toujours un peu agacée face à ce genre d’avertissement. Plus qu’agacée, je suis profondément énervée. Donner ce genre de recommandation, c’est déjà livrer une partie de l’intensité du film. Fréquenter un festival de cinéma, et plus largement, vivre, tout simplement, c’est prendre un risque. Celui d’être surprise, dégoûtée, enchantée, bouleversée, déçue, choquée. Quand je suis venue au monde, comme nous tous, je n’avais pas des panneaux à chaque coin de ma chambre pour me dire : « Attention, il y aura des moments où tu seras déçue, des moments où tu seras triste et d’autres où tu seras très heureuse. » Je n’ai pas besoin, et là encore, je parle en mon nom personnel, qu’on me dise avant une projection : « Attention, tu vas avoir des émotions et il se pourrait qu’elles soient fortes. Te voilà prévenu(e)!». Bullshit ! C’est justement ce que j’attends du cinéma ! Des émotions, quelle que soit leur nature ! Sur mon blog, je l'ai fait un temps. Aujourd'hui, je ne le fais plus, jugeant que les personnes qui me lisent sont prêtes à prendre des risques. Allez voir des films et laissez-vous surprendre ! Et ne perdez pas de vue que la véritable barbarie humaine est visible tous les jours, et sans avertissement, dans les événements qui font l'actualité. Et là, ce n'est pas du cinéma. D'ailleurs, les différentes sections du FIFF, en particulier Décryptage, permet, en heurtant quelques fois, de porter un autre regard sur ces faits d'actualité. Il n'y a rien de plus sain que de sortir de sa zone de confort. C'est là que les expériences deviennent intéressantes et que la réflexion se met en branle. Voilà, parenthèse fermée et courroux apaisé.
Quick Change
 

Pour poursuivre mon marathon cinématographique, j’ai enchaîné avec Quick Change du réalisateur philippin Eduardo Roy Jr. Je vais être claire d’entrée : je n’ai pas aimé, mais alors pas du tout, la façon dont ce film est réalisé. Par contre, les thèmes abordés, les relations amoureuses des personnes transsexuelles, leur obsession de la beauté et de la jeunesse, et l’exploitation de leur misère, tant économique que sentimentale, m’ont profondément touchée. Ces personnes m’ont toujours émue et m’émouvront toujours. La sexualité, déjà quand elle est bien définie, que l’on soit gay, lesbienne ou bi, n’est pas toujours facile à gérer, mais quand on est enfermé dans un corps qui n’est pas le nôtre, je n’ose imaginer. Je ne sais pas d’où me vient cette tendresse pour les transsexuels, mais elle est bien réelle. Pour en revenir au film, le cinéaste philippin hésite entre documentaire et fiction. Et c’est bien dommage. Un choix aurait dû être fait pour donner de l’intensité au discours, et au scénario, qui sont loin d’être simplistes.

Ma journée s’est terminée avec l’excellent thriller On the Job d’Erik Matti, film qui a déjà fait l’objet d’une chronique.

Demain sera une grande journée, outre le fait que je vais enfin voir Manuscripts don’t burn  de Mohammad Rasoulof – un des cinéastes iraniens actuels le plus intense et le plus doué - et Borgman d’Alex van Warmerdam, Patrick Chesnais sera à Fribourg pour défendre La Braconne de Samuel Rondière. Oui, nous serons le 1er avril, non, ce n’est pas une blague ! 

 
La Braconne

 

ST/31.03.2014