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lundi 27 août 2012

CITIZEN KANE VS VERTIGO

Au début du mois d'août: cataclysme! Le British Film Institute, par le biais de son magazine Sight and Sound, publiait sa liste des 250 meilleurs films. Ce sondage, effectué tous les 10 ans, auprès de différents critiques, journalistes, diffuseurs du monde entier, a révélé pour cette nouvelle édition, une énorme surprise: "Citizen Kane" d'Orson Welles qui trônait en chef-d'oeuvre incontesté depuis 50 ans a été "battu" par "Vertigo" d'Alfred Hitchcock!
En ce qui me concerne, ce furent là les prémices de la fin du monde annoncée par les Mayas pour décembre de cette année...


Passé le premier choc (oui, ceux qui me connaissent ou qui lisent ce blog, savent pertinemment que "Citizen Kane" c'est LE film!!), et la nouvelle plus ou moins bien digérée, voici le moment de mettre mon grain de sel dans ce choix pour le moins étonnant, lorsque l'on sait qu'il y a un avant et un après "Citizen Kane".
J'avais aussi dit que je ne parlerais jamais de "Citizen Kane", tant ce film est exceptionnel, tant sur le fond que sur la forme, qu'il est pour moi inattaquable, et qu'à part dire qu'il faut absolument le voir, et qu'il change à tout jamais la façon de regarder des films, je ne pourrais rien en dire, ou alors on m'en voudrait d'en dire autant! Donc, comme le veut l'adage :"Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis": Xanadu, here I am!



"Citizen Kane, le géant fragile" pour reprendre les termes de François Truffaut, est sorti aux États-Unis en 1941. Orson Welles n'était pas un inconnu, c'était même plutôt une célébrité outre-atlantique, notamment grâce à l'adaptation radiophonique de "La Guerre des Mondes" de H.G. Wells (!). Il a aussi monté un "Jules César" de Shakespeare sur Broadway qui fit sensation, notamment par la dimension fasciste qu'il donna au personnage de Jules César. Bref, Welles est d'ores et déjà considéré comme un génie par les journaux corporatifs hollywoodiens qui lorsqu'ils n'entendent rien de lui, font leurs titres avec ces mots: "Silence, un génie travaille".

Toujours selon François Truffaut, ce film est "...total : psychologique, social, poétique, dramatique, comique, baroque. "Citizen Kane" est tout à la fois une démonstration de la volonté de puissance et une dérision de la volonté de puissance, un hymne à la jeunesse et une méditation sur la vieillesse, un essai sur la vanité de toute ambition humaine en même temps qu'un poème sur la décrépitude et, derrière tout cela, une réflexion sur la solitude des êtres exceptionnels, génies ou monstres, monstrueux génies"...  ou encore: "Contrairement au débutant craintif qui s'efforce de tourner un bon film qui lui permettra de s'immiscer dans l'industrie, Orson Welles, à cause de sa réputation considérable, était contraint de tourner LE film, celui qui les résumerait tous et préfigurerait ceux à venir, eh bien, mon Dieu, nous voyons bien aujourd'hui que ce pari délirant a été tenu". Tout est dit!




Première innovation: la caméra subjective. Welles utilise la caméra presque comme un personnage et qui de part sa position, donne son opinion sur une scène. A ce propos d'ailleurs, il a inversé le "pouvoir" de la plongée et de la contre-plongée, déstabilisant totalement le spectateur, mais donnant également un regard plus distant et plus critique sur les scènes. Et on sait dès le départ, que la caméra va être notre propre regard, dès l'instant où elle transgresse le "no trepassing" accroché au portail de Xanadu. Oui, nous devenons voyeurs...

Deuxième innovation: les profondeurs de champs. Non pas qu'il ait été le premier à utiliser les profondeurs de champs, mais leur longueur et leur utilisation systématique sont autant d'innovations. Pas un plan sans profondeur. Et tous les degrés de plan sont nets. Ce qui donne un aspect incroyable à l'image.

Troisième innovation: les effets spéciaux et les trucages sont remarquables pour l'époque. Les décors et les toiles peintes, l'utilisation des diapositives pour figurer des fonds. Effets spéciaux qui sont l'oeuvre de l'extraordinaire Vernon L. Walker. Les flashbacks sont aussi incroyables, par le fait qu'ils sont chronologiques. Ce qui n'est d'ordinaire pas le cas.

Et cette bande-son incroyable, enivrante, complète et dense. Superposition de dialogues qui donne le tournis...mais qui est probablement "une des plus inventives de l'histoire du cinéma" dixit Truffaut, encore!

Je ne suis pas une spécialiste, je suis juste une passionnée, mais ce film, même si l'on ne possède que peu ou pas de connaissances cinématographiques est une évidence. Il est révolutionnaire!



Dans "Vertigo", qui date de 1958, Hitchcock utilise également la caméra subjective (merci qui?). Bien sûr il y a aussi son lot d'innovations, notamment le travelling compensé utilisé dans la scène de la cage d'escaliers pour donner un sentiment d'angoisse et pour refléter le sentiment de vertige ressenti par le personnage de James Stewart. Les effets spéciaux sont aussi présents, et cela de manière ostensible... et la musique de Bernard Herrmann est incroyable.



Je ne vais pas descendre "Vertigo", un film que j'adore et que je considère, comme plein d'autres gens, comme un film à voir absolument. Mais rendons à Orson ce qui est à Orson!

Nick James, le rédacteur en chef de Sight and Sound a réagi de la façon suivante: "Je me souviens que j'espérais au dernier classement que "Citizen Kane" soit battu mais que ça n'arrivait jamais. Cette fois, je suis ravi!". Il a même esquissé une tentative d'explication en disant que les gens devenaient plus sensibles aux films personnels qui peuvent faire écho à leur propre vie. Quand on sait que Hitchcock a confié lors d'une interview à François Truffaut (oui, toujours lui... oui, je l'aime!) que le personnage de James Stewart était nécrophile... je souhaite ardemment que cela n'ait que peu d'écho dans les vies de ceux qui sont "plus sensibles aux films personnels"...



Rendez-vous pris dans 10 ans donc pour découvrir si "Vertigo" saura conserver sa première place. En ce qui me concerne: Orson for ever and ever! Et Alfred, on dit: Merci Orson!



PS: citer François Truffaut était une obligation, au-delà de mon admiration pour cet homme, car il a rendu un vibrant hommage à Welles dans "La Nuit américaine" et un non moins grand hommage à Hitchcock avec son livre-entretien "Le Cinéma selon Alfred Hitchcock", le fameux "Hitchbook".


Votre Cinécution


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