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lundi 6 mai 2013

BELLE DE JOUR - Luis Buñuel - 1967

Rien qu'à l'évocation du titre de ce film, j'ai vu déjà vu des regards s'allumer, bien que les dits yeux ne l'aient jamais vu! Un de ces films dont la réputation sulfureuse le précède. 

Séverine (Catherine Deneuve), jeune femme de 23 ans, file le parfait amour avec Pierre (Jean Sorel). En apparence du moins. Mariés depuis un an, ils font déjà lit à part et leur vie sexuelle semble être au point mort. Séverine s'échappe régulièrement dans des fantasmes plutôt crus où elle est soumise, à la merci de son Pierre qu'elle aime "au-delà du plaisir".  La frustration s'installe au sein du couple. 

A l'occasion d'un séjour à la montagne, ils croisent un de leur ami mondain, Henri (Michel Piccoli). Ce dernier, au détour d'une conversation, glisse à l'oreille de Séverine, l'adresse d'une maison close de fort bonne réputation. Intriguée, la jeune femme s'y rendra. Commencera alors pour elle une nouvelle vie, celle de Belle de Jour. Ses présences au bordel seront quotidiennes, mais uniquement les après-midis, de 14 à 17 heures. Elle se soumettra à toutes les volontés des clients et découvrira peu à peu le plaisir au travers de pratiques sexuelles brusques et violentes. Elle s'épanouit, retrouve une certaine légèreté. Cette soudaine gaieté donne des ailes au couple qu'elle forme avec Pierre, lequel se projette déjà en père de famille. Jusqu'au jour où un jeune et joli voyou s'amourache d'elle...

"Belle de Jour" est profondément ancré dans une période où l'attitude envers le sexe, la jeunesse, la liberté individuelle est en pleine révolution. Une période qui s'amuse à défier les codes de la censure. C'est une décennie, les swinging sixties, où les mœurs cinématographiques sont réinventés partout dans le monde. Buñuel, bien qu'avant-gardiste, n'échappe pas à cette règle, apportant cependant sa touche toute personnelle.



Figure de proue du surréalisme, Buñuel distille cet élément dans l'univers, de prime abord très réaliste, de son film. Il ne fait aucune distinction entre le fantasme et la réalité. Le traitement est le même. Ce qui nous laisse, nous spectateurs,  dans le doute perpétuel. Nous ne savons pas vraiment où nous nous situons. Sommes-nous dans l'imagination de Séverine, ses désirs, ses envies, ou bien assistons-nous réellement à ces scènes? Et impossible de se rattacher au livre de Joseph Kessel, car Buñuel et son acolyte Jean-Claude Carrière en ont modifié la fin. Quels chenapans!


 Fidèle à lui-même, le génial réalisateur espagnol, naturalisé mexicain, égratigne la bourgeoisie "bien sous tous rapports" et ne manque pas de sarcasme lorsqu'il fait un flash-back lors de la montée des marches de Deneuve vers l'entrée de chez Madame Anaïs, la replongeant au moment de sa première communion. Lui qui d'ordinaire ne pose jamais de jugement, le voici qui insinuerait que Séverine éprouve une certaine culpabilité en marchant vers son plaisir? Que nenni, Séverine, enfant, refuse l'hostie que lui tend le curé. Ouf, l'honneur est sauf.



Luis Buñuel explore toutes les faces de l'amour: il évoque les fantasmes, aussi bien féminins que masculins et n'émet jamais aucun jugement. C'est un regard quasi de scientifique. Il observe la mécanique des choses. « Tout est, de toute façon, symbole érotique, rappel érotique dans notre univers » dira Buñuel... ainsi, un bas, une montée d'escalier, un cadran de lit, un voile deviennent porteurs d'une charge sexuelle phénoménale. Mais soyez rassurés, ou non, l'érotisme de Buñuel reste très chaste, très pudique. Là, je sens une certaine déception chez quelques uns... vous devrez donc faire fonctionner votre imagination. 

Catherine Deneuve dira: "Buñuel est d'abord un formidable raconteur d'histoires, un scénariste diabolique qui améliore sans cesse le script pour rendre l'anecdote plus intrigante, plus prenante. Luis Buñuel dit quelquefois qu'il ne pense pas au public et qu'il fait ses films pour quelques amis, mais je crois qu'il voit ses amis comme des spectateurs difficile et exigeants, et c'est parce qu'il se donne tellement de mal pour les captiver qu'il réussit du même coup à se faire comprendre, admirer et aimer des cinéphiles du monde entier." Certes, Buñuel est un "formidable raconteur d'histoires", il reste que "Belle de Jour" est sans doute son film le plus cohérent, le moins décousu. 


L'accueil à sa sortie a été mitigé. Certains l'encensent, d'autres l'assassinent:

"Belle de jour me paraît être l'une des œuvres les plus fascinantes et les plus achevés de Buñuel. Classicisme d'une mise en scène qui refuse la virtuosité et le clinquant pour cerner l'essentiel - le flou d'une âme en perdition - avec une rigueur et une élégance proprement admirable." Michel Aubriant, Le Nouveau Candide

"Quelques relents (sourires à sa jeunesse) de surréalisme pour Monoprix, un peu d'anticléricalisme velouté, voile tout ce qui reste de Luis Buñuel. Dans le genre, on préfère Vadim. C'est dire notre déception." Michel Duran, Le Canard Enchaîné

Un classique découvrir ou redécouvrir.




Votre Cinécution

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