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dimanche 26 mai 2013

DIE WAND - Julian Roman Pölsler - 2013



Écrire pour survivre, pour ne pas sombrer dans la folie. C'est tout ce qu'il reste à cette femme qui du jour au lendemain s'est retrouvée isolée dans un chalet des préalpes autrichiennes. Elle se raconte, transcrit son quotidien, depuis ce fameux jour où la mort s'est invitée, presque tendrement et avec douceur, de l'autre côté de ce mur, barrière invisible qui la met en marge de l'humanité.

Miraculeusement épargnés, un chien, une vache, et un chat sont ses seuls compagnons. Elle va devoir apprendre à utiliser les ressources de la nature pour se nourrir et tenter, tant bien que mal, de retrouver sa place au milieu des éléments. Ses luttes sont quotidiennes et variées: maladie, faim, intempéries, tâches répétitives et physiquement pénibles. Cependant, elle découvrira non seulement le bonheur, mais au-delà de cela, l'apaisement. Ce n'est que la rencontre avec l'Homme qui la poussera dans ses retranchements et provoquera une réaction toute animale.



Comment mettre en scène l'invisible? Comment adapter le roman quasi psychanalytique et féministe de Marlen Haushofer? En 2003, Julian Roman Pölsler a obtenu les droits du roman. Il lui aura fallu pas loin de 10 ans pour voir aboutir son projet et réaliser le film dont il rêvait depuis 25 ans. Plusieurs réalisateurs, dont Michael Haneke, s'étaient déjà intéressés à adapter le livre de Haushofer, mais avaient renoncé, le considérant comme inadaptable. Haneke, pour sa part, ne pouvait s'imaginer passer une année entière dans la boue, dans les montagnes, avec uniquement une femme, un chien et une vache. L'enfer, selon lui.

Pölsler a relevé le défi. Et avec talent, il faut le dire. La facilité aurait été de proposer une série de clichés ou de kitscheries sur les montagnes, les rapports entre l'humain et les animaux. Il réussit un tour de force en les évitant soigneusement. Oui, pas évident lorsque les paysages sont sublimes, Martina Gedeck (qui joue la femme) remarquable et les animaux surprenants.
 
Véritable réflexion sur la solitude, la peur de la folie, la place de l'homme au sein de la nature, la force des femmes, Die Wand est également un film anxiogène. Il l'est probablement parce qu'il nous plonge dans ce qui nous fait le plus peur: l'isolement et la solitude. Se retrouver avec soi-même: des moments que l'on apprécie lorsqu'ils sont choisis. Lorsqu'ils sont imposés, c'est une autre question.


Bref, ce film est d'une humanité bouleversante. La réflexion est accentuée par le fait qu'il n'y a aucun dialogues. C'est une voix-off, celle de l'héroïne, qui nous guide tout au long des 108 minutes, dans un allemand que les personnes qui maîtrisent la langue de Goethe sauront apprécier. Une voix-off et les
partitions pour violon solo de Jean-Sébastien Bach. Un très beau moment et un film qui nous poursuit quelques jours par les questions qu'il soulève.


Votre Cinécution

lundi 13 mai 2013

LA CLE DE LA CHAMBRE A LESSIVE - Floriane Devigne et Frédéric Florey - 2013


Cette petite clé, sésame d'une propreté toute helvétique, mais aussi symbole de dignité, est à l'origine de bons nombres de guéguerres entre voisins. Habituellement située dans les sous-sols, la chambre à lessive du 85, rue de Genève à Lausanne se trouve dans le hall d'entrée. Lieu de passage, de rencontre, de discorde. Là où les habitants, pour la plupart placés par les services sociaux de la capitale vaudoise, croisent policiers et prostituées. Oui, car les étages souterrains sont occupés par des salons érotiques et par des femmes exerçant le plus vieux métier du monde.

Avec ses quelques 80 (!) appartements, c'est une véritable petite ville qu'il faut organiser pour éviter les conflits. Claudina, nouvelle "dame-lessive", a été engagée par le propriétaire pour tenter de faire régner l'ordre. Seulement voilà, comment adhérer à des règles qui paraissent bien futiles au regard du quotidien des habitants de cet immeuble qui doivent jongler ne serait-ce que pour manger correctement jusqu'à la fin du mois?



Floriane Devigne et Frédéric Florey ont choisi de poster leur caméra au fond du couloir du rez-de- chaussée. Impossible pour les locataires d'échapper à leur objectif: la chambre à lessive précède de quelques mètres l'ascenseur. "Quelqu’un nous a dit: vous ne faites pas un vrai film, parce que dans les vrais films, il y a de l’action et une histoire d’amour. De toutes façons, on ne vous aime pas, on pense que vous êtes des espions." Les premières images sont brutales : un jeune fait mine de tirer sur la caméra puis d'un geste de la main de trancher une gorge. Les deux réalisateurs ne sont pas les bienvenus.


Cependant, au fur et à mesure que le documentaire progresse, les langues se délient. La caméra devient témoin, confidente. On en apprend un peu plus sur les destins particuliers qui errent dans les couloirs de cet immeuble hors du commun. Les habitants s'observent, s'épient, se détestent, s'apprécient... Les rêves de certains se mêlent au désenchantement d'autres.



Totalement autoporté, c'est-à-dire sans aucun commentaire de la part des réalisateurs - sauf si l'on considère, comme moi, que le montage est clairement la manifestation d'une opinion - ce documentaire laisse la place à toutes ces humanités. Véritable reflet des maux de notre société, La Clé de la Chambre à Lessive vaut le coup d'œil, non pas voyeurisme, mais par souci d'ouvrir les yeux sur ce qu'il est d'ordinaire de bon ton de cacher. Parce que oui, en Suisse, ce genre de précarité n'existe pas, voyons!

lundi 6 mai 2013

BELLE DE JOUR - Luis Buñuel - 1967

Rien qu'à l'évocation du titre de ce film, j'ai vu déjà vu des regards s'allumer, bien que les dits yeux ne l'aient jamais vu! Un de ces films dont la réputation sulfureuse le précède. 

Séverine (Catherine Deneuve), jeune femme de 23 ans, file le parfait amour avec Pierre (Jean Sorel). En apparence du moins. Mariés depuis un an, ils font déjà lit à part et leur vie sexuelle semble être au point mort. Séverine s'échappe régulièrement dans des fantasmes plutôt crus où elle est soumise, à la merci de son Pierre qu'elle aime "au-delà du plaisir".  La frustration s'installe au sein du couple. 

A l'occasion d'un séjour à la montagne, ils croisent un de leur ami mondain, Henri (Michel Piccoli). Ce dernier, au détour d'une conversation, glisse à l'oreille de Séverine, l'adresse d'une maison close de fort bonne réputation. Intriguée, la jeune femme s'y rendra. Commencera alors pour elle une nouvelle vie, celle de Belle de Jour. Ses présences au bordel seront quotidiennes, mais uniquement les après-midis, de 14 à 17 heures. Elle se soumettra à toutes les volontés des clients et découvrira peu à peu le plaisir au travers de pratiques sexuelles brusques et violentes. Elle s'épanouit, retrouve une certaine légèreté. Cette soudaine gaieté donne des ailes au couple qu'elle forme avec Pierre, lequel se projette déjà en père de famille. Jusqu'au jour où un jeune et joli voyou s'amourache d'elle...

"Belle de Jour" est profondément ancré dans une période où l'attitude envers le sexe, la jeunesse, la liberté individuelle est en pleine révolution. Une période qui s'amuse à défier les codes de la censure. C'est une décennie, les swinging sixties, où les mœurs cinématographiques sont réinventés partout dans le monde. Buñuel, bien qu'avant-gardiste, n'échappe pas à cette règle, apportant cependant sa touche toute personnelle.



Figure de proue du surréalisme, Buñuel distille cet élément dans l'univers, de prime abord très réaliste, de son film. Il ne fait aucune distinction entre le fantasme et la réalité. Le traitement est le même. Ce qui nous laisse, nous spectateurs,  dans le doute perpétuel. Nous ne savons pas vraiment où nous nous situons. Sommes-nous dans l'imagination de Séverine, ses désirs, ses envies, ou bien assistons-nous réellement à ces scènes? Et impossible de se rattacher au livre de Joseph Kessel, car Buñuel et son acolyte Jean-Claude Carrière en ont modifié la fin. Quels chenapans!


 Fidèle à lui-même, le génial réalisateur espagnol, naturalisé mexicain, égratigne la bourgeoisie "bien sous tous rapports" et ne manque pas de sarcasme lorsqu'il fait un flash-back lors de la montée des marches de Deneuve vers l'entrée de chez Madame Anaïs, la replongeant au moment de sa première communion. Lui qui d'ordinaire ne pose jamais de jugement, le voici qui insinuerait que Séverine éprouve une certaine culpabilité en marchant vers son plaisir? Que nenni, Séverine, enfant, refuse l'hostie que lui tend le curé. Ouf, l'honneur est sauf.



Luis Buñuel explore toutes les faces de l'amour: il évoque les fantasmes, aussi bien féminins que masculins et n'émet jamais aucun jugement. C'est un regard quasi de scientifique. Il observe la mécanique des choses. « Tout est, de toute façon, symbole érotique, rappel érotique dans notre univers » dira Buñuel... ainsi, un bas, une montée d'escalier, un cadran de lit, un voile deviennent porteurs d'une charge sexuelle phénoménale. Mais soyez rassurés, ou non, l'érotisme de Buñuel reste très chaste, très pudique. Là, je sens une certaine déception chez quelques uns... vous devrez donc faire fonctionner votre imagination. 

Catherine Deneuve dira: "Buñuel est d'abord un formidable raconteur d'histoires, un scénariste diabolique qui améliore sans cesse le script pour rendre l'anecdote plus intrigante, plus prenante. Luis Buñuel dit quelquefois qu'il ne pense pas au public et qu'il fait ses films pour quelques amis, mais je crois qu'il voit ses amis comme des spectateurs difficile et exigeants, et c'est parce qu'il se donne tellement de mal pour les captiver qu'il réussit du même coup à se faire comprendre, admirer et aimer des cinéphiles du monde entier." Certes, Buñuel est un "formidable raconteur d'histoires", il reste que "Belle de Jour" est sans doute son film le plus cohérent, le moins décousu. 


L'accueil à sa sortie a été mitigé. Certains l'encensent, d'autres l'assassinent:

"Belle de jour me paraît être l'une des œuvres les plus fascinantes et les plus achevés de Buñuel. Classicisme d'une mise en scène qui refuse la virtuosité et le clinquant pour cerner l'essentiel - le flou d'une âme en perdition - avec une rigueur et une élégance proprement admirable." Michel Aubriant, Le Nouveau Candide

"Quelques relents (sourires à sa jeunesse) de surréalisme pour Monoprix, un peu d'anticléricalisme velouté, voile tout ce qui reste de Luis Buñuel. Dans le genre, on préfère Vadim. C'est dire notre déception." Michel Duran, Le Canard Enchaîné

Un classique découvrir ou redécouvrir.




Votre Cinécution