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vendredi 29 novembre 2013

INSIDE LLEWYN DAVIS - Joel et Ethan Coen - 2013





Une perle de novembre, voilà ce qu’est Inside Llewyn Davis, le dernier film des frères Coen. Inspiré de la vie de Dave Van Ronk, ce road movie à l’humour grinçant dresse le portrait d’un anti-héros : Llewyn Davis. Musicien, chanteur, guitariste folk, Llewyn Davis est un être que l’on peut détester de prime abord : véritable sangsue, pique-assiette et squatteur de sofa, méprisant la plupart des personnes qui, selon lui, ne connaissent rien à la musique. Cependant, il devient, au fur et à mesure que le film évolue,  un personnage auquel on s’attache. Rien ne lui réussit. Ses tentatives de percer dans le milieu du show-business sont toutes des échecs cuisants. Sa vie sentimentale, désertique, et ses relations familiales compliquées, notamment avec sa sœur, complètent le portrait de ce looser de compétition. C’est de New-York à Chicago, sans le sous, guitare en bandoulière et accompagné d’un chat, que Llewyn Davis nous entraîne dans sa quête du succès et du contrat avec une maison de disque qui lui ouvrirait les portes de la gloire. 



Joel et Ethan Coen nous ramènent à une époque où la musique folk ne connaissait pas encore l’engouement qu’on lui a connu dès le milieu des années 60. C’est cette période sombre qui est décrite avec cruauté, mais également avec nostalgie. Un temps révolu où une petite poignée de passionnés s’échangeait oralement de vieilles chansons comme s’il s’agissait, pour chacune d’elles, d’un secret. 


Llewyn Davis est le prototype même du chanteur folk issu de la classe ouvrière et qui partage sa vie entre musique et petits jobs. La plupart des chanteurs de cette époque n’enregistreront pas de disques, mais se contenteront de se produire dans quelques petits bars, dévoués corps et âmes à leur art, animés par un optimisme propre à leur jeunesse. La majorité d’entre eux ne feront d’ailleurs jamais carrière. Il ne faut pas oublier non plus que les principaux clubs new-yorkais de l’époque restaient fidèles au jazz. 

 
Avec une bande originale qui ne s’échappe pas de nos oreilles bien des jours après l’avoir vu, Inside Llewyn Davis, réveille en nous des envies de réécouter l’intégrale de plusieurs folkeux : Bob Dylan en tête (joli clin d’œil en fin de film à l’interprète de Mr. Tambourine Man), Joan Baez ou encore Pete Seeger. Mais une autre envie renaît, celle de s'immerger dans les écrits de Jack Kerouac, de plonger dans les grands espaces, en sentant un vent de liberté souffler dans nos cheveux. 


Comme à leur habitude, les frères Coen distillent un humour corrosif et créent des personnages hauts en couleurs, tel Roland Turner, jazzman héroïnomane (John Goodman, irrésistible) qui partagera un bout de route avec Llewyn. La présence comique d’un chat, échappé d’un appartement où Llewyn squattait, apporte un peu de légèreté et de douceur à un film qui somme toute porte un regard impitoyable sur la période pré-Dylan, plus confidentielle, notamment à cause d’un manque d’intérêt des médias pour cette musique jugée à l’époque un peu trop « campagnarde ».  Malgré la cruauté de l’univers dépeint par les frères cinéastes, Inside Llewyn Davis est un film tendre, plein de mélancolie. Les images gris-bleu font que la rudesse de l’hiver passe à travers l’écran et nous donne des frissons. Et des frissons, la voix d’Oscar Isaac, qui donne au personnage de Llewyn un charisme et un charme rares, nous en procure également. De toute beauté. 

Vous l’aurez compris, Inside Llewyn Davis est un des films à voir absolument en cette fin d’année. 





mercredi 27 novembre 2013

LES GARCONS ET GUILLAUME, A TABLE! - Guillaume Gallienne - 2013




C’est un amour qui ne ressemble à aucun autre. L’amour entre une mère et son fils. Alors lorsque la maman de  Guillaume dit : « Les garçons et Guillaume, à table ! », il n’est d’emblée pas considéré comme un garçon… donc, il est une fille. Il en est persuadé. Sinon, pourquoi sa mère ferait-elle le distinguo ?
  
Non, il n’est pas homosexuel, contrairement à ce que pense son entourage. Il aime les garçons, mais c’est normal, vu qu’il est une fille. Lorsque son père lui reproche de ne pas pratiquer de sport, Guillaume dit qu’il veut faire du piano. A l’opposé de ses frères, il n’aime pas la chasse, a peur des chevaux. Il passe donc la majorité de son temps avec sa mère. Ce modèle inaccessible. Cette figure maternelle qu’il prendra soin d’imiter jusque dans les moindres détails, provoquant de ce fait quelques quiproquos. 




Cette maman distante et autoritaire dont il cherchera en permanence les faveurs, les signes de reconnaissance et de fierté, qu’il ménagera afin de ne jamais la décevoir. 



Les garçons et Guillaume, à table ! est bien plus qu’une simple comédie. C’est un regard sensible, drôle, sur une adolescence tourmentée, une quête de l’identité sexuelle. Guillaume Gallienne, qui tient son propre rôle, et également celui de sa mère, pose également un regard critique sur l’homophobie, sa bêtise et son ridicule. Gallienne a également cette énorme capacité de revenir sur des éléments, a priori traumatisants, avec humour, recul et intelligence. 


 

 C’est en 2008 que Guillaume Gallienne crée « Guillaume et les garçons, à table ! ». Un one-man show où il interprète tous les rôles. La pièce est reprise en fil rouge. Les souvenirs sont mis en images, les situations recréées. La mère surgit à n’importe quel moment, dans les situations les plus incongrues. A l'image du coryphée du théâtre grec antique, elle commente chaque malaise que ressent son fils, donne l’explication aux gênes rencontrées, le tout avec un cynisme glaçant. 



 

« Ce qu’on te reproche, cultive-le ! C’est toi. » Cette citation de Cocteau, Gallienne la fait sienne. Alors que ses frères se moquent de son côté efféminé, Guillaume s’amuse à jouer à Sissi la nuit, avec une couette attachée à la taille qui devient robe à crinoline… Sa majesté reçoit dans son boudoir. Surpris par son père, il invoquera un chauffage déficient. En permanence en quête de qui il est vraiment, Gallienne romance quelque peu son adolescence et sa vie de jeune adulte, mettant en scène des situations cocasses, changeant de points de vue (sa mère, sa tante, etc…). Cette histoire est devenue drôle et un peu surréaliste même. « Un surréalisme qui me fait passer d’un âge à un autre, d’un sexe à un autre, d’un décor à un autre, avec un seul impératif : aller au bout, et qu’on me croit. Pour raconter comment, d’illusions en désillusions, j’en suis arrivé là. Avec le plaisir cinématographique de pouvoir transformer instantanément le plateau en autant de lieux évoquant les épisodes les plus frappants de cette odyssée », tels sont les mots de Galienne. 


 

Les garçons et Guillaume, à table ! est un film drôle et touchant. On rit de bout en bout, tout en ayant à l’esprit que cette démarche, honnête et profondément sincère, lève un bout du voile sur ce que peuvent ressentir celles et ceux qui se cherchent sexuellement. C’est aussi un film-déclaration d’amour : aux femmes, modèles et sources d’inspiration, et à la mère. Première femme de leur vie et premier amour inconditionnel de ces petits garçons qui n’auront de cesse de chercher dans leurs compagnes soit son double, soit son contraire. Dans la famille Freud, je demande le fils : Sigmund. Nul doute que le plus célèbre des psychanalystes se serait délecté d’une telle histoire. 







samedi 23 novembre 2013

LA VIE D'ADELE - Abdellatif Kechiche - 2013


La vie d'Adèle, ou plutôt l'éducation sentimentale d'Adèle. A la veille de sa majorité, Adèle découvre les plaisirs de la chair, le désir, l'amour, alors qu'elle ne cherche pas particulièrement à plaire et ne remarque pas les regards que les garçons posent sur elle. "Je suis une femme...", c'est cette affirmation tirée du roman de Marivaux, La Vie de Marianne, qui lance le parcours initiatique de cette jeune fille qui va apprendre à devenir adulte et responsable.
 
Alors qu'elle entame une liaison avec un garçon de son lycée, Adèle se confie à son meilleur ami: il manque quelque chose dans sa vie. Le petit truc qui fait qu'elle n'est pas pleinement heureuse. C'est au détour d'un passage pour piétons, qu'elle croise pour la première fois le regard d'Emma, jeune femme aux cheveux bleus. Ses rêves intimes sont alimentés par des images de la belle sauvageonne. Adèle met fin à sa relation avec son camarade. Elle découvre le coup de foudre et sa nature profonde: elle aime les filles.
 


Lors d'une virée dans une boîte gay, Emma et Adèle font connaissance. C'est le début d'une histoire d'amour passionnelle. Si dans la famille d'Emma son homosexualité est connue et acceptée, dans la famille d'Adèle, il en est autrement. Emma n'est que celle qui lui donne des cours particuliers de philosophie. Les deux jeunes femmes vont s'aimer, vont grandir et devenir adultes ensemble. Elles vont s'aimer aussi follement qu'elles vont se quitter avec violence.

 
 
Je ne reviendrai volontairement pas sur la polémique qui a démarré en fin d'été et qui accusait Abdellatif Kechiche d'avoir une direction d'acteurs plutôt musclée. Il n'est pas le premier, ni le dernier cinéaste tyrannique. Il suffit de se souvenir de Kubrick et de sa direction d'acteurs avec le couple Cruise-Kidmann dans Eyes wide Shut. Au final, probablement un de ses plus beaux films! Non, je ne m'attacherai qu'au résultat. Un film magnifiquement filmé. Une caméra qui n'a de cesse de caresser ses actrices, d'être au plus près de leurs peaux, de leurs souffles. On est troublé, emmené dans un tourbillon charnel, d'amours saphiques.
 
A ceux qui crient au scandale et à l'indécence des scènes de sexe, qui sont très explicites et détaillées, je n'ai qu'une seule question: c'est quand la dernière fois que cela vous est arrivé d'être pareillement désirés et d'aimer avec une telle intensité? Derrière ces critiques, on sent surtout beaucoup de frustration. Ces scènes n'ont absolument rien de choquant, ni de vulgaire. C'est l'expression physique de l'amour de ces deux jeunes femmes. Et c'est tout simplement sublime.

 
 
Au-delà de cette magnifique, et tragique, histoire d'amour, il y a aussi d'autres thèmes qui sont abordés, de manière furtive: les disparités sociales, intellectuelles. Ces thématiques sont abordées finement, sans grossir le trait, ni émettre de jugement.
 
La durée du film, 3 heures, ne doit pas vous décourager. Il n'y a pas de place pour l'ennui. On suit de façon fluide, malgré une ellipse importante de plusieurs années, l'apprentissage de la vie d'adulte de cette jeune femme, merveilleusement interprétée par Adèle Exarchopoulos. Ses hauts, ses bas, ses espoirs et ses désillusions. La Vie d'Adèle est un film délicat, bouleversant, qui m'a fait exploser le cœur. Je me battrai bec et ongles pour qu'il ne soit jamais qualifié de vulgaire ou d'obscène.





A lire: Le Bleu est une Couleur chaude de Julie Maroh, publiée en 2010 chez Glénat. Il s'agit de la bande-dessinée originale qui a servi à l'adaptation de Kechiche.

 
 
 

dimanche 10 novembre 2013

GRAVITY - Alfonso Cuarón - 2013


 
Voilà ! J’ai cédé aux sirènes d’un blockbuster ! Le fait est tellement rare qu’il mérite d’être souligné. 

En général, je vais plutôt à reculons voir ce genre de productions, tellement la majorité d’entre elles sont éloignées de mes centres d’intérêts et de ma conception du cinéma. Or, avec Gravity, j’étais loin de m’imaginer ce qui allait m’attendre.

Se déroulant à 99,9 % dans l’espace, ce film aborde cependant des sujets bien terre-à-terre : reprendre goût à la vie après un deuil, que la majorité d’entre nous considère comme insurmontable, le sentiment de culpabilité - sentiment auquel nous avons tous été une fois ou l’autre confrontés et qui génère des réactions particulières censées nous réconforter et l’apaiser un tant soit peu – et finalement le lâcher-prise. Considérer le moment présent et envisager le futur avec confiance et sérénité.  Le tout dans l’espace où règne le silence, où les seules voix que l’on entende sont de Houston, de son co-équipier bavard et vantard. En dehors de ces quelques moments, c’est le silence qui prévaut et la seule voix audible est sa voix intérieure. Celle qui rabâche en permanence : pourquoi ?



Il m’est très difficile de vous résumer le film sans dévoiler une grande partie de l’intrigue. En effet, l’histoire, simple, tient en deux phrases. Ce que je peux vous dire, c'est que le docteur Ryan Stone (Sandra Bullock, cheveux court et débardeur, un petit côté Ripley) fait sa première mission spatiale et rien, je dis bien rien, ne lui sera épargné. Tous les pépins possibles et imaginables vont lui arriver… et pourtant, ce film n’est pas un film catastrophe.

Ce film doit beaucoup (si ce n'est tout) à son directeur de la photographie, Emmanuel Lubezki. Ce dernier collabore pour la quatrième fois avec Alfonso Cuarón. Et ce n’est pas le dernier des manches : The new Wolrd, The Tree of Life et To the Wonder de Terrence Malick, Ali de Michael Mann, Sleepy Hollow de Tim Burton ou encore Burn after reading des frères Coen figurent sur son curriculum vitae. On est émerveillé du début à la fin… et c’est peu dire.
 
 
 

Il faut vraiment se raccrocher à l’image, parce qu’au niveau des dialogues, c’est franchement très très pauvre. Indigne d’un tel film. Frustrant. Certaines scènes, visuellement magnifiques, sont elles aussi décevantes. Trop triviales ou carrément clichées. Cependant,  ce film est époustouflant malgré les faiblesses mentionnées ci-dessus et malgré le personnage de Clooney que l’on a envie de baffer. Le What else-George est vraiment lourdaud…
 
 
 

Si vous voulez du très beau Cuarón, où les dialogues sont du niveau des images, foncez sur Children of Men ou sur Y tu Mama Tambien.
 
 
 

 

Votre Cinécution

dimanche 3 novembre 2013

L'AMANT - Harold Pinter

"Ton amant vient aujourd'hui?"... Madame acquiesce tout en nettoyant la moquette. Bienvenue dans L'Amant d'Harold Pinter, ou quand l'infidélité s'invite dans le quotidien d'un couple banal.
 
Sarah et Richard sont mariés depuis de nombreuses années. Ils sont installés dans un joli petit pavillon de banlieue. Monsieur travaille dans la finance, Madame s'occupe de l'entretien du ménage. Sarah voit plusieurs fois par semaine son amant. Richard le sait, l'approuve et fait en sorte de toujours rentrer à la maison une fois les ébats adultérins terminés. Lui-même voit sa "pute" régulièrement.  Ces deux-là jouent la carte de l'honnêteté. Pourquoi cacher ce qui est si souvent tu? A priori, c'est le "bonheur rangé dans une armoire".
 
 
 
En réalité, Pinter nous plonge en voyeurs au sein d'un couple qui, après plusieurs années de vie commune, cherche à pimenter sa vie. Ils ne sont pas malheureux et leur couple ne bat pas de l'aile. Ils ont de l'imagination et se créent des jeux érotiques. Chacun devient l'amant, la maîtresse de l'autre. Sarah voit Max, parce que comme bon nombre de femmes, elle cherche ce qu'elle pense ne pas avoir. Richard va voir sa "pute" - comme il l'appelle - parce qu'il lui est impossible de concevoir que sa femme, mère et ménagère, puisse endosser ce rôle dans l'intimité de leur chambre à coucher. Leurs désirs, leurs envies s'entrechoquent, mais ne se répondent pas. Chacun est enfermé dans ses fantasmes. Ils pensent communiquer, mais le dialogue est rompu. L'ennui s'installe. La folie guette. Petit à petit, l'absurde de la situation se révèle et nous laisse, nous spectateurs, terrifiés. Le désamour est en marche. Nous entrons dans un labyrinthe, celui de l'amour et de la psyché humaine. Lequel des deux rendra l'autre fou?
 
 
 
Raoul Teuscher, qui signe aussi la brillante mise en scène, est troublant de justesse dans le rôle de Richard, cet homme en proie à des pulsions desquelles il essaie, tant bien que mal, de se libérer . Quant à Anne Vouilloz, sublime comédienne, elle passe de la femme d'intérieur modèle à la femme fatale avec une aisance déconcertante.
 
Pourquoi un tel article sur un blog consacré au cinéma? J'y viens...
 
Le décor tout d'abord. Signé Carole Favre, il dépeint un univers très 50'. Un intérieur coquet, rangé, propre. Chaque chose à sa place. L'astuce? Les murs en tulle. Nous avons le pouvoir de voir à travers les murs, sans être physiquement dans la maison. Ce qui n'est pas sans rappeler "Fenêtre sur cour" d'Alfred Hitchcock. La blondeur de Sarah ramène également aux beautés glaciales chères au maître du suspens. Ensuite, la mise en scène de Raoul Teuscher. Caméra vidéo, sous-vêtements, cigarettes, jeux SM, perversion, tortures psychologiques.... autant d'éléments qui peuvent se rapprocher de l'univers de David Lynch. La mise en scène fait ressentir de manière très forte l'étrangeté du monde dans lequel évolue Sarah et Richard. Son côté sordide aussi. De plus, on sent très fortement l'empreinte du cinéma américain des années 50 dans les jeux de lumières. Les lamelles de stores dont les ombres se dessinent sur Sarah, en trench beige, lunettes noires et high heels rouges, en sont un bel exemple.
 
 
 
C'est une pièce haletante, qui coupe le souffle. Heureusement, les personnages ne sont pas dénués d'autodérision et quelques pointes d'humour - noir - nous donne un peu de répit. Mais nul doute, Pinter signe-là une pièce qui nous saisit à la gorge et nous met face à nos paradoxes et nos ambiguïtés. Chacun de nous se reconnaîtra ça et là... et chacun de nous se perdra aussi. Comme diraient les Rita Mitsouko: les histoires d'amour finissent mal, en général... Et en particulier?
 
 
 

A voir du 5 au 22 décembre 2013 au Théâtre Alchimic à Genève.
Toutes les infos et réservation, ici.

 

Crédits photos: Jeremy Bierer